Après 11 ans d’activités et des dizaines de disques, le label le moins médiatique de la terre s'éteint. Et ce n'est pas sans conséquence sur le paysage artistique français.

jkhurlEgo Twister Records a annoncé la fin de son activité ce week-end à travers un post Facebook. La nouvelle ne devrait pas fondamentalement changer la face du monde : à part deux blogs et trois acheteurs, personne ne semblait avoir quelque chose à faire de cette maison-là.

Pourtant le message a été relayé sur le réseau social avec une portée odieusement plus importante que n’importe quelle annonce de sortie de disque. Ego Twister, ce label que nous-même avions oublié (un véritable oubli, pour lequel on s’est d’ailleurs excusé personnellement) dans notre article- concentré de name dropping sur le rock en France qui en vaut la peine, occupait donc visiblement une place significative dans le panorama musical d’aujourd’hui.

« Yan (l’homme derrière le label, ndlr), c’est l’un des rares label-manager à être tellement nul en commerce qu’il fait ce qu’il veut au niveau artistique. Si tu écoutes tout le catalogue, tu vas de surprises en surprises » explique Gratuit au détour d’une bière. C’est justement là que se tient toute la force du label : si nombre d’entre eux défendent une musique qui vit de près ou de loin avec l’air temps, Yan Hart-Lemonnier a creusé un sillon qui, si il n’intéressait certes pas grand monde – et surtout pas la presse – proposait une véritable alternative au triptyque garage-cold-techno qui domine nos fières caves.

Cette esthétique que Gratuit défini comme « post-apogée de Warp » hybridait l’électro 8 bit, digitale, le rock expérimental, petite ou grosse frappe, la pop informatique déviée, brassait à contre courant des canons des grands synthétiseurs et du rock à la californienne. « Ça va faire un gros trou », lâche-t-il.

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Du rôle d’un label en 2015

Le problème que pose la fin du label est plus global. Aujourd’hui, s’il n’a ni relais dans la presse, ni chiffres de ventes respectables, ni réseau de distribution tentaculaire, ni influence sur les sphères interlopes des « pros » accrédités, quel rôle a encore le type qui envoie des disques à l’usine et les met en ventes dans un monde où lesdits disques ne se vendent plus ?

fdurlGratuit poursuit : « Ego Twister, tu sais, c’est comme un pilier pour te soutenir : je lui ai fait subir les pires choses possibles et imaginables, et aujourd’hui, le voir s’effondrer sous moi, c’est dur ». L’utilité d’un label est certainement aujourd’hui d’être un camp de base, une maigre solidité pour les artistes dans un monde culturel de plus en plus changeant, volatile, inconstant. D’être un soutien humain. Un membre supplémentaire dans un groupe, dédié à s’occuper avec ses minuscules bras de la com’, de la distribution. Un homme qui prouvera tout simplement qu’il existe des gens qui sont prêts à craquer 2000€ pour mettre en valeur la musique dudit groupe, quelle qu’en soit la portée et le résultat.

Ego Twister représentait tout spécialement l’idée d’un label qui ouvre ses portes à des projets dont tout le monde se fout. Qui, aujourd’hui, sortira ces chansons qui puent l’ordi et les plugins sur fond de rock quasi electroclash (soit la somme de tout ce qui n’est pas très « noble » aux yeux de la critique ces dernières années) ? Il ne doit plus y avoir que 2 ou 3 structures, déjà saturées de projets, pour le faire. Outre les protégés déjà signés, à qui s’adresseront les futures générations de la digi-pop-violence ?

« Si vous n’êtes pas là non plus, c’est qu’il n’y a personne »

« Faut faire des papiers un peu nécro, ouais, ça peut relancer la machine » disait Gratuit lors de notre rencontre. Il n’est pas le seul à penser que Yan Hart-Lemonnier peut remettre le pied à l’étrier si on lui donne un peu d’amour. Mais une chose est sûre : s’il le fait, la presse n’en aura toujours rien à taper de ses rockeurs digitaux, les acheteurs seront toujours aussi rares. Mais au moins, ces dits artistes auront autour d’eux quelqu’un qui les supportera, les regardera évoluer avec bienveillance, les mettra en contact entre eux et fera le maximum humainement envisageable pour favoriser leur émergence.

Pour conclure, confessons-le : le disque d’Audace, dernière sortie en date, est hyper bien. Mais on ne l’a pas chroniqué, peut-être parce qu’on n’avait pas les armes ni le temps pour l’appréhender dignement, parler de psychédélisme pour barrettes de RAM, de musique industrielle du futur, de paysages avant-après gardistes. Peut être aussi parce que rien ne pressait et que c’est passé à la trappe. Peut être aussi que ce n’était pas très bandant tant c’est à côté de la plaque. Parce que, surtout, ce n’est pas l’esthétique que nous cherchons à défendre en 2015 et que nous l’avons mis dans la case du « si on a le temps ». Si Yan Hart-Lemonnier n’est même plus là pour le faire, alors il n’y a simplement plus personne. Voilà ce qui fait de la mort d’Ego Twister Records, label dont tout le monde se fout, un véritable drame pour la musique alternative française.

http://www.egotwister.com/

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