Pour sa première montée des marches (un passage bien tardif au regard de sa filmographie, "La Famille Tenenbaum " en tête de liste), Wes Anderson affronte le regard accusateur des critiques sur sa coupe de cheveux moyenâgeuse. Présenté en ouverture du festival de Cannes 2012, "Moonrise Kingdom" signe incontestablement la fin d’un cycle. Ouf ! Il n'est pas encore trop tard.

N’est pas « l’homme en noir » qui veut, je n’ai jamais été un bon piocheur. Alors résumons rapidement ce septième film de Wes Anderson, beau présent au ruban d’argent qui cache un minuscule diamant de tourne-disque chantant l’amour de deux enfants, Suzy et Sam, à peine douze ans et déjà la crise d’adolescence dans les jumelles : la découverte de leurs corps, la fugue, l’inconscience, la violence. S’ensuit alors une recherche des deux fuyards dans une ambiance scouts à bermudas et tempête du siècle.

Oui, dans Moonrise Kingdom tout est magique, féerique. Le balayage-cadrage comme signature au même rang que le 360° de Michael Bay est d’une classe ultime. Mais cette photo jaunâtre nous rappelle trop d’heureux souvenirs, le personnage de Bill Murray est toujours ce vieux dépressif au charme œdipien, Kara Hayward est encore filmée comme par un Godard amoureux de Karina, et cette manie d’habiller son film d’une bande-son aussi pointue de bon goût (Françoise Hardy en vinyle) rend nostalgique d’un Seu Jorge dans La Vie Aquatique. Tout est sucré sans jamais être mielleux, rien n’est périmé, mais comme avec une bonne dose de moules au curry, à la fin ça colle aux mains.

Une petite heure après Moonrise Kingdom, je me retrouve à enchaîner avec De Rouille et d’Os dans la salle voisine. Il est fort compliqué de trouver un véritable lien entre ces deux films a priori diamétralement opposés. Mais au final, il en ressort une telle perfection, une recherche insensée du bon plan, de la larme qui glisse et de la blague qui siffle, que l’ensemble bulleux devient intouchable, inaudible sous une cloche à fromage froide et impénétrable. D’un côté, chez Audiard, la dramaturgie et l’indécence de vouloir trop en montrer, et de l’autre, chez Anderson, la beauté explicite et redite qui vient inhiber toute émotion véritable. Ça caille un peu malgré une maîtrise artistique incontestable.
Évidemment, Bruce Willis et son humour pince-sans-rire, la naïveté retrouvée de Edward Norton, la bouille intello-orpheline qu’un Pixar saurait esquisser (Jared Gilman), la beauté nordique foudroyante de cette Suzy en « fillette fatale », dessinent un casting — encore une fois — presque trop réfléchi. Moonrise Kingdom n’a remporté aucun prix à Cannes mais sa seule présence est déjà une belle récompense pour un réalisateur que j’affectionne depuis ma tendre adolescence, avec cette pensée qui me torture à chacun de ses films : « Putain, celui-là, j’aurais bien aimé le réaliser.«  Et je crois que sa sélection n’est pas anodine, elle vient — je l’espère — clôturer une aventure débutée il y a seize ans avec son pote de fac Owen Wilson dans Bottle Rocket, et fermer ainsi la parenthèse disons jaunissante pour ouvrir de nouvelles perspectives à ce maniaque hystérique, à cet amoureux éperdu de la France et de l’élégance, à ce « vieuj’ » (traduire jeune-vieux) familier du tweed.

Fin de cycle pour Wes, mais pas terminus. Mûrir, grandir entre la Butte Montmartre et les bas quartiers de Brooklyn, et un jour revenir en terre cannoise tout fringuant et palmé. Mais contrairement à Terrence Malick façonnant son Tree of Life à l’image de Gilles Jacob, ça ne saurait être la réalisation ultime d’Anderson. Il n’en reste pas moins que son style, bien qu’idyllique, va devoir évoluer vers une noirceur de l’âme plus prononcée (avis personnel). L’avenir nous le dira ; ce qui est sûr, c’est que le futur lui appartient déjà.

Wes Anderson // Moonrise Kingdom // En salles

1 commentaire

  1. Vu il y a quelques jours, et dans le même état. Content d’être là, content de voir ça, content de ses élégantes manières d’obsessionnel compulsif. Mais conscient avant de sortir de la salle que la mémoire se nourrit d’émotions, et que j’oublie toujours les films de Wes Anderson. Alors que je suis toujours content. Mais content propre, sans danger, comme dans une éprouvette.

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