Heavy Rain ouvrit bruyamment l’année vidéo-ludique 2010. Du Grand Journal jusqu’à France 2, David Cage, l’auteur, occupa une honorable portion des pistes du cirque médiatique. Des monstres non spécialisés aux agneaux du milieu, tous furent domptés. Fort de ce couronnement inter-planétaire, le jeu ressort à moitié prix dans une version Playstation Move, le nouveau gadget de Sony élaguant la traditionnelle manette d’une grande quantité de ses attributs pour ne laisser qu’un simple godemiché art déco doté d’un unique bouton et de capteurs de mouvement façon Wii.

Avant de mouiller sous la lourde pluie, une petite présentation de David Cage s’impose. Ce  Mulhousois un peu à part dans ce monde vidéo-ludique broyeur de personnalité fonde Quantic Dream en 1999, son propre joujou de développement. Pas folle la cigogne, son premier jeu digitalisait David Bowie – excellent aimant à publicité – et proposait au joueur un concert privé et pixelisé de la rock star au sein même du jeu.
En mariant Bowie à un jeu transgenre brossant avec habileté une science fiction post modernisante, David Cage parvint à fidéliser une tripotée de geeks, éveillés et fidèles, qui le suivront jusqu’à la mort. En accord total avec son compte en banque honorablement gonflé (600 000 copies vendues, pas mal), le goût du risque de notre video game star enfla lui aussi. De toutes ces bonnes nouvelles naquit Farenheit, sorte de thriller vidéo-ludique gavé d’actions contextuelles/QTE, comprenez une action bien spécifique vous forçant à appuyer sur le bouton s’affichant à l’écran. Fini à la pisse, Farenheit servit surtout d’ébauche à Heavy Rain, dernier-né des studios Quantic Dream, reprenant de son prototype QTE omniprésentes et background éculé de thriller US.

Alors pourquoi tout ce foin ? Est-ce que David Cage a hypnotisé la moitié de la planète ? Est-ce le fruit d’une nouvelle conspiration communiste?

Pas besoin de violer le jeu dans ses moindres recoins pour comprendre. Le jeu, graphiquement magnifique, bluffe la plèbe, très souvent en irritante extase devant n’importe quel feu d’artifice. Bien entendu, Cage est bien trop malin pour offrir un séduisant emballage superficiel. Ici, l’habillage sert humblement le concept. Face à l’univers d’Heavy Rain, le joueur n’est en rien dépaysé, vous êtes chez vous, détective sympathique porté sur la bouteille, serial killer bien vicelard et insoupçonnable, rivalité flic/FBI… Tout est convenu, presque grossier, à la frontière de la banalité… Tant mieux, le jeu repose sur d’autres fondations bien plus excitantes.

Sous le chienlit attrape gogo : la beauté du choix.

Le domaine du «cinéma interactif », sobriquet dont fut malencontreusement attribué Heavy Rain, est bouté à grands coups de pieds dans le derche par une chimère (presque) nouvelle, le jeu psychanalytique dont vous êtes le héros. En plaçant sans cesse le joueur au crossroad – quasiment celui de Robert Johnson -, Cage évoque ces vieux bouquins d’heroic-fantasy aux cheminements multiples. Le champion du pad cool et albinos n’empruntera pas la même route que le stressé aux mains glissantes.
Mais si Heavy Rain se contentait de cette maigre innovation, il se révèlerait au mieux un joli joujou suranné.


Seulement, un autre point m’a franchement frappé : pour présenter rapidement les faits, le jeu propose quatre personnages jouables et obligatoires, vous passerez d’un protagoniste à l’autre au gré des rebondissements. Y jouer à minimum deux transfigure le jeu en thérapie de groupe virtuelle. Prenez ma partie avec mon camarade antithétique jamaïcain dans l’âme : je jouais l’agent du FBI qui dissimule, dans son gros sac à malice du 21ème siècle, une panoplie high tech composée de ray ban chiques et d’une paire de gants en cuir. Toutefois, l’abus de cette haute technologie nuit à sa santé et une trop forte utilisation de l’objet provoque chez lui de vilains saignements de nez. Seul un liquide bleu, addictif et néfaste, offre à votre avatar une guérison quasi instantanée. Une des séquences place l’agent en pleine crise devant un choix difficile, ou vous jetez le produit ou vous le gardez précieusement. Là, mystère freudien, mon frère de pad m’exhortera à conserver le liquide bleu. N’écoutant que ma droiture de stup, je dirige alors mon avatar des G-men jusqu’à la divine cuvette pour jeter le tube, impitoyablement. Autre drogue, autre tempérament, le détective privé du jeu peut, à loisir et selon vos désirs, vidanger sa bouteille de whisky. Dernier exemple rigolo, la séquence où la journaliste, mignonne mais négligée, doit se maquiller pour draguer un ventripotent pervers mexicain. L’action contextuelle nécessite une infinie délicatesse féminine manquant à mes doigts de manchot. Grâce à Heavy Rain, je sais que jamais je ne pourrais devenir drag queen contrairement à mon collègue stoned qui, lui, fera un très beau travelo d’1m98, merci David Cage.

Pourtant, deux choses me chagrinent. Ce scénario faiblard qui se veut l’armature d’un thème central peu exploité dans le monde du jeu vidéo – l’amour d’un daron pour son chiard – sabote un tantinet l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement de la terrible machine. Le twist final, d’une nullité affligeante, sabote l’oeuvre et rabaisserait presque Heavy Rain au simple rang de whodunit con-con chiant-chiant.
Et puis il y a cette esthétique photo réaliste inféodée au royaume du 7ème art qui m’emmerde profondément. J »aime que des carrés héroïques affrontent des hordes sanguinaires de triangles belliqueux dans un déluge minimaliste de traits blancs et noirs et j’aime que ma purée de pixels navigue dans des brouillards poétiques conçus par des développeurs incompétents et/ou fauchés. Qui plus est, l’infinité de possibilités que déploient les tendance abstraites et surréalistes, ridiculisent intégralement les tentatives gonflantes d’une plastique lorgnant paresseusement vers une réalité qui n’a pas toujours sa place dans un domaine capable de donner une sublime vie digitale à vos anti-rêves d’art contemporain les plus chtarbés.

David Cage // Heavy Rain // Sur Playstation 3

9 commentaires

  1. ah enfin…. Gonzaï se met aux jeux vidéos (adultes) ! 18+ donc… Je l’ai dit dans le local l’été dernier « pourquoi vous ne traitez pas ce genre de came ? » Je préfère taire la réponse vu l’actu de cette page mais cette chronique est faiblarde, commencée à la pisse… Fan Attak : Si Farenheit (sur PS2) est « fini à la pisse » c’est que tu n’as pu/du aller jusqu’au bout de ce magnifique Survival Triller qui me laisse encore un « ambiance » dans la peau comme SH2.. Quant à HR ce jeu PS3 – que je ne connais pas / je suis sous Xbox360 – est sorti depuis 1 an au moins… Du neuf SVP! pas c’est déjà un début… en 2001 j’écrivais çà

    THE BIG CHEAT [à propos du code suprême dans les jeux vidéos…]

    http://www.webzinemaker.com/admi/m6/page.php3?num_web=1553&rubr=4&id=5330

  2. « Fini à la pisse, Farenheit servit surtout d’ébauche à Heavy Rain ». Oui Farenheit était pas si mal mais joue à Heavy Rain et tu verras que le jeu n’était qu’un vulgaire brouillon.
    Ensuite, c’est vrai, je n’ai jamais fini Farenheit mais est il franchement nécessaire de finir un jeu pour l’analyser? Toi qui joue depuis un moment tu devrais connaitre la réponse…
    Excepté dans des jeux globalement très scénarisés comme les rpg, le scénario passe au second plan, comme dans Heavy Rain. Je me contredis un peu sur l’un des paragraphes de l’article, je sais, mais ça fait parti du jeu gonzo après tout…
    Après, sur la question du neuf, oui et non, vu que le jeu ressort dans une version sensiblement différente. D’ailleurs, je le signale dans l’intro…
    Et franchement tu préfères quoi, une orientation mongolito jeuxvideo.com: « waaaoooouuuu trop cool! c’est nouveau! Les monstres sont géniaux, les personnages charismatiques etc etc » ou des articles un peu plus réfléchis (enfin j’espère), qui ne se ruent pas forcément sur la news brûlante et qui reviennent sur des jeux qui marqueront l’histoire du domaine?
    le prochain sera sur Pong.

    Sinon merci du commentaire, je m’attendais pas à voir des geeks sur Gonzai.

  3. Et Thierry (Theolierà, autant je t’adore par bien des aspects autant il ne faut pas prendre tout tes commentaires au pied de la lettre: à t’écouter on pourrait finir par croire que tu as aussi inventé Internet:)

    Blague mise à part: oui, le jeu vidéo, donc. Sur Gonzaï.
    Et oui, je me souviens bien de cette discussion dans un local estival.

  4. Ah non, faut pas déconner : Farenheit, c’était vraiment du mauvais, au mieux une expérience de laboratoire pas finie qui s’est échappée de sa Cage (ah ah ah).
    Sinon, j’arrive pas à comprendre l’engouement de l’auteur : Pluie Lourd n’est qu’un « livre dont vous êtes le héros » dont les pages ont été collées par le frangin débile, du coup faut faire pleins de manipulations avec ses doigts pour tourner les pages… J’ai bon ?

    Mais sinon c’est vraiment chouette de voir du jeu vidéo ici.

  5. Une bonne review pour un jeux pourrit… Et dire qu’il y a une vingtaine d’annees une société de jeux video francaise (oui Monsieur!) comme « Delphine Software » sortait des jeux d’aventures assez magnifiques (et reelement ludique/interactif) si on considere les moyens techniques dispo a l’epoque (Amiga, Atari ST principalement) et personne n’en avait rien a foutre alors qu’aujourd’hui « les medias » s’extasient sur cette merde.

  6. youwanthis, je suis bien d’accord avec toi.

    Mais le vrai problème est qu’aujourd’hui, la majorité de ce qui se passe au niveau des medias est bien plus lié à des campagnes de promotion déguisées qu’ à du journalisme.

    Aujourd’hui c’est monsieur Grossou qui commande tout ca.

    Comment veux tu qu’un journaliste aujourd’hui, puisse prendre une position qui risquerai de faire perdre des millions à un investisseur qui contrôle une bonne partie du groupe qui contrôle l’organe de presse pour lequel il travaille ? S’il donne sa démission, au moins il peut espérer retrouver du travail.

    Il faut être réaliste, l’Independence de la presse face à l’économie est devenue une réalité improbable.

    J’ai travaille sur le premier jeu de cage, j’ai en fait travaillé dans ce domaine, pendant près d’une vingtaine d’années. Au début comme indépendant puis comme employé, pas de papa riche hélas 🙂

    Apres tout ce temps, j’ai aujourd’hui quitté ce monde professionnel. Car, pour en revenir à ton message, ce qui m’a amené au jeu video n’a aujourd’hui plus rien ou tout au moins, plus grand-chose à voir avec la production de ces derniers…

    La passion de découvrir d’apprendre, de créer quelque chose sur ces merveilleuses machines d’un autre temps dont celles aux quelles tu fais référence, c’est en réalité un tout autre monde aujourd’hui disparu.

    Certains, comme Cage s’en accommode bien. Ils font leur boulot de commercial, se font plaisir, profite de la spirale positive au maximum et puis au final, tout fonctionne sur ce model de toute façon.

    C’est sur qu’il est loin d’être idiot et qu’il comprenait déjà bien mieux les gens, la nature humaine et le monde que je ne les comprenais à l’époque ou je l’ai rencontré.

  7. Frederic je suis pas tout à fait d’accord avec toi.

    Peut être que mon avis est extrêmement naïf mais j’ai l’impression qu’on retrouve la passion d’antan à travers un certain nombre de jeux indépendants. World of Goo, Braid, Castle Crashers et tout ça…

    Et en ce qui concerne David Cage, j’ai franchement l’impression qu’il fait du très mauvais marketing. En insultant des jeux comme Resident Evil et en prenant certains joueurs pour des cons je suis pas sur qu’il agrandisse son public..
    Mais sinon je suis d’accord c’est un commercial, point barre…

  8. C’est peut-être seulement mon expérience personnelle.

    Mais je crois que de toute façon dès que l’on a à faire au domaine professionnel et a la production, on n’évolue plus dans le même univers que celui qui sous-tendais la micro informatique des années 80-90.

    Concernant le marketing de David, en tout cas son style extrême lui aura valu le soutien indéfectible de beaucoup de gens. Ce qu’il n’aurait probablement pas obtenu en restant plus mesuré et plus modeste.

    Je pense que les gens on besoin de ce genre de personnage déraisonnable, ca leur donne comme une bouffée d’air.

    Pour des raisons personnelles, je ne l’apprécie pas mais alors pas du tout, il faut cependant rester objectif, car au final c’est toujours le résultat qui compte.

    Il faut bien admettre que ca marche très bien pour lui et qu’on trouve plus de gens pour le défendre becs et ongles que l’inverse…

    Sa capacité à paraitre bien sous tout rapport dès que ca l’arrange y est sans doute pour beaucoup. C’est un excellent communicateur, voir manipulateur.

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