A l'heure des bilans, des bons points labellisés par des magazines qui ne savent plus que défendre, le taulier canin de ce foutre-tout de Gonzaï nous a poliment proposé de nous exprimer sur notre ressenti musical de l'année bientôt écoulée, et sur les formations du futur qui feront de nous les Madame Irma de l'ère environnementale. Sachant qu'ayant peine à me souvenir de ce que j'ai fait mardi dernier et sans envie viscérale de savoir qui va sortir du bois dans les mois à venir, la tâche était plutôt ardue.

Difficile aussi parce qu’à mon sens, en matière de best of de l’année, les seuls acceptables sont ceux bricolés sur une radio double-cassette par un geek qui souhaite conquérir le cœur ou l’amitié d’un congénère. L’étalage des meilleurs poissons médiatiques de l’année, le gavage d’oeuvres interchangeables que l’on nous propose à l’occasion de la commémoration de cette vieille croyance de la naissance d’un hypothétique sauveur, me laisse toujours pantois. De toute manière, l’année païenne devrait commencer quand les bourgeons éclosent, mais plus personne n’en à rien à secouer, sauf des gens qui puent le patchouli et les bons sentiments.

Conscient que la secousse sur l’échelle de Richter des albums dans « l’actu » relève trop souvent de la pantalonnade médiatique, je vais vous faire part, bande de salauds complices du conglomérat des vendeurs de soupe populaire que vous êtes, de mes vagues souvenirs subjectifs de l’année. Vous pouvez m’insulter dans les commentaires, c’est cadeau pour les fêtes.
Dans un monde où chacun fait son petit marché dans une constellation de chapelles plus ou moins ardentes, on a tendance à y perdre son latin. Cette année, je me suis retrouvé à assouvir mon appétit avec des plats froids et quelques nouveaux albums et concerts locaux au goût épicé qui, à défaut de me faire voir la vierge en 3D, ont eu le mérite de tenir mes papilles et de me réchauffer les oreilles.

La première chose qui me vient à l’esprit, de cette année culturelle forte en sinistrose ambiante, c’est la mort de Jerry Leiber. Je l’ai vulgairement appris sur mes chiottes à la lecture d’une chronique funéraires de Mojo intitulée Real gone. Suis-je aveugle, ou le décès de l’autre camée à la choucroute 50’s sur la tête, avec ses deux pauvres albums sous son bras rachitique, a fait plus de tintouin que la disparition, certes plus tardive, de ce vrai génie de la musique moderne ? Pour les plus étourdis d’entre vous, ce vieux monsieur qui nous à dignement laissé tombé le 22 août dernier, jour où les cons observent jalousement le bronzage de leur collègue de boulot, a partagé l’écriture d’un paquet de standards du rock’n’roll avec son ami Mike Stoller.
Je m’excuse auprès des fans de la déboitée des faubourgs de Londres, mais savoir que Jerry Leiber, du haut des ses dix-sept ans, a montré à la grande Big Mama Thornton comment placer sa voix sur Hound Dog, a relativement plus d’intérêt que d’apprendre par Closer à quelle heure la loque humaine s’est affalée définitivement sur la moquette un beau jour de juillet, alors que vous étiez en train d’en griller une sur la plage. Fuck. Je refuserai décidément toujours d’échanger mon baril de Coasters made by Leiber & Stoller contre la lessive de la nouvelle saôulerie de l’Oncle Ben et de la Wino réunis.

A bien des égards, le mouvement musical de l’année 2011 aura été pour moi le doo-wop, genre suranné, mésestimé, bafoué par des clichés de pacotille, mais qui révèle des productions d’une intelligence et d’une drôlerie rare. La musique moderne est souvent, il faut bien le constater, comme les romans d’auto-fist-fucking, chiante à mourir dans 90% des cas. Écouter le mal-être de ces messieurs-dames me donne si souvent l’envie de décrocher des tartes ou, dans mes élans de bontés, de monter une cotisation pour leur payer un psy, mais comme disait le poète, « chacun sa route, chacun son chemin »… À l’inverse, le doo-wop a le mérite de me refiler un bon optimisme bien niais, le tout enrobé dans un savoir-faire harmonique à couper la chique. Cela fait des mois que j’émerge au son des El Dorados, que je n’éteins pas le réveil tant que le morceau n’arrive pas à son terme.Vous feriez mieux d’essayer, à raison d’une cure de trois mois, avant de la ramener avec votre crise et votre déprime.

Ayant vomi ma haine de l’oubli des canons esthétique des bruits ancestraux et mélodieux, il me faut aborder en toute subjectivité les groupes en activité dans mon giron local, qui m’ont permis de me défouler le bulbe et de me déhancher, l’année écoulée.

Avouons que dans l’écurie Born Bad , Cheveu avec son « 1000 Mille » a tapé en plein dedans. C’est foutraque, c’est beau, c’est un non-groove entêtant, les très chics types de The Drone en ont fait leur album de l’année et puis surtout : ça sonne comme personne. Je caresse la folle idée de les faire jouer un jour – dans une soirée Gonzaï – avec ce bon vieux Damo Suzuki de Can, capable d’improviser un chant avec un groupe de baloche sous acide.
Issu du même paddock, Frustration tient la baraque comme peu d’Hexagonaux en activité. C’est tendu, carré, habité. La classe à l’ancienne, sans puer le rance. Un nouvel album ne devrait d’ailleurs pas tarder à sortir. Le documentaire à la prison du Bois d’Arcy, où l’on voit les deux groupes jouer devant des taulards qui s’en branlent un peu, est une expérience qui force le respect. Bien dans l’esprit Johnny Cash, mais sans l’esbroufe et le côté viens là que je te mette dans ma poche avec des paroles du genre « I shot a man in Reno just to watch him die ». La bande de Born Bad ne joue pas, malgré les apparences, la carte des durs à cuire du rock, et conserve son naturel. Droit dans ses pompes, comme il se doit.

Cette année a vu la clique d’Inch Allah Records déménager de la cave de la Cantine de Belleville à la Mécanique Ondulatoire pour proposer encore et toujours des lives des pires déviants de l’ère électrique. J’avoue ne pas y être allé assez souvent, mais il faut les défendre bec et ongles, ces mecs sont dans le vrai et l’anti-poseur. Dans la même famille, Catholic Spray et son néo-garage sonique tendance trash kebab s’est extirpé de la meute bruitiste avec un premier album produit par Jérôme Normal de Crash Normal, groupe qui mériterait tellement d’exploser vos tympans.
Et puis, au milieu de la myriade de garageries et associés, les Turino-Bordelais de JC Satan ont pondu un deuxième album aussi bluffant que le premier, tout en éclatant leur spectre. Preuve que cette pseudo-caste musicale est en train d’effectuer une mue surprenante qui gagne en originalité là où la plupart des gens pensent qu’ils gratouillent les trois mêmes accords avec une fuzz, de la reverb et une beuglerie de sous-Black Lips.

L’organisation de sauteries Gonzaï nous aura permis de faire jouer une flopée de groupes psyché qui prouvent que les chevelus ne sont pas encore pourchassés dans les rues. Lorsque l’on n’était pas embourbés dans des comptes d’apothicaire ou en train d’aller retirer de la thune pour payer les groupes – ça nous apprendra à mettre les ticksons pas chers – les joyeux drilles que nous sommes ont éprouvé des joies non dissimulées à mettre en place ces raouts du jeudi soir. Pour les amateurs de l’hypnotique, ne manquez pas The Oscillation quand ils retraverseront la Manche ; ils ont fait vrombir la Java comme rarement.

Cette année, le groupe Service a tenté une percée fort prometteuse chez Pan European avec leur cold-psyché de jeunes cadres dynamiques ; il faut espérer qu’il remettront vite le couvert, et surtout que les gens se réveilleront un peu. Pour ceux qui souhaitent pioncer zen, Jonathan Fitoussi devrait faire l’affaire avec ses ambiances dronatiques à faire passer Philip Glass pour un excité de la variation. L’an prochain, les Wall of Death sortiront enfin leur premier album produit par un Black Angels. A l’heure où j’écris ces lignes, ils sont paumés au milieu du Nouveau Mexique pour aller jouer on ne sait où. Good luck, fellas.

Côté couillu, le bien nommé James Leg, l’homme des Black Diamond Heavies, a fait trembler les guibolles. A la sortie du concert de la Miroiterie, je me suis entendu prononcer l’expression ringarde « bête de scène » tant l’animal peut devenir sauvage une fois son corps bien poisseux et ses cheveux serpillère. L’entame avec Nightbush City Limits de Ike et Tina et le medley de clôture du concert, Jumpin’ Jack Flash/Search and Destroy, ont fait directement rentrer le bonhomme dans mon panthéon, à côté de Léon Russell. Et même si vous vous en branlez comme de l’affaire DSK, ce n’est pas rien.

Côté mythique, Kid Congo, ex-Cramps et Gun club, envoie encore la sauce et son garage hanté de trash culture et de série B n’a pas pris une ride. Par contre, juré, le prochain qui me parle de la reformation des Sonics me verra lui brailler dessus jusqu’à ce qu’il devienne sourd. Parce que dans le genre papy qui sonne comme du Status Quo allié à un groupe de cachetonneurs de la Bourboule, ça se pose là. La palme du concert le plus déprimant de cette année, même pas digne d’un 14 juillet.

Pour en finir avec le culte, il convient de revenir à un vrai sujet pour le réactionnaire musical que je suis. La dernière question métaphysique de cette fin d’année aura été : faut-il boycotter la sortie de « Smile » des Beach Boys ?

Là, on voit bien que les popeux 60’s se font dessus, le Saint Père du mécheux complexé tient sa revanche. Ce pauvre bougre de Brian Wilson a enfin sorti ce qui est considéré comme son chef d’œuvre. On a sonné trompettes, theremins et clavecins, « Smile » a vu officiellement le jour après avoir été sujet à, au bas mots, cent cinquante pirates japonais dont un où on entend clairement Brian roter avant de jouer Fire avec son casque de pompier sur la tête, le cul vissé dans un bac à sable. Quand on possède la totale des garçons de plage dans son antre et que l’on voit en ces jeunes gens – en apparence bien propres sur eux – la bascule du monde du rock’n’roll originel vers l’opulence harmonique de la pop des sixties, l’affaire revêt un caractère quasi moral …

Voilà dix ans, j’aurais volontiers jeté mon dévolu sur l’objet avec une avidité non dissimulée, la bave aux commissures des lèvres à force de mythes contés, de détails scrutés, de remasterisations – autopsies (tiens, là on entend bien la basse alors que dans la version originale elle a été écrasée au mix, c’est dingue non ?). J’ai cependant dû depuis opérer une cure de désintox pour partir vers d’autres cieux musicaux et remettre en question la déification de mes idoles, sous peine de crise de foi musicale. Aujourd’hui, c’est sans aigreur aucune, et pourtant éternellement client de cette chapelle de la pop nostalgique, que je me suis vu passer mon tour, afficher mes réticences à l’égard de ce projet ressorti des cartons jaunis. Soyons clair, cet album n’existe pas, c’est un fucking patchwork de bandes, une réécriture de l’histoire, du révisionnisme pur et dur. Toute production artistique dépend d’une unité de lieu, de temps et d’action, le reste n’est qu’un toc pour psychorigides.

Il y a déjà quelques années, les Wondermints ont aidé à poser Brian Wilson sur les scènes du monde entier, hagard, en jogging, incapable de jouer ou de chanter ce projet « Smile » qui l’a, entre autres traumatismes, mené dans le trou. Je m’étais même rendu à cette fidèle reconstitution historique à l’Olympia en 2004 et, sur le coup de l’émotion, tel un De Villiers face à un spectacle sur les chouans, j’avais même failli chialer quand il a fredonné d’une voix chevrotante « I feel so broke up,  just want to go home » sur Sloop John Be.
Aujourd’hui, je me rend compte que d’assister à n’importe quel anniversaire du grand père gaga d’un de mes proches pourrait me provoquer la même émotion, tant il est touchant de voir un être déjà à moitié parti. Et ce n’est pas cette saleté d’hémiplégie dont le Brian est victime qui me démontrera le contraire. Pour entamer une psychothérapie de bas étage, on pourrait même avancer que c’est un miroir malsain de nos futures joies, turpitudes et craintes avant le trépas. Brrr…

L’année du changement dans la continuité pointe son nez avec son cortège de promesses racoleuses et d’immobilisme structurel. S’il vous plaît, messieurs les marchands du temple aux abois, veuillez observer une trêve et me laisser avec mes illusions d’un monde perdu. Et cessez de me resservir du pré-mâché avarié afin que je puisse poser sereinement mon imparfait « Smiley Smile » sur ma platine le 1er janvier. Je sais que cette requête n’aura aucune répercussion positive, si ce n’est le fait que l’exprimer procure un soulagement et qu’elle restera lettre morte.

Permettez donc que, dans la posture d’un garçon malveillant aux entournures, je vous souhaite une bonne crise… d’indigestion, cela va de soi.

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