J’avais ce souvenir précis de Michel Rocard sur un plateau de télévision à une heure de grande écoute, expliquant avec une précision qui n’avait d’égale que sa clarté le mécanisme de la bataille d’Austerlitz. Pendant ce bref moment, tout semblait avoir basculé dans un autre continuum, dans un plan de lucidité différent, quelque chose de semblable à ce qu’il advient chez Philip K. Dick lorsque la télévision, soudain, dysfonctionne et transmet par erreur une information véridique. Cela ne dure pas, mais cela est suffisamment marquant pour qu’une vingtaine d’années plus tard, j’entame les longs travaux d’approche qui devaient me conduire dans le bureau de l’ancien Premier ministre.

Ce n’était pas par conviction politique, pas plus que par curiosité pour une carrière singulière, que je voulais m’entretenir avec Michel Rocard. C’était, sur la foi de ce souvenir, l’intuition qu’il pourrait fournir quelques armes à nos générations un peu égarées. Si nous sommes aujourd’hui plus que conscients de l’importance de la chose politique, nous nous en détournons pourtant avec ennui. Quelque part, quelque chose a foiré. Nous vivons en état de crise depuis que nous sommes nés, et pourtant les options politiques qui semblent nous être laissées paraissent un choix de dupe. La classe politicienne, de droite comme de gauche, ne semble faire que protéger laborieusement son conformisme tiède de la menace toujours plus précise d’un extrémisme toujours plus proche, toujours plus propre et toujours plus nauséabond. Il est plus que temps de faire quelque chose, mais il manque peut-être encore une image, un modèle, une idée de la politique telle qu’elle devrait être.

Assis derrière son bureau encombré de dossiers, Michel Rocard est tout sauf à la retraite. À 83 ans, il fume clope sur clope et manie, avec un art consommé de la dialectique, une pensée qui sabre avec éthique, virtuosité et plus d’humour qu’on ne s’y attendrait. Ce n’est pas une interview qu’il m’accorde ; plutôt un cours de science et de conscience politique. Ne manquera ici que son phrasé si particulier fait d’accélérations subites et de plateaux, un flow qui déploie sa pensée avec une intelligence toute musicale.

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Crédit : Nicolas Giraud

Vous avez souvent une position critique vis-à-vis des médias, et notamment de la télévision. Je me demandais dans quelle mesure ce défaut des médias par rapport à la politique, par rapport à la transmission d’une pensée, pouvait – ou non – être corrigé.

C’est à vous de voir… mais il faut faire attention à la formulation de votre question. Il n’y a pas de démocratie sans médias, il vaudrait mieux ne pas l’oublier au départ, et puis j’ai des amis dans la profession et nous travaillons avec eux. Mais… aucun journaliste n’est pour rien dans deux phénomènes, ou trois.
Le premier, c’est l’électricité : tout va maintenant beaucoup trop vite. Je vais être anecdotique : un beau jour, je suis dans les coulisses d’un congrès ou d’une réunion. Une journaliste me met un micro sous le nez et me dit :  « Monsieur Rabin vient d’être assassiné, qu’est-ce que vous en pensez ? » Il avait été assassiné dix minutes avant. En plus, ce qu’elle ne pouvait pas savoir, la pauvre, c’est que Rabin était un ami à moi. Et alors j’ai fait ce qu’un politique ne peut jamais faire – parce qu’un politique, ça vit du fait que son nom sort : j’ai mis ma main sur le micro et j’ai refusé absolument de répondre. « Vous n’êtes même pas foutu de me dire s’il a été tué par un Juif ou par un Arabe. Que ce soit l’un ou l’autre, ça change le monde. Je ne sais pas commenter, et puis, s’agissant d’un ami, il me faut quand même le temps de réfléchir. » Et je me suis mis à lui dire que sa façon de travailler déshonorait sa profession et ce dont on parlait. Ce n’est qu’un exemple.
Pour faire plus gros, il y a un deuxième fait technique, au-delà de l’ultrarapidité, qui empêche de penser : c’est l’image. Elle ne fait, à l’évidence, pas travailler les mêmes neurones que l’imprimé. Dans le métro, au bureau ou n’importe où, les gens qui lisent ont un rapport de compréhension qui implique le temps. Et chez soi, on va même chercher un atlas, ou un dictionnaire si on ne comprend pas. Et puis, si on n’a pas compris une phrase, on la relit. L’image et le son remettent cela en question, mais la radio n’a pas eu le temps d’installer sa maîtrise. Dès qu’elle arrive, l’image est prégnante. Est-ce que l’œil est différent de l’oreille ? Je n’en sais rien, mais notre mécanisme de cervelle saisit plus complètement et plus exclusivement l’image. Le son n’a pas ce défaut, on peut toujours en capter un autre. Et puis surtout, ça va trop vite, et donc on n’a pas le temps de fixer. L’image passe un message, il en arrive déjà un autre. Ça, c’est le deuxième phénomène.
Le troisième phénomène, c’est l’hyperconcurrence et l’omniprésence. Prenez un exemple : dans une famille convenable, il y a un criminel. Quel est le traitement ? Le silence. L’intimité pour l’oubli. Interdit en société. J’ai la profonde conviction qu’une société aussi a besoin d’intimité. Les médias l’on tuée. Et puis l’omniprésence : deux conséquences. Ils sont trop nombreux, donc il faut toujours être le premier partout. La pression du temps est telle qu’on ne vérifie plus les informations et qu’on sort à peu près n’importe quoi. Ça continue à être vrai, et ça peut faire des catastrophes. On a évité de très peu un coup d’État ou une révolution au Togo sur des dépêches parties trop vite. Je le sais, j’étais président de la Commission du Développement de l’Assemblée Européenne à ce moment-là.

Et puis, il faut se faire entendre. Il ne faut pas que le public zappe. Et là, l’image a une contrainte que l’imprimé n’a pas : elle n’a pas le droit de relâcher l’attention. De plus, l’image, vu sa nature, ne cerne bien et n’est ressentie par son public que lorsqu’elle est affective : émotion, drame, violence, choc, amour. Tout ce qui est, sur un événement quelconque, de l’ordre du contexte, du long texte, de l’explication, disparaît.

Je parle toujours de la télévision, mais la télévision m’importe en ce qu’elle fixe les façons de penser. La presse écrite est esclave de cela. Elle aurait peut-être pu jouer le jeu du contrepoids sur une stratégie demi-séculaire, sur des accords professionnels… Elle a choisi autre chose. Le tri entre les sujets dont on va parler et ceux dont on ne va pas parler, c’est désormais la télévision qui le fait. Les médias écrits le reprennent. Et puis, comme l’a dit un jour – retenez-la cette phrase et faites-y attention, elle est de Jacques Pilhan. Vous le connaissez, vous savez qui c’est ? Ah, vous ne savez pas. C’est un héros de votre profession, mort maintenant. Conseiller en communication de son métier, il y en a dix mille à Paris, il était l’un des deux plus géniaux et des plus… profonds. Lui ne commentait pas ou n’aidait pas son patron à communiquer une fois une décision prise. Il savait monter un peu en amont, sans jamais sortir de son rôle, mais devant une décision sur laquelle il était consulté, il disait: « Si vous faites ceci, ça aura tels résultats en communication. Je comprends très bien qu’il y ait des raisons d’État qui veuillent que vous le fassiez, mais enfin, ça va produire ces résultats. Si vous faites ça, ça aura des conséquences différentes… » C’est-à-dire agir en amont… génial, une profession… Au point qu’il est, sans embarras et en choquant à peine la place de Paris, passé de la position de conseiller en communication du président Mitterrand à la position de conseiller en communication du président Chirac, sans perdre de respect. Tout le monde admettait que le niveau de professionnalisme où il était, était neutre par rapport aux options. On est dans une vraie spécialité. Un beau jour, je ne sais pas si… oh si, vous pourrez l’écrire, après tout je commence à arriver à quelque chose qui va vous amuser.

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Un beau jour, ce n’est pas de la chance mais ça y confine, le président de la République François Mitterrand, candidat sortant, est réélu. Coup de tonnerre dans un ciel bleu, il me nomme Premier ministre. La France entière et lui-même sachant à quel point nous nous… désagréions, nous ne nous comprenions pas, nous n’étions pas faits pareil. Sa culture à lui, immmmmense, historienne, juridique, littéraire. Il m’a un jour fait attendre chez lui, j’ai regardé toute sa bibliothèque, il y avait tout, mais pas un livre d’économie, pas un livre de sociologie, pas un livre de démographie, zéro. Je ne suis pas tout à fait le contraire, parce que, tout de même, je ne suis pas aussi inculte qu’il a essayé de le faire croire, dans l’ordre littéraire, mais enfin je vaux dix pour cent de ce qu’il pesait là. En revanche, l’économie, la sociologie, la démographie, sont mes outils majeurs, mes connaissances, supérieures à celle de la moyenne de mes collègues de la profession, mes instruments de travail. Cela a comme résultat que dès qu’arrive n’importe quel problème, lui et moi ne le prenons pas de la même façon.
Alors, certains de vos collègues ont appelé ça de la haine, ils n’avaient rien compris. Nous avions d’abord tous les deux le sens de l’État, une assez bonne éducation, mais bref, il me tenait pour un naïf, mon instrument de travail étant le contrat et la négociation avant la frappe. Lui aimait se servir de la force, la pratiquait et en connaissait l’histoire. Mieux que moi. Résultat, doté d’un pareil outillage mental, il était persuadé que je ne pouvais que me planter. La politique, c’est violence et ruse d’abord. Tout le monde le savait. Et donc la traduction de ma nomination a été : « D’accord il le nomme parce qu’il est le meilleur dans les sondages, et il ne peut pas l’éviter. » Et à ce moment-là j’étais plus haut que lui dans les sondages, crime de lèse-majesté. Et tout le monde comprend : « Il va lui mettre des peaux de banane pour se débarrasser de lui par le haut, puisque par en bas, l’opinion n’aurait pas compris et n’aurait pas suivi. »

Ses conseillers sont Jacques Pilhan et Gérard Colé, vous ne connaissez pas le nom non plus. C’est un monsieur qui était le plus inventif et le plus talentueux des deux, c’était un génie de la profession, il vit toujours, et a été massacré par l’appareil de l’État parce qu’il était devenu encombrant, mais enfin… Les deux avaient poussé dans mon sens. Ils étaient mitterrandiens, si on peut être quelque chose naturellement, ils étaient amis du président. Mais je pesais mon poids dans les sondages, et eux étaient moins hostiles à une méthodologie de l’écoute et de la négociation préférentielle. Tout autant qu’en communication, ça passait bien.
Et ils lui ont conseillé de me proposer d’être conseiller en communication pour les deux… formidable. Le résultat, d’ailleurs, est que ça a tenu trois ans, de manière magnifique. Et que Mitterrand et moi, ensemble, détenons le record de popularité du binôme président/Premier ministre en France, et ces deux bougres n’y sont pas pour rien. Mais. Ils m’ont demandé deux demi-journées pleines pour m’expliquer comment ça marche, comment ils travaillaient et pourquoi le reste de la profession de communication était aux limites de l’analphabétisme. Et dans ce discours, phrase de Pilhan, attention: « Le système médiatique est totalitaire. » Il n’est pas compatible avec le dialogue. Le fait que, au journal de 20 heures ou juste à côté, on admet de temps en temps de donner la parole à un opposant, pour faire démocratique, est une convenance inutile. Journal de 20 heures, tous les journaux, magazines, commentaires de toutes natures, sont tous autour du même politiquement correct, au fond. Et de la même « vérité », traduisant un événement qui massivement va façonner les consciences sur la manière de penser cet événement, à raison ou à tort, on verra. Et c’est vrai. Le sachant, je n’en ai gouverné que mieux, bien sûr.

Enfin, pendant ce temps-là, l’appareil d’information du système médiatique perdait un peu de son influence parce qu’on commençait a se demander si on ne nous mentait pas un peu. La popularité de la profession journalistique a commencé son déclin à ce moment-là. Indépendamment du rôle micro de la presse écrite, qui pourrait corriger un peu et qui n’a pas l’audience pour le faire, et dont les grands ont crevé de ne pas choisir — France soir qui passe de un million à zéro — on assiste à une correction du système. Le divertissement se vend mieux, et on passe à l’entertainment. Au point qu’un jour Patrice Le Lay a eu cette phrase géniale, dont je le remercierai toujours d’avoir osé la dire : « Le métier de TF1, c’est de préparer les cerveaux à recevoir les messages de Coca-Cola . »

« Le crime des médias, c’est de mettre Les Guignols de l’info juste avant le journal. »

Pour le commentaire, il est important que je dise ici que nous entrons dans le crime contre l’humanité. Par l’abrutissement délibéré. Toujours est-il que son outil de travail était le divertissement… en substitut à l’information, au temps. Vous combinez tout ce que je viens de vous raconter, et le long terme disparaît : un événement survient, il sera commenté comme événement, il n’a pas de causes, il n’a pas d’histoire, oh c’est ennuyeux, et pour les conséquences, on verra après. Gommage du long terme. Cette perspective est même antagoniste avec celle de n’importe quel politique, quel que soit son camp. Pour n’importe quel politique, un événement, favorable ou défavorable, vient bousculer le cours des choses, et l’appuyer si on s’en sert bien après, ou le contredire, mais il faut corriger. L’événement est un objet en soi, qui va réjouir ou pas les médias selon qu’il sera traité, et puis le lendemain matin on passe à d’autres. Alors vous avez commencé cet entretien en disant « Vous n’aimez pas les médias… » Mais si, j’adore les médias ! Ça n’a pas de rapport, je n’aime pas perdre mon temps, c’est différent. Et en plus, je suis devenu sourd, je ne regarde plus jamais la télévision. Et je ne m’en porte que mieux. On peut incriminer ma surdité, mais en fait ça me soulage. Je me suis réfugié dans l’écrit, dans le livre, qui est le refuge de mes vieux jours. Est-ce clair et suffisant sur ce thème ?

C’est très clair. Cela m’évoque la distance prudente que vous gardez avec le symbolique. Vous dites : « Le symbolique tombe souvent dans la stupidité. » Je me demande s’il y a, pour vous, un antagonisme entre la question du symbolique dans l’image et l’action politique qui n’est pas forcément visible, ou clinquante, mais qui, par contre, se construit dans la durée et parfois dans la discrétion ?

On va recommencer le même exercice, il faut que je reprenne la formulation… Vous portez un jugement, vous-même, censé me questionner et censé être neutre par rapport à ça. Vous utilisez un vocabulaire méprisant le symbolique. Je ne saurais me rallier. Je suis toujours plein de respect et d’émotion au lever du drapeau de mon pays, je ne suis pas de ceux qui rigolent et qui font autre chose quand j’entends La Marseillaise, j’ai toujours détesté les députés qui vocifèrent dans le parlement et qui insultent par là même la symbolique de la République. Tout ça est essentiel. Au point, d’ailleurs, de mériter un peu plus de respect que les médias qui jouent avec.
Le crime des médias, c’est de mettre Les Guignols de l’info juste avant le journal. On va faire rire de ceux qu’on va juste entendre ensuite décider, prendre des décisions qui ne sont plus appliquées par l’armée et par la police, des décisions qui supposent une coopération générale. « Il faudrait dépenser un peu moins en médicaments. » Si on en a rigolé, on a cassé le respect dû à leur parole et à leur décision, respect sans lequel ils ne seront pas suivis. C’est un peu différent du problème du symbole, mais ça n’en est pas loin. Sur le symbole lui-même, il y a le fait que les médias ajoutent au sourire et à l’ironie vis-à-vis du symbolique, ce qu’ils ne devraient pas se permettre, mais qui n’est pas le plus grave, un bavardage exclusivement centré sur le symbolique et négligeant la technique. À cause de cela, nous, décideurs, ne pouvons plus travailler, tout bonnement.

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Je suis pour le symbole, simplement, il n’a rien à voir avec la réalité technique ou financière, comptable, sur laquelle on fait des pas-à-pas et des compromis. Le compromis est contraire à toute symbolique en général, puisque qui dit compromis dit massacre partiel des symboles de chacun au profit de la paix. Et donc, quand on a trop de symbolique dans un problème, il n’y a que le symbolique qui s’empare du public, via les médias, mais ils sont des messagers déformants. Quand vous êtes alourdi de beaucoup de symbolique sur un sujet quelconque, vous ne pouvez plus faire la place au technique. Nous avons en ce moment 10 % de chômeurs, l’Allemagne 5 %. À comparer avec une durée hebdomadaire moyenne du travail de trente-six heures et demie, l’Allemagne trente. Symbole : les trente-cinq heures. On ne peut pas y toucher, on n’en parle pas, on a un effet de la symbolique.
Personne ne peut vivre sans symbole, je le sais mieux que d’autres. Mais j’ai bataillé plus que d’autres pour en limiter l’espace, et même tenter de leur donner quasiment un espace exclusif et désymboliser celui de la technique. Désymboliser l’espace de la technique, ce n’est pas par haine du symbole, c’est pour la protéger la pauvre technique.

Sur cette question de technique, vous êtes un proche d’Edgar Morin, qui a théorisé la question de la complexité. Comment les outils de pensée qu’il a développés peuvent être des outils d’action et de gouvernement ?

C’est assez banal, ce sont des outils qui améliorent notre connaissance de la réalité. Et éventuellement notre capacité à modéliser la réalité pour mieux travailler dessus. Si vous les avez, vous avez une petite de chance de comprendre et d’être plus efficace, si vous ne les avez pas, vous pédalez dans la choucroute et vous gouvernez n’importe comment. Enfin, c’est très trivial, c’est ça la vérité.

le-phenomene-bureaucratique-395802J’ai eu un émerveillement dans ma jeunesse, je ne connaissais pas encore Michel d’ailleurs, quand j’ai lu Le Phénomène bureaucratique. Vous avez lu ça ? C’est le livre majeur de toute l’œuvre de Michel Crozier qui a écrit soixante bouquins dont cinq ou six mauvais et l’essentiel très bons, mais le plus fondateur, ce n’est pas le plus général, c’est ce Phénomène bureaucratique. Une seule anecdote : manufacture des tabacs et allumettes, des conflits sociaux incessants, un personnel à dominante féminine dont tout le syndicalisme est dirigé par des mâles, personne ne le dit jamais. Les mâles présentent un conflit social et veulent plus de paie pour le traiter. Enquête. Il y a une souffrance ouvrière, elles sont payées au résultat, en maniant des machines. Les machines tombent souvent en panne, elles n’ont pas la compétence pour les réparer. Or, le service d’entretien n’est fait que de mâles, ils sont les chefs syndicalistes. Et les notices d’entretien des machines avaient toutes été volées, stockées et conservées par le service d’entretien. Les quatre cinquièmes des pannes étaient des accidents banals que l’ouvrière, en principe, devrait pouvoir résoudre sur place et très vite. Pas tout à fait toutes, mais la plupart. On a maintenu un pouvoir. Alors qu’est-ce que ça dit à l’homme politique… Premièrement, il faut le savoir, et ça n’est pas évident, vous ne le savez jamais. Deuxièmement, le sachant, il faut oser aller incriminer. Et troisièmement, si la réponse est, par opération d’autorité, de diffuser les notices d’entretien des machines, de les faire lire par les ouvrières qui les manient en stage de formation, la réponse prend un temps fou, temps non compatible avec un effet médiatique. Une réponse qui résout le problème ne permet plus d’en parler au bénéfice du décideur, tandis qu’une réponse médiatique est celle qui prend un décision d’autorité, simple et visible. Efficace, c’est une toute autre chose dont on se fout, simple et visible. Voilà pourquoi je nage dans Crozier depuis cinquante ans.

Vous avez dit à Georges-Marc Benamou : « Je suis un combattant. Il y a des gens qui disent que je ne sais pas me battre, c’est qu’ils ont un peu oublié, mais je n’aime guère cela. » Je me demandais si ce rapport au combat ne trouvait pas son sens dans la négociation comme alternative au combat.

Non. Ce n’est pas une alternative. Ma priorité mentale est toujours la recherche de la négociation. Et elle est même toujours la volonté de comprendre, et de comprendre l’autre, pour savoir si on peut négocier. Mais il y a des cas où la négociation est impossible, et il y a même des cas où elle n’est pas souhaitable. Le pouvoir nazi, il fallait l’abattre. Al Quaida au Mali, il fallait l’abattre. Il n’y a pas le choix. Et là, il ne faut pas s’encombrer d’une pulsion minimisant l’intensité de la volonté de vaincre. Je m’excuse de cette banalité. Mais on n’est pas vraiment en alternative, on est en priorité méthodologique, la recherche de la négociation ayant comme exigence, une très grande… exigence, justement, excusez-moi de la répétition du mot, dans le fait de la découvrir possible ou impossible. Mais quand il faut se battre, on ne rigole plus. Enfin, il faut y aller. Attention… il faut y aller, mais… dans tout conflit long, dur et durable, social, financier, je ne sais pas bien c’est pas mon milieu, mais en tout cas militaire ou violent, vous avez besoin d’une grande solidarité psychologique, intellectuelle, patriotarde éventuellement, de la part de votre camp. Et donc il y a des tabous, dont le respect est une des conditions de la victoire. Cependant, si une négociation apparaît comme nécessaire, ou simplement apparaît possible, ceux qui vont créer les conditions commenceront par être des traîtres à leur camp.

« On m’a beaucoup reproché de ne pas savoir tuer, ça a été écrit. (…) Mais tuer, ça inclut le mensonge, ça inclut tous les moyens contraires à l’éthique. Pour que le mot ‘tuer’ garde sa justice, il faudrait dire ‘au-delà du nécessaire”. »

Cette ordure de Clémenceau a essayé de faire passer Aristide Briand en Haute Cour après qu’il eut, en fait, gagné la guerre. Car Briand est le plus long des Présidents du conseil, des Premiers ministres, pendant la Première Guerre mondiale. C’est lui qui a gagné la bataille de la Marne, avec un coup tordu non prévu par l’état-major et non organisé par le gouvernement : il est garde des sceaux, donc il s’occupe d’autre chose et il passe un pacte avec un retraité de l’armée qui a le poste honorifique (mais décoratif et de fin de carrière) de gouverneur militaire de Paris, Gallieni, pour trouver trois cent mille types, tous les militaires en uniforme qui étaient en perm’ à Paris ou qui étaient stationnés à Paris, pour les envoyer à la bataille de la Marne. Avec trois cent mille hommes de plus, Von Kluck n’a pas résisté, on a gagné la bataille de la Marne. Ça, c’est Briand. Du coup, il devient président du Conseil et organise la guerre de tranchées. Les deux millions de morts, c’est parce qu’on a résisté et qu’on a fini par vaincre une armée qui avait commencé par nous dominer. Il quitte son gouvernement sur une connerie de vote fiscal un soir de nuit à l’assemblée, c’est quand même la République. On est en 1917. Il est remplacé par un imbécile dont tout le monde a oublié le nom, l’imbécile est vite remplacé par Clémenceau « je-fais-la-guerre ». Même si elle est pratiquement déjà gagnée.
Clémenceau parle de lui, sculpte son mausolée, fait des mémoires, s’occupe énormément de son image, Briand jamais. Toute l’énergie de Briand était dans « qu’est-ce que je vais faire ? », ou dire. Il faisait des discours extraordinaires, toujours improvisés. Et en 1917, il lâche cette phrase : « La force ne parlera plus. » Nous n’y arriverons pas, pour arriver à gagner il faut probablement un ou deux millions de morts supplémentaires, ça ne les vaut pas, il est temps de chercher du compromis. « Haute Cour », dit Clémenceau. Alors, heureusement, il n’y arrive pas, mais Clémenceau a gagné sur l’idée d’aller chercher la « vraie victoire » quels que soient le prix et le temps, et d’imposer à l’Allemagne un traité de punition – et non un traité de réconciliation. Le prix de cet épisode est la Seconde Guerre mondiale. Traître à son camp. Les espions aussi, Snowden, défenseur des libertés du commun des mortels, il est un traître pour les États-Unis, etc.

C’est un peu ce que dit Sun Tzu quand il dit que le meilleur des généraux est celui qui ne se bat pas…

Celui qui arrive à gagner la guerre sans la faire, oui, oui, absolument. Un très vieux principe.

C’est en partie contradictoire avec la doctrine de Clausewitz, celle de la guerre totale, qui a eu un poids assez lourd dans les deux guerres mondiales.

Moi, je n’ai appris par cœur ni l’un ni l’autre. Mais je vous mettrai quand même au défi de trouver des contradictions. Le meilleur général est celui qui gagne la guerre sans la faire, je ne suis pas sur que Clausewitz désapprouverait. Il traite du cas où on la fait.

Pourtant, dans l’engagement des moyens, il y a chez Clausewitz cette idée de totalité. L’écrasement de l’ennemi domine sa stratégie, ce qui, justement, ferme un peu la porte à la négociation, non ?

Mais dites donc, vous êtes en train de médire de Sun Tzu ! Il évoquait aussi la vraie guerre. Il parle même aux trois quarts de ça. Et dans la vraie guerre, la question des moyens et de la force est naturellement privilégiée. Je ne vois pas de contradiction. Quand on est combattant, si on n’est pas un faisan, on va jusqu’au bout.

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Et en même temps, sur le plan politique, donc sur un autre terrain, vous dites, en parlant de Mendès, que pour avoir le pouvoir et le tenir, il faut savoir tuer. Lorsque vous dites cela, on perçoit une sorte de réserve éthique, comme si vous opposiez L’Exercice de l’État à L’Ivresse du pouvoir.

Méfiez-vous de votre propre propension à mettre un peu trop de philosophie là où il n’y en a pas besoin. Ce que j’ai dit de Mendès était vrai : il n’aimait pas tuer, moi non plus, d’ailleurs. On m’a beaucoup reproché de ne pas savoir tuer, ça a été écrit. Et certains commentateurs ont attribué à cela l’échec final de ma candidature à la présidence de la République. Reste que ce que pensait Mendès et que je pense aussi est mal défini, ou trop limitativement défini par le mot « tuer ». Ça inclut le mensonge, ça inclut tous les moyens contraires à l’éthique. Pour que le mot tuer garde sa justice, il faudrait dire « au-delà du nécessaire ».
Mais une autre de vos formulations me surprend, vous avez commencé cette tirade en disant « Venons-en à la politique, c’est-à-dire quelque chose d’un peu différent«  Pas du tout, on ne l’a pas quittée, on est toujours en plein dedans… Ça vous embête, ça ?

« La guerre, c’est la prolongation de la politique par d’autres moyens… »

C’est à peu près ça. Et c’est de Clausewitz, non ? Lui dont vous disiez du mal tout à l’heure…

Ce serait donc l’éthique qui viendrait désamorcer la question du pouvoir ?

« Désamorcer », ça ne me plaît pas beaucoup, « cantonner » serait plus juste. Parce qu’encore une fois, pas plus que la guerre, la politique, si on y va, il ne faut pas la faire à moitié.

« Tant qu’on avait peur de l’URSS, (…) la volonté de faire l’Europe à un niveau de puissance avait du sens et existait. Depuis, ce sens a été oublié et s’est perdu. »

De ces questions sur la guerre, on en arrive à l’Europe. Pour la génération à laquelle j’appartiens, l’Europe est quelque chose de flou. On sent qu’elle pourrait être une alternative à l’impuissance croissante des États, mais il est difficile de discerner ce qu’elle peut réaliser.

Vous avez par hasard mêlé à cette question un problème de génération. J’ai été très profondément marqué, moi, né en 1930, par le poids extrême pour toute génération, des événements très forts qu’elle a vécus avant que les mentalités soient faites, les itinéraires choisis, les systèmes de pensée établis. Je suis d’une des rares générations qui cumulent la guerre, la résistance – c’était pas automatique –, les guerres coloniales en Indochine et en Algérie, la guerre froide et Mai 68. Votre génération, la pauvre, n’a rien vécu de pareil. Et du coup, elle retombe – mais c’est vous la majorité des électeurs, maintenant –, et l’Europe avec, dans l’oubli de tout ça. Soixante-dix ans de paix en Europe, c’est miraculeux et c’est une première depuis un millénaire à peu près. Du coup, vivant en paix naturelle, la guerre n’aurait plus de raison et n’a toujours pas de raison rationnelle d’ailleurs, mais elle disparaît même du champ des possibles. Il y a un oubli de la précaution. Et ce qui s’est passé en Europe ne dépend plus de ça. À la limite, tant qu’on avait peur de l’URSS, et un petit doute sur la capacité des Américains à ne pas trop nous oublier dans leur combat contre l’URSS, la volonté de faire l’Europe à un niveau de puissance avait du sens et existait. Depuis, ce sens a été oublié et s’est perdu.
L’Europe n’a touché l’économie que par hasard. On est nés pour faire la paix, on est nés autour du désarmement, enfin, du contrôle des industries militaires de la fusion du charbon et de l’acier, et puis l’atome et puis la tentative de la CED. Et c’est un peu par hasard et par raccroc qu’on a fait un marché commun. Après l’échec de la CED, il y a eu panique chez tous les militants pro-européens. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? Le comité fondé et présidé par Jean Monnet, qui s’appelle le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe cherche des idées. Et de fait, quand on cherche quoi faire pour remplacer le caractère fédéralisant d’un éventuel comité de défense, la meilleure idée vient de Louis Armand et c’est celle de l’énergie atomique : Euratom. Monnet dit oui tout de suite et s’enthousiasme. Quand même, c’est un peu sectoriel, c’est pas assez englobant, donc on cherche encore.

D’obscurs fonctionnaires français, dont l’Histoire a perdu le nom, proposent la douane. Pas toute l’économie, la douane… Les gens se font tuer allégrement pour le drapeau, pour la langue, pour la religion, la foi, pour la liberté, qui se ferait tuer pour la douane, je vous le demande ? Et la première réaction de Monnet est : « C’est pas une mauvaise idée, mais ça manque de grandeur. L’Europe mérite mieux que ça.«  Et c’est par résignation, faute de trouver un vrai thème unifiant, qu’on signe le marché commun. On est en économie des Trente glorieuses, une économie complètement keynésienne. Les États sont régulateurs, c’est sérieux de penser à l’Europe régulatrice à la place des États. Milton Friedman n’a pas encore cassé le monde, ça viendra quinze ans après.
Et de fait, ils ne se rendent pas compte, personne ne se rend compte, personne ne l’a prévu, qu’ils vont inventer, avec le coup de la suppression des douanes internes un accélérateur de croissance inouï, inconnu jusque-là. Et c’est le miracle européen, dans une Europe qui se fait et qui est résolument régulatrice et keynésienne par coordination entre les États plus que par pouvoir central au début, puisqu’il n’y en a pas. Autrement dit, il y a une pompe particulière, formidablement puissante. Mais le monétarisme arrive, le ralentissement de la croissance commence, tout le monde se replie et puis le Moyen-Orient est en pagaille, la Yougoslavie explose et la Grande-Bretagne met toute son énergie, dans une continuité de quarante ans s’il vous plaît, à interdire tout pas en avant vers un peu plus d’intégration.

L’Angleterre va être presque suffisante, à elle toute seule, pour empêcher que l’Europe existe. Elle va même arriver deux fois à faire une chose inouïe, au-delà du blocage des procédures, à mettre son veto à la nomination à la tête de la communauté européenne d’hommes de trop fort caractère. Première victime, Dehaene le Belge, brillant, intelligent, formidable, un grand homme d’État… et on aura à la place le brave Santerre, qui est un homme absolument charmant, dont je n’oserai jamais dire du mal tellement je l’aime bien, mais enfin personne ne l’a jamais vu prendre une décision. Rebelote dix ans après, aux dépens du plus grand homme d’État de la période contemporaine, qui est luxembourgeois, c’est dommage, il s’appelle Jean-Claude Juncker. Veto Britannique à Juncker. Celui-là c’est un vrai dangereux, il nous ferait une entité politique, il en a la taille, la compréhension, la vision. Dehors… et on a Barroso. C’est là qu’elle meurt, l’Europe, indépendamment de problèmes de générations.
Mais c’est vrai que la disparition de la conscience, pas seulement de la peur, de la conscience de la guerre, dans les générations qui gouvernent actuellement, empêche de pousser le cri d’alarme. Et c’est au point que maintenant, il n’y a plus d’Europe politique, c’est fini. On a une convention bizarre et un peu déloyale, on se met à appeler Europe toute déclaration, position ou négociation internationale où quelques chefs d’États de l’Europe se sont mis d’accord entre eux, indépendamment de toute procédure et de proposition de la commission, qui n’en fait pas, quand ils ont eu l’accord d’une majorité de leurs collègues. Mais ce n’est pas l’Europe. Il vous reste cinq minutes.

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Vous défendez l’idée de social-démocratie. Devant son échec en France, est-ce que la société civile représente une alternative ? Je pense notamment au Collegium International dont vous êtes membre et qui réunit des savants, des écrivains, autant que des hommes politiques. En quoi cela constitue-t-il un outil, quelque chose qui peut avoir un poids ?

Douze questions en une… Le Collegium international est un lieu de recherche et de pensée. Il n’y a pas de traitement de problèmes difficiles sans les connaître à fond. Aucun dirigeant politique n’a plus le temps, et l’intervention médiatique supprime le temps long. Produit de remplacement, le Collegium International, pour essayer de regarder le temps long.

Je ne fais pas la jonction avec la première partie de votre question. Où il y a eu, au passage, cette expression délicieuse, « l’échec de la social-démocratie en France ». Elle n’a pas pu échouer, elle n’existe pas… La France n’a jamais connu la social-démocratie pour plusieurs catégories de raisons. La première, c’est la charte d’Amiens. C’est la déclaration de divorce du mouvement syndical d’avec les politiques et les partis et la prétention à la souveraineté, ce qui les oblige à intégrer tous les conflits et tous les clivages, communiste ou pas communiste, etc. Aucun syndicat scandinave, britannique ou allemand ne s’est jamais divisé là-dessus, c’est une affaire des partis, qu’ils se démerdent. Dieu dans les écoles : on a un syndicat laïque et un syndicat d’origine chrétienne. Partout ailleurs, on ne mélange pas ces questions, on discute la paie nous, on va pas prendre un risque de division… Ça, c’est la première raison. Et la seconde raison, c’est l’extraordinaire division et la faiblesse du mouvement syndical en France. Non seulement il ne veut pas, mais il n’est même pas capable de s’unir assez pour mener des vraies négociations syndicats/patrons. Ce qui est le cœur de la social-démocratie : toute la prévention sociale, en pays vraiment social-démocrate, est contractuelle, sauf naturellement en France où elle est tout entière législative, cas unique. C’est un petit peu excessif à la marge, mais en gros c’est vrai.

« Quand on parle une langue anglaise ou germanique, on parle social-démocratie. Quand on parle une langue latine, on parle socialisme. Au final, c’est la même chose, et la France se distingue uniquement par son impuissance. »

Car l’invention considérable de la jonction de ces deux mots se passe en France, pendant la deuxième révolution, vers 1849,50, quelque chose comme ça. Un petit club, qui se sent révolutionnaire parce qu’il est socialiste, mais qui n’aime pas tellement la violence, veut travailler à la réconciliation de la question sociale, socialisme, avec la question démocratique, démocrate. Ils allient les mots et les allemands vont le reprendre. Marx écrit « Et c’est ainsi qu’est née la Social-démocratie. » Et il écrit ça avant que le Parti socialiste allemand la prenne comme nom, c’est assez formidable. Dans le cas de la France, le problème démocratique avait été réglé avant l’émergence de la question sociale, antérieurement. Et donc, on n’avait pas besoin de prétendre rallier les deux causes, puisque le suffrage universel était là. Partout ailleurs, l’exigence du suffrage universel a été le moteur, le principal moteur de la croissance des Sociaux-démocrates. Quand on parle une langue anglaise ou germanique, on parle social-démocratie, quand on parle une langue latine, on parle socialisme, c’est la même chose, et la France se distingue uniquement par son impuissance. Parce qu’on peut rêver, on ne reconstruira pas, il n’y a pas assez d’expérience et de force syndicale pour ça. Et puis, prendre l’habitude de les séparer est une espèce de facilité pour le politique, et il continue.

La toute première et unique exception dans notre histoire date de moins de quatre mois. C’est le premier pacte négocié directement entre le patronat et l’ensemble des syndicats, dont un se retire, la CGT, mais tous les autres signent, c’est le pacte sur la gestion du chômage technique par le chômage partiel. Et le cas, déjà, d’une négociation interprofessionnelle réussie sur un sujet qui ne soit pas le salaire est presque unique en France. Mais ce qui est encore plus unique, si on peut dire, c’est le fait que le gouvernement demande au Parlement de donner force de loi à tout ça, sans changer le texte. Là ! Acte social-démocrate, une immense première, il y a quatre mois, il est unique.

Mais alors, c’est un début ou c’est une anomalie ?

C’est un sacré début, mais tout dépend des suites, avec l’importance des comportements des syndicats et du patronat. Le remplacement de Mme Parisot, à cet égard, pourrait bien être une catastrophe. Et troisième nécessité, que l’État lui-même continue à encourager la négociation sociale, à la laisser se faire et à la respecter quand elle y est arrivée entre partenaires. C’est ça, la social-démocratie. Mais enfin, notre gouvernement est faible et pas très pertinent, mais il a compris ça. Et d’avoir compris ça, il y a du regain électoral derrière, par la pertinence possible de négociation meilleures, comme par l’enregistrement d’une adhésion de l’opinion à cette démarche-là.

Parce que sur la gauche française, encore autre chose : tout le monde a dans la tête la dynastie des vrais sociaux-démocrates : Jaurès, même Léon Blum, d’une certaine façon, qui a beaucoup travaillé par la négociation. Mendès, qui, dégoûté du comportement des socialistes, n’a même pas pris sa carte, il est resté prudemment radical pour regarder de loin – c’est un vrai social-démocrate. Vous pouvez ajouter à cette liste Delors et moi. Tout le monde a oublié la dynastie des chefs, des vrais chefs, j’appelle « chefs » ceux qui choisissent les autres et écrivent la doctrine, Jules Guesde par exemple, prétendu marxiste, en fait il n’y connaissait rien. Après sa mort on a retrouvé chez lui Le Capital, en livre d’éditeur, non coupé… Il n’avait lu que le manifeste, c’est-à-dire le texte le plus caricaturalement résumé de Marx, et surtout celui dans lequel il abandonne le cœur de son travail et de sa noblesse intellectuelle qui est l’art de modéliser, toujours étayé de la comparaison des modèles avec la réalité, d’étape en étape pour voir où ça ne colle pas, qu’est-ce qu’il faut réfléchir, etc. Ça donne La Lutte des classes en France, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, et ça donne même Le Capital. Dans Le Manifeste du Parti communiste, qui est une brochure de propagande, il n’y a que le modèle, il n’y a pas le retour. Et Guesde n’avait lu que ça. À la suite, la gauche française est née d’un mariage entre ce marxisme déformé et le jacobinisme. Ça tombait bien, puisque tout ne pouvait être que politique, décider ou sauver, central. Enterrement de la social-démocratie pour des décennies, on y est presque toujours, on en sort à peine. Suis-je clair ?

39 commentaires

  1. génial, mais corrige au moins cette faute s’il te plait « Cela m’évoque une distance prudente que vous gardeR avec le symbolique »

  2. Pour poursuivre sur la question de la symbolique :
     » (…) il est l’essence de tout pouvoir de de se consoler de ne jamais être absolu. La représentation ou le pouvoir, ce serait, si l’on peut dire, le travail infini du deuil de l’absolu. » Louis Marin

  3. Gonzaï, premier sur la polémique !

    Sérieusement, c’est un bon entretien malgrès l’attitude un brin agaçante (paternaliste?) de Michel Rocard.
    On a parfois l’impression que Père Rocard veut enseigner l’art de l’ interview politique à Toto, stagiaire chez Marriane.

    Cette impression reste tout de même anecdotique sur l’ensemble des 40 000 signes. Donc merci Gonzaï

  4. euh oui enfin bon, je ne sais pas quel age a (peut être ton pote) William Burren mais c’est légitime J’espère même pour lui qu’il était archi impressionné et que tu l’aurais été à sa place.

    Merci pour cet interview ça fait du bien et puis ça rend triste aussi.

  5. Note sur l’absence de didascalies /
    Ayant choisi de ne pas alourdir l’ensemble de didascalies du type (rire), je dois préciser que l’entretien fut assez drôle. La position « magistrale » que tu évoques Thomas et qui point par exemple dans la reprise des questions posées, était je crois, un jeu avec l’aspect fort peu « journalistique » de notre échange. Outre un soucis de précision auquel je ne peux que souscrire, il y avait aussi, à mon sens, dans cette posture juste un peu trop paternaliste, à la fois un commentaire amusé de ma position et une distance ironique vis-à-vis du cliché de vieux sage dans lequel il ne se laisse pas enfermer.


  6. Sinon le CSA à parlé : comme les deux seules interviews politiques de Gonzaï sont de Michel Rocard (en 7 ans d’existence), il faudrait faire Alain Madelain la semaine prochaine afin de rééquilibré le temps de parole.
    Merci.

  7. Mr « je sais tout -j’ai tout compris-je vous explique la vie » , on se demande juste pourquoi lorsqu’il était au pouvoir la France ne s’est pas transformée en un paradis sur terre tellement il avait/a toutes les solutions à nos problèmes. Ah mais si ! suis-je bête, il le dit lui-même : c’est la faute à ce vilain Tonton et à ces salauds de communistes et à cette vilaine CGT qui ne veut signer aucun accord avec le MEDEF qui comme chacun le sait n’oeuvre que pour notre bien à tous .
    A part le RMI , que retiendra t’on de lui ?
    rien parce-qu’il n’y a rien d’autre.
    allez , ouste !

  8. Quel honneur de se faire insulter (à sec et sans argumentaire bien sûr) par le rédac-chef en personne pour avoir osé exprimer une opinion qui lui déplait sur la personne interviewée !
    j’ai heurté tes convictions politiques ? tant mieux.
    En tant que lecteur de Gonzai j’exprime mon point de vue sur Rocard suite à cette interview , c’est tout et je n’insulte personne .

    J’étais ado lorsque ce mec est arrivé au pouvoir et je fais partie des millions de gens qui ont été des témoins directs , voire des victimes des conséquences des orientations néo-libérales que ce mec et sa clique ont donné brutalement à une politique qui suscitait un espoir immense pour tous ceux qui avaient voté Mitterand en 81 et pour tous les ados qui comme moi avaient grandi sous Giscard .
    Pour toute une génération ce mec personnifie le mépris de l’élite pour le peuple ; il incarne la real politik dans ce qu’elle a de plus haïssable : le renoncement , la trahison , le manque de courage ,la trouille . Alors oui comme les gogos ci-dessus on peut le trouver géééénial ! et on peut se pâmer devant son érudition bien réelle, mais pour le reste je réitère :
    au vu de ce qu’il a accompli en 60 ans de carrière politique l’histoire l’oubliera bien vite ,à juste titre (mais à son grand desespoir).
    D’autre part que penser d’un mec qui dit de Juncker qu’il est « le plus grand homme d’État de la période contemporaine » et qui regrette que celui-ci n’ait pu accéder aux plus hautes fonctions européennes ? pour mémoire , mais peut-être que Rocard n’en a plus : le Luxembourg que Juncker a dirigé pendant 17 ans a été reconnu (OCDE novembre 2013) comme un des plus importants paradis fiscaux de la planète . Faut-il rappeler que c’est grâce à la complicité des gouvernements qui l’ont maintenu pendant huit ans à la présidence de l’Eurogroupe ? Dans cette instance qui règle les questions budgétaires et fiscales de la zone euro, il opposait systématiquement son veto à toute levée du secret bancaire …
    Un peu troublant quand même cette admiration , quand on se se dit socialiste (un peu moins si on se dit social démocrate ?).

    Pour revenir à toi Bester , quand tu commentes mon commentaire , tu interviens en tant que quoi au juste ? juge, avocat, lecteur , rédacteur , modérateur , ou courroie de transmission du PS ?

    Adieu Gonzai.sans regret. oui je sais c’est réciproque.

    1. Je serais vous Bester, je me demanderais si autant de ressentiment ne cache pas un amour inavoué et brûlant de BLXG à votre égard…

  9. « Social-démocratie ». C’est le mot tendance pour dire qu’on est un élitiste refoulé ? Pas besoin de leader, qu’ils gardent leurs discours égocentriques pour eux-même, nous on aimerait juste de quoi bouffer et la liberté d’être heureux.

  10. ok il est 10h28, et j’arrive toujours pas à me mettre au boulot. Mich’ avait raison, une semaine de 29h c’est bien suffisant

  11. Dans une autre interview de Gonzaï sur Rocard:

    BESTER:
    J’AI CRU COMPRENDRE QUE LA FOI SPIRITUELLE VOUS AVAIT QUITTÉ VOILÀ DÉJÀ FORT LONGTEMPS, MAIS APRÈS TOUTES CES ANNÉES ET SANS MÊME FAIRE DE CLIN D’ŒIL À L’ADIEU MITTERRANDIEN, VOUS ARRIVE-T-IL ENCORE DE CROIRE AUX FORCES DE L’ESPRIT ? QUOI D’AUTRE, POUR EXPLIQUER QU’À 81 ANS VOUS SOYEZ ENCORE ASSIS DERRIÈRE VOTRE BUREAU UN 22 DÉCEMBRE ?

    ROCARD:
    [Troisième cigarette, temps de réflexion] Le combat dominant tous les autres, tout au long de ma vie politique, est un combat éthique. Je pourrais vous dire dans un sourire que j’ai trouvé à peu près toutes les religions installées comme très insuffisantes sur le plan de l’éthique sociale contemporaine et que les vraies forces de l’esprit leur sont étrangères. Parce que toutes les religions sont des affaires de mecs visant, indépendamment de ce qu’elles racontent sur la transcendance, à s’organiser pour emmerder les femmes. Et c’est complètement insupportable. Mais la zone de l’esprit est complément décisive, et à ce titre Mitterrand est un grand usurpateur. Du point de vue de l’éthique politique, à commencer par le respect de sa parole.

    Ah ah, pauvres goys que nous sommes de tolérer ça deux fois de suite sans renvoyer la balle.
    CQFD que ces gens gouvernent les gueux par le sophisme mensonger hérité du judaisme.
    Il y a en face des gens « gentils », qui boivent tout ce qu’on leur dit parce qu’ils nous croient supérieurs à eux.
    C’est ce qu’il se passera.
    Les malins gouverneront les gentils.
    Donc si ça se passera,c’est ce que veut Dieu.
    Alors faisons le.

    Ceci dit,le but de la franc maconnerie est de libérer l’homme du mal dont il est capable,via le libéralisme,et la fin de cette ère permettra de plus la suppression du judaisme,véritable plaie à interdire.Le but est positif,et ça explique pourquoi autant de gens prennent part au complot.
    Mais euh,,, donc ils attendent que d’être renversés, ça expliquerait pourquoi ils aient laissé s’installer l’internet, et toute l’information alternative qui iraient forcément avec,et tout l’effondrement de leur système que ça engendre.
    Alors oui il est temps de les renverser,on a un assez gros dossier pour retourner l’humanité vers une ère d’avenir,pas besoin d’inventer le voyage dans le temps.

    PS: tu diffuses un morceau de musique sur les milliards disponibles sur toitube, tu te fais choper. Bizarre. Zarbi, zobi.

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