Max Richter a tout du snobinard sur-diplômé en musicologie : le CV saturé de noms compte-triple (Martin Scorsese, Philip Glass, Deutsche Grammophon...), le regard intransigeant, les tâches de rousseur. Pareille à une conférence trop pointue, sa post-minimale agit donc en somnifère sur beaucoup ; sur d’autres, elle a l’effet d’un anxiolytique, voire d’une séance d’hypnose réussie. Etant de cette seconde catégorie, mon ami Gilles Chancel et moi partîmes à la rencontre du professeur Richter à l’occasion de son concert au Collège des Bernardins. Et si les bons élèves avaient aussi quelque chose à dire ?

I . LA RENCONTRE

Après avoir fait ses griffes auprès du pionnier de l’électro à la gueule cassée, Iannis Xenaki ; après avoir co-fondé l’ensemble Piano Circus en 89 pour y interpréter du Brian Eno, Philip Glass et autres Steve Reich ; après avoir composé pour Martin Scorsese, André Téchiné, Ari Fordman ou Tilda Swinton et après avoir remixé les Quatre Saisons de Vivaldi à la demande de Deutsche Grammophon, le compositeur de Valse avec Bachir allait (le 2 juin, pour la 3ème édition de la soirée Yellow Lounge) faire danser la poussière du Collège des Bernardins. Ne pouvant assister à la soirée, je convenais avec lui d’un apéritif interview. Deux heures avant le concert, je me retrouvais donc à poireauter dans la nef du Collège, pour le moins intimidée par l’addition colonnades XIIIème siècle + Timée de Platon posé sur la billetterie + tripotée de photographes sous les arcades + échos de violons à l’agonie en fond de salle. Plus j’attendais le « maître Richter » (lapsus de la responsable billetterie), plus mon pouls augmentait. Quand Max finit par apparaitre, sous la forme d’un rouquin frigide sanglé dans un costume de professeur, c’est peu dire que je frôlai la tachycardie. Disons que si Georges Lautner se piquait de réaliser « Les gendres flingueurs », Max aurait forcément le rôle principal, celui du pianiste british (à prononcer l’auriculaire levé) plus lisse qu’un capot de Ferrari, au sourire d’empoisonneur et aux mains d’étrangleur. Parfait beau-fils le jour : tueur à gages la nuit. Interdite devant l’assurance maximale du pianiste minimale, je craignais donc d’avoir la gorge sèche avant la première question. Heureusement, Max me proposa vite un Perrier et deux sourires glaçons.

Mettons les pieds dans le plat : à première vue, vous faites un peu froid, voire carrément snob. Vous pensez faire une musique « élitiste » ?

Ah oui, on me trouve snob ? Haha. Je ne savais pas. Franchement, j’écris ce que je peux écrire. J’essaie d’être aussi direct que possible. Je raffine, ensuite, pour ne garder que l’essence, mais c’est initialement une adresse directe. J’écris ce que je peux écrire, pour moi autant que pour les autres, je ne cherche pas à compliquer les choses. Alors ce qu’on en pense…

Très bien, alors je peux sans complexe vous faire lire une citation de Kenneth White qui me fait penser à votre type de musique répétitive-ambient, et vous demander d’y réagir ?

Oui, bien sur.

« J’ai fait de la musique, c’est à dire « je suis musicien ». Mais dès que je dis cela, je le renie. Ce qui m’intéresse, ou plutôt ce dans quoi je suis engagé, se poursuit au-delà de ce qui passe pour de la musique dans cette société. J’ai parlé d’un « espace », et d’un « mode de vie » et j’ai beaucoup plus de choses en commun avec ceux qui (…) pensent dans cet espace, et vivent selon ce mode de vie, mais ne font pas de musique qu’avec ceux qui ne sont pas dans cet espace et ne vivent pas dans cette vie, mais composent. En fait, je jouis de la musique comme d’un moyen de pénétrer plus profondément cet espace (…) une méthode de méditation qui me permet de rencontrer des sensations que je n’aurais jamais cru pouvoir ressentir. »

Oui, alors, ce que je lis dans ce texte de Kenneth White c’est la question de la zone personnelle, du voyage qu’on a parcouru pour arriver à l’espace artistique qu’on habite, en opposition avec cette idée que tout viendrait du « talent » ou de la « technique musicale ». Généralement, les journalistes s’intéressent beaucoup à la question « Pourquoi composez-vous d’une certaine manière plutôt que d’une autre ? », et en général les artistes peinent à y répondre, parce que les causes sont trop variées. Eh bien dans une certaine mesure, je crois qu’il y a une réponse complète qui est : j’écris depuis ma biographie. Nos actions sont, de manière générale, le résultat de notre biographie, de nos expériences, de ce qu’on nous a enseigné, des musiques qu’on a entendu quand on était jeune, de celles qui nous ont poussé à agir, des personnes qui ont compté ou de celles qu’on a préféré soustraire… C’est une sorte de mélange explosif. Vous mettez toutes ces données biographiques dans une bouteille, vous mélangez dans le temps, et vous obtenez le résultat : une sorte de soupe au goût unique et inimitable. Le challenge, donc, pour chacun, c’est de découvrir le goût de cette soupe personnelle. Ou pour le dire autrement, de découvrir l’espace simple sur lequel ouvre notre trajectoire complexe. Chacun possède en lui un tel espace, seulement pour y accéder, il faut se beaucoup se concentrer, « trouver sa méthode de méditation » comme dit Kenneth White. Retrouver l’ADN unique de sa zone personnelle…

« La musique relève du « story-telling »

 

Vivaldi-The-Four-Seasons-Recomposed-by-Max-Richter-

Dans la suite, White écrit : « l’art est associé à toutes sortes d’espaces mentaux et un homme peut composer ou écrire avec talent mais si derrière le talent il n’y a pas l’espace dont je parle, cet art ne m’intéresse pas. » : vous partagez cette conception ?

Je suis très sensible à cette idée ; en fait, puisqu’il s’agit d’explorer des zones, la manière de les explorer importe peu. Je ne me sens pas « automatiquement » proche des musiciens parce qu’ils sont musiciens, en effet. Mais c’est vrai que la musique reste ma langue première, et que c’est surtout à travers elle que je communique avec ceux qui hantent mon espace. La musique, si vous voulez, c’est ma manière de répondre à ce que c’est d’être vivant. Je parle, ou je compose, depuis la puissance de vivre. « Comment se sentir le plus vivant possible ? » : c’est la question qui régit mon espace intérieur. D’autres musiciens n’auront pas exactement cette préoccupation là… D’autres peintres ou écrivains en revanche, l’auront, et je me sentirai alors proche d’eux. Je suis surtout sensible aux écrivains, pour être honnête.

Pourquoi ? Je pense ici à Clément Rosset qui considère que la musique « n’exprime rien qu’elle-même » : vous pensez, au contraire, que la musique exprime quelque chose, des lieux, des souvenirs ?

Bien sûr. Je suis de ceux qui pensent que la musique relève du « story-telling ». Toute sorte de « story-telling ». Depuis l’idée des contes de fée, des histoires qu’on raconte le soir, des berceuses… J’aime l’art pour les histoires, parce qu’il restitue les histoires invisibles qui constituent nos existences. C’est une architecture du temps et de l’espace, si vous voulez, un jeu sur l’évènement, comment arrive-t-il, quels sont ses répercutions, c’est un jeu qu’on retrouve dans la littérature. Composer, c’est ma manière à moi de raconter des histoires.

Certaines de vos compositions tournent d’ailleurs autour de textes (« The Blue Notebook«  où Tilda Swinton lit du Kafka, notamment) ; vous avez d’autres écrivains mentor, qui vous font composer ?

Oui, il y a Czeslaw Milosz et son texte formidable, « Before the trees » (ndlr : impossible de retrouver le titre exact), qui est vraiment fondamental pour moi : il livre une vérité intérieure qui n’est pas une vérité factuelle mais plutôt ce que j’appellerais une « vérité créative ». L’histoire de ce texte, c’est celle d’un type un peu perdu qui rêve qu’il est de retour dans la maison de son enfance. En réalité, la vie est dévastée dans cette maison, il ne reste plus que des ruines, la baraque a presque disparu… mais lui rêve qu’il y retourne. Et dans son rêve il peut voler au dessus du paysage de son enfance. Et il décrit le jardin et la rivière qui bordent la maison, et il s’émerveille en voyant les arbres plus grands que dans son enfance. Si dans les réalités on a coupé tous les arbres, ils ont continué à pousser dans ses rêves, vous comprenez ? C’est l’affirmation d’une vérité onirique, d’une puissance de l’imaginaire. On aura beau couper vos arbres, si vous vous concentrez assez fort, si vous faites fonctionner votre imagination vous verrez : ils continueront à pousser. Il y a une sorte de magie réaliste là dedans qui me convient bien, qui me ressemble.

On parle d’espaces intérieurs, d’espaces métaphoriques, mais votre musique parle aussi de lieux concrets. Je pense à votre album « 24 Postcards in full colors » : d’où envoyez-vous ces cartes postales ? Quels sont les lieux qui comptent ?

J’ai beaucoup écrit à partir des endroits où j’ai habité. Je suis extrêmement sensible aux lieux. J’ai vécu en Ecosse pendant longtemps, notamment, et une grande partie de l’Ecosse ressemble à un rêve pâle, avec des paysages minimalistes… C’est plat, c’est simple, c’est gris poétique. Et c’est surtout spacieux. Vous avez ce gris, par terre, et vous avez le gris qui surplombe le gris, en l’air. J’ai enregistré ce disque intitulé « 24 Postcards » depuis les montagnes d’Ecosse. Là-bas, j’étais dans un endroit incroyable, quasi-irréel tant il était bourré d’oxygène. J’y ai enregistré toutes mes parties de piano, pendant que mon fils dormait. Ce n’était plus un lieu réel, c’était autre chose, et ce disque est gonflé de ces lieux à mi chemin entre réel et irréel. Les montagnes, ces paysages glacés, m’ont aussi ramené à des lieux plus « littéraires » ; dans « 24 Postcards », j’ai fait des adresses aux lieux décrits par Joyce, à l’enfer de Dante, à la maison de Kafka, etc. Donc oui, il y a beaucoup de lieux dans ma musique, mais pas forcément « concrets » au sens de réalistes : il y a les lieux depuis lesquels j’écris et puis il y a tous les lieux imaginaires. J’envoie, avec mes morceaux, des cartes-postales de toutes les sortes de voyages que j’entreprends ; c’est une mappemonde fictionnelle.

Une sorte de « musico-géographie », peut-être ? Vous disiez, dans une interview pour 15questions.com, que « l’effet d’un morceau dépend beaucoup de l’endroit où il est joué. » Vous avez déjà joué dans l’endroit idéal ? Quel serait-il ?

Eh bien, j’ai fait un concert à Tartu, en Estonie, à l’intérieur d’un centre artistique hallucinant avec une architecture brute incroyable. Je jouais du piano là bas et j’imagine que c’était le lieu idéal pour en jouer, oui.

C’est une des raisons pour lesquelles vous composez pour le cinéma ? Pour Martin Scorsese (Shutter Island), Ari Folman (Valse avec Bachir, Le Congrès), André Téchiné (Impardonnable) ? Vous préférez écrire de la musique qui aura son visuel ?

Disons que composer pour composer et composer pour le cinéma sont deux gestes différents. Quand on écrit une musique pour un concert ou un disque, on cherche à parler au public directement, mais on lui parle seul. C’est « je suis là, j’ai un instrument, je vais te confier quelque chose ». Le cinéma, c’est autre chose : c’est résoudre un puzzle avec quelqu’un. Comment va-t-on faire pour que les petites actions des personnages soient autre chose que des petites actions ? C’est encore une question de story-telling, donner de l’intensité à telle moment de l’histoire, la retirer à tel autre… J’aime la relation qu’on engage avec un réalisateur et avec ses visions : on échange constamment sur notre casse-tête chinois. On doit parvenir à s’en sortir ensemble, mais on ne peut pas tricher, tout doit être dit clairement, on doit beaucoup dialoguer. Et c’est quelque chose que j’adore parce que la plupart du temps, je travaille assis, tout seul, et bon, c’est bien aussi d’avoir des conversations…

Et vous écrivez donc à partir des images ? C’est votre méthode de travail générale ? Quand vous étiez petit, par exemple, ce sont des images qui vous ont donné envie de faire de la musique ?

Je sais pas… non, je ne crois pas. J’ai toujours eu de la musique dans la tête, indépendamment de ce que je voyais. Quand j’étais tout petit, je composais déjà, en quelques sortes, assis dans la voiture qui se déplaçait, en regardant vaguement par la fenêtre, quand on m’amenait à l’école ou ce genre de choses ; je faisais des structures musicales dans ma tête, en fait, je ne savais pas du tout que je composais, je ne savais même pas que c’était possible, mais je sais que c’était déjà là, en permanence. Ca n’a jamais cessé. Si ça avait été désagréable ça aurait été une grosse maladie en fait, cette tendance à composer tout le temps, sans motif, ça aurait été une plaie. Mais heureusement j’aime ça.

Qu’est-ce que vous pensez de ces autres musiciens qui combinent classique et électro, comme Francesco Tristano, Nils Frahm, Moritz Von Oswald et Carl Craig… Vous vous sentez proche d’eux ? Vous partagez le même geste initial ?

Je ne sais pas… Non, pas forcément. Disons que tout le monde a sa biographie, chacun cherche sa petite exclusivité, et je pense que c’est naturel pour un compositeur classique d’embrasser de nouveaux sons, de nouveaux instruments. C’est comme ça que les orchestres sont nés hein, le piano ne suffisait pas alors on lui a ajouté le trombone… On cherche à élargir le champs sonore, on cherche la nouvelle couleur possible quoi. Et je pense que le domaine électronique aujourd’hui permet de trouver cette nouvelle couleur. Ca ne veut pas dire qu’on peint le même tableau. Bon, et j’écoutais déjà beaucoup de musique électronique quand j’étais enfant…

Qu’est-ce qui vous a bercé alors ?

Les groupes de l’époque, du genre Kraftwerk. Mais j’écoute toujours beaucoup d’électro contemporain…

Un nom ?

C’est difficile. Il y a ce groupe de minimale qui s’appelle Eleh, très subtil, c’est de la musique tonale, à la fois ambiant et brutal… Passionnant, vraiment.

« Former une musique comme on construit une sculpture »

Et une question ambitieuse : qui sont les piliers de l’ambiant, selon vous ?

Wahou, les pilliers… Haha, je ne sais pas. Disons qu’historiquement, un des disques qui m’a le plus marqué, en tant que compositeur, c’est l’album de Brian Eno de 1975, « Discreet Music ». Ca c’est un vieux disque, un dinosaure qui a fait ses preuves… C’est un vieux disque mais beaucoup d’éléments dedans sont très prophétiques. L’idée de programmer quelque chose sur une machine, et de l’écouter ; l’idée de prendre un enregistreur, d’appuyer sur play et juste d’écouter ce que ça donne, de regarder ce qui se passe, sans tout contrôler à la base. C’est ce que les gens font actuellement tous les jours, assis devant leurs ordinateurs. Vous programmez, vous appuyez sur play et ça y est, vous avez commencé à créer. Vous êtes des auditeurs plutôt que des compositeurs, et c’est ça qui m’a fasciné : cette nouvelle manière de faire, plus passive en un sens. C’est une manière inédite de faire de la musique : on regarde l’action en train de se faire. Et donc oui, ce disque de Brian Eno m’a clairement formé. Il y a un concept fort, qui est de former une musique comme on construit une sculpture. C’est subtile, et si vous l’écoutez maintenant, finalement, ça n’a pas vraiment vieilli. Ensuite, les piliers… Oui, j’ai travaillé à partir d’autres personnes dans les années 90, qui ont un peu perdu de leur puissance maintenant… La musique électronique de cette époque là semble vieillie d’une certaine façon, à cause de ce langage digital qui a beaucoup évolué, même si les disques conservent leurs concepts fondamentaux, leurs positions conceptuelles. Finalement les sons en eux-même n’ont plus tellement d’importance, ils sont comme des manifestes, des gestes philosophiques.

Ouais, on pense beaucoup sur l’ambient. Pas forcément « à propos » de l’ambient, mais « par dessus » l’ambient, c’est une musique qui laisse de l’espace pour penser. Si les idées en train de se faire faisaient une musique, c’est certainement ça qu’elles produiraient… Vous vous sentez proche de la philosophie ?

J’en ai lu beaucoup oui, surtout quand j’ai commencé à composer. On doit le faire quand on crée, c’est comme écouter de la musique de son temps, on doit le faire, et pas forcément pour « la culture », mais parce qu’il faudrait pas trop perdre de temps à expérimenter des choses qui ont déjà été pensées. Alors oui, je me sens proche de la philosophie, d’une certaine façon, l’ambient est le pendant musical de la philosophie, parce qu’il s’agit de sensations… Je pense à Lyotard, Deleuze ; Deleuze et ses territoires… tous ces philosophes du regard, de l’écoute, de la sensation.

Plus que les philosophes logiques, mathématiques, du genre Wittgenstein, donc ? Vous affirmeriez que votre musique est une affaire « de coeur » plus que de raison ?

Oui, comme je le disais, c’est raconter des histoires, et comment on reçoit ces histoires… Pour moi Wittgenstein est agaçant, ennuyant, il est intéressant tout de même hein, mais d’une autre manière…

Je crois qu’il est l’heure.

Alors on finit comme ça, sur Wittgenstein ?

C’est un peu demi-habile. Pardon. Depuis le début, je…

Vous voulez encore un peu de Perrier ?

Oui. Merci.

yellow lounge

II . LE CONCERT, par Gilles Chancel

Le jour où la Sainte Eglise Catholique en aura fini de mourir, on hypothéquera peut-être les cathédrales pour en faire des boites à danser. Il a fallu, le 2 juin dernier sous la grande nef du collège des Bernardins, se satisfaire d’un avant-goût de ce futur fantasmé avec la 3ème édition du Yellow Lounge, qui accueillait Max Richter et Richard Parry. Rendez-vous manqué avec l’Eternel.

Le mieux dans l’architecture gothique, c’est qu’elle vous oblige à regarder le plafond. Je commençai donc par évoluer parmi les voûtes en robot lunaire à vision panoramique, quand mon oeil détecta, sous le regard des gargouilles, un Steinway sur-élevé au devant duquel une drôle de foule s’était agrégée. Ils était cent, peut-être deux cent, qui s’échinaient à résoudre cet impossible casse-tête : comment s’asseoir avec confort et dignité à même la pierre de dalles millénaires ? Certains esprits forts poussaient la recherche jusqu’à s’étendre complètement, croisant dans une décontraction relative une jambe sur un genoux.

Richard Parry surgit d’un pilier comme un diable en boite. Avenant comme un enfant bricoleur à la faculté d’émerveillement anormalement développée. Rouquin candide mais esquinté, à la peau d’un Peter Pan héroïnomane. Un ange abîmé s’avance vers le macbook. S’en suit un mix impensable, mêlant symphonies analogiques, balafons d’Afrique et voix hypnotiques. Les yeux rivés sur l’écran de son Itunes, le vieux bébé s’amuse comme un petit fou, multipliant les enchaînements les plus improbables tout en recoiffant la mèche sculpturale qui lui retombe à l’infini. Il semble s’halluciner des suites qu’il a lui-même ordonnées et exulte, seul, sous le regard d’une foule circonspecte.

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C’est au tour de Max Richter. Lui, avec sa réserve de premier de la classe, se contente d’ajuster le tabouret du piano avant d’égrener avec parcimonie des suites d’accords magiques, aux mystères simples, des septièmes de dominantes évidentes et inattendues. Il joue les notes avec la puissance expressive d’un jeu dénué de sentimentalité. C’est alors que Richard, l’enfant bricoleur réapparait, cette fois muni de stéthoscopes, qu’il distribue aux musiciens afin que – idée superbe – les battements de coeur de chacun puissent faire office de métronomes. Et lui d’enfourcher une contrebasse entre ses cuisses comme si de rien n’était. Plusieurs extraits de son dernier album, Music for heart and breath. Une musique de chambre cardiaque et intime.

Ce soir là, nous étions à deux doigts du miracle. Il s’en est fallu de peu pour que nous inventions ensemble un nouveau Dieu. Mais non. L’évangile est tombé dans l’oreille d’un public sourd. Et le frou-frou infime des sacs, l’addition sourde des quintes de toux et les chuchotements de pipelettes eurent raison des deux prophètes. Il y avait comme un faux contact. Parfois, c’est le public qu’il faudrait critiquer. Ce soir là, ils n’étaient pas prêts à entendre. Orson Welles raconte qu’en sortant de chez lui, il dissimulait toujours une colombe dans sa poche en espérant qu’on lui demande un tour de magie. Personne n’a jamais daigné lui faire ce plaisir. Et pendant ce temps là, l’oiseau chiait dans la doublure du génie barbu. Richard Parry et Max Richter auront été deux magiciens sans public. Une salve intempestive d’applaudissements pavloviens ruine les avant-dernières mesures du second set de Richard Parry. Celui-ci s’en retourne, avec le sourire du bon perdant, dans sa boite à jouets. C’est parfois Godot qui attend les autres.

http://www.maxrichtermusic.com/en/index.php

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