Qui est vraiment Matias Aguayo ? Hormis le fils de parents chiliens ayant fui un coup d’état en s’envolant vers l’Allemagne, dur à savoir. A l’occasion de la sortie de « Sofarnopolis » chez Crammed Discs, autre inclassable de la mappemonde musicale, on a tenté d'accorder tous ses décollages horaires.

A priori, Maxime Le Forestier et Matias Aguayo ne se connaissent pas ; pourtant ils ont quelque chose en commun. Les paroles d’une chanson, pour être plus exact, qui pourrait résumer à elle seule la drôle de carrière sinusoïdale de ce Chilien exilé à Berlin. « Être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard ». Oui voilà, c’est ça, c’est dans la boite. Moteur. Comment la carrière de Matias Aguayo a commencé ? Pour lui, c’était par un billet d’avion. Aguayo n’avait même pas 5 ans.

Narcos darkos

On est en octobre, il fait 20°. Un temps finalement normal dans cette ère déclimatisée, et dans laquelle l’électronique d’Aguayo, reconnu dans tous les clubs du monde, mute lentement tel un automne à qui on aurait greffé des instruments. Difficile de mieux expliquer le dernier né, « Sofarnopolis », disque de cumbia électronique donnant parfois l’impression d’écouter le générique de Narcos joué par des mafieux d’une favelas où l’on se serait refilé des reprises de Lou Reed au maracas sous le manteau. Suicide commercial ? Pas vraiment. C’est d’abord loin, très loin, de la musique touristique qu’on peut entendre dans les séries, surtout quand la ville la plus hispanique que vous ayez jamais vu s’appelle Toulouse. C’est aussi distant de tout ce qu’Aguayo a pu faire par le passé, lui qui s’était fait jadis connaître chez les nettement plus froids savants fous de chez Kompakt. Un cœur réchauffé, en somme. Et qui, c’est assez rare pour le noter, est un musicien dit « électronique » possédant un cerveau. L’histoire ne dira pas combien ils sont à l’intérieur.

Permis de séjour

Quand on dit à Aguayo qu’on ne pige pas grand chose à sa carrière, ni à son style musical plus tordu qu’un ado touché par la scoliose, lui se redresse. « Je suis arrivé en Allemagne, dans un bled paumé près de Cologne, assez conservateur, et là bas j’étais déjà un alien, un outsider complet ». Drôle de trajectoire quand on sait que, passée la guerre, les Allemands faisaient plutôt le chemin inverse, mais passons. « Mes parents étaient dans la faction progressiste, du coup je me suis habitué à cet état d’entre-deux, jamais vraiment chez moi nulle part ». Et donc, du coup, un peu partout chez lui. Pas vraiment allemand, pas vraiment chilien, on avait compris ; mais surtout difficile à placer sur une carte musicale. Surtout à l’écoute de « Sofarnopolis » où Aguayo donne l’impression de ressusciter le larynx d’Alan Vega dans des versions électroniquement possédées, démoniaques.

« J’ai commencé à faire de la musique très petit, j’enregistrai des K7 à l’âge de 11-12 ans, mon esthétique était plutôt précoce, disons que j’imitai le son des instruments et passai le tout dans un vieux Commodore. Techniquement, c’était très limité. Et c’était bien ». Ce soucis de l’inconfort, Matias l’a reproduit à l’approche de « Sofarnopolis » en s’exilant, cette fois dans une petite chambre de Cologne, avec un magnétophone, un looper et un clavier. « Et un micro ». Bref, un véritable bedroom recording pour retrouver l’imagination de l’enfance, tellement plus vaste qu’une banque de sons. Plus que les groupes qu’il écoutait gamin, c’est surtout le souvenir du souvenir qui a influencé Aguayo pour ce « premier album enregistré live » – dixit la bio. Les Desdemonas, nom de ce groupe entourant le chanteur à la voix rouge poivron piquants, vient de là : « à l’époque les musiciens que j’écoutais me semblaient être des super héros quand ils passaient à la radio ; moi j’avais pas l’ambition de faire carrière ». Vingt ans après ses débuts – ses premiers travaux remontent à 97 avec Michael Mayer – on peut dire que c’est raté. Il a beau avoir déjà eu par le passé l’impression de « jouer au musicien », il a fini par le devenir. A l’heure de Myspace, il continue de faire le con en créant un label (Cómeme) pour lequel il s’amuse à poster des pochettes de disque qui n’existent pas ; sa discographie personnelle, même, est assez fantomatique, à peine 4 albums en deux décennies. Pourtant, rien n’y fait : le set d’Aguayo dure déjà depuis plus longtemps qu’un quart d’heure américain.

« Sofarnopolis », qu’on se le dise, n’est pas vraiment un disque qu’on écoute d’une oreille en gobant de la MD sur un comptoir de discothèque. C’est même, presque, l’inverse de tout ce qui a jusque là fait sa réputation. Organique – même si on déteste ce mot, vivant presque, rock parfois, électro dans le beat, un peu. Tout l’inverse du son minimal, pourtant si chère à l’Allemagne qui lui a donné un visa. « Sofarnopolis », de ce point de vue, raconte aussi l’époque actuelle, le brouillage des cartes, des territoires, la défiance face aux étrangers (arrivés en masse en Allemagne depuis 2016, et désormais prétexte à la montée de l’extrême droite chez Merkel). Le ne jamais être chez soi, et avec lui le sentiment de déculturation, c’est l’ADN d’un disque au nom il faut bien le dire, génial, et où Aguayo raconte une espèce de dystopie bien réelle à travers un mot qui, comme le vrai pays du musicien, n’existe pas. « Sofarnopolis,  c’est venu de l’écriture automatique, presque comme du spiritisme, en chantant des mots sans réfléchir : ‘’and so far… no police…’’. C’est resté ». Formidable manifesto à l’attention des réseaux sociaux, du monde qui va trop vite, de la police de la pensée, et même… de ceux qui considèrent que passer de la musique à 100BPM est un acte de résistance.

« La musique électronique c’est un peu devenu le nouveau jazz : un genre musical très réactionnaire, conservateur. »

Jouer de la flute au Rex

A 44 ans, Aguayo monte donc son premier projet live. D’autres musiciens, passés avant lui par la crise de la quarantaine, sont déjà passés par là. LCD Soundsystem étant le cas le plus symptomatique de ce mal-être rythmique, on pourrait suspecter le Chilien de faire se toucher les fils pour éviter d’être oublié. Alors ? « Pas vraiment. Moi j’avais l’impression que la musique électronique est un peu devenu le nouveau jazz, un genre musical très réactionnaire, conservateur. Il m’est arrivé de me faire féliciter parce qu’en club je jouais un morceau à 100 BPM : « c’est très courageux ! ». Je l’ai entendu. Mais de quoi on parle ? Le courage, c’est autre chose. Par exemple, c’est jouer de la flute au Rex. Ca je l’ai fait, ah ah ah ! ». Fatigué par le personal branling, sport en vigueur dans les salles obscures, Aguayo a donc fait sa danse spéciale : celle du pas de côté. Pas certain que « Sofarnopolis » se vendent comme le paquet de coke en Colombie, mais comme aurait dit Ayrton Senna (brésilien, pour le coup) « pour un virage… c’est un virage ». Ay ay ay.

« Juste du slow dancing »

Prendre le risque de perdre une partie des fans en cours de route, est-ce que c’est grave docteur ? « Le rôle d’un musicien, on l’oublie, c’est parfois de ne pas suivre les gouts de son public. Peut-être que l’une des raisons de ma longévité, c’est cette capacité à évoluer sans trop réfléchir au marché. En tout cas avec mon groupe des Desdemonas, les gens continuent de danser, je le vois, mais différemment : maintenant c’est du slow dancing ». Son refus des dictatures à lui, c’est donc de n’en faire qu’à sa tête. Un clin d’œil au destin, quand on apprend que si le petit Aguayo a fui le Chili, ce n’était pas pour échapper aux chaudes températures tropicales, mais à un coup d’état. Officiellement reconnu en Allemagne comme réfugié politique, il continue donc, à sa manière, le combat. A contre-temps, contre le temps presque.

« Pourquoi vous voulez pas vous intégrer ?’’ J’ai entendu ça toute ma vie dit-il. Avec le temps, je me suis finalement rendu compte que ça m’intéressait pas tant que ça, de m’intégrer ». Pour une fois, c’est peut-être les autres qui devront se lever pour changer de place. Aguayo, lui, restera à la sienne ; en plein milieu de ce pays imaginaire.

Matias Aguayo // Sofarnopolis // Crammed Discs
http://www.matiasaguayo.com/

En concert le vendredi 20 octobre à la Maroquinerie (Gonzaï Night) avec La Mverte et Casse Gueule. Plus d’infos ici. 

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