Le point commun entre Richard Branson, Korn, la scène hardcore française des années 90, Doc Gynéco, la place des Vosges, Phoenix, Orléans, Manu Chao, le magazine Rage, JoeyStarr, Ben Harper, la Floride et Iggy Pop ? Un mec de 40 ans avec un tatouage de Marx sur le bras et celui de la pochette de « Unknown Pleasures » de Joy Division sur la jambe… Soit Mathieu Pinaud, le responsable promo du label Cooperative. Et RP depuis quinze ans. Rencontre, c’est comme ça qu’on dit, non ?

Un prénom, séparé du nom par un point. Un arobase et des « à+ » à la fin des mails. Voilà tout ce qu’on a, la plupart du temps, quand on ne vit pas à Paris, pour se faire une idée des attachés de presse musique avec qui on se dit « tu » sans s’être jamais vus. Alors forcément, la première fois que j’ai rencontré mathieu.pinaud@cooperativemusic.fr, j’ai été un peu surpris.

Il aurait pu être mon grand frère. Ou un pote de chouille. Bref, un de ces gars avec qui tu parles la même langue. Sauf que lui l’avait apprise de l’autre côté du miroir : RP musique, et comme j’allais m’en apercevoir huit mois plus tard, c’est un rapport différent. Non pas à la musique, mais à ceux qui la font. Et à ceux qui la vendent. Ensuite, ce que j’ai remarqué, sous ce soleil de l’été 2011, c’est son tatouage de Marx, et celui de la pochette d’« Unkown Pleasures » de Joy Division enroulé autour de son tibia gauche. J’ai fait « Waouh » dans ma tête, me suis promis de lui en reparler. Ça se passait backstage, dans un festival. Il faisait chaud et on a parlé, je vous le donne en mille, de musique. Le mec qui a créé le site que vous avez sous les yeux était là aussi ; tout comme le collègue et ami de ce drôle d’attaché de presse en train de me faire revoir mes préjugés sur ce métier. Comme on est à Gonzaï, on a parfois des idées un peu tordues. Enfin, surtout le boss, hein. C’est lui qui a lancé celle d’interviewer Pinaud, RP depuis quinze ans qui a, au fond de ses poches de bermuda, un millier d’anecdotes croustillantes et de souvenirs à raconter. Notamment ceux d’une industrie qui a pris un gros kick dans le nez au début des années 2000. Lui était déjà en plein dedans, le ventre de la bête, etc, etc. Et puis aussi ce label atypique, Cooperative, né sur les cendres d’une industrie enregistrant son chant du cygne en la mineur. Toujours est-il qu’il a dit d’accord. On a parlé plus d’une heure. Ça m’a pris longtemps à dérusher – huit mois ; rien à jeter. Mais il a fallu faire des choix. Petite bio rapido, avant l’un des plus intéressants questions-réponses que j’ai pu ambiancer.

Mathieu Pinaud vient d’Orléans. Il monte à Paris pour finir ses études et veut devenir journaliste musical. Le provincial se retrouve stagiaire chez V2, que Richard Branson vient de créer. On est en 1997, les CD se vendent encore comme des petits pains et les postes sont légions : à la fin de son stage, il est embauché direct comme attaché de presse chez Virgin France. Pas assistant, non, attaché de presse. Stagiaires actuels du biz de la musique, si vous nous lisez, c’est le moment d’aller chercher la boîte de Kleenex. XXL, ça ne sera pas du luxe.
Un des premiers artistes avec qui il bosse ? Manu Chao. « Avec ça, j’ai connu la presse comme si j’avais dix ans de métier. » Kleenex. De là, il va bosser de major en major, par le drôle de jeu des chaises musicales qui régit cette profession, et celui des rencontres humaines qui font les trajectoires de vie. De quoi assurer la promo, entre autres, de Korn, RATM, Super Furry Animals, Pleymo, etc. Jusqu’à se retrouver en 2008 à la tête du service promo d’une structure musicale au fonctionnement jusqu’alors inédit, Cooperative. Dernière punchline pour donner le ton : « Le meilleur attaché de presse du monde ne peut défendre que des projets défendables. » Pinaud, simple freak ? Oui, mais pas que.

Gonzaï : C’est quoi, un projet défendable ?

Mathieu Pinaud : Défendable, c’est pas exactement le mot, mais en tout cas un projet qui va te permettre d’accéder aux médias. Un attaché de presse, c’est les projets qui le font. Après y en a qui savent faire ce métier, d’autres non. Mais quand tu sais le faire, ce qui te fait avancer c’est les groupes avec qui tu bosses.

Pas frustré de ne pas avoir été journaliste, alors que tu étais monté à Paris pour ça, au départ ?

Non. Parce que le truc, c’est que j’avais pigé avant. Je suis monté à Paris pour finir mes études, je viens d’Orléans, j’étais roadie,  j’ai un peu tourné… Je côtoyais la scène hardcore des années 90, les Burning Heads, Portobello Bones, Seven Hate, j’émargeais là-dedans. Et je me suis retrouvé à bosser dans un prozine, Newcomer, basé à Orléans. Le type recrutait des petits jeunes comme moi pour écrire gratis contre quelques scuds et des places de concert. Je me suis retrouvé à faire le red’ chef adjoint avec lui et je suis arrivé à Paris par ce biais : en faisant des  interviews, j’ai rencontré tous mes futurs confrères, certains y sont encore d’ailleurs. J’étais en contact avec Virgin, Sony, EMI, Barclay, Pias… C’est comme ça que j’ai rencontré le mec qui m’a donné mon premier stage, Michel Vidal, responsable promo presse chez V2 (venu de Sony), j’ai été le premier stagiaire de V2. J’avais un peu pigé pour Best, enfin pour son successeur B Mag, qui n’a pas duré longtemps, j’ai également pigeotté pour Rage. Donc, j’ai commencé par ce stage et j’ai trouvé ça intéressant. J’ai bien aimé l’idée de participer au développement des projets. Je trouvais ça cool, la relation avec l’artiste quand on est dans la maison de disque, qui est très différente de celle des médias. C’est une relation professionnelle qui peut devenir amicale. (…)
Et puis j’ai commencé à bosser avec Doc Gynéco : « Première consultation » était sorti quelques mois avant, au début ça avait un peu galéré, le truc ne se vendait pas bien, et Viens voir le docteur a fini par rentrer sur Skyrock. Et ça a été l’explosion. Le mec est devenu un phénomène médiatique, tout le monde voulait lui parler, je me suis retrouvé avec des cinq pages dans le Nouvel Obs, la couv du numéro 100 de Max, « héros de la nouvelle génération », l’affichage dos de kiosques, partout en France.

Comment tu l’expliques ?

Les textes avaient un truc, il était en osmose avec une partie de la jeunesse, il parlait de la vie des jeunes et les médias l’ont parfaitement compris. Après je pense que… à l’époque, Bruno, il avait signé un contrat d’artiste qui était pas trop en sa faveur, faut être honnête. C’est normal, c’est toujours comme ça, il était déjà pratiquement à 500 000 albums – 1 300 000 au final je crois, il demandait à renégocier son contrat et évidemment, la maison de disques freinait des quatre fers, et donc il avait une attitude qui était une erreur fondamentale, il l’a pas compris à l’époque, peut-être que depuis… Pour mettre la pression sur la maison de disques, il pensait qu’en étant dilettante, en ne faisant pas la promo que les attachés de presse lui proposaient de faire, il allait faire évoluer la position de la maison de disque. Mais il s’est tiré une balle dans le pied…  Bref, moi je venais d’arriver, j’étais le petit nouveau, tous les attachés de presse de l’équipe étaient saoulés, notamment en presse écrite. On me l’a mis dans les pattes, j’étais frais. Et j’avais des demandes de fou : le cinq  pages dans le Nouvel Obs, ça fait quinze ans que je fais ce métier, je crois que j’ai eu aucun autre artiste qui a eu son portrait sur cinq pages dans un grand hebdo français.

Comment ça s’est passé entre vous deux ?

Bien, c’était drôle. Moi j’étais hyper flexible, tout jeune, très motivé, je me bagarrais pied à pied avec le gars, ça m’est déjà arrivé d’aller le chercher limite par la peau des fesses pour faire des trucs. J’en avais rien à foutre, j’étais genre « Cool, allez viens, ho, je m’en bats les couilles, j’ai ton âge (25 ans), t’as un truc à faire, tu le fais» Ben Harper aussi m’a beaucoup fait avancer. Je suis arrivé sur son 4e album, qui était un peu la concrétisation, pour te dire à quel point le marché était génial à l’époque : imagine-toi, les trois précédents s’étaient déjà vendus aux alentours de 90 000 exemplaires, déjà c’était cool, on approchait du disque d’or sur chacun des albums. Puis on a sorti « Burn to Shine » en se disant « allez hop, on enfonce le clou ». Conclusion, il était disque d’or dès la pré-commande, un truc impossible aujourd’hui. Même le Sexion d’Assaut, ils n’en mettent que 50 000 (chiffre actuel du disque d’or, contre 100 000 à l’époque — NdlR).

« T’imagines, des bureaux place des putains de Vosges ! Voilà, c’était une autre époque. »

Au final, avec l’opération « prix spécial » sur les autres, il s’est retrouvé disque de platine (300 000) sur chaque album. Aujourd’hui, c’est 100 000… On a pu certifier platine les quatre albums. Chez Virgin France, imagine-toi, on était place des Vosges, tous les bureaux de la nébuleuse Virgin étaient dans le quartier, Labels rue des Tournelles, rue Pavée y avait Source. T’imagines, des bureaux, place des putains de Vosges, voilà, c’était une autre époque. C’était super, moi j’ai adoré cette période. Avec Ben Harper, j’ai obtenu ma première couv’ de Rock & Folk. Ou alors euh, peut-être que c’était Manu Chao, je ne sais plus.

Tu dis « ma » première couv’. Une couv’, c’est aussi un succès personnel ?

Oui, les couv’, ça fait partie des choses importantes que t’es content d’obtenir. Après, faut rester modeste, quand, je dis « j’ai obtenu », c’est l’artiste. Je ne peux pas dire que c’est MA couv’, mais c’est moi qui travaillais le projet quand il l’a obtenu… C’était aussi une époque où on avait des voyages de presse incroyables, on est partis cinq jours avec des journalistes à Miami pour Iggy Pop, c’était vraiment une autre période. Les années 90, pour tous les gens qui l’ont vécue, ça reste une période géniale. Maintenant, je comprends que j’ai vécu les trois dernières grandes années de l’industrie du disque, de l’explosion du CD. Et avec le recul, je me dis que c’est à cause de ça que tout ça s’est planté. À un moment donné, on faisait des signatures à la con : quand t’avais un Souchon, un Julien Clerc ou un Renaud qui sortait dans l’année, avec en plus un Chao ou Gynéco qui breakait, tout le reste de ton année, qu’est-ce que t’en avais à foutre ?

Breaker, ça veut dire quoi ?

Breaker, c’est arriver à ce point où les ventes de CD rentabilisent le projet, avec du coup un artiste qui devient incontournable : quand ta grand-mère connaît un artiste, c’est que tu l’as breaké. C’est aussi le moment où tu commences à rentrer assez de pognon pour tout le monde.

Vous êtes une sorte de petite famille dans ce milieu. T’as une idée de combien vous êtes encore aujourd’hui ?

Selon moi, on a dû être jusqu’à un bon millier. Mais je pense que depuis le début de la crise du disque, les effectifs sur Paris ont été divisés par deux. Après, c’est tellement de profils différents… Du chef de projet de Polydor qui bosse sur De Palmas au responsable promo de Coop que je suis, on peut être copains, on fait un boulot identique mais ce sont des sphères complètement différentes.

« J’ai vécu les trois dernières grandes années de l’industrie du disque »

Raconte-moi un peu cette putain de crise du disque…

Mon analyse ne vaut que pour moi, hein, mais y a deux ou trois choses essentielles : la numérisation du son qui a fait notre fortune a en même temps creusé notre tombe. On a fait du CD un objet que les gens voulaient posséder. Aujourd’hui, pour les jeunes, un CD, c’est un truc avec du feutre dessus qu’on se refourgue… L’objet CD a perdu son sex-appeal.

Tu le regrettes ? Tu t’en fous ?

Je m’en bats les couilles. Le vinyle, oui. Moi je suis collectionneur. Mais la numérisation, ça a été le ver dans le fruit : si on peut mettre la musique numérisée sur un CD, on peut la mettre ailleurs, dans un ordinateur, etc.

T’as entendu des « cris de panique » ?

Oui, on l’a vu, quand le marché a commencé à chuter de manière vertigineuse, en 2001, où on a commencé à se prendre de bonnes patates de baisse, de 5 % ou 10 %. On a alors commencé à voir les plans sociaux, ou alors les licenciements par petits blocs de cinq et rebelote trois mois plus tard… Quand on a vu les premiers licenciements économiques, on a commencé à se dire « ça sent le roussi ». Après, pour expliquer tout ça, il y a un très bon exemple : Creation, le label d’Oasis. À la base c’était un super label, fondé par Alan McGee, avec que des groupes que j’adore… Mais il le dit lui-même : « C’est Oasis qui nous a tué. » Il a fait des ventes considérables. Résultat, il a eu plein de thunes. Et il s’est dit quoi ? « On va embaucher du monde, on va développer le bordel… » Et en fait, il n’y a plus jamais eu d’autres Oasis. Aujourd’hui, si c’était à refaire, il le dit, il ne signerait pas Oasis. Eh bah c’est ce qui arrivé au disque : le CD a fait rentrer un maximum de thune, et qu’est-ce qu’on fait quand le marché marche bien ? Eh bah on embauche, et on prend des bureaux place des Vosges, et on fait des teufs de sortie d’albums… Le premier jour de mon arrivée chez Virgin, je me rappelle, j’ai été dans une teuf : Virgin avait privatisé le Café de Flore pour une compilation qui s’appelait « Jazz à Saint-Germain ». C’était probablement même pas mis en place à 10 000 exemplaires, t’avais les Rita dessus, Dee Dee Bridgewater et sa fille, Iggy… Un disque extrêmement médiocre… Moi j’ai emmené des gens en voyage de presse à L.A., à Miami, à New York pour des deux pages. Je ne pourrai plus jamais faire un truc pareil.

La relation entre promo et journalistes, copinage ou non ?

Y a du copinage, bah oui : je les connais tous, c’est pour ça qu’on me paye ! Le savoir-faire d’un attaché de presse, c’est d’établir une relation qui fait que le journaliste va te prendre au téléphone et qu’il va répondre à tes mails alors qu’avec un autre, il laissera sonner. Mais sinon, je trouve que la presse est plutôt autonome, elle se fait pas trop dicter ses trucs par les maisons de disques, ça c’est un vieux fantasme. Après, y a toujours du copinage à droite à gauche, y a toujours quelques papiers tu te demandes pourquoi ils sont là, c’est un service rendu…  Y a eu des moments où les magazines vendaient leurs couv’. Par exemple, avec le premier grand magazine de rap et de musique world, l’Affiche, qui avait un gros tirage, t’avais un deal qui était connu : en gros, tu prenais un package pub à 60 000 francs à l’époque, où t’avais la couv’ et l’affichage dos de kiosques, c’était le concept. Mais ça ne se fait plus, même pour nous, c’était un peu téléphoné, et c’était même pas particulièrement profitable.
Après, il est bien évident qu’aujourd’hui si tu veux bosser avec un magazine musical qui n’a pas beaucoup de thunes — aujourd’hui, si tu veux gagner de la thune, tu fais pas un magazine de musique, c’est clair — et l’avoir régulièrement sur le planning, si tu veux que la situation soit confortable pour tout le monde, bah, une petit page page de pub de temps en temps, ça fait du bien. On va pas parler de mécénat, ce serait méprisant, mais c’est ces gens-là qui nous font bouffer dans une certaine mesure ; c’est donc un échange de bons procédés. Un magazine qui défend souvent tes artistes, t’es plus enclin à lui prendre régulièrement des pages de pub, honnêtement, c’est normal. J’analyse pas ça comme de la presse vendue. Et franchement, je trouve pas que la presse musicale française le soit. On ne peut pas en dire de même de tous les médias… Si tu veux bosser avec une grosse radio, il faut arriver avec des billes derrière, et pas seulement avoir le titre qui va bien. Il faut avoir les reins solides…

Je crois que c’est le moment de parler de Coop. Vous semblez tirez votre épingle du jeu, non ?

Oui, c’est pas facile, mais si Universal, à qui on appartient, a développé le business plan proposé en 2008, c’est parce que c’est un modèle cost killer. Nous, on est sur le monde entier, enfin sur le monde libre (rires) ! On travaille sur dix-huit territoires : Europe occidentale, Japon, Nouvelle-Zélande, Australie, et on est même maintenant en Asie du Sud, aux USA. Et on est trente-cinq bonhommes pour tout ça. Pour te donner un idée, il n’y a pas en France une major company avec moins de 35 salariés. Par exemple, chez Naïve, qui est un label indé, ils doivent être quarante en France. Chez COOP, nous sommes le plus petit label au monde proportionnellement au nombre d’album que nous sortons.

Et COOP, c’est quoi alors ?

C’est un modèle de service. Quand tu travailles dans un label indie anglais par exemple, et que tu commences à avoir une certaine aura sur ton territoire, que tu veux développer tes artistes à l’étranger, qu’est-ce que tu fais ? Bah t’essayes de bosser avec un certain nombre de distributeurs et de licenceurs locaux pour essayer de signer des deals par territoire. Alors que quand tu signes avec Coop, tu signes pour les dix-huit territoires. C’est une formule hyper-pratique. Après, n’importe qui ne peut pas signer avec nous. C’est nous qui choisissons, parce qu’on défend de vrais choix artistiques. Dans le monde de l’édition phonographique, y a trois contrats types[1]. Le contrat d’artiste, celui de licence et celui de distribution. Coop ne signe que des contrats de licence avec les labels. Les Bella Union, Kitsuné, DFA, je pense que ça fournit 80 % du catalogue. Après, on a V2, une structure interne, notre label à nous, fait pour accueillir des gros groupes qui cherchent une structure qui soit différente de celle des majors. C’est comme ça qu’on a signé Phoenix, Interpol et, tout récemment, Garbage et Archive (Black Keys, Cold War Kids, dEUS sont passés par là — NdlR). On a aussi des groupes qui sont signés chez des labels d’Universal en Angleterre. Exemple : là bas, The Drums est signé sur Island mais ailleurs, c’est pas leur cœur de métier, ils sont plus à faire des Lady Gaga, ils n’ont pas forcément du temps à leur consacrer… Donc partout ailleurs, c’est Coop qui les bosse.

Du coup, grâce à ça vous passez entre les gouttes, non ?

Non, même si on n’a pas vraiment baissé puisque notre modèle s’est créé au moment où le marché était au plus bas. Nous, ce qu’on fait, c’est apporter des solutions aux problématiques nouvelles engendrées par la crise : réduction drastique des coûts fixes, au premier rang desquels la masse salariale. Trente-cinq personnes pour dix-huit territoires, ça n’a jamais été fait, mec. C’est unique, surtout pour ce type de répertoires.

Et ça ne vous fait pas des journées de guedin ?

Ah si, c’est du taf. Mais déjà, l’équipe est constituée exclusivement de mecs comme moi, des gros fans de zik… Coop, c’est un truc de fans. Et puis notre boss, c’est aussi notre pote. Je pense d’ailleurs que c’est une des meilleures manières de faire ce boulot. C’est génial, il y a une liberté énorme. Dans les grandes maisons, ce qui était génial, c’était les moyens qu’on avait. Mais chez nous, y a pas de politique : les luttes intestines de pouvoir entre le directeur marketing et le chef de projet, les luttes de pouvoir entre le directeur de promo et les équipes, tu vois le genre… Tu vois, moi, si je montais ma propre boîte de promo indé, avec l’entregent dont je dispose, je pourrais peut-être faire plus de thunes que ce que je fais aujourd’hui. Après, je gagne bien ma vie, hein. Mais je reste chez Coop parce que j’aime ce truc. Après, je te dis pas que si j’ai un jour une propale dingue de major company… (rires..) COOP, c’est un beau modèle, quelque chose de malin : t’as à la fois le répertoire et le catalogue assez exceptionnel où tu peux t’amuser dans tous les domaines. J’ai fait Killing Joke la semaine dernière et là je fais Beach House (entretien réalisé en mars — NdlR). Et avant, j’ai fait Tinariwen, The Drums, Simian Mobile Disco : y a une variété musicale qui correspond à ce que j’aime. Et aussi, il y a des choix qu’on fait ensemble : si un artiste signe chez Coop, tous les autres gars de chez nous sont au courant. Ils sont impliqués, un minimum.

Il y a très peu de français chez vous.

Oui, parce qu’on n’a pas de projets locaux comme Brigitte ou Pony Pony Run Run. On n’a que des projets à vocation internationale. Nos Français, Phoenix, Housse de Racket, Jamaica, sont des artistes ayant une portée internationale. Housse de Racket, à l’heure où je te parle, ils sont en train de jouer à Austin. Et ils enchaînent une tournée de trente dates aux US.

Sur leur nom ou en première partie ?

Non, non, sur leur nom. Avant, ils avaient fait la première partie de Yelle. Yelle, c’est énorme aux États-Unis. Ça fait le Webster Hall à New York et c’est complet deux mois à l’avance. La communauté homo l’adore. La plus petite salle qu’elle fait aux US, c’est 2500 places. Pour en revenir à Housse de Racket, ils ont joué à Austin, au SXSW.

C’est une blague, Jamaica, non ?

Moi je trouve ça plutôt intéressant, j’aime bien le parti-pris assumé du rock FM, je suis assez client de Police, des standards rock américains à la Yes ou Foreigner, et puis les mecs sont super. Après, c’est plus un groupe à singles, pas forcément d’albums. Pareil pour Housse de Racket, je sais qu’il y a plein de gens qui aiment les vilipender, mais je n’ai aucun problème avec ce parti-pris rock électronique très produit.

« Un jour, JoeyStarr m’a jeté sous les roues d’une bagnole à un feu rouge ! »

Je passe du coq à l’âne, mais en quinze ans de métier, tu dois avoir des anecdotes de fou à raconter, non ?

Oh, des histoires, j’en ai plein…

A Main Square, on avait commencé à parler de Eels… C’est un mec atypique, non ?

Atypique, non. Disons qu’il n’est pas à prendre avec des pincettes. Mais c’est un mec très bizarre, très étonnant, c’est un gars qui a disparu pendant sept ans… Il est revenu en signant chez nous : trois albums en pratiquement un an. Le premier fait presque 15 000 exemplaires, le second, 7 000, le troisième, 12 000. Après, il n’aime pas beaucoup la promo, il se ploie à l’exercice de bonne grâce mais sans grande passion… Il est surprotégé, son tour manager est toujours avec lui. Il a des mimiques étranges, il est plutôt souriant mais c’est un gars qui se protège beaucoup du monde extérieur. Son père était un grand scientifique… Après, j’ai adoré bosser avec Gynéco. Mais j’ai largement préféré bosser avec NTM. Didier est un mec extraordinaire…

Bah vas-y, réhabilite Didier Morville en cinq minutes.

Didier, c’est un gars très intelligent, cultivé, qui lit des bouquins, extrêmement drôle, il est à crever de rire… Et à côté de ça, les deux choses qui lui ont posé des problèmes, c’est que c’est une brute, au sens où il est physiquement très fort et qu’il en impose. C’est un balèze, quoi. Et après, je ne trahis aucun secret, tout le monde le sait : c’était un foncedé, et pas un petit. Je ne rentrerai pas dans les détails, j’ai pas à m’étendre sur la vie privée de Didier, chacun de nous a ses petites turpitudes, bah voilà lui c’est ça. Et malheureusement, brute + stup’, ça entraîne parfois des pétages de plombs qui l’ont emmené devant les tribunaux. Pour des choses que lui-même regrette, j’en suis sûr. Mais tu vois, et c’est pour te dire, même cette cruche de Mathilde Seigner, qui avait déclaré à la télé il y a cinq ans qu’elle trouvait NTM horrible, et bah là elle l’appelle « mon Didou », parce qu’elle a tourné avec lui…  Ça se voit, elle est tombée amoureuse… (Rires) De toute façon, quand tu connais Didier, tu ne peux que kiffer ce mec. C’est le seul rappeur que je connaisse qui lise Antonin Artaud. Je suis allé plein de fois chez lui, dans son espèce de baraque à Saint-Ouen, t’arrives chez lui, il est en train de regarder Arte. C’est pas un rappeur normal, c’est pas un mec du hip hop en fait, c’est une star, il porte bien son nom ce mec-là. Après, au-delà de tout ça, c’est un mec qui a eu une enfance très difficile, qui a été « tenu », il a été à la rue, alors bon évidemment, il a pris le hip hop à bras le corps dans son intégralité.
Aujourd’hui, en France, à mon avis il n’y a pas de personnage plus emblématique de la culture hip hop française. Avec toutes les qualités et les défauts que ça implique pour moi. Ce gars-là, il vaut mieux que plein de mecs qui ont une meilleure image que lui dans les médias. Après, faut qu’il t’accepte. Si tu ne lui plais pas, tu ne vas même pas rentrer dans son monde… Une fois, il m’a jeté sous les roues d’une bagnole, à un feu rouge ! On avait été déjeuner à côté de Sony avant la promo et en sortant, on arrive au feu, il m’a poussé, juste pour la vanne ! Bon, je l’ai pas vu depuis longtemps, le métier nous a séparés mais c’est un mec, quand je le croise, je suis content de le voir, on a bossé deux ans ensemble ! Il est « simplement » victime de ses excès et c’est ce qui l’a amené à mettre une patate à une hôtesse de l’air. 

Euh, il semblerait que l’hôtesse, il ne lui ait rien mis du tout…

Si, si… Le problème c’est qu’une baffe de JoeyStarr, c’est pas une baffe d’hôtesse de l’air. Elle a commencé par lui en mettre une et il lui en a retourné une… Enfin, je n’y étais pas personnellement. Bon, Didier coupable d’avoir frappé une femme, c’est clair. Et puni. Mais il a été à victime de son perso, et puis avec lui, les médias populaires ont trouvé une figue emblématique et tutélaire de la génération hip hop qui fait teeeeellement peur à la France des terroirs !
C’est fini maintenant, mais pendant longtemps, dans un journal comme Le Parisien, pour ne pas le nommer, c’était « JoeyStarr la caillera ». Alors que s’il y a un mec dans ce métier qui n’est pas une caillera, c’est bien JoeyStarr. C’est un mec qu’est dur, qu’est fort, mais il n’est pas du tout dans la violence gratuite. Moi je connais un mec posé, qui sait réfléchir, très drôle, avec une vraie culture, non, c’est un mec que j’aime bien, vraiment. Après, nous, on a eu à gérer des choses… Moi je bossais au moment du clash NTM, et où ils travaillaient chacun de leur côté avec leurs posse respectifs, et justement, on avait fait un gros travail d’image pour expliquer ce que je viens de te dire, pour montrer à la France incrédule que c’était pas du tout le personnage que la presse populaire voulait en faire. On a travaillé là-dessus pendant des mois, avec des gros papiers, dans plein de magazines, avec des prises de positions sur ce mec-là, dans de grands hebdomadaires, en passant par Libération, R&F… Et puis malheureusement, il y a eu l’affaire du singe de M6 qui nous est tombée dessus. Là pour le coup, y a une erreur qui a été commise, je dirai pas par qui mais pas par moi… Qui a été d’amener une équipe de télévision dans la maison de Didier. Ça déjà, c’est un truc que je n’aurais pas fait. De surcroît, un soir. C’était l’époque où il faisait son émission, depuis son sous-sol, chez lui, pour Sky, y avait toujours sa bande de potes et à l’époque, un de ses potes qui vivait chez lui avait un singe, et lui, Didier, ça le saoulait d’avoir ce singe dans sa maison… Et puis le soir, l’ambiance aidant, les caméras de M6 étaient là, il était un peu foncedé, y avait le singe qui faisait du boucan, il a fait « Eh ta gueule ! » et bam ! Évidemment filmé, évidemment à la télé, évidemment scandale… Alors que bon, je peux pas dire que c’est bien de taper sur un singe, bien sûr, je vais pas te dire « Wouah, il a bien fait de lui péter sa gueule à ce p’tit con d’singe ! » mais bon, faut pas non plus exagérer, il a mis deux patates à un singe, la belle affaire… Un singe qui faisait un boucan d’enfer et qui, honnêtement, n’avait rien à faire là. Voilà, c’est ça l’histoire, c’est tout. Alors évidemment, la presse s’est jeté là-dessus comme la vérole sur le bas clergé : « Alors, le fameux Didier super sympa, regardez ce qu’il fait… » Alors, oui, qu’est-ce tu veux que je te dise, oui, ce singe l’énervait, il lui a mis deux patates.

« Pour un Phoenix, combien de Peter Broderick, de Fionn Regan, de mecs qui vendent deux cents disques en France ? »

Je passe encore du coq à l’âne, et ce sera ma dernière question : le média Web, quelle importance il a aujourd’hui pour vous ? 

Vachement d’importance.

Depuis quand ?

Disons que j’ai vu l’évolution, de 1997, où tu disais en réunion de bureau « j’ai cette demande de ce site Internet… » et où on te regardait : « Ce quoi ? » Genre « Non mais ça, on verra si on a le temps… T’as qu’à le mettre sur cet artiste avec qui on galère… » à maintenant où des mecs — je ne parle même pas des grands portails comme Evene ou Madmoizelle avec qui faut se bagarrer pour avoir des mises en avant et où c’est eux qui nous disent « oh, non, ça c’est pas assez populaire pour nous » — qui font des très bons webzines comme Gonzaï ou Brain, se retrouvent très régulièrement sur nos plannings et ont une place aussi importante que certains magazines de presse ou certaines radios. Donc oui, il y a eu une grosse évolution. Moi je pense que j’ai commencé à être sensibilisé au Web assez tôt. Très tôt, je me suis dit « il faut y être, c’est là que sont les jeunes ». Après, je vais pas faire mon Bayrou, genre « j’étais sur Internet avant l’existence d’Internet » (rires). Aujourd’hui, oui, vraiment, le média Web a pris une vraie importance… C’est peut-être arrivé plus tard chez certains de mes confrères, mais j’ai pas de jugement à porter la dessus. Et puis faut être clair : quand tu bosses chez Cooperative, pour un Phoenix, combien de Peter Broderick, de Fionn Regan, de mecs qui vendent deux cents disques en France ? Eh bah la plupart de ces mecs-là trouvent leurs zélateurs sur Internet.

Je valide. Moi, soldat parmi des milliers d’autres de cette armée de Mexicains s’échinant les empreintes digitales à défendre depuis mon ordinateur des artistes que nos grand-mères ne connaîtront jamais. Sinon, sa précaution au moment de nous séparer m’a fait sourire : « Bon, tu me défonces pas trop, hein ! » Déformation professionnelle, sans doute.

http://www.cooperativemusic.fr/
Portraits couleur : Nico Giraud


[1] Lecteur fourbu, c’est l’heure de la minute Wiki. Tant qu’à causer musique versant business, autant y aller vraiment, non ? Voilà ce que Pinaud m’a donc expliqué :

Contrat d’artiste : le label est producteur, il a investi l’argent pour enregistrer, pour marketer, promouvoir et distribuer. Il est là d’un bout à l’autre de la chaîne.

Contrat de licence : L’artiste ou le label reste producteur, c’est lui qui a investi pour payer le disque, après le label fait le marketing, la promo et la distribution.

Contrat de distribution : l’artiste est producteur, investit lui-même le marketing et la promo et s’associe juste à quelqu’un qui va mettre les disques en bac.

26 commentaires

  1. « Je côtoyais avec la scène hardcore des années 90, les Burning Heads, Portobello Bones, Seven Eight ». Ultra hardcore tout ça !

  2. Bon, je vais faire mon chieur mais je crois bien qu’il a confondu François Bayrou avec Hervé Morin , et là, ça craint quoi.

    Sinon, intéressante interview qui confirme bien par certains aspects pertinemment décrits ici que « l’industrie » du disque a réussi à se faire caca dans la bouche toute seule comme une grande.
    C’est beau.

  3. Excellent article ouais. Fallait tout mettre en ligne! Je veux connaitre l’intégralité de l’échange! Et ouais c’est Seven Hate, on écorche pas les grands noms de l’histoire 😉

  4. Putain Loulou, t’as raison.
    Hervé c’était le débarquement plutôt.
    C’est moi qui me suis fait caca dans la tête en fait.
    J’ai pas du tout breaker sur ce coup.
    Je vais de ce pas me refaire l’intégrale de Fabien Onteniente en guise de laxatif mental.

    Honte à moi et à toute ma famille.

    Guitou.

    « Tu vas comprendre pourquoi je ne jure jamais sur la tête de ma mère… / Elle vaut beaucoup trop chère…  » (Diam’s – 2009)

  5. M’inclinant devant la levée de boucliers, j’ai saisi ma gomme magique pour rendre à Seven Hate son vraie blaze. Et sinon, c’est bien, comme groupe ?

  6. Bonjour à tous…

    Super intéressant.

    Dis moi Bobby ? T’as vu BH en live ? Seven Hate en concert, juste avant Hatebreed à Tours y’a bien 15 ans ? L’étiquette « punk-à-roulettes » en France cache une mauvaise foi caractéristique des « vrais » amateurs de « musique violente ». Mais, peut-être que je vais t’apprendre qqchose (j’en serais ravis), mais, un live des Burning, c’est autre chose que sur l’album… on s’y casse des côtes.

  7. La scène « hardcore mélodique » j’aurais dit. Il y avait quand même bien plus underground et violent dans les 90’s. Le premier qui me pète une côte à un concert des BH je lui fais bouffer mon skate par les intestins (dès que je l’aurais retrouvé au fond du garage). Sinon Vernon, Seven Hate c’est bien ouais. Un chant mignon, un son de K7, des paroles naïves mais une putain de sincérité. Tente un petit « Is This Glen? » ou pourquoi pas « Homegrown » qui sont cool.

  8. Ah zut ! J’avais pas vu tous les coms ! Bon je ravale ma fierté alors, des vrais veillent au grain !

    Sinon, véridique, deux côtes en vrac après un live du « Incredible Rock Machine Tour » avec UMFM. Oui, un son qui empeste la Californie gentillette, sirupeuse au possible, mais avec un public qui ne rechigne pas à se foutre des pains dans la tronche. Des bons souvenirs avec les « pause dub » en concert histoire d’essorer ton t-shirt avant de balancer ton voisin le plus loin possible.

  9. Vous battez pas Joe et Quentin, c’est vrai que quand j’étais petit, on parlait de « hard core mélodique » pour cette scène. Cela dit, j’ai toujours trouvé ce terme un peu antinomique, un peu comme « guerre propre » ou « droite sociale »… 🙂 J’aurais probablement du dire « scène punk rock HC française » pour être vraiment précis mais vous savez ce que c’est on cause, on cause et on dit des conneries.
    Dont acte.

  10. Ah bah ! Complètement ! Je passe mes journées à barratiner moi aussi (dans un tout autre secteur, mais avec des cinglés des appellations aussi) et crois moi, j’en laisse passer des âneries.

    Mais bon, au fond du compte et bout du trou, l’important c’est que BH en live, ça déboîte sa race ! Merci en tout cas pour avoir fait partager votre avis sur la chose sur Gonzaï (je connaissais pas, mais j’aime vachement tout plein). Très beau parcours dans le son sans plier les genoux ! Ca fait rêver. Ca fait zizir! Bon courage pour Coop et pour tout le reste.

  11. Ahaha moi aussi je ne comprend pas le terme de « hardcore mélodique » à vrai dire. C’est du putain de punk rock voilà tout 🙂
    En tous cas ça fait plaisir de lire ces trois noms qui me sont fétiches (BH, SH, PB, démerdez vous avec ces acronymes)

  12. Pour ma part , j’ai été stagiaire de Mathieu il y a quelques années chez V2 Music / Coop. Tout ce que j’ai a dire c’est qu’il m’a pété une cote dans mes 15 premiers jours de stage !
    Mis a part ca, il ne m’aura pas fallut longtemps pour trouver un bon job dans la zik après qu’il m’ait pris sous son aile (bureau)
    longue vie a toi mat !

  13. Belle itw nom de Vernon ! Dans la même idée je me dis que rencontrer Christophe Moracin de Domino ça pourrait être instructif… Biz !

  14. Sérieusement, je vois lis l’interview d’un petit roitelet qui jouit de son pouvoir sur la presse musicale. Rien que la manière dont il parle des webzines en 1997 me laisse pantoise.

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