À une époque où un acteur devait se prénommer Alain s’il était beau même de loin, ou Jean-Paul s’il avait la gueule et les épaules de Bébel, lui était condamné à ne jouer que les seconds couteaux, voire encore moins si désaffinités. Dans les films que je matais à la télé, il revenait pourtant sans cesse. Jusqu’au jour où je profitais d’un générique pour incruster enfin son nom dans ma mémoire d’ado. Son nom? Marcel Bozzuffi.

Je me souviens m’être marré, mais vraiment, le rire d’ado bête et méchant. Cette gueule qui m’intriguait portait un nom, et il était ridicule. Dans les années 80 il y avait déjà quelque chose qui ne fonctionnait plus lorsqu’on avait tiré le mauvais prénom. Marcel en faisait partie et évoquait sarcastiquement en moi les Jackys et autres JJ44 qui promenaient leurs R12 customisées dans les baloches de tous les patelins de France, à la recherche de l’âme sœur qui comprendrait leur amour pour Claude François et le salami. Puis, derrière, il y avait ce curieux patronyme : Bozzuffi. Ça résonnait comme un mauvais trip mafieux, un bozo killer directement issu des barbouzes. Je riais, déçu, mais ce nom devait rester à jamais gravé dans ma mémoire.

Marcel Bozzuffi, dit Bozzu, acteur, réalisateur, scénariste et dialoguiste français, est né à Rennes le 28 octobre 1929 et mort d’une hémorragie cérébrale le 1er février 1988 à Paris. Alors que tous les autres investissent le Père Lachaise, on peut visiter sa tombe au cimetière du Montparnasse, ça participe déjà d’une certaine classe. Marié toute sa vie à l’actrice Françoise Fabian (re-classe), il la fait jouer dans L’Américain, seul film qu’il réalise, aux côtés de Jean-Louis Trintignant en 1969. Il produit aussi, l’année précédente, La vie, la mort et l’amour de Claude Lelouch. Sa carrière d’acteur ne sera ponctuée, en plus de 70 apparitions, que de troisièmes rôles – parfois prestigieux : tueur homosexuel dans l’incontournable Z de Costa-Gavras (1968) ou tueur psychotique dans le haletant French Connection de Friedkin (1971). Il incarne aussi, entre autres, le client au revolver dans Razzia sur la chnouf de Decoin en 1955 ; Angaropoulos dans Tintin et le Mystère de la Toison d’or de Vierne en 1961 ; Marque Mal dans Du rififi à Paname de Denys de la Patellière en 1966. Il est peut-être plus connu en Italie, où il tourne de nombreux films (Cadavres exquis de Rosi en 1975 ou Identificazione de una donna d’Antonioni en 1982). Pour ma part, je ne sais plus si c’est après avoir visionné  French Connection ou Le Gitan de Giovani (1975) que je me suis mis à chercher son nom dans le générique de fin. Je l’ai fait parce que son charisme et son talent d’acteur, de troisième rôle, avaient fini par me marquer au fil des soirées. J’ai maté, comme beaucoup de monde, la plupart des films où il apparaissait. Bozzu sortait régulièrement du fond de champs et crevait mon écran aux côtés de Gabin, Delon ou Hackman. Il mettait mes impressions de jeune cinéphile en relief à tel point que j’avais fini par être bizarrement convaincu qu’il n’y avait pas de bons films sans lui.

Quand j’évoque, de manière très hasardeuse et gauche, le nom de Marcel Bozzuffi, dit Bozzu, dans une soirée, personne ne percute. Tout le monde s’arrête de parler puis s’esclaffe à foison avant que je ne montre une photo ou un extrait de film. Mais les vrais amis finissent toujours par me remercier d’avoir permis à leur mémoire assassine de remettre un nom, aussi énorme soit-il, sur le visage d’un grand acteur qui finit alors par passer, l’espace d’une soirée, du troisième couteau à la fine lame.

3 commentaires

  1. marcel bozzuffi ,je ne l’ai jamais considéré comme un troisieme couteau et comme toi ‘le poulpe 🙂 des que je voyais son nom au générique d’un film j’ s’avais que j’allai l’aimer (le film).il était de ces acteurs qui faisait une carrière comme nous disions et pas comme certain acteur actuel 3 ou 4 années a l’écran et terminé retour télé pour télé filmes ou pubs quand ils sont chanceux .:o)

  2. A la façon d’Orson Welles qui n’apparait que 10 min dans le Troisième Homme et donne l’impression d’être à l’écran 1h30 durant, Bozzuffi crevait l’écran tel un (second) couteau à la lame en acier trempé, tranchante et brillante. Souvenez-vous de son rôle de parfaite crapule dans le Deuxième Souffle de Melville.
    En tout cas, moi, j’ai jamais oublié son blaze.
    Bien à vous.

  3. T’as raison, c’était un grand mec et qui commençait une jolie carriére personnelle qauand il nous a quitté.
    Il me manque aussi, comme Roland Blanche dans un autre genre. Bravo pour ton intervention.

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