Trois ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour qu’il accepte de parler. Non pas qu’il n’y ait rien à dire. Seulement, que voulez-vous : le fondateur de la première boutique rock à Paris (l’Open Market, en 72), patron du label Skydog et des premiers festival punk (le Mont-de-Marsan 76 et 77, les soirées du Palais des Glaces), Marc Zermati n’ouvre plus sa porte au premier venu.

Parrain du milieu pendant fort longtemps, désormais boussole cuivrée pour quelques rédacteurs en chef à la Manoeuvre, Marc Zermati n’est pas un homme facile. Le rencontrer, c’est se frotter au mythe, sentir le souffre, se faire engueuler au téléphone à des heures tardives parce qu’on n’a pas mis la virgule au bon endroit, qu’on s’est trompé maladroitement sur un article et que maintenant on doit supporter des insultes en majuscules pour rétablir la vérité. De longues minutes à écouter la voix chaude du pied noir punk se répandre dans le microphone à 120dB, still in business, à 65 ans. Comme toujours, côtoyer ses idoles c’est accepter d’en payer le prix: l’exigence, la justesse et la modestie. Trois valeurs que le contemporain a oublié d’accaparer. Mais ne vous inquiétez pas, Marc vous rappelle (sur votre portable) à l’ordre. Anytime, anyhow.

Disciple de Max Ernst, pionnier du punk en France, créateur du label SkyDog, frère de sang d’Yves Adrien, membre du Drugstore originel et éternel Mod (ce qu’il estime encore être, et ce jusqu’à la mort, NDR), Marc Zermati continue son combat rock. Dit comme cela, les mots peuvent sembler pompeux, depuis détournés par d’autres (”Etre rock en 2008 c’est …”). Exposé sur toiles, l’exposition rétro Rock is my life, donne  une idée assez précise de ce que représente le rock pour Zermati: un idéal, une notion de partage, la fidélité pour le sentiment. En dépit des modes. Zermati serait-il le parrain du business? La question, si elle mérite d’être posée, n’est pas essentielle. Etes-vous prêt à comprendre votre histoire, celle des soixante dernières années? Ready for the Rumble? Messieurs les rockeurs en short, merci de passer votre chemin.

Marc, l’exposition Rock is my life offerte aux parisiens à la fin de l’année 2007  (et plus récemment à Londres, bientôt au Japon) résume à elle seule votre histoire, ses anecdotes et le destin incroyable des gens que vous avez croisés. Votre histoire du rock est parsemée de story drôles et vraies… Pouvez-vous nous en énumérer quelques-unes?

Eh bien… quand on a fait les Clash à Mogador, on avait Futura qui faisait un Back drop des Clash. Pendant qu’ils jouaient, Futura dessinait ses trucs et tout ça… Au bout d’une semaine, le back drop est pratiquement couvert. Donc, on s’est dit qu’il fallait le plier, l’emballer et le garder pour le tourner. Mais il avait disparu, on n’a jamais su où il était passé, bien qu’on ait fait des propositions à des mecs, leur disant qu’on était prêts à payer, etc. Ce sont des trucs qui disparaissaient on sait pas où, mais ça fait partie de l’histoire du rock, ça rajoute à son histoire…

C’est aussi ce qui s’est passé sur le tournage d’Easy Rider, eux qui se sont fait piquer les deux motos du film…

Il y a plein de trucs comme ca. En Italie par exemple, on était en concert avec les Dogs. Tout d’un coup, boum: tout s’éteint pendant que les mecs jouent. Il n’y avait plus assez d’électricité. Le temps qu’on rallume tout, les pédales de Dominique des Dogs avait disparu. Pareil, même histoire, on n’avait rien vu venir!

C’était la spécialité des Sex Pistols de piquer du matériel sur scène, non?

Oui enfin, on raconte ça maintenant pour se rendre intéressant mais la réalité… Il n’y avait que Steve Jones, oui, qui était un voleur mais les autres… Steve était comme ça, d’ailleurs on a eu une histoire chez Caroline Coon avec John Savage. C’était le nouvel an, il y avait tout la scène londonienne, il y avait Johnny Thunders, les mecs des Damned et des Pistols… Il s’avère que le mec qui était avec moi, au moment où on part, on ne trouve plus son manteau: il avait disparu. Nous, déjà bien allumés, on menace: “personne sort tant qu’on n’a pas le manteau”. On sort les crans d’arrêt et on braque les mecs contre le mur. Johnny se marrait mais les Anglais pas du tout. Du coup, on saccage tout le salon, on envoie des trucs à travers la gueule des mecs, etc… On leur avait vraiment fait peur mais on ne s’en était pas rendu compte. Des années plus tard, je suis en tournée au Japon avec les Pistols et là Steve Jones me dit: “Tu sais le coup du manteau? C’était moi”. Dès le départ, je le savais… il y avait que lui qui pouvait faire ça. À l’époque c’était marrant le côté “Ouais les mecs de Skydog nous ont braqué”. C’est vrai qu’on était un peu comme ça, L’Open Market c’était ça: le mec qui demandait une connerie, il était viré à coups de pied au cul la plupart du temps. Ou alors parfois des gamins qui venaient nous voir pour nous demander d’écouter Genesis, on les tirait par l’oreille et on leur disait: “Tu vas t’asseoir là!” C’était assez fun parce que tout compte fait, on arrivait toujours à vendre les disques qu’on voulait ou la musique qu’on aimait. Souvent, le mec il rentrait, et ne savait pas quoi demander donc il savait très bien qu’on allait leur faire un truc, que ce soit Yves Adrien ou moi.
Ce qui m’amuse beaucoup, c’est à quel point les gosses de votre génération ou plus jeunes sont fascinés par ce qui s’est passé à l’époque… Quand je parle aux gamins, je me rends compte qu’ils ne peuvent pas avoir les mêmes trucs qu’on a vécu. J’estime que ma génération a eu une chance inouïe et que cette chance, il a fallu se battre pour l’obtenir, beaucoup plus que vous. Lorsque vous arrivez, tout est déjà fait pratiquement.. Tirer un coup dans les années 60, c’était un enfer absolu, ce n’était pas une évidence du tout. Moi j’arrivais d’Algérie et nous les Pieds Noirs, on était un peu plus allumés que les autres pour ces histoires de cul et c’est pour ça d’ailleurs qu’au Drugstore, ils nous on accepté très facilement: on draguait comme des dingues, on avait une petite avance là-dessus. Parallèlement à ça, si tu avais les cheveux longs, les flics t’embarquaient tout de suite, c’était même pas la peine de dire quoi que ce soit et tu prenais dans ta gueule. Je me suis fais tabasser plus d’une fois dans les commissariats, simplement parce que j’avais les cheveux longs.

Le contexte historique vous a peut-être “facilité” la vie non? Des événements tels que l’indépendance de l’Algérie en 1962, ce sont des choses très dures qui justement provoquent une réaction disons,  électrique…

De tout façon, nous, on avait tout perdu donc on n’a pas été accueilli en France comme des Français. Il a fallu faire ses preuves et se battre, prouver qu’on avait de l’énergie, ce qui était déjà en handicap en plus. Ce qui a été assez facile parce que quand je rencontre des fils des mecs qui étaient en Algérie, je suis assez étonné… évidemment. Lorsque tu perds ta terre natale, tu a une attitude différente, tu es vachement plus ouvert sur les choses, tu as envie de beaucoup plus de choses, de voyager par exemple, de connaître le monde. Pendant 7 ans, mon adolescence c’était la guerre, le risque de se prendre une bombe sur la gueule, le terrorisme absolu, donc le refuge réel, c’était la musique. C’est pour cela que lorsque les Pieds Noirs sont arrivés en France, la musique a changé, il y a eu beaucoup de groupes de Twist à la con, mais c’était des Pieds Noirs… Je m’en suis rendu compte après, même si en étant un fils de bourge, j’avais la chance de venir en France tous les ans. Mais quand tu arrives au lycée et que tu parles de Little Richard, Chuck Berry et que personne connaît, tu es un peu étonné ! C’est ce qu’on m’ont dit mes copains anglais de l’époque, ils étaient fascinés qu’en arrivant d’Afrique du Nord je connaisse le blues aussi bien qu’eux, il n’y a pas eu de problème de langage c’est pour ça que je dis que le rock reste un langage universel et qu’il est à la fois unificateur et à la fois le vecteur de la révolte… Pour moi, Mao Tsé-Toung n’a pas d’importance: je pense que le mur de Berlin à été abattu par le rock. Dans tous les pays de type fasciste ou intégriste aujourd’hui, les mecs qui font du rock sont encore pourchassés. Cette musique continue d’avoir du sens, donc.

Quel regard avez-vous sur la période du Drugstore, le revival qu’il y a eu, on a fait un film, un livre, des gens qui se revendiquent de là mais qui en faisaient même pas partie…

Ils n’étaient pas là, effectivement. Je vais te dire : ça nous a choqué, vraiment. Toute la bande du Drugstore m’a appelé en me disant: “Mais Marc, qu’est-ce que c’est que ce mec? De quoi il parle?”. Ce qui m’a choqué dans le film, c’est que la façon dont les gamins était habillés… Qui n’était pas du tout la façon dont nous étions habillés.

Il vous ont pas contacté justement pour vous demander des…

Non rien du tout. J’ai trouvé ça hilarant et un peu agaçant en même temps. Et puis merde! Tu fais un film sur une époque, tu dois respecter totalement l’époque. Même la musique du film ne correspond pas à la musique qu’on écoutait, donc ça veut dire quoi ce bordel?! C’est très difficile de voir qu’un type (François Armanet, NDR) qui n’ a rien a voir avec ça mais qui était fasciné par cette époque, et a voulu rendre hommage à cette bande là. Mais la vraie bande du Drugstore, c’était une bande très particulière, pas aussi simple que ce film ou ce livre. Cette bande est importante parce que de là sont sortis beaucoup de mecs qui on fait des choses intéressantes: Jean Bernard Hebbey, Benoit Jacquot, Ronnie Bird etc.

Et ils étaient tous d’accord avec vous pour dire que le rock devait être anglais et non pas français? Parce que vous parlez du twist, mais ce qu’a fait Ronnie Bird qui était dans la bande du Drugstore …

Mais Ronnie… Il n’y a pas que lui, tu peux pas te référer qu’à Ronald, il est en train de crever la dalle à New York, il a pas un rond et il est dans la merde… Voilà, c’est ça les Français : il n’y a aucun respect des créateurs, des mecs qui avaient quelque chose à dire. C’est le seul et je continue à l’affirmer, c’est le seul. Dutronc est mieux sorti, mais c’est le seul. Et lui aussi faisait partie de la bande du Drugstore. Tout compte fait, l’influence qu’on a eu sur le mouvement Mod’s anglais est importante parce que du jour au lendemain, d’une année à l’autre, tout à changé en Angleterre. Et les jeunes Anglais ont commencé à se saper. Au début, on était en costard machin à l’anglaise, trois pièces sur mesure, on était dans le grand feuilleton. Et Nick Lowe me disait: “mais putain, vous débouliez à Bornemouth, on était jaloux: toutes les gonzesses vous tombaient dans les bras”.

C’est Andrew Loog Oldham qui parle de cela dans son autobiographie: il explique toute l’influence que les films de la Nouvelle Vague ont eu sur lui. Les Cousins et Le Beau Serge de Chabrol, par exemple…

Oui, bien sûr. Et tu te rends bien compte qu’aujourd’hui, les films français influencent mes couilles. On parle de cinéma français évidemment, mais on s’arrête à Melville, après c’est terminé. Tout le monde est d’accord pour dire que le cinéma français n’existe que jusqu’à la fin des années 70.

On le voit très bien chez Melville, quand on revoit aujourd’hui Bob le flambeur par exemple: c’est tout le cinéma du Scorsese de Casino qui est en gestation…

Oui, si tu veux, enfin c’est un raccourci. Mais bon là encore, c’est cette époque magique qu’on a vécu, et vous en vivez la dégradation.  A l’époque j’avais 18 ou 19 ans, j’étais à Saint-Germain-des-Prés et je travaillais pour une galerie d’art qui s’appelait le Point Cardinal. Il y avait Henri Michaux, que j’ai eu la chance de connaître, Max Ernst, Miro… Et c’est vrai que quand tu as 20 ans, et que tu te trouves avec des mecs comme ça, tu es fasciné. Mes meilleures rencontres, c’est ça. Le rock c’est tout à fait autre chose: c’est à côté. Oui, j’étais content d’avoir fait le con avec Jimi Hendrix et des tas de mecs mais j’ai été assez fasciné, marqué par un type comme Max Ernst en particulier, qui m’avait pris d’amitié et qui m’avait invité chez lui…

Pourquoi ne pas avoir continué dans l’art et avoir bifurqué vers le milieu du rock?

L’Open Market, circa 1972

Parce que Max Ernst m’a dit un jour: “Mais tu n’as pas vu ce qui se passe à San Francisco?’. Et il m’a montré les premiers canards underground américains, puis m’a dit; “Tu sais toi t’es vraiment un fan de musique mais qu’est-ce que tu fais dans ce milieu? Tu vas être déçu! Toute ma vie, je n’ai été qu’un gigolo. Tout compte fait, j’ai vécu par les femmes, Peggy Guggenheim et compagnie. Ce n’est peut être pas une bonne direction pour toi.” Cela dit avec le recul, je peux dire la même chose de la musique… Je pense comme Andrew Loog Oldham à ce niveau-là. Pour moi aucun groupe n’existe sans un manager. C’est le manager le visionnaire, ce ne sont pas les trois ou quatre mecs qui ont des bonnes gueules devant.

Et vous diriez la même chose d’un mec comme McLaren?

Non… McLaren c’est tout à fait autre chose, j’ai pas de respect pour les gens qui viennent du milieu de la mode à part McLaren. Parce que lui est très intelligent. On était très copains bien avant le punk, dès 72-73 il venait me voir à l’Open Market. On était très amis à travers Castelbajac, qui était aussi un copain à moi de la bande du Drugstore. C’est comme ça que j’ai connu McLaren, lui c’était un fan de rockabilly… Le reste, ça ne l’intéressait pas. C’est là qu’on a commencé à parler de situationnisme, de choses comme ça. On est devenus super amis, bien avant les Pistols. Et je peux en raconter des histoires sur les Sex Pistols… Par exemple, le chanteur original c’est Nick Kent et pas Rotten. J’étais là moi, je peux témoigner… Je sais exactement comment s’est passée l’histoire, comment le nom des Sex Pistols a été choisi, je faisais partie des 4 mecs qui ont créé le Punk dans le monde… Il y avait deux noms, je me souviens très bien, on était dans l’appartement que Nick avait à Charing Cross, où sont arrivés Jeremy Reed, sa femme, Nick Kent, Mc Laren et moi. Nous quatre, on se dit “Bon, il faut qu’on fasse quelque chose contre cette establishment de la musique, le groupe est là mais il faut qu’on lui trouve un nom.” Et il y avait deux noms possibles, il y avait les Young Lord et les Sex Pistols. Les Young Lords, c’était un peu trop intellectuel. Donc on s’est dit les Sex Pistols, c’était plus « frappant »: c’est comme ça que ça s’est décidé. Et du jour au lendemain, Nick, qui était le chanteur ce soir-là des Pistols, n’était plus le chanteur trois jours après. Johnny Rotten, sans aucune décision prise par le groupe, avait pris le pouvoir. C’est pour ça qu’à un moment donné, Glenn Matlock a foutu le camp des Sex Pistols, quand Sid Vicious a foutu un coup de chaîne sur la gueule de Nick Kent qui méritait vraiment pas ça. Je suis allé voir Mc Laren et je lui ai dit : “Casse-toi pauvre con, c’est terminé pour toi”. Après, je me suis rendu compte que toutes ces histoires avaient beaucoup aidé Malcolm sur le plan médiatique. A l’époque, Mclaren ne représentait rien dans le rock. Mais rien du tout. John Savage le dit dans son livre « England Dreamings », la première fois qu’il entend le mot Punk, c’est à Paris il dit: Pareil pour Lester Bangs qui vient à l’Open Market et qui passe la soirée avec nous, et qui plus tard parlera des Punk, qu’il écrit « Puques », sur le coup.

Il vient en quelle année Lester Bangs?

Il vient en 74.

Il fait un papier sur les Variations, non?

Les Variations, c’étaient des copains à moi, des pieds noirs, Juste avant qu’ils partent aux Etats-Unis, je leur ai dit: “Ecoutez les mecs, il y a un gars aux Etats-Unis, il faut absolument aller le voir! Il est chez lui à écrire, il boit il est un peu lourd, il ne part jamais en tournée avec un groupe mais c’est un génie! Il a quelque chose. Donc, je veux que vous vous démerdiez à le prendre avec vous et que vous l’emmeniez en tournée.” C’est ce qui s’est passé. Lester a adoré le côté Pieds Noirs des Variations, il a même plus tard récupéré des expressions Pieds Noirs. C’était étonnant, plus tard il parle de Marc, tout le monde pense que c’est moi, mais non, c’est Marc Tobaly ! Après, Lester a accepté aussi d’aller avec les Clash et avec eux, il s’est éclaté de la même façon.

A ce moment-là en France, est-ce qu’il n’y a pas justement quelques groupes qui trouvent égard à vos yeux en terme de création musicale?

Aujourd’hui comme hier, le problème des Français c’est de rester trop dans le parisianisme. Moi, je n’ai jamais fait cela. Jamais! J’allais à Lyon et je voyais les groupes sur place. J’allais aussi à Montpelier, à Nice. Marie et les Garçons, c’est moi qui les ai trouvés, c’est moi qui leur ait donné leurs nom. Ou encore Electric Callas: c’était des gens qui avaient du talent, qui avaient quelque chose mais ils étaient en province…

Un peu plus tard, vous aviez co-signé avec Yves Adrien Le manifeste des panthères électriques, c’est ça?

Oui c’est ça.

C’était un coup de chapeau à John Sinclair, vous vous voyiez en Sinclair Français?

Non pas spécialement en John SInclair français, parce que moi je suis plus jeune que lui,  mais on défendait les mêmes choses. Je vais te dire pourquoi on a répondu avec ce manifeste: à l’époque, il y avait le front de libération du rock qui avait été inventé par les groupes français les plus minables de l’époque et qui était un front de libération tenu par des trostkards qui voulaient récupérer le rock en se disant: “Tiens le front de libération du rock ca va motiver les jeunes”. Et notre réponse ça a été: “Nous jamais on ne soutiendra Fille qui mousse ou tous les groupes de merde de l’époque” On était dans le rock donc pour nous la référence c’était quand même aussi Détroit, le M.C.5 et les Stooges. Donc on a fait le « Manifeste des Panthères électriques », effectivement en hommage à ces groupes de Détroit mais je pense qu’en France on a eu notre Détroit, personne ne l’avait compris mais c’était le Havre. Une ville extrêmement importante parce qu’il n’y avait pas d’intellectuels, à part Philippe Garnier. Il est parti aux States.

Oui d’ailleurs quand vous parlez des gens qui écrivent vous dites qu’Yves Adrien est le meilleur… mais Philippe Garnier est très important aussi non?

Oui il y a aussi Garnier, Dister, mais ces mecs là je ne les considère pas comme des Français, réellement. Ils foutent le camp parce qu’ils ne supportent pas la pression française, aussi bien Dister que Garnier, ils ne peuvent plus.

Et Garnier ne parle pas de la France du tout dans ses articles…

Il ne parle que du cinéma américain, bah, c’était notre culture. Il faut bien comprendre qu’a l’après-guerre…Je suis né dans le cinéma américain aussi, je veux dire en Algérie on avait que ça, donc les séries B les séries Z, j’ai tout vu, les films japonais, tous les films de monstres et les premiers films de rock on les voyait en Algérie quand vous ne les aviez pas encore vu ici. C’est très bizarre parce que ça faisait partie de la soi-disante propagande américaine, donc ils balançaient dans tous les pays ces films américains, on avait accès à tout cela.

Est-ce que cela n’est justement pas l’un des avantages du plan Marshall ?

Absolument. Mais ce plan Marshall qui a été décrié en France, on ne serait pas là si il n’y avait pas eu le Plan Marshall. Même si les Français s’étaient bien démerdés pendant la guerre pour faire leurs bas de laine, c’est pour ça que je pense que les Français ont un problème relationnel avec leur propre histoire. Il faut être clair, on ne peut pas avoir une vraie civilisation si on ne respecte pas les gens. Or en France on ne le respecte pas. La France c’est fini, ça deviendra un musée pour les Asiatiques et vous remettrez des bérêts basques.

Vous parliez de racisme, cela me fait penser à Larry Debay qui tient encore aujourd’hui une des meilleures boutiques de musique à Paris qui est Exodisc. C’est une boutique qui marche encore assez bien.  Les gens se bousculaient-ils pour entrer, à l’open Market …

Non c’est pas vrai ça, personne ne se bousculait à l’Open Market.

Bon c’est une mythologie alors…

Non mais tu sais dans l’ordre des mythologies, il y a des choses absolument fascinantes que je lis sur le truc. Le premier festival de Mont-de-Marsan par exemple, il y avait 600 personnes et sur les 600, il y avait 400 Espagnols et sur le reste il y avait plus de Français qui venaient de Londres que de Français tout compte fait. Le deuxième c’était pareil, il y avait des bus de Barcelone et je peux te jurer que le trois-quarts des gens venaient d’Espagne donc aujourd’hui quand on me dit “j’étais à Mont-de-Marsan, je me marre, je réponds même pas ou alors je dis: “Ha ouais génial”. Pareil pour l’Open Market, s’il y avait eu autant de monde à l’open Market, ça se serait su, c’était une boutique qui était déserte la plupart du temps, on écoutait du rock, on s’en foutait.

A votre avis quelle est la raison de cette mythologie autour de cette période?

Il faut bien se rattacher à quelque chose, il faut bien justifier ta façon d’être différent. Si tu es dans le rock tu veux être différent non? Donc si tu veux c’est normal de dire “j’ai ma culture, l’Open Market représente ma culture, le festival de Mont-de-Marsan représente ma culture, le Drugstore représente mon dandysme”. On a besoin de se raccrocher à quelque chose, mais que ce soit le mouvement punk en Angleterre ou à Paris, combien on était? Allez…200 en France. A Londres c’était guère mieux, il y avait le Bromley Contingent, après ça s’est étendu mais juste en Europe. Parce que les Américains ont mis 25 ans avant de comprendre qu’il y avait des punks. Pourtant c’est aux Etats)Unis où il y a les premiers groupes Punks, historiquement depuis les années 60 déjà, puis après les Ramones, après Johnny Thunders, après les New York Dolls.

Leur première venue en France avait vraiment été quelque chose d’important?

Rends-toi compte qu’à l’époque, en une semaine on fait l’Olympia et le Bataclan pour un groupe que personne ne connaissait, pourtant c’était plein partout. Mais moi je dois pas me plaindre quand j’organise des concerts, c’est toujours plein. Je fais Dr Feelgood au Bataclan c’est bourré à craquer. Les mecs m’ont suivi mais c’était une poignée, c’était pas aussi important qu’on l’a dit mais nous on faisait des trucs tout le temps où on perdait de l’argent tout le temps, on en avait rien à foutre. On faisait de façon à ce que justement… Enfin entretenir un mouvement, une idée, voir les groupes français, voir ce qui se passe, comment les aider. Il faut que tu saches qu’à l’époque les mecs qui n’étaient mis en avant c’était Gong, c’était eux qui tournaient! J’ai rien à dire, c’était mes amis et je suis pas du tout anti-hippie, ça c’est pas vrai du tout, parce que pour moi le mouvement hippie a été un mouvement extrêmement important. Les gens qui traitent les hippies de Babas sont des imbéciles absolus. Sans le mouvement hippie il n’y a pas de mouvement punk. D’ailleurs les théoriciens du mouvement punk, que ce soit Caroline Coon ou John Savage, ils viennent du mouvement hippie. Dans le mouvement hippie il y avait vraiment des radicaux, il faut bien comprendre que c’était un mouvement de lutte. C’est vraiment important, beaucoup plus que le mouvement punk.

Ils viennent tous des Beats comme Kerouac et Burroughs…

Oui! C’est la liaison, ça commence avec Dada à Zurich, Tristan Tzara et tous les autres. Le mouvement surréaliste en France et le mouvement beat vient du mouvement de va et vient des artistes européens vers les Etats Unis puisqu’ils étaient pourchassés par les Nazis. Des types comme Ginsberg c’était des mecs fabuleux, des personnages d’une intelligence remarquable et d’une culture extraordinaire. Et puis la découverte de la Beat génération en Europe se fait à travers les Mod’s, le mouvement moderniste en Angleterre qui amène la Beat Génération, je me souvient très bien que les Mod’s ont d’abord écouté Coltrane et puis Kerouac. Enfin quoi….On the road c’était devenu la bible de tout une génération de Mod’s. Donc si tu veux arrive la Beat génération en Europe, le mouvement mod’s amène L’Op Art. C’est pour ça qu’aujourd’hui j’affirme être encore un mod’s, un hippie Mod’s, un punk mod’s ou un situationniste mod’s, ce que tu voudras, je m’en fous. Je suis un mod’s et je resterai un Mod’s. Ca vient peut-être de mon côté pieds noirs, on est très latins et nous les Latins on aime les sapes on peut pas se laisser abattre. Enfin je veux dire c’est très difficile dans l’histoire du rock de voir pour moi des mecs avec des shorts et des tatouages, je peux pas, je suis désolé, je n’arrive pas mais si les groupes sont bons moi je me dis “merde c’est quoi ce bordel”… moi j’aime les groupes … Avec les Groovies je l’ai prouvé, je les ai entièrement transformé. Ca vient de moi et de personne d’autre, tout le monde pourra te le dire, j’ai voulu que les Groovies soient les Beatles et sur le plan de l’esthétisme, j’ai retrouvé le tailleur des Beatles, j’ai retrouvé le mec qui faisait les Boots sur mesure pour les Beatles, Annelo & david.

Justement par rapport à ça à cette copie des choses, est-ce que la stratégie de rupture vous l’avez aussi vu dans le manifeste des futuristes, qui est un vieux modèle dont parle Schuhl dans l’ouverture de Rose poussière? Est-ce quelque chose qui vous a marqué dans l’approche, est ce que le vrai truc punk ne commencerait pas là?

Oui…. J’ai d’autres projets d’exposition après Rock is my life, on décidera surement de se mettre des limites en partant de Dada et on s’arrêtera à la mort de Sid Vicious. Il faut bien démarrer quelque part, on aurait pu prendre pleins de mouvements, moi par exemple celui qui m’a fascine, et qui est peut être peu connu, c’est le grand jeux avec des mecs comme René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte.

Flamin Groovies & Zermati

Pour vous quand on “rentre en rock”, on devient un outlaw, un homme sans pays?

Oui c’est ça. On ne peut plus avoir de pays parce que le rock est universel…Dans les années 60, il y a un mec, Marshall McLuhan, qui écrit un livre: Pour comprendre dans les médias. Il raconte exactement ce qui se passe aujourd’hui, regarde par exemple qui à crée Internet? Ce sont des acid Freaks, des mecs qui avaient pris du L.S.D alors que l’armée américaine leur avait demandé. Quand ils ont vu qu’internet était un espace de liberté absolument incontrôlable, ils ont tout stoppé. Et aujourd’hui Internet est la réponse, peut être négative ou positive à ces deux visions ambivalentes. La nouvelle révolution c’est ça et ça rejoins ce que disais Mcluan dans les années soixante ” Le monde à l’état de village”. C’est génial, moi j’adore l’entrée dans le 21ème siècle… A condition que ce soit l’explosion totale de tout ce qu’a représenté le 20ème siècle. Je pense que l’on subira entre 20 et 30 années difficiles avant que les gens comprennent que nous sommes dans un siècle différent. Qu’est ce que vous allez faire? C’est à vous de savoir…Pas à moi.

Est ce que justement la solution à ce niveau là, c’est un théorie que j’ai qui est un peu super morbide mais bon…Est ce que la vraie solution pour le siècle en cours ce ne serait pas que les personnes qui ont construit l’histoire du 20ième siècle décède une bonne fois pour toute?

Je ne crois pas que ça soit si important, on est dans une autre phase. Un type comme Bob Dylan aujourd’hui est plus important qu’Iggy Pop; il le restera toujours parce que son cerveau n’est pas arrêté, Dylan continue à faire des disque des films il écrit des bouquins, il anime une radio qui est tout bonnement extraordinaire et pourtant c’est un mec de ma génération. Mon père, par exemple, était un homme très cultivé, très brillant, mais il comprenait rien à la musique que j’écoutais. C’était la césure entre un monde et un autre. Peut être que cela nous a donné un peu plus d’énergie en se disant qu’on luttait contre un monde trop vieux… maintenant les choses ont change, tu peux fumer un pétard avec ton père, tu peux écouter les Stooges avec ton père, tu peux même niquer avec ton père si tu trouve une gonzesse à niquer!!! Il faut bien comprendre ça: l’arrivée du rock c’était une déflagration de cette pulsion sexuelle, amenée par les Teenagers et les parents restaient les bras ballants sans trop comprendre.

On passe d’une génération où les gamins doivent se taire à table à une génération où les gamins gueulent dans des micros.

Oui, je comprends complètement ce que tu veux dire. C’est ça qui me révolte aujourd’hui et n’arrive pas à comprendre: comment une génération qui a la possibilité de tout avoir de manière instantanée possède-t-elle une paresse intellectuelle aussi flagrante…

Pourtant c’est très lié: quand on a tout, on ne veut rien…

Peut-être mais pas moi, nous on avait tout perdu… Quand Dylan disparaîtra, on arrivera bien au bout d’un processus et là…à vous de trouver la solution. Nous avons vécu le truc de façon passionnée dans une époque psychédélique. Tout le monde était raide défoncer a fond; les plus grand groupes c’était l’époque psychédélique.

Pour vous le psychédélisme est le mouvement le plus important ?

Oui, absolument. Je pense que le L.S.D et le mouvement psyché sont les choses les plus importantes de notre génération. C’est à partir de ce moment là que tout change, internet et plein d’autres choses qui se transforment.

Oui et puis en un sens… la fameuse phrase de Leary “Turn on/Turn In/Drop out” est assez punk.

Oui, c’est pour ça que je dis je fais aucune opposition, contrairement justement à beaucoup de médiocres qui n’ont rien compris, entre le Punk et les Hippies, il y a aucune opposition. Il n’y a que McLaren pour dire ça.

C’est marrant parce que Pacadis, sur le plateau d’Apostrophe, se positionne quand même complètement anti-Hippies, enfin peut être disait-il ça par pure provocation.

Pacadis… c’est le prototype même du Hippie! Je l’ai connu, il revenait d’Afghanistan… Il disait ça pour faire chier le monde oui. Pacadis c’était un hippie absolue, d’une intelligence remarquable d’une sensibilité remarquable mais qui été un Hippies. Et puis qu’est-ce tu crois qu’est Yves Adrien? Il est hippie! On a décidé d’être punks à un moment donné mais il prenait de l’acide tous les jours Yves. Son attitude, la façon dont il se sape, font de lui un hippie, il n’y a pas de punk chez Yves Adrien, ou alors le punk garage, c’est à dire les mecs à cheveux longs avec les boots.

Vous le rencontrez en quelle année, Yves Adrien?

Je sais même plus tiens… Enfin ça devait être très tôt vers 73, je suis allé le chercher là bas chez lui à Verneuil et lui ai proposé de venir bosser avec moi parce que on partageait le même truc. Et donc il vient bosser à l’Open Market. Quand McLaren débarque c’est pas du tout ça, lui c’est le contraire: il détesté les hippies, c’est le mec qui a jeté Iggy Pop de sa boutique parce qu’il l’a vu arriver avec les cheveux longs… C’est ça McLaren… mais en même temps je l’adore et je le respect pour ce qu’il est… Et puis c’est des vrais prolos…

Je reviens trente secondes sur la France, je suis un peu borné. Vous faites partie avec quelques personnes, il y a Dashiell, il y a…

Attends, j’ai besoin d’aller pisser…………………………………………………………………………………

En fait, ma question porte sur le fait que vous êtes un des rares français qui ait compris que ce n’était pas forcément dans la lumière qu’on pouvait faire le plus de choses.

C’est ce que je t’ai dit: j’ai un refus du parisianismes. Idem pour mon label, Skydog, qui est dans une phase finale parce que le problème c’est que je suis resté sur le territoire français. Avec le recul je me suis rendu compte que Skydog n’a jamais rien vendu en France. Grace à Dieu, Skydog est un Label international…Donc on arrête de distribuer en France. Ca fait quatre ans que j’y perds de l’argent. Comment Skydog peut continuer quand il perd plus de quinze mille euros tous les ans? Mais bon, Skydog devient un label légendaire: il y a un coffret qui va sortir en Angleterre, quatre cd et un livret où Jacques Riviera, Nick Lowe ou tout mes copains anglais vont venir raconter le truc. Pour moi l’avenir du monde c’est L’Asie du sud-est, j’aurais la trentaine aujourd’hui je foutrais le camp là bas sans hésiter. Skydog a été le premier label indépendant à sortir au Japon. L’Inde me fascine également, parce que c’est quand même un pays où 3OO millions de mecs parlent anglais alors qu’en Chine ils ne parlent pas un mot d’anglais… L’indien ils a mauvais gout mais bon… ça commence toujours comme ça, ca finit toujours par s’arranger!

Interview: Bester & Charles Von Strychnine
Réalisation vidéo: Laurence Wasser

http://www.skydog.fr/

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