Bien loin des super héros emballés sous Spandex, Vertigo, la filiale de DC Comics, nous offre une fois de plus un petit bijou : Luna Park. La création du journaliste Kevin Baker et de l’artiste Danijel Zezelje vient d’être traduite en français, après avoir cartonné chez nos amis les Ricains. Un roman graphique à déguster accompagné de Prozac.

Luna Park c’est l’histoire d’Alik, un Rambo soviétique sous Valium, coincé dans le fameux parc d’attractions de Coney Island. Je vous rassure, le scénario n’est pas signé Walt Disney : notre petit soldat à la dérive, camé jusqu’au bout des synapses, a installé son bureau de recouvrement (pas à l’amiable) entre le stand de tir et le manège désenchanté du parc en jachère. En guise de Mickey Mouse Club, Alik fréquente une bande de joyeux mafieux ruskofs qui tirent plus vite que les tontons flingueurs et foutent la Minnie du coin sur le trottoir. Bref, un monde pas très enfantin servi par un graphisme léché, teinté de noir et de rouge sang. Seule touche d’espoir dans cet univers aussi accueillant que les steppes sibériennes, le lien masochiste qui unit Alik à la belle et mystérieuse Marina.

À l’Ouest, rien de nouveau ?

Immigrés des pays de l’Est, pègre new-yorkaise, montagnes russes…Un univers que les lecteurs de Kevin Baker connaissent bien, et pour cause : Dreamland, son roman le plus célèbre (paru en 1999), adoptait pour cadre le Luna Park flambant neuf du début XXe siècle. New York était déjà une terre promise bien trop idéalisée par les exclus de l’ancien continent. Les persifleurs diront que l’écrivain, après avoir dilapidé ses droits d’auteur dans du mauvais bourbon et des putes propres comme des éponges à MST, n’a fait qu’ajouter des images à son livre, l’a remis au goût du jour pour se retaper une tournée sur le dos des illettrés. Après tout ce ne serait pas le premier, Stephen King lui-même s’y est essayé (avec succès) en confiant l’adaptation de son œuvre monumentale, La Tour sombre, à Marvel Comics.
Mais faisons taire tout de suite les mauvaise langues, Luna Park n’est pas un simple hold-up commercial. En premier lieu parce qu’il est illustré par l’artiste Danijel Zezelje, un des grands noms (imprononçables) du 9e art. Cette œuvre lui a d’ailleurs valu d’être nominé dans la catégorie meilleur artiste de roman graphique aux Eisner Awards en 2010 (décernés lors du prestigieux Comic-con de San-Diego). Nous sommes donc bien loin du cartoon à deux sous. Pour ce qui est du scénario, Kevin Baker nous présente un Luna Park totalement différent de celui de Dreamland. Le lieu n’est plus la vitrine clinquante du rêve américain, mais bien l’illustration parfaite de son échec. Quant au personnage principal, Alik, il est la preuve que littérature et bande dessinée peuvent faire bon ménage. Il réalise en effet le lien entre la prose de haut vol et le monde des bulles en réinterprétant le syndrome du « loup des steppes ».

Meet me down at Luna, Lena, down at Luna Park…

[NdlR : la thèse vaseuse qui suit est purement subjective et n’est basée sur aucune étude digne de ce nom : le pseudo-journaliste conçoit donc que l’on puisse le qualifier ouvertement de fumiste.]

Le parallèle avec l’œuvre majeure d’Herman Hesse, parue en 1927 sous le titre de Der Steppenwolf (oui, cela a bien évidemment inspiré le groupe canadien connu pour Born to be wild), peut sembler saugrenu. Cependant, le lecteur éclairé fera vite le rapprochement entre Alik et  Harry Haller, le héros du roman de Hesse. Car précisément, ce qui caractérise cet homme qui traverse le monde tel un vieux loup affamé et solitaire, c’est d’être, tout comme Alik, hanté par les démons du passé et de ne parvenir à la délivrance (aux conséquences fatales) qu’à travers l’amour et la folie.

Luna Park, véritable héros éponyme du roman graphique, n’est pas non plus sans rappeler le Théâtre Magique où prennent vie toutes les illusions du loup, ici : le rêve d’un monde meilleur chez l’Oncle Sam, la sensation d’un éternel recommencement de l’histoire, et les délires causés par la passion amoureuse. 85 ans après, Kevin Baker aurait-il voulu rendre hommage à un ancien prix Nobel de littérature (1946) trop peu connu aujourd’hui ?
Quoiqu’il en soit, si je ne doute pas que les adeptes des jolies planches se jetteront sur cette œuvre, j’encourage fortement les amoureux des beaux mots à découvrir cette littérature mise en images.

Kevin Baker- Danijel Zezelje // Luna Park // Vertigo (2 Novembre 2011)

 

 

 

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