S’il avait du qualifier la musique de Louis Lingg & the Bombs, un journaliste de Télérama aurait sûrement trouvé moyen de faire le lien en parlant d'explosion de joie et de colère en concluant que « c'était de la bombe ». Pour en arriver là, encore aurait-il fallu il aurait fallu qu'il accepte de retapisser sa chemise avec une demie pinte de bière (la tradition du groupe) et qu'il daigne se déplacer au lieu dudit concert, ce qui n'est évidemment pas gagné. Il aurait tout aussi bien pu commencer par lire cette interview.

Au départ, Louis Lingg était un anarchiste allemand arrêté et condamné à mort pour l’exemple : il fut accusé d’avoir inspiré un attentat à la bombe durant un rassemblement ouvrier en octobre 1886. Ses idéaux politiques et son goût pour les explosifs jouèrent certainement en sa défaveur, mais à la différence de ses six autres camarades, lui réussit à se suicider la veille de son exécution avec une bombe artisanale placée dans sa bouche.

Louis Lingg & the Bombs, le groupe, c’est dix ans d’aventures dans la scène punk parisienne, avec une place à part. Totalement premier degré, sans nostalgie muséificatrice ni bien-pensance balai dans le cul irritante, et avec un grand écart entre Cascada et Atari Teenage Riot, Blink 182 et Fugazi, le groupe est mené depuis une décennie par Joshua Hudes, gallois hyperactif professionnel en production et songwriting. Le son de Louis Lingg & the Bombs, tiraillé entre rage punk hardcore et gros riffs metal, a été de plus en plus assailli par les autres membres du groupe, chacun amenant sa touche hip hop, dubstep, k-pop, noise, jungle, folk. (On se calme, décrochez pas tout de suite)

Le prochain album, ‘’Favela Ninja’’, est un pas de plus dans cet enrichissement, que certains aux chaises trop étroites appelleraient une dilution. J’ai donc voulu comprendre ce qui se passait dans le cerveau de Juliette (chant), Clémentine (claviers), Josh (guitare et chant) Axel (basse), Grégoire (batterie) et Arno (guitare), après leur répétition hebdomadaire, et fut accueilli par une (lâchons-nous) explosion d’enthousiasme.

Votre nouvel album ‘’Favela Ninja’’ va sortir. Comment ça se passe en général, d’ailleurs pour enregistrer ?

Grégoire : A chaque fois on enregistre un peu avant la répète, et ça s’est fait progressivement sur six mois, en accumulant le matériel, les instruments…

Josh : Mais on n’a pas toujours fait comme ça. On a enregistré Bring it On’, en un week-end dans un home studio. Celui-là, d’ailleurs est bloqué, mais devrait sortir un jour chez Crash Disques. Alors que l’album sorti avant, ‘’Alphabet of a Revolution’’, était méga progressif, on l’avait fait dans la cave à vin de mes voisins parce qu’on avait pas encore de studio.

Je sais que c’est toujours la question la plus chiante, mais pour les lecteurs qui ne connaissent pas ce que vous faites, des fois ça peut aider qu’on parle un peu de votre parcours, de vos influences généralement… Tu peux commencer Josh, dans les grandes lignes ?

Josh : Au commencement de mon travail comme parolier, je me suis beaucoup inspiré des techniques de Lou Reed et de David Bowie, qui touchent à l’inconscient. Lou Reed a été un écrivain professionnel pour Tin Pan Alley, et travaillait pour les hit factories, avait une vraie formation… Musicalement, dans les années 90, j’étais dans la drone music, Terry Riley, John Cale, Aphex Twin. Après il y a eu les scènes rave, et hardcore gabba, noisecore, Atari Teenage Riot qui avait un très bon son, et en parallèle Dookie de Green Day, qui était fabuleux… Par ailleurs, je me suis aussi beaucoup inspiré d’écrivains anarchistes comme Emma Goldman,

Arno : Moi j’ai commencé avec Nirvana, Iron Maiden, Metallica, et puis je suis tombé à la Fnac sur un vendeur qui était ouf de hardcore mélodique, de Epitaph, et ça a été la grosse claque avec NOFX. Et je me suis mis à écouter tout ce qui était puk à roulettes californien, Epitaph, Burning Heart Records, Millencolin… Et je me suis un peu plus ouvert ensuite, j’écoute toujours du hardcore du type Biohazard, Madball, des trucs un peu vener, et Minor Threat, la grande claque Fugazi, Lungfish, Dischord, et en vieillissant maintenant ça va vers l’électro, le jazz, le classique… j’essaie de diversifier parce qu’au final j’aime bien la musique en général ! Et quand on est ado, on est un peu coincé dan sun truc, et finalement y a plein d’influences partout et c’est trop bien. Et c’est ça que j’aime dans Louis Lingg, c’est qu’on écoute tous un peu de tout et ça brasse vraument large.

Axel : Alors moi j’écoute plein de merdes… j’adore Avril Lavigne, Green Day et c’est ça qui a collé avec Josh au début !

Josh : Je viens d’Angleterre, et pour tous les Anglais c’est super important de regarder tout le top 40 à la télé, même pour ceux qui écoutent du punk. Y a pas ce schisme entre ceux qui écoutent du rock et ceux qui écoutent de la pop, et c’est très important dans la musique française de réunir des membres qui sont parfois éloignés.

Et plus spécifiquement, dans les textes de  »Favela Ninja » ?

Je me suis beaucoup inspiré de Bob Black qui écrit contre le travail, pour Grindstone. Dans des chansons encore plus ouvertement politiques comme Occupy Everything, je m’inspire directement d’écrits que je trouvais superbes d’Occupy Wall Street, ou des écrits du Sous-Commandant Marcos et des zapatistes. Pour What The Fuck, j’ai dû aller dans des choses plus abstraites et profondes, j’y parle de la réalité du vieillissement, du fait qu’on vit tous dans une prison. Pour Happy Day, c’est plus apocalyptique, aussi très romantique, parce que l’un touche à l’autre pour moi. Une chanson d’amour en même temps, influencée par Stewie Wonder. Old Age Sickness and Death, c’est inspiré par des pagan anglais qui parlent du sexe comme le moyen le plus pur de toucher à la spiritualité : il n’y a pas de paradis, quand tu meurs, tu meurs et c’est une idée très libératrice, je trouve.

Juliette : Pour Rave and Steal, j’ai pas toute la culture de Josh, je parlais d’expériences personnelles amoureuses de l’époque.

Josh, tu fais quand même très attention dans les textes aux détails, aux ambiances. Les scènes d’émeute, les sentiments, y a un côté descriptif et immersif… C’est précis et en même temps dans les détails et y a une ambiance générale…

Josh : Une chanson pop, c’est de l’opéra condensé en trois minutes. Il faut que l’auditeur y croie pour de vrai, et les petits détails donnent un « sense of place », un « sense of time », un goût de réel…. Par exemple, dans Grindstone je parle aussi de gens que j’ai vu dans les bus en train de se casser la gueule pour aller au boulot pour gagner un salaire de merde. Je n’aurais pas écrit ces chansons si je ne voulais pas convaincre les gens, mais le but est surtout de montrer la complexité de la société et de la vie, loin des slogans et du mec qui va te dire « C’est pas bien de voter Front National » !

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On a beaucoup fantasmé sur la « révolution numérique », les Indignés, OWS, dont tu parles dans Occupy Everything et dans Twitter Riot, est-ce que tu penses que tous ces mouvements sont toujours d’actualité ?

Josh : C’est encore actuel avec Nuit Debout. Je trouve que les émeutes coordonnées par Twitter sont très intéressantes. Evidemment dans ma chanson je critique un peu, mais au fond si je fais une chanson dessus c’est que je trouve un peu l’idée romantique et géniale, même s’il faut critiquer parce qu’Internet, c’est pas la solution, mais le problème. Mais ça peut être fun, inspirant et plein d’espérance… Et Occupy Wall Street, je trouve tout ça encore très actuel, quand tu vois qu’en Mai 2016, les flics vont chez les anciens d’Occupy Paris pour les empêcher d’aller aux manifs de Nuit Debout ! C’est très positif, parce que s’ils les empêchent même de sortir de chez eux, c’est qu’ils ont fait des bonnes choses!

Je voudrais m’attarder encore sur Old Age, Sickness and Death. Elle surprend vraiment, cette chanson, est-ce que vous vouliez vraiment faire une ballade dès le départ ?

Josh : Nan, c’était juste parce que je prenais un ukulélé parce que je voulais vraiment sentir ce que c’était d’être avec une femme, de lui faire l’amour, d’être « on the point of making love ». Et évidemment le message pagan dans cette histoire, sur le fait que la mortalité est une bonne chose, qu’il ne faut pas y résister… On a tous 30 à 40 ans dans le groupe, on commence à visiter plein d’enterrements, des potes commencent à disparaître…

«Ce n’est pas ma révolution si je ne peux pas danser »

J’en arrive à une question assez ouverte, sur l’espèce de dichotomie que je trouve dans Louis Lingg & the Bombs, entre le côté pop assumé, fun, attachant, parfois débile, et l’engagement politique fort, les prises de position radicales, anarchistes, etc. Comment vous analysez ces deux aspects ?

Clem : Je sais pas, pour moi c’est pas spécialement contradictoire, le fait que ce soit soit pop, mélodique et tout, et politisé.

La tarte à la crème dans ces thèses-là c’est Theodor Adorno qui vomissait sur la musique populaire de son époque, trouvait lénifiante ce côté « production de masse », contre le peuple et la révolution… On l’utilise pour tout et n’importe quoi.

Clem : Alors, même si la pop, est quelque part un produit de l’entertainment, on peut s’amuser et avoir des idées ne même temps, on est pas obligés de faire un truc chiant pour faire passer un message qu’on aime bien!

Josh : Aux débuts des Louis Lingg, j’étais très inspiré par Emma Goldman (que je trouve plus profonde qu’Adorno), et cette phrase notamment «Ce n’est pas ma révolution si je ne peux pas danser » ce à quoi je pourrais ajouter que ce ne peut pas être ma révolution si je ne peux pas rigoler. Je trouve que beaucoup de gens dans la scène anarchiste sont comme Emma Goldman, plein de joie, de bonheur, de rires, et c’est ça que je veux dans la musique, dans la vie, et dans les révolutions.

Clem : Le problème aussi en France, c’est qu’on a des idées trop arrêtées sur la musique engagée, politisée. Tout de suite on a Zebda : ok politiquement on est d’accord, mais c’est pas recherché, on dirait la fête de la musique en 1995. Il faut que ça soit hyper démonstratif, avec la voix en avant, que ce soit dans certains styles donnés, avec le côté chanson réaliste… En Angleterre et aux Etats-Unis t’as pas ce problème-là, tu regardes les Riot Grrrls, d’ailleurs c’est beaucoup plus féministe qu’en France !

Josh : Y a un mot qui colle, c’est «classisme ». Dans les lieux intellectuels militants, les gens sont classistes, tout de suite quand tu joues trois accords un peu pop c’est immédiatement une sorte de produit ! Ce qui n’est absolument pas le cas, car ce sont les mêmes accords dans la folk music, qui est ancré dans les classes populaires!

Greg : Une anecdote : le premier concert que je faisais avec Louis Lingg. On jouait à Lille dans un squatt anarchiste, un lieu vraiment cool. C’était un super concert, mais quand même, les mecs se disaient anarchistes engagés, mais allaient lire les paroles des groupes pour voir si c’était assez engagé ou pas ! Alors que dans certaines paroles de Josh, c’est assez riche ; ça peut parler de la fin du monde et d’une histoire d’amour à la fois. On est quand même là pour jouer, déjà on fait des concerts de soutien dans des lieux comme ça, alors qu’on nous laisse faire la musique qu’on veut !

Juliette : Moi dans ce groupe ce que j’aime c’est cette contradiction (contrairement à ce que mes collègues disent depuis tout à l’heure, je pense que c’en est une !). Je pense que dans le groupe on est tous assez émus par tout ce qui se passe dans le monde, mais personnellement je préfère en rire.

Axel : Cette dichotomie, elle existait déjà dans les Ramones, ils étaient assez engagés, (Certains étaient aussi de droite), mais en même temps c’était fun. C’est dans la base du punk rock, tout ça.

Arno : Et puis on a pas pour but de coller à l’étiquette « punk », c’est quoi le punk ?

https://louislinggandthebombs.bandcamp.com

 

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