Christine Ott est une joueuse d’ondes Martenot. Elle est française, a joué avec des artistes aussi reconnus que Venus, Radiohead ou Yann Tiersen. A l’occasion d’une escale à Paris, mais avant de reprendre la route avec les Tindersticks, elle nous explique la crise du métier d’ondiste et comment elle s’est détournée du droit chemin, de Messiaen vers Amélie Poulain.

Eté 1998, mon beau père pousse une cassette dans le lecteur de sa 206 pourrie. Ca doit être un dimanche après-midi d’avant la rentrée des classes, le pire jour de l’année pour une gamine de 8 ans. Les colchiques sont dans les prés, Yann Tiersen est encore un petit multi-instrumentiste bizarre qui joue dans des Fnacs. Je souhaite que le chemin entre mes vacances en Bretagne et la rue de mon village s’étire à l’infini. Heureusement pour moi, j’entends pour la première fois ‘’La Valse des monstres’’ et, grâce à cet album complètement bizarre et intime, je fais mes premiers pas dans le champ de la musique minimaliste. Trois ans plus tard, L’ouragan Amélie est passé et grâce à lui je peux voir Yann Tiersen jouer à la Foire aux vins de Colmar. A ses côtés, une espèce de fée produit des sons bizarres avec un piano qui n’en est pas vraiment un. C’est Christine Ott, qui interprète avec ses Ondes Martenot La Valse des Monstres, devenue Valse d’Amélie.

Les années passent, j’oublie ce concert, le premier de mon existence. Je recrache péniblement les Comptines d’un autre été au Clavinova avant de trouver une vie meilleure dans le journalisme underground. Vingt ans plus tard et enfin réconciliée avec mon passé de mélomane grâce à Philipp Glass et Charlemagne Palestine, je décide de rencontrer cette drôle de dame et son instrument surréaliste. Je l’imagine elfe et sorcière à la fois, l’écoute d’un extrait de son tout dernier album en préparation indique le contraire puisque Ott fricote désormais avec les nouveaux venus de l’électro. Christine Ott est une musicienne complètement en phase avec son époque J’ai à peine le temps de remanier mes questions, je me heurte à une dure réalité : adieu mes espoirs de revivre mes plates années 1990.

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A la base j’étais partie pour faire un portrait de vous avec votre instrument….Ah ah ah c’est mal parti. Bon première question du débutant. C’est quoi un Onde Martenot en fait ? Petit cours magistral par une spécialiste ?

Une Onde Martenot… Historiquement c’est un des premiers instruments électroniques. Il est apparu au niveau des années 1930. Ce qui est intéressant c’est qu’il permet de faire de la sculpture sonore : il est doté d’une sensibilité et d’une sensorialité, qui va de sons terrestres, telluriques à des sons aériens. Il y a vraiment des couleurs sonores autant industrielles qu’aériennes, des voix elfiques. J’aime ce chant, il est sans limites. C’est un instrument qui me permet, dans mon parcours, d’être autant présente à l’Opéra que du rock – avec des gens comme Oiseaux-Tempêtes que j’adore et que vous avez interviewé aussi – et dans des choses plus expérimentales, qui donnent une liberté à ma musicalité et qui ne se coince pas dans un univers en particulier.

Comment avez-vous découvert cet instrument, une musique ? Ou est-ce que vous avez rencontré quelqu’un…

J’ai rencontré quelqu’un : Françoise Cochet, mon premier professeur. Et en même temps qu’elle, j’ai rencontré une partition. Son-relief de Jean-Marc Morin, un compositeur de musique contemporaine et ami commun. Régulièrement il nous écrit des partitions à Françoise et à moi. Il connaît très bien l’instrument. Et donc, Son-relief, j’ai d’abord été attirée par le titre, et ensuite par la partition…

Sculpturale ?

Oui. De toute façon je pense que c’est vraiment un instrument d’espace. Et il avait compris ça. C’est un instrument qui doit s’adapter à l’espace. Au niveau de la résonance, de plein de choses, il faut vraiment s’adapter.

Parce que l’espace modifie le son ?

Complètement.

Vous avez dit dans une autre interview que votre instrument était artisanal, singulier, est-ce que ça se joue différemment d’un instrument à l’autre ? Comme pour les très vieux instruments, est-ce qu’on peut dire qu’il a un caractère bien a lui ?

Ça ne se joue pas différemment… Par contre, c’est un instrument qui, au fil des années, est appelé à disparaître. Sa confection est artisanale, son existence aussi et c’est ce qui fait aussi que, pendant 20 ans, il y a eu une disparition de l’onde Martenot. C’est un instrument très français. Tous les gens qui le jouent ont appris ici, même s’il y a deux autres foyers très importants, au Japon et à Montréal.

Médaillée d’or au Conservatoire, vous êtes virtuose dans votre domaine. Pourtant vous avez fréquenté le monde de la chanson disons plus populaire, en travaillant avec Dominique A ou les Têtes raide, et vous avez été propulsée sur des plateaux télé. Est-ce que vous vous êtes sentie atypique ?

Humm…

Atypique au sens, parcours pas typique…

Je pense que ce n’est pas du tout un profil atypique : le quatuor qui est parti en tournée avec Yann Tiersen est issu du classique de Conservatoire. Je pense que c’est de plus en plus habituel d’ailleurs d’avoir des gens de formation classique. Je vois ça depuis 10 ans, 15 ans.

Comme Yann Tiersen vous avez donc trouvé un terrain plus fertile en-dehors de l’Opéra et du classique.

C’est un choix J’aurais très bien pu décider de faire une carrière classique, de faire 350 petites liturgies de Messiaen, de jouer et rejouer les mêmes oeuvres. Il y a des collègues à moi qui en sont à leur 300ième pièce de Messiaen, puisque c’est essentiellement lui qui est joué. J’ai simplement une curiosité, des goûts musicaux qui m’ont fait aller vers Yann Tiersen, vers Radiohead… Je ne pourrais pas faire les mêmes choses tous les jours. J’ai aussi besoin de me mettre en difficulté. Par exemple, la chanson française c’est peut-être la chose la plus éloignée de moi, mais ça m’a beaucoup intéressée d’y aller vers là parce ce que c’est un terrain inconnu.

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Un exemple de mise en danger particulièrement périlleuse ?

Quand on se retrouve avec une proposition pour Venus, le groupe vous appelle une ou deux heures avant. « On est sur la route Christounette tu viens jouer avec nous ? »… On fait une balance et deux heures après on est sur scène. Il faut agir dans l’urgence. Je fais ça uniquement avec des gens que j’adore profondément, les Syd Matters, Oiseaux-Tempête, Foudre!, des familles quoi…

Vous avez une longue expérience en matière de collaborations artistiques, c’est même un aspect saillant de votre parcours… Si vous pouviez revenir dessus, est-ce qu’il y a eu une rencontre vraiment déterminante ?

La tournée avec Yann Tiersen a été décisive, puisqu’elle m’a permis de rencontrer des musiciens avec qui j’ai aimé travailler. Par exemple, Marc Sens à la guitare électrique. Et puis le fait de voyager aussi, d’être sur la route. Quand on fait 120 concerts par an c’est quelque chose d’assez incroyable. Ça forge le métier, parce qu’on apprend à être un pro jusqu’au bout des doigts. Pour moi c’était important d’être égale dans tous les concerts. Je suis très attachée aux artistes précités, mais on peut également parler de Mondkopf – une super rencontre – ou Vincent Hänni de Young Gods… Et c’est souvent fort musicalement et personnellement.

Pour en revenir à vos influences, il semble que vous soyez proche de la musique minimaliste américaine.

Tout à fait. Philip Glass, Steve Reich, Riley… Sur ce point Yann (Tiersen) et moi on se retrouve, on aime les mêmes musiques. Il y a également la musique française du 20ième : Debussy, Satie, etc.

Quand j’écoute vos morceaux, j’ai l’impression de quelque chose de très céleste, notamment dans le premier album solo ‘’Solitude Nomade’’. Est-ce que c’est dû à l’instrument en lui-même ou est-ce que c’est dû à la façon d’en jouer ?

Tout mon travail avec Mondkopf [à travers le projet Foudre!, NDR], Oiseaux-Tempête et même mon prochain album se démarque justement de ça…

Dans une interview vous aviez parlé de votre envie d’aller vers quelque chose de plus trivial.

Trivial ? J’ai dit ça ? J’ai dû dire tribal….

Tribal… Comme en attestent vos lives avec Radiohead ?

Oui, et pas qu’avec eux. Même sur mes dernières tournées avec Yann, ça envoyait, c’était beaucoup plus expérimental électronique, noise quoi.

C’est vrai que Messiaen ça fait un peu musique d’extraterrestre, c’est kitsch.

Il ne faudrait pas dire ça à des ondistes puristes, parce qu’ils vont vous allumer. Pour eux c’est un dieu. Pour moi non.

Disons que c’est devenu très désuet.

Je n’emploierais pas ce mot. Quand on prend par exemple la musique baroque, on ne peut pas dire que ce soit désuet, parce que c’est lié à une certaine époque, à un certain milieu aussi. Après, c’est vrai qu’à la fin du 19ième siècle, la musique classique a explosé. Le dodécaphonisme s’est imposé parce qu’on étouffait dans l’écriture classique. Les choses changent, évoluent, le langage de la musique aussi. C’est aussi ce que je fais avec mon instrument, ce qui m’est reproché par certaines personnes. J’utilise parfois un ampli de guitare électrique, avec des effets. Je crois que c’est important de ne pas rester figé, surtout quand on est musicien. Mais en fait, je n’ai pas envie de faire de comparaisons. Il y a Messiaen d’un côté, Yann Tiersen et Radiohead de l’autre ; les deux étant fans du premier – surtout Jonny Greenwood pour qui Messiaen est un Dieu.

A propos de ça, on sent des façons de travailler différentes, avec Yann Tiersen où vous semblez plutôt apparaître comme une ‘’voix’’, ou avec le Chapelier Fou, où vous entrez plus directement dans la composition même du morceau… Comment travaillez-vous avec les autres ?

Tout dépend de ce qu’on me demande en fait, et des gens avec qui je travaille. Je peux participer ou non à la composition. Avec Yann c’était le cas, même s’il pouvait y avoir une demande précise de sa part. On peut aussi me donner une ligne, Jean-Philippe Goude par exemple, avec qui j’ai enregistré, ou Cascadeur. Ça dépend surtout du style de la composition qu’on me propose. Et puis il y a tous ceux me demandent d’être libre, de proposer quelque chose de noise pour « casser ». Je propose, la personne accepte ou refuse.

Question technique, est-il possible de faire quelque chose de très rythmique et précis de ce point de vue là avec les ondes ?

Oui, on peut être rythmique. Pas comme avec un piano, car il n’y a pas de marteaux qui viennent frapper sur les cordes, mais une touche d’expression. (Une touche avec résistance, qui donne le volume et l’intensité du son – un peu comme l’archet pour le violoncelle). Comme avec un orgue, on a un petit temps de latence, il n’y a pas une attaque franche. Le son est donc moins immédiat. même si tu peux faire le percuté (le fait de taper staccato sur la touche d’expression). On utilise souvent la résonance, ce qui peut donner l’impression d’un flou. C’est pour ça que le son est moins précis, plus diffus. Mais on peut l’enlever complètement et, du coup, être totalement rythmique, même si c’est moins percussif qu’une batterie, c’est sûr.

C’est pour ça aussi que je parlais du côté ‘’décalé’’, dans un ensemble même rock, la tendance générale est plutôt au percussif…

C’est tout à fait possible de faire un morceau de pop avec pour ligne de base une Onde Martenot. Seulement ça n’a jamais été fait. Moi souvent je tourne autour, je suis liée aux arrangements. Voilà, ce qui est dommage est que j’arrive souvent après que tout ait déjà été composé. Finalement, je m’occupe de la dernière touche, même si ça dépend des gens, de leur intérêt pour l’instrument, de la place qu’ils vont lui donner… Mais finalement ce serait une question à poser aux gens avec qui j’ai collaboré : pourquoi ont-ils voulu des ondes ? En même temps, quand j’ai quitté la tournée de Yann Tiersen à cause d’un problème de santé, je reçevais des messages qui me disaient : « mais pourquoi vous êtes plus là ? Il manque une couleur dans les concerts de Yann Tiersen…. »

Vous êtes une présence.

Oui.

http://www.christineott.fr/
Actuellement en tournée avec les Tindersticks

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