Si le descriptif promotionnel du nouvel album de Lescop, « Echo », avait été confié à une agence de communication, certainement aurait-elle utilisé des adjectifs comme « segmentant » ou « anxiogène » pour décrire ce produit impossible à vendre. Et pour cause, c’est un disque qui divise les élites et les consommateurs. Mais n’est-ce pas, finalement, ce qu’on attend d’un artiste ?

Regardez-le, cet ancien rockeur sur la pochette. L’œil est blanc, le teint pâle ; pour peu on l’engagerait pour une campagne de santé publique pour lutter contre la malnutrition ou le manque de vitamine D. On avait certes dit « pas le physique », mais il est difficile d’aborder le cas Lescop sans se pencher trente secondes sur le packaging, ainsi que sur la volonté du produit de ne pas en être un. Imaginez un aspirateur se déballant lui-même du carton pour aspirer les filettes du rayon électroménager et vous tiendrez un parfait remake de film de John Carpenter avec un « chanteur français bipolaire » dans le rôle du héros principal.

Et donc, « Echo ». Mais écho de quoi ? Echo à cette nouvelle scène pop française où l’on a voulu ranger à tort Lescop, 38 ans, plus vraiment l’âge de jouer à touche-pipi avec les compromis ; écho aux sonorités d’un album lent à maturer (4 ans sont passés depuis « Lescop ») et dans lequel on peut plonger sans avoir à se boucher le nez. Au contraire, même. Mathieu Peudupin, ancien fou d’Asyl, poursuit sa route sinueuse sans se soucier de la condescendance du petit milieu qui tantôt lui reproche son grand écart (être signé en indie chez Pop Noire ET chez Polydor en licence) tantôt sa volonté d’être le chainon manquant entre Etienne Daho et Joy Division (qu’on entend clairement sur le titre Echo). A l’image de La Féline ou Mustang – dont il est proche – Lescop se situe aujourd’hui dans un triangle des Bermudas pas très bien identifié où les termes « niche » et « grand public » se battent en duel. Son positionnement marketing n’est pas clair ? Lui s’en amuse. D’autres ont bien essayé de plaire à tout prix à l’approche de la quarantaine avec des disques goguenards qui puent la génuflexion et le cynisme, certains ont préféré se couper les ailes plutôt que de risquer le crash ; Lescop, lui, a bien retenu la leçon du Cardinal de Retz : on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment. Et tant pis si, finalement, Lescop ne sera jamais le Ian Curtis de Châteauroux, pas plus qu’il ne deviendra le Biolay du 11ième arrondissement. Et tant mieux même.

Après ce brief destiné à passer au karcher toutes les réticences de façade, et parce qu’un Lescop vaut au moins mille Perez, il est l’heure de passer à un audit interne avec le principal intéressé.

Pour commencer, bravo au producteur du disque, il est incroyablement bien produit, avec de la profondeur et de l’amplitude dans le mix, et c’est assez rare pour le noter.

Merci. Je retournerai le compliment à Johnny Hostile [moitié du duo John & Jehn, l’autre moitié ayant Camille Berthomier ayant fondé depuis Savages]

Eh bien tu peux. Après le papier où je chiais dans ses bottes en cuir, ça fera plaisir à Savages !

Ah merde, d’accord !

Bon, la production de « Echo », c’était important pour toi ?

Oui évidemment. C’est l’inverse qui serait étonnant. Le son, c’est la première chose à laquelle un auditeur est confronté.

Ca peut sembler être une question conne mais il se trouve que des artistes qui accordent de l’importance à la production se font rares alors que le support audio (MP3, streaming, Youtube) tend à tout compresser. « Ecouter un disque », c’est presque phrase étrange pour les gamins de 15-20 ans.

Oui et non. Même sur Youtube, tu peux entendre si un disque sonne ou pas, et même si le rendu sonore n’est pas aussi bon que sur une chaine Macintosh (sic). L’esthétique générale du son s’entend quoiqu’il arrive. Mais c’est effectivement un paramètre qu’on a intégré pendant l’enregistrement ; il fallait que les chansons ne soient pas réservées aux initiés et que ça puisse sonner partout, autant sur une platine vinyle que sur un téléphone.

On en arrive à la première vraie question et là, autant te le dire, soit je passe pour un mec vraiment intelligent et cultivé, soit pour un mec avec des références à la con et qui n’a pas bien écouté ton disque. Rassure moi, le premier titre, David Palmer, c’est bien une grosse référence au premier album de Baxter Dury, « Floor Show » ?

Oui tout à fait [ouf, NDR]. C’est l’une des références qu’on s’était donné en débutant l’enregistrement ; que les chansons aient un côté low-fi, et que ce soit poli, au sens artisanal, passé et repassé pour donner du grain.

Vous avez ce point commun, si tu me permets, d’être des « chanteurs pas à voix », d’où l’importance de la production. Pour résumer, vous ne chantez pas comme Florent Pagny et quelque part, Dieu merci.

Oui, totalement. C’est une manière de mettre la voix en avant même si nous ne sommes pas des chanteurs lyriques. Je n’ai pas une technique de chant, je ne vocalise pas dans tous les sens ; ma proposition est plus dans la manière de révéler les images qu’il y a dans les textes, et Baxter fait un peu la même chose, il me semble.

En préparant cette interview, je me suis laisser aller à lire celles que tu avais déjà donné pour Le journal des femmes [oui, ça existe, NDR] où forcément, fatalement presque, dès la deuxième question la journaliste te demande : « Qui est vraiment ce David Palmer ? ». David Palmer étant, pour nos lecteurs, le double que tu as crée pour cet album. Et du coup, question : ce David Palmer est-il un hommage à Bowie qui s’est longtemps crée des doubles et des multiples, ou était-ce une manière d’occuper le terrain dans les médias avec une histoire servie sur un plateau aux journalistes un peu fainéants ?

Ah non, j’avais pas pensé à ça, aha ! Il y a plutôt un côté « Thin White Duke » chez ce David Palmer, dans la chanson c’est aussi un personnage tourmenté à la Pierre Clementi, à la fois décalé, venimeux presque.

« En tant qu’artiste, ce n’est jamais intéressant d’être totalement honnête. »

Okay, mais ce mec un peu blanc, un peu palot limite, tourmenté… c’est toi en fait ? Pas besoin d’un double, non ?

Il peut avoir ma gueule, mais ce n’est pas moi ; disons, ce n’est pas complètement moi. Que tu sois acteur ou musicien, tu ne te livres jamais complètement. En tant qu’artiste, ce n’est jamais intéressant d’être totalement honnête ; il faut tricher un peu, mentir, parvenir à twister sa réalité.

Ce qui finalement, résume bien l’œuvre de Bowie.

Oui, il faut arriver à brouiller les pistes. Et quelque part, si le mensonge vient de toi, c’est qu’il est déjà un peu vrai.

Sans transition, quelle est ta position vis à vis des labels ?

Je suis toujours signé chez Pop Noir, et en licence chez Polydor.

De quelle marge de liberté disposes-tu pour t’exprimer ? Jusqu’à quel point es-tu libre des choix artistiques, de la musique à la pochette ?

Aucune pression. Je travaille avec la même équipe qu’à l’époque de « Lescop » (2012).

En mettant l’économie de côté, qu’as-tu foutu pendant quatre ans ?

Pour commencer, j’ai beaucoup tourné. J’ai co-écrit un scenario de film, j’ai écrit pour d’autres gens et finalement, je suis parti dans un trip d’écriture pour moi-même. J’avais une quinzaine de morceaux qu’il m’était difficile de mettre en forme, et j’ai donc décidé de repartir from scratch ; tous les jours je m’installais en terrasse pour écrire, un peu comme si j’allais bosser.

Ce fut longtemps la technique de Nick Cave, qui racontait comment il avait décidé de prendre un bureau en Australie où tous les jours, il se rendait comme n’importe quel salarié.

Oui, je sais. J’ai justement décidé de faire la même chose après avoir lu une interview où il racontait cela. L’idée, c’était de partir tous les jours au travail et de rentrer chez moi, le soir. Comme j’ai pas de bureau, je travaillais dans les cafés.

Et ça a marché ?

Ouais. C’est comme ça qu’est né « Echo ». On est entré ensuite en studio, avec pour objectif de composer un morceau par jour à partir du texte que j’avais écrit. Ca a duré dix jours ; j’avais le squelette des compositions.

573303744_1280x720

Je relisais récemment une interview de Philippe Garnier qui confiait que rien n’était possible sans la contrainte. Il parlait de cela pour le journalisme à l’ancienne, en opposition à la critique musicale sur Internet, mais je suppose que la création dans la douleur, ça doit être quelque chose qui te parle.

Oui, complètement. La contrainte est inspirante. S’obliger à créer permet de faire naitre des choses, par obligation. Il y a justement une interview de Bowie datant des années 70 où il expliquait que la discipline ce n’est pas forcément se lever tous les matins à 8H et se coucher tôt, c’est plutôt trouver un objectif et trouver le chemin le plus court pour y arriver, en s’y astreignant. C’est que j’ai tenté de faire.

« La chanson française ce n’est plus celle d’hier, ce n’est plus Souchon ni Bashung, c’est des gens comme moi. »

Dans ta bio, il est écrit que tu fais « de la chanson française bipolaire ». Elle est de toi cette phrase ? Et décrit-elle bien ta démarche ?

Je ne sais plus d’où elle vient, mais ça résume bien mon objectif. La chanson française pour moi, ce n’est plus celle d’hier, ce n’est plus Souchon ni Bashung, c’est des gens comme moi. Quant à la bipolarité, c’est parce qu’on a grandi avec la musique anglo-saxonne, plein d’autres trucs, du rock, du rap, de l’électro, et que notre génération n’est pas dans un manifeste esthétique balisé comme c’était le cas avant.

On pourrait presque plus parler de chanson ambiguë.

Ambivalente oui, bilingue.

Et donc, la chanson française bipolaire, c’est aussi une manière de te démarquer complètement de cette « nouvelle scène pop française » dans laquelle on a tenté de te mettre à tes débuts. [Et dont il ne reste absolument rien, NDR]

Il est légitime que les compilations de ce genre tentent de regrouper des groupes ; mais nous [les groupes] écrivons comme nous avons envie d’écrire, tant mieux si les grandes radios veulent jouer nos titres, mais à la base mes chansons ne sont pas formatées pour ça.

Te souviens-tu du moment où tu as décidé de ne pas rentrer complètement dans ce système ?

Moi je préfère que le système me ressemble plutôt que de ressembler au système, et de la même manière je préfère que les gens viennent à moi plutôt que l’inverse. Quand j’essaie de faire ça, en général ça marche pas donc…

La pochette est à ce titre un bon exemple : pas sûr qu’avec cette tête blafarde à la Bowie tu te retrouves accroché en poster dans la chambre d’une gamine de seize ans. On ne peut pas dire que tu sois l’archétype du chanteur bronzé à la One Direction.

Oui mais bon de toute manière ça m’irait pas, ah ah !

Je me souviens d’un papier pas très malin de feu Dum Dum où l’auteur faisait un bilan des ventes de disque des chanteurs pop français, et où tu étais cité dans les fours commerciaux du moment avec « seulement » 5000 ventes. Ton premier disque, « Lescop », tu en es complètement content toi ?

Je suis très content de ce premier album. Et je ne sais pas où le journaliste en question avait été cherché ses chiffres, mais on en a quand même vendu 30.000.

Mais c’est énorme !

Clairement, c’est pas la honte non. Et quand bien même j’en aurais vendu 5000, ç’aurait pas été la mort. Je n’ai pas besoin de… j’ai évidemment envie que mes disques se vendent, mais je ne suis pas près à faire n’importe quoi pour ça. Comme on dit, on a le public qu’on mérite.

Pas de discours « écho-nomique » donc.

Non, effectivement. Encore qu’on soit obligé d’y réfléchir, sans quoi on devient ménestrel puis on part chanter dans les montagnes pour les étoiles. Mais tout ça se fait naturellement ; j’aime bien écouter la radio, faire des clips, il n’y a pas de contraintes à ce niveau. Il faut s’amuser de tout ça, c’est comme Instagram, les réseaux sociaux… c’est amusant de faire des chansons, c’est amusant de faire des petits tubes ; il faut vivre le coté ludique de la pop.

Tu as aujourd’hui 38 ans. Penses-tu que tu aurais pu dire la même chose il y a dix ans ?

Ca n’aurait certainement pas été formulé de la même manière. Il y a toujours eu une partie de moi qui voulait plaire [au public] et l’autre pas. Et le jour où ce paradoxe ne m’amusera plus, j’arrêterai.

Lescop // Echo // Pop Noire (Polydor)
https://www.facebook.com/lescoplescop/

5 commentaires

  1. Bonjour.
    Floor Show, c’est le second album de Baxter Dury.
    Le seul de ses disques qui vaille d’être écouté/adoré est son premier, « Len Parrot’s Memorial Lift », merci de le noter (et de l’écouter, et de l’adorer).

  2. planté en oct dans le$uce de la rance sur une scene pas saine, peu credible, les mecs de + de 4O Verges mais les couillons ont aimés, et reviendront et en font de la pub .

Répondre à lecumulard Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages