« This never happened » est un disque incroyable. Et vous l’aurez peut-être oublié dans 3 mois.

C’est intéressant ce que la nostalgie musicale dit des choses de l’époque, sociologiquement parlant. Demain, George Michael et Bowie chanteront en duo par hologrammes interposés grâce à la résurrection digitale ; ça ne choquera plus personne. Pire même, les spectateurs en redemanderont, paieront cher pour cela puis, à l’image de leurs idoles bientôt immortelles, se projetteront eux-mêmes dans des concerts où plus rien n’existera réellement. Chacun disposera d’avatars, tous danseront digitalement les uns avec et sur les autres en se grimant de filtres perfectionnant l’imperfection du réel, et l’on comprendra alors que La possibilité d’une île de Houellebecq avait, entre autres choses, prophétisé le clubbing du 2030.

C’est après cette toute modeste réflexion personnelle que j’en suis arrivé à la conclusion qu’outre son dernier album poussif taillé pour les quadras en mal de jeunesse, LCD Soundystem s’était également trompé de conjugaison, en 2010, sur l’également dispensable « This is happening ». Non, James: pour reprendre l’une des citations les plus célèbres de Lost, « ce qui est arrivé est arrivé » (« What happened happened », en anglais dans le texte). Vouloir reproduire le passé, même croire que le temps pourrait se modifier comme une simple mesure, vous transforme toujours en con du futur.

Si l’on se parle de LCD Soundystem pour évoquer le cas Yan Wagner, c’est précisément parce que « This never happened » est l’album que le groupe de James aurait du publier s’il n’avait pas déversé trois tonnes de formol sur le dancefloor. Partant du principe que ce deuxième album est, de l’aveu de Wagner, « un recueil d’histoires qui ne sont jamais arrivées », l’héritier d’Etienne Daho – c’est l’idée qu’on s’en faisait jusque là – s’amuse ici avec ses propres souvenirs, les malaxe, jusqu’à les faire mentir et le résultat se situe à cheval sur plusieurs dimensions. C’est non seulement jouissif, dansant et intelligent, complexe et simple en même temps ; mature dirait-on s’il ne s’agissait pas de musique électronique, et que l’objectif principal n’était pas d’arriver à se glisser dans quelque part entre D.A.F., Arnaud Rebotini et Depeche Mode dans le flight case des DJ.

Les Walkyries de Wagner, donc. Pas très classiques pour le coup. C’est même l’une des grandes surprises de ce disque qui n’existe pas. Arrivé à l’âge canonique de 34 ans – vieux selon les anciens codes – Yan Wagner semble livrer un achèvement, pas une destination finale ; une bande-son revisitant les décennies électroniques une à une, et où le seul gros tube de la rentrée (No Love) permettrait à Lee Hazlewood de devenir un crooner digital sur 24-pistes, où SlamDunk Cha-Cha (ce nom putain) sauverait à elle seule toute la décennie 2000, et où le monumental A river of blood ressortirait du placard un tapis de violons synthétiques tel un mashup entre Blade Runner et Les feux de l’amour. Dix titres en dur donc, plus si électroniques que ça, qui ramènent directement au travail de l’un de ces compères, La Mverte, avec une touche d’héroïsme mélodique en plus. La disparition, la mélancolie, la pilule dans le verre pour oublier que le Nightcall de Kavinsky a souillé le rêve multicolore des années 80, tout est là, dans le désordre, superbement mixé par Jean-Louis Piérot (Bashung, Daho), pour s’affranchir – dixit – de la techno et ouvrir les portes d’un monde plus grand, moins réel. Moins focus sur le chronomètre, surtout.

« Au départ, je voulais appeler le disque « History of things that never happened » » confie celui qui vint à la musique à l’âge de 14 ans après un concert des Chemical Brothers au Bataclan. Vingt ans plus tard, il livre son meilleur essai à ce jour. Un disque amnésique où Brian Eno redevient presque chanteur (A place nearby), où même Sinatra est repris avec grâce (It was a very good year) et où l’on dispose même d’une formidable piste d’introduction instrumentale pour ce bal à cristaux liquides. Une réussite totale et parfaite, dont on sort comme du brouillard, sans trop savoir. Peut-être que rien de tout cela n’a jamais existé. N’en parlons plus.

Yan Wagner // This never happened // Her Majesty’s Ship / PIAS
http://soundcloud.com/yanwagnersyrup

En concert à l’Aeronef (Lille) le 29 septembre Boule Noire le 10 octobre.

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