Lors de mon premier passage à Tokyo, j’ai mangé des sushis, photographié la foule traversant le passage piéton de Shibuya et j’ai ri des voix haut-perchées que prennent certaines Japonaises dans le but de paraître kawaii. Mais je suis passée à côté des love hotels (rabu hoteru en V.O.). A défaut, — et j’aurais dû comprendre à ce moment-là que mon couple bâtait de l’aile —, j’ai passé la nuit dans un cyber café.

Pour être honnête, je pensais que la fréquentation de ce type d’établissements se limitait aux couples illégitimes, aux prostituées et aux époux fatigués pour qui la moindre sortie de route représente un moyen de sauver les meubles. Et si ces trois hypothèses justifient l’existence des 20.000 à 30.000 présents sur le territoire japonais, je pensais pouvoir me dispenser de l’expérience (comme je me suis dispensée jusque-là de l’expérience Maid Café où une serveuse-soubrette me chanterait une comptine pour que ma boisson ait meilleur goût).

Mais maintenant je le sais, c’était bête de ma part.

Quel que soit le domaine concerné, le Japon a tendance à donner dans l’extrême. Il est difficile dans ces conditions de ne pas prêter aux fantasmes et aux interrogations. De ce que j’ai pu entrapercevoir depuis mon arrivée trois mois plus tôt, il semble que l’exigence d’excellence et de conformisme qui pèse sur la population tend à faire que dans l’intimité — et plus rarement à l’échelle individuelle dans la sphère publique —, les individus adoptent des comportements… déroutants. Et il y a beaucoup à dire sur l’industrie du sexe nippone. Les love hotels représentent sans doute la partie la plus institutionnalisée de cette industrie. La case devrait être l’une des premières à être cochée sur la liste de choses à faire de n’importe quel touriste, qu’il ait été initialement attiré au Pays du Soleil Levant par son amour des mangas, des haïkus ou des serveuses qui vous accueillent d’un « Bienvenue à la maison, maître ! » suraigu.

Pour mon retour à Tokyo, j’avais donc l’intention de combler mes lacunes. Le problème est que je suis revenue seule. Il me faut donc trouver un +1 sur place, si possible du sexe opposé car ce genre d’établissements peut parfois refuser l’accès à ses chambres aux couples de même sexe. Qui plus est, être gaijin n’est pas non plus un facilitateur, la possibilité de communiquer en Anglais sur place étant loin d’être garantie mais il faut savoir prendre des risques.

Mon choix se porte sur A., peut-être parce que la première fois que j’ai l’ai vu, je me suis exclamée : « Waaah, on dirait Mark Owen des Take That ! » [Première et dernière fois que le nom de ce groupe est mentionné sur Gonzaï]. Lancer une recherche Google Images Mark Owen pourrait vous rendre mon récit vraiment vivant si, à la lumière des jours qui ont suivi, je n’avais pas réalisé que A. ne ressemble pas à Mark Owen. Mais que A. aime beaucoup la grammaire et corrige sans cesse mon anglais ; les voies des phéromones sont impénétrables.

SAM_0241Pas trop difficile à convaincre, mon nouvel ami et moi prenons rendez-vous pour aller nous balader sur la colline des love hotels située dans le quartier de Shibuya. Les love hotels, c’est un peu comme les distributeurs automatiques ou les konbinis, il y en a partout. La ville en compterait plusieurs milliers. Mais comme chacun d’entre eux est supposé avoir un univers propre, autant opter pour celui qui correspond le mieux à son humeur : univers carcéral, château de princesse ou esprit de Noël, il faut choisir… tout en gardant à l’esprit que les chambres originales sont souvent prises d’assaut et sont pour la plupart hors budget (Il faudra compter un peu plus de 90€ pour quelques heures de repos sur la fausse terrasse de la kitchissime chambre 704 de l’hôtel Emperor dans le quartier de Meguro). Pas de regret : la chambre Hello Kitty SM vue dans tous les sujets consacrés aux love hotels était située dans un hôtel qui est maintenant fermé.

Nous voilà donc à Shibuya. Première déception : la fameuse colline est bien moins amusante à visiter que ce que je m’imaginais. Je pensais me retrouver au Disneyland du stupre mais je retrouve à arpenter les rues de ce qui ressemble à un village européen. Ces villages un peu morts mais pas tout à fait, un peu tristes aussi. Où sont les néons multicolores ? Les bâtiments baroques et futuristes ? Les couples goguenards ?
Mis à part une ou deux exceptions, les bâtiments sont pour la plupart bas, gris et vieillots. Pas dénué d’un certain charme mais pas vraiment ce que j’attentais. Nous sommes en semaine, il est 15h, une heure que je croyais idéale pour croiser sinon des nippons illégitimes du moins des touristes lestés de leur sac à dos. Personne.

Pour la plupart, les love hotels ne sont pas vraiment extravagants. Nous entrons dans quelques-uns pour nous faire une idée de l’offre. Les chambres y sont souvent sans grand intérêt. Et même si les noms des établissements peuvent paraître exotiques : Casa Nova, Sulata, Carribean, la mise en scène est souvent inexistante, même si un certain kitsch utilisé sans discernement est presque toujours de mise.

Les love hotel sont donc souvent… des hôtels.

A défaut d’un coup de cœur et après avoir réalisé que ça ne serait pas forcément dans le plus impressionnant que nous trouverons le meilleur rapport/qualité prix — et parce que nous n’avons pas non plus prévu de passer le reste de l’après-midi à arpenter le quartier —, nous jetons notre dévolu sur le Ten-Un. Sa devanture est verte, un peu laide et il n’a pas de thématique particulière. A ce moment du récit, la thématique de notre de chambre a fini par devenir… accessoire. Nous choisissons donc presque au hasard parmi celles présentées comme disponibles sur le panneau lumineux à l’entrée.

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Située au sous-sol, toute de velours et de fioritures, elle semble plus petite que sur la photo, ce qui n’est pas sans me donner la sensation de pénétrer dans un cercueil. La porte métallique se referme sur nous. Une borne de paiement féminine se met à nous parler. Son ton est enjoué mais ferme et le fait que son discours tourne en boucle pendant que nous tentons de comprendre ce qui se passe rend le moment quelque peu angoissant. Elle nous demande de la payer. Les choses pourraient être simples mais il y a beaucoup de touches correspondant à des signes que nous ne comprenons pas. Cerise sur le gâteau, nous réalisons que nous n’avons pas assez d’espèces et que nos cartes de paiement ne passent pas.

SAM_0241La porte est verrouillée. Nous sommes à l’intérieur du cercueil avec une centrale de paiement qui récite avec énergie des choses que nous ne comprenons pas. Je ris mais j’imagine que si j’avais bu, je pourrais aussi bien pleurer. A. finit par appeler la réception et, de son japonais balbutiant, explique que nous sommes enfermés sans pouvoir régler la chambre. Visiblement agacée, la personne à l’accueil vient nous libérer. Piteux, nous revenons sur nos pas pour retirer les 4500 yens (soit à peine 32 euros) demandés pour occuper la chambre entre 14h et 20h.

De retour dans le cercueil moelleux après avoir adressé un sourire désolé à la guichetière et être parvenus à faire taire la centrale de paiement, nous pouvons enfin explorer les lieux : un lit, une banquette, une bouilloire, du thé, une salle de bain et ses toilettes, brosses à dents, brosses à cheveux… bref, le contenu d’une chambre d’hôtel. Seuls les deux préservatifs déposés dans un panier en osier près du lit laissent à penser que la destination ultime du lieu n’est pas le repos (éternel). Mais s’il est supposé garantir un certain anonymat, l’endroit n’est pas exceptionnellement bien insonorisé.

Les quatre heures qui ont suivi nous appartiennent. Elles n’ont d’ailleurs fait que confirmer l’hypothèse selon laquelle la thématique du lieu n’a qu’une influence limitée sur ce qui se passe entre ses murs. Par contre, prémices à un moment léger, les déambulations à la recherche de l’hôtel et de LA chambre — souvent sans intérêt autre que celui de pouvoir en salir les draps — sont un excellent aphrodisiaque. Il suffit qu’elle soit juste un peu plus kitsch que le lit conjugal. Et, faites confiance aux Japonais, elle le sera. Parce que maintenant, et comme rarement, vous êtes in the mood for love.
Et parce que les perversions sexuelles nippones ne connaissent pas de limite, les plus débridés commanderont des chips, des nouilles instantanées et regarderont un porno avec mosaïque de censure.

Le blog nippon d’Ismène : http://pourquoitokyo.blogspot.jp/

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