Face A, Richard Francès est tantôt musicien (Acid Fountain, Pointe du Lac), tantôt producteur (pour Adrien Soleiman, notamment). Face B, c’est l’un des patrons de label les plus discrets du grand Paris, et accessoirement l’un des rares à écrire la musique sur K7. Rembobinons maintenant l’histoire de Hylé Tapes en moins de 180 minutes.

12998454_10153576192991732_6023700447494362340_nC’est bien simple : on dirait Don Quichotte. Le look pileux tout d’abord, hérité d’un passé à Barcelone, où Richard Frances a grandi jusqu’à l’adolescence. Mais pas que. Si ses moulins à vent se tournent avec un crayon gris, c’est que cet activiste de ce qu’on appelait jadis le do it yourself a aussi su conserver le souvenir des auberges espagnoles, et qu’on retrouve aujourd’hui sur cette espèce de discographie bordélique qui lui sert de curriculum vitae branlant.

Le vrai job de cet inemployable qu’est Richard Frances, n’a pas vraiment de nom. On ne saurait par quel bout prendre l’histoire tant la fin touche le début et vice versa ; disons donc que cette aventure ressemble à un tiercé dans le désordre et que vous avez forcément déjà croisé le natif d’Alicante quelque part, que ce soit dans son projet solo (Acid Fountain), avec son autre projet avec Adrien Kanter, JUJU, avec Pointe du Lac, derrière Adrien Soleiman (il a co-produit « Brille ») ou plus silencieusement derrière son duplicateur à K7 pour promouvoir ce qui s’apparente à de la résistance à 200 copies pressées sur Hylé Tapes, sa lubie à double-face.

Inutile d’insérer une grosse flèche clignotante : la rentabilité de tous ces projets n’est vraiment pas le but ni le moteur du label. Ce qui touche, notamment, dans le catalogue Hylé Tapes, ce sont ces visuels oscillant entre l’abstrait, le contemplatif et les gribouillages d’école maternelle. Dire cela, ce n’est pas gratuit. À l’heure du tout packaging, les artistes de ce roster qui n’a rien d’autre à vendre que du beau temps perdu se démarque par une naïveté primaire et un goût pour l’altération du support qui fait évidemment écho aux travaux de William Basinski sur son « The Disintegration Loops » (2002). Puisque rien n’est éternel, pas plus les artistes que les compact-discs à durée de vie limitée, autant s’en donner à cœur joie sur les petits plaisirs du quotidien. Ce que font avec un désintéressement déconcertant tous ces musiciens réunis pour l’amour de la musique ambient et progressive, et qui fonctionne par vagues successives sur la tronche d’un auditeur lassé du trop-vite : il y a le magma du norvégien Anders Brørby, l’électronique de junkie pour parkings désaffectés de Jefferson Aircrash, Head Dress et ses systèmes modulaires qui ne sont pas sans évoquer le formidable album de Paki & Visnadi réédité chez Antinote, ou encore le bien connu Julien Lheuillier, « le Klaus Schulze de Créteil », repéré ici avec Pointe du Lac. En bref le rayon bizarreries bricolées, chez Hylé Tapes, est plus grand que chez Ikea.

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Tout cela est évidemment mille fois plus intéressant qu’un énième disque de Brian Eno, ne serait-ce que pour la fraicheur et la proximité de musiciens pas encore arrivés au climax de leurs carrières. D’ailleurs, en ont-ils une, de carrière ? En bon artisan, Richard Frances semble s’en cogner complet ; le propos est artistique, pas commercial. À ce jour, 35 K7 – toutes disponibles en format digital, itou – ont vu le jour ; et leur écoute suffit à comprendre que nous ne sommes pas ici en présence d’un hiptsouille ayant pris le courant du magnétique en route pour faire le malin avec ses trois pauvres copies vendues 20 balles.

Alors oui, certes, difficile de croire au « retour de la K7 » tel qu’on l’entend claironné au loin par trois marioles. Mais pour tout comprendre aux rêves pastels de ce salarié à temps plein de chez Demerdetoi.com, ne reste plus qu’à appuyer sur PLAY en lisant l’interview qui suit.

Comment a commencé l’aventure Hylé Tapes ?

Hylé Tapes est né de mon mécontentement concernant le fonctionnement de la fameuse « Industrie du disque » et des labels, et même de certains labels indépendants. J’en avais marre d’attendre des mois, voire des années, pour sortir des disques : « ce n’est pas le bon moment », « il faut décaler car il y a telle sortie en même temps », « il y a x mois d’attente pour faire presser le vinyle, etc ». Je trouve que tout ceci est néfaste pour la créativité et pour la spontanéité. J’ai eu envie d’accélérer le processus de production et de sortie d’albums ou d’EP’s. Aujourd’hui je suis pratiquement autonome en termes de production, et donc ça va beaucoup plus vite dès qu’un album est enregistré. Puis l’aventure est née petit à petit, en faisant des rencontres virtuelles avec des musiciens et musiciennes qui font leurs disques dans leur coin. La seule prétention d’Hylé Tapes est celle d’être un petit pas sur la route de ces créateurs.

« La K7 se dégrade avec le temps, comme nous. »

Tout le monde parle aujourd’hui d’un « engouement pour la K7 » en levant les bras au ciel façon illumination. Okay, pourquoi pas. Mais toi, peux-tu me dire quel romantisme et fantasme tu mets derrière cet objet devenu confidentiel malgré lui ?

Il s’agit d’une bande magnétique, ce n’est pas un fichier parmi des milliards de fichiers sur ton disque dur externe. C’est aussi un bel objet avec lequel on peut s’amuser en termes de design de la jaquette. Il se dégrade avec le temps, comme nous. Et il me rappelle mon enfance et mon adolescence lorsque j’enregistrais des vrais compiles sur cassette et que je m’amusais à dessiner la pochette ou à faire des collages dessus. Mais je pense que tout ceci est accessoire pour moi. Le plus important est que j’ai pu me réapproprier les moyens de production en choisissant la cassette, chose impensable avec le vinyle. Autrement dit : fais-le toi même.

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Quel est le système de reproduction utilisé pour la duplication ? N’est-ce pas trop fastidieux ?

Pour Hylé Tapes, j’ai toujours fait la duplication moi-même grâce à un duplicateur professionnel, une petite machine qui me permet de faire 50 exemplaires (dune durée totale de 30 ou 40 minutes par cassette) en une heure environ. Donc, non, dans mon cas ce n’est pas du tout contraignant. J’écoute toujours le disque sur lequel je travaille lorsque je créé les visuels ou que je dois dupliquer, imprimer, découper, plier, tamponner et numéroter à la main chaque cassette. Il faut juste être méthodique et patient. J’ai dû apprendre à faire le master sur cassette et à dupliquer moi-même mais ce n’était qu’une question de temps. Et le temps c’est tout ce dont je dispose, j’essaye donc de l’utiliser le mieux possible.

Avec toutes les sorties du label, j’ai l’impression que tu as développé une grosse communauté de nerdos autour de toi. Sais-tu à quoi ressemblent les fans de Hylé Tapes ?

Ils ressemblent pas mal à tous ces nerds qui achètent ce magazine chelou : Gonzaï. Mais les miens ont un Nakamichi à la place du cerveau, ah ah. Sérieusement, il y a de tout. Masculin, féminin, jeune, moins jeune, pas jeune du tout. J’ai quelques clients très assidus qui ne ratent pas une sortie du label et je leur suis vraiment reconnaissant. Pour ceux et celles qui aiment la géographie, beaucoup d’exemplaires partent aux Etats-Unis, Canada, Japon, Royaume-Uni, ou l’Australie. Mais l’acheteur ou acheteuse type n’existe pas.

Ce soin tout particulier apporté aux pochettes, à l’esthétique handmade, est-ce une obligation pour toi ? Est-ce la condition sine qua none de l’existence de Hylé Tapes ?

Faire les choses avec amour, c’est une nécessité pour moi, en effet. J’essaye de faire un bel objet artisanal avec le peu de moyens que j’ai. Je ne sors que des éditions limitées, la plupart du temps à 50 exemplaires mais j’ai déjà fait des sorties à 30 ou à 100 exemplaires également. Dans un avenir assez proche, je compte diminuer le nombre de sorties par année ainsi que le nombre d’exemplaires pour chaque édition limitée, et faire des choses plus poussées en termes de design et de packaging.

« Le choix du format K7, c’est une déclaration d’indépendance et un doigt d’honneur à l’industrie. »

Même pour moi qui te connais un peu, suivre ta carrière c’est un peu complexe. Où en es-tu sur tous tes projets ? The New Reformed Church of Napalm Katia existe-t-il encore ? Quid d’Acid Fountain ?

Actuellement j’accompagne Pointe du Lac en live aux synthés, séquenceurs, boîtes à rythmes et autres engins cosmiques. Et en effet, je jouais de la batterie dans The New Reformed Church of Napalm Katia, avec Julien Lheuillier à la basse, Morgan et Christophe aux guitares et autres joujoux. J’ai quitté ce projet pour des raisons personnelles il y a un peu plus de deux ans, et Julien a été assez pris par Pointe du Lac. Du coup je ne sais pas du tout si ce projet existe toujours ou pas. Il faudrait demander aux autres musiciens. Concernant Pointe du Lac, je travaille avec Julien sur de nouveaux titres. Je ne donne pas d’autres informations pour l’instant car c’est quand même lui le patron; mais vous aurez des nouvelles cosmiques de Créteil, très bientôt.

Quant à Acid Fountain, c’est mon premier projet solo. J’ai sorti deux cassettes chez Hylé Tapes, « Fauna Diction », ma première tentative de regrouper musique « dance » (n’ayons pas peur des mots) et expérimentations sonores et « Aitana », une cassette assez différente, plus intimiste, et dont tous les titres font allusion à des moments de mon enfance vécus dans cette montagne d’Alicante nommée Aitana. Je viens de sortir « Sabina » sur l’excellent label anglais The Tapeworm et « Société minérale » sera disponible chez Søvn Records en janvier 2017. En janvier je sortirais également « 01112012 », ma première aventure sonore sous mon vrai nom, projet plus expérimental et minimaliste qu’Acid Fountain. C’est le label de Seattle, Jungle Gym Records qui s’en occupe.

Ne sortir que de la K7/digital, est-ce un manifeste ?

C’est un choix pragmatique avant tout, vaguement romantique, et peut être que, oui, c’est un manifeste. Je n’ai pas employé les termes « me réapproprier les moyens de production » de manière anodine, vous devez vous en douter. C’est une déclaration d’indépendance et un doigt d’honneur à l’industrie, à celle qui est là que pour le profit et s’en fout de la musique.

Question conne mais : quel avenir vois-tu pour l’avenir ?

Pour moi, l’avenir n’existe pas. Mais j’essaye de faire de mon mieux à l’instant présent. Concernant Hylé Tapes, je compte diminuer énormément la cadence des sorties et commencer à organiser des événements. Ça prend un temps fou de gérer toute cette pagaille. A la base, je ne voulais pas qu’Hylé Tapes soit un label « classique » avec un développement et suivi d’artistes et tout le tralala. Mais j’ai sorti tellement de cassettes en si peu de temps, et je fais tout tout seul, que maintenant j’ai envie de me calmer et de faire jouer un peu tout ce beau monde. Je prépare aussi une première compilation sur cassette et ce sera une compilation « non-masculine ».

« De nombreuses créatrices font des choses incroyables dans leur coin, mais leurs œuvres n’arrivent pas à nos oreilles, trop souvent pour des raisons de merde. »

Depuis le tout début du label j’ai voulu sortir plus de musique féminine sur mon label, mais ce n’est pas toujours évident pour différentes raisons. J’ai sorti la cassette de Kritzkom (Marine Drouan), Julia Blythe Gates, Logar Decay (Paloma López et Leslie García) ou celle avec les textes de Stéphanie Daoud, mais ce n’est pas suffisant pour moi, surtout sachant le nombre de créatrices qui font des choses incroyables dans leur coin et dont les œuvres n’arrivent pas à nos oreilles pour une raison ou une autre, mais trop souvent pour des raisons de merde. Je ne vais pas développer ici, car ce serait trop long. Lisez plutôt l’article Ce que j’ai appris sur les enjeux de genre et de représentation en fréquentant les cercles de musique expérimentale à Paris de Nastasia Kinsky sur The Drone à ce sujet. Je voudrais sortir la compilation entre janvier et février 2017. Les modestes bénéfices de cette compilation, sur cassette et en digital, seront destinés à une association féministe d’Oaxaca au Mexique qui s’appelle Luna del Sur A.C et qui lutte pour la décolonisation, la pluralité et la protection de l’environnement.

Pour finir, j’ai l’impression en posant ces questions de passer complètement à coté des artistes signés chez Hylé Tapes, quel est le point commun entre chacun d’eux, pour toi ?

Pour moi le fil rouge est une certaine idée de l’expérimentation en musique électronique. Il est difficile de trouver des ressemblances entre l’ambient de Darryl Burke Mahoney, l’étrange techno noisy de Takahiro Mukai et les expérimentations sonores de Paloma López et Leslie García, du collectif mexicain Interspecifics. Et pourtant, je trouve qu’il y a une cohérence dans cette collection de musiques électroniques de tous genres et horizons. Ce sont aussi les notions de communauté et d’indépendance qui nous unissent.

https://hyletapes.bandcamp.com

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