Voilà trois ans que l’on défend a peu près toujours les mêmes. Constat d’autant plus lamentable que ce n’est pas un choix stratégique : j’aimerais vous dire que les Born Bad, Freaksville et autres Pan European nous ont filé une grosse enveloppe un jour de Mars 2007 pour leur lécher le scrotum en 2000 signes tous les mois ; mais non, même pas. Tout ça pour dire que côté cirage, on en est encore à repriser nos Converse.

Dans le lot des lauréats de notre respect, il y a le Son du Maquis. Depuis la compile A Man & A Machine en 2009, le label de la rue de Maubeuge nous a régulièrement surpris en sortant aussi bien de son chapi-chapeau Bettina Koster qu’Alan Vega, Faust qu’Hifiklub. Amen. Le genre de truc qui met tout le monde d’accord les soirs de conf’ et c’est très bien. Merci, rien à redire. Enfin, si on ne soulève pas la moquette à poils longs pour regarder dessous, on ne peut qu’être ravi de l’esthétique et de l’audace des lieux.

Oui mais… The carpet crawlers heed their callers. Le danger, quand on sort un coffret rétrospectif comme Decade, c’est qu’on ouvre la porte aux fouinards qui se prennent pour des huissiers du bon goût : « Et qu’est-ce que c’est que cette compile afro qui sent le boubou acheté chez Pier Import ? » « Et t’as pas honte d’avoir payé pour Film Noir ou ce 3e IAMX plutôt foireux ? » « Et pourquoi ceux qui acclament les vieux New Yorkais (J. Chance, L. Lunch) ne mentionnent jamais l’échec des récupes mancuniennes Big Arm (le frérot des Happy Mondays) et A Certain Ratio (short + funk = post-punk WTF) ? » Anyway… Repose-ça, tu fous de la poussière partout. Le label s’en sort tout de même bien mieux que pas mal d’autres et a entièrement mérité ses galons chez nous ; brisons là et passons à autre chose. Non ? Non.

« Hilaire, Pierre Adolf tu connais ?
– Adolphe.
– Hein ?
– Philippe Pierre-Adolphe. Pas comme le moustachu de Rock around the bunker. Oui, je connais, pourquoi ? »

Les 4 CD promo du Decade même pas encore enfilés, la perspective d’interviewer le fondateur du label m’échoit pour la seule raison que je suis l’unique clampin à cerner le monsieur. Bravo les mecs…Ben ça tombe mal, j’ai plein de derushes en retard, mais ça tombe bien parce que je connais déjà l’histoire. Eh oui, l’auteur de polars et de BD José-Louis Bocquet a écrit un bouquin sur ce label. Parfait ! T’es le mec de la situation, tu vois je te l’avais dit. Mais je… C’est demain 11h. Rhâ.

Instant Quiz : à ton avis, lecteur, qui va se taper ce soir la bio de 4 pages et ½ (!) au lieu de picoler comme tout journaliste convenable ?

Bio sans fin (justement écrite par Bocquet) qui fait le tour en long en large et tout de travers de… Pierre-Adolphe. Et non du label. En résumé, PPA [je sais ce que vous pensez mais non, il n’écrit pas de lettres d’amour à Béatrice Dalle] a eu une vie aussi remplie et riche en rencontres que d’autre porteurs de Wayfarer de la même cuvée : le Rose Bonbon en 78, journaleux pour Actuel, Best ou R&F, voire les Cahiers du Cinéma en 82, réalisateur de clips pour Laboubée ou Marie & les Garçons, un bouquin culte sur le rap en 1990, et de la collaboration (héhéhé, pardon) avec Francis Dreyfus, Patrick Zelnik ou Jean « La-Macarena-c’est-mon-trafic-à-moi » Karakos. On y reviendra, ne vous inquiétez pas. Une bio qui commence même par ses souvenirs d’ado et les troubles d’une vie d’homme (une névrite du nerf optique, le bon usage du cutter chez les rappeurs maliens, l’art d’endormir les banquiers en leur mentant sur les chiffres). Et des perles dont on n’oserait rêver : PPA achetant Atom Heart Mother « malgré son aversion des vaches » ! Du génie. C’est pas PhilMan qui se justifierait d’un « enfin [j’ai] pas horreur, mais je les trouvais quand même assez bêtes ». Résumons-nous. Bio dithyrambique sur le fondateur du Maquis surnommé le « Marquis » par les malins, et un coffret hommage décennal qui sort en 2011 pour un label créé… en 98. Ça patine sur la platine…

Maquisard (n.m. ou adj.) : résistant, insoumis.

Rue de Maubeuge : appartement refait très sympa dégueulant de vinyles de très bon cru. Trois aimables salariés du disque s’y affairent, poignées de mains rapides, busy-business. Escalier, souplex, canapé large soutenant un Lou Reed et Collision Drive. Ecce homo. Mon hôte arbore un chapeau cuir et l’air de celui qui fait tourner la roue au Juste Prix : autant de crainte d’être maltraité que de gagner le pactole. J’annonce d’entrée en toute honnêteté ne pas avoir écouté le coffret, étant donné qu’il représente un catalogue que je connais déjà. « Ouais euh surtout les 5 dernières années. Vu qu’il y a 5 ans j’ai sorti Five Years… » Mais c’est pas Decade le truc ? Bon, du coup sur cette compilation, pas de rap, aucune trace des débuts avec Dee Nasty, puisqu’ils étaient tous produit en binôme avec Karakos, aka le Kim Fowley français, l’homme qui a amené autant de flouze que d’emmerdes avant de se retirer en laissant un trou largement ouvert. Pas grave, PPA est clair « Le rap, je ne veux plus rien faire avec ça ». Baste, et cela ne nous manquera pas forcément.
« Le gros trou noir de l’histoire du label c’est 95-96. [Mais c’est pas 98 ce label ?!] Tous les distributeurs que j’avais me plantent, des grosses sommes, merde totale donc. Je me dis, il faut une solution, c’est pas avec les jeunes groupes qu’on va s’en sortir, allons chercher les vieux sur le net. » Au culot. Pas même une vieille connexion ou des souvenirs de rencontres de jeunesse, nan, direct du démarchage par Facebook. Et ça marche ! D’abord les english : Woodentops, A Certain Ratio, Paul Ryder, Paul Haig ex-Josef K ; l’Hudson River viendra plus tard. « Bon on ne faisait pas que ça, on a alterné en même temps des compilations dans l’air du temps genre Lounge Story, parce que ça se vendait facilement. » Haa ! Soulagement. Enfin un label qui reconnaît avoir fait des prods pour le pognon. « Ah ouais ouais,  j’ai surfé sur la vague. Moi j’ai pas la culture french touch tout ça, pfff… Fallait que je trouve quelque chose qui s’internationalise. D’abord je n’avais pas trouvé de grande musique en France, malheureusement on n’est pas historiquement un pays rock… » Well, Burgalat a prouvé le contraire ? « Ouais, ouais. Mais à l’époque, il travaillait avec des Anglais hein : Mute. » On cite Daniel Darc, Rodolphe Burger… N’empêche, il préfère à raison sortir (et vendre !) 25 000 exemplaires de sa lounge. Même choix avec une BO de reggae made in Jamaica, les 30 ans de rock allemand, la bande-son de Mai 68… Niches pour poules aux œufs d’or.

Maquignon (n.m.) : 1. marchand de chevaux. 2. (figuré) négociateur malhonnête ou peu scrupuleux en affaires.

 

« On ne fait pas que des retraités du rock. » Vrai, Cercueil et Hifiklub partagent la tracklist avec 202 Project et nos amis les Mondrians, mais ceux qu’on remarque le plus ont reçu des injections de botox sous la peau ridée. « Enfin, on vient de signer le nouveau [Lydia Lunch] avec les Bad Seeds, tu sais, Big Sexy Noise. On le sort en septembre. Donc tu vois, y a une suite quand même. » Précisant même qu’ils étaient trop contents de rejoindre le Maquis suite au boulot fait sur la réédition et le gros concert du 104, mais jusqu’alors tenus par un engagement du guitariste à Century. Bon en fait c’est Sartorial, mais je ne savais pas moi-même que ça existait. Nous enchainons sur l’habituelle litanie du manque de retours presse, obsession normale pour qui a été journaliste. Au passage, on canarde un peu les copains du milieu et cancane sur les bouclages passés à se marrer, sniffer et se bourrer la gueule, que ce soit à Métal Hurlant, à Actuel ou chez Awax, l’agence de Patrick Zerbib sortant The Face en France sous la rédaction de Nick Logan et Paul Rambali. « Mais je savais que je n’étais pas un grand connaisseur… Je ne suis pas Eudeline qui peut dire quelle zik a été produite par tel mec en 73.  Ma culture je l’ai faite moi même… C’était ça ou l’usine. » Une forme d’humilité venant d’un gars qui en a profité le temps que.

Revenons sur Karakos. Pot-pourri de pensées du maquisard : « C’est un mec, il sait même pas ce que c’est qu’une notion de droit d’auteur ou de royalties – Maintenant il m’adore, on a été au MIDEM ensemble – Je ne lui en veux pas, je lui dirai bonjour –  Il s’est associé à Henri de Bodinat qui lui n’a vraiment aucun talent. Et en plus il est pas clair non plus – Il m’a bien planté – Quand même Celuloid Record c’était… y a des putains de trucs. »
Beautiful loser franchouillard un peu apathique mais cartes-sur-table, plus je dérush et plus il me plait. Fallait-il élever PPA au rang de ces défricheurs que vénèrent nos lecteurs ayant encore la carte jeune ? M. Pierre-Adolphe, racontez-moi le Rose Bonbon : « Moi ? Ce que j’y faisais ? Bah je picolais beaucoup. Euh… (il cherche) Tout le monde se droguait. » Fausse piste, jusqu’à la rencontre de Marc Barrière : « C’est marrant il vient de Colombes, comme moi. Puis il faisait partie de la bande des musiciens de Polnareff… » Presque : il était roadie. Il fréquente les Bains-Douches à la mort de Jacques Renault, entre Fabrice Coat et Emmanuel De Buretel. Je fronce un sourcil : le Maquis a compilé en 2002 un hommage au sous-sol de l’Olympia mais rien sur les Bains ? « Coat m’a dit ‘super !’ Puis il m’a baladé pendant des mois… Il ne fera rien, c’est dommage. » Ressortir du rock à guitares en plein boum Libertines, c’était encore du flair pour le pognon des baby rockers ? « Ah non, c’est par pur affect. J’avais rencontré Barrière par hasard en allant voir mes parents, dans un bar PMU de la gare de Colombes. » Assis à fumer des roulées, le pauvre Marc se remettait de ses infarctus dus à la cocaïne et s’est depuis retiré dans l’Aveyron.
Me voilà piégé. A se laisser avoir par la bio et le confort ambiant, me voilà en train d’éplucher la vie de Monsieur au lieu du label. En même temps il y avait un précédent : Swing Mineur. Le bouquin de Bocquet sorti en 2009 racontant l’histoire de ‘Monsieur Kadic’ (sic), directeur d’un label nommé Le Maquis, sorte de loser survivor d’un business de lèche-bottes mondains, déclarant qu’il n’y a « ni sexe, ni drogue, ni rock’n’roll dans le quotidien d’une société de production musicale. C’est une entreprise commerciale. Acheter, vendre, gagner ou perdre. » Revenir au coffret, à Decade. A cette bio que je qualifie d’hagiographie faisant écho (ou hoquet) au Swing Mineur de Bocquet. Il confirme : « Il a même fait un téléfilm sur moi, sur Arte l’été dernier. » Vérification faite, effectivement : La musique de Papa et son producteur de rock alcoolique Richard ‘Rikiki’… Une muse ?

HP : «  Vous comptez développer un culte de la personnalité au Maquis ?
PPA : (rire) Je préférerais être riche et n’avoir fait que des gros succès mondiaux, et moins me faire chier sur des problèmes d’argent. C’est que ça à la fin, tu ne parles plus que de ça. D’argent. »

Finalement un label c’est quoi, sinon des transferts de fric ? « Des idées, du graphisme », répond le pote de Jeunet et fan de Saul Bass. Le packaging c’est bien beau, mais c’est cher. Le Maquis serait-il l’équivalent de la Factory perpétuellement déficitaire de Tony Wilson ? « Rhô si, ils en ont fait de la thune, ils en ont brassé. Je crois que le problème c’est qu’il gérait ça n’importe comment. Les meubles design, il déconnait. (…) En tout cas il a fini pauvre et ruiné, il ne pouvait même pas se payer ses médocs pour son cancer. » Je moque, prochaine étape l’achat d’une salle ? « J’aimerais bien, mais c’est toujours des problèmes d’argent. On tient, on tient, mais j’ai un problème là pour monter une maison d’édition de livres. » Mince ! Au moins ce mec a encore de l’ambition ; d’autant plus noble pour un doux dingue aux yeux rivés sur le tiroir-caisse. Et si finalement Pierre-Adolphe était la parfaite synthèse de cette profession aujourd’hui ? Avec en plus les dehors d’un passé de loulou parfaitement à la mode, comment lui en vouloir ? Qui aime bien châtie bien.

Reste donc cette compile… Vinyles, graphisme impeccable, et la recette habituelle de quelques noms glorieux (ou promis à l’être) pour enrubanner des inconnus (qui le resteront). L’algue autour du riz et un infime bout de thon rare au centre, c’est le son du Maki. Malin, un découpage thématique électro/noise/pop-rock/jazz permet de disséquer un même album sur plusieurs disques (James Chance sur jazz et noise, Cercueil en électro et noise… c’est de la logique, ou de la facilité ?) voire un artiste plusieurs fois sur le même disque. Aucun inédit, live, B-side. Le reflet d’un catalogue déjà maintes fois décoré dans nos colonnes, mais en tant que compilation on n’a pas inventé l’eau chaude en streaming. Néanmoins, s’il faut ce genre de compiles pour continuer à dénicher des Pénélope & Nico et des Régis Laugier, banco, et je préfère encore Decade à Lounge Story.

Crédits Photos: Pierre Gayte

Le Son du Maquis // Coffret 4 Cds Decade // Le Son du Maquis (Harmoni Mundi)
http://www.maquismusic.com/

7 commentaires

  1. Chouette papier sur un type qui a l’air d’avoir autant de casseroles que de gloires à son actif.
    Thanks from Raoul, pour le plaisir.

  2. Les casseroles c’est le propre d’un type qui a fait des trucs de sa vie. On laisse tous un sillage foireux derrière nous, non ?

    @Rouge : grazzie signor Rosso.

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