Alors qu'Anton Newcombe creuse sa propre tombe, Dig! remporte le Grand Prix du Jury du festival de Sundance et met en lumière l'existence d'une scène, à la fois un peu fabriquée et vraiment alternative. Deux ans plus tard, le renouveau du psychédélisme américain prend forme dans la bille du 13th Floor Elevator, à Austin, grâce à un groupe sur lequel on n’aurait pas parié notre chemise à motifs : les Black Angels.

Au pays du psyché, le temps passe vite. À force, on aurait presque pu oublier que ‘Passover’, le premier album des Black Angels, fête ce mois-ci ses 10 ans. C’est peut-être un détail pour vous, pour certaines pupilles dilatées ça veut quand même dire beaucoup. En 2006, peu ou pas grand monde ne sort des disques de ce genre. Il faut se replonger dans Manipulation pour saisir l’état psychique dans lequel le groupe a composé cet album qui semble si banal aujourd’hui mais qui, à l’époque, se démarque de tous les autres. Manipulation des effets, des sonorités et par-dessus tout, manipulation du temps. À une époque où le hit est roi, faire des chansons de six minutes est impensable. Les compos du groupe nous ramènent des décennies en arrière, quand l’expérimentation et la contemplation étaient les maîtres mots pour toute une génération. La guitare de Christian Bland est bourrée d’effets et la voix d’Alex Maas paraît sortir d’outre-tombe. Et le drone, surtout… Voilà le propre de ‘Passover’, faire resurgir des fantômes qu’on pensait à jamais enfouis.

Si cet album a permis à Christian Bland de débuter sa mission évangélique, le souvenir des Black Angels, en tant que groupe, n’est pourtant pas impérissable. Quelques bons titres – Snake in the grass – que ne renierait pas Jason Pierce – mais rien qui puisse justifier leur statut d’icônes à barbes. Ça sent parfois le pompage à plein nez ; quant à la discographie du groupe depuis ‘Directions to see a ghost’ (2008) n’en parlons pas, on risquerait de se perdre au treizième étage d’un plan d’ascenseur américain.

Alors pourquoi donc placer les Texans au centre du powerpoint Perspectives et enjeux du Psychédélisme au 21ième siècle ? Parce que c’est l’activisme du groupe et son poids dans le développement d’une scène toujours plus grosse qui a permis le revival psyché qu’on vit encore aujourd’hui.

Austin, pas mini

À travers leur festival, leur label et la perpétuelle promotion d’artistes, les Black Angels ont rendu le terreau d’Austin plus que jamais fertile. L’arbre grandit et de nombreuses ramifications poussent. Deux des grands axes de ce arbre de la liberté : le label Reverb Appreciation Society et l’Austin Psych Festival renommé depuis Levitation – en hommage au 13th Floor Elevator –, tous deux devenus au fil du temps de formidables vitrines du renouveau du rock psyché.

Les Black Angels et papi Erickson.

Commençons par le label. Créé en 2010, il sort le premier album de Christian Bland and the Revelators. Depuis, plus de vingt-cinq sorties parmi lesquelles les albums des groupes les plus stimulants du moment. On pense à Holy Wave, qui après ‘Relax’ sorti en 2014, sont revenus avec ‘Freaks of Nurture’. Portés par le magnifique son de leur clavier, ils marchent dans les pas de leurs aînés texans, en mieux. À côté de ça, ont été réunis sur diverses compilations une multitude de groupes sévissant aux quatre coins du monde. Wall of Death, Elephant Stone, Dead Skeletons, The Wands, The Underground Youth, The Cosmonauts, Black Market Karma, Indian Jewelry et j’en passe. La crème de la crème. Et cette année, c’est un ‘Tribute to Pet Sounds’ qui voit le jour avec des reprises des Night Beats, des Boogarins ou de l’UFO Club, histoire de fêter la venue de Brian Wilson au….

… Levitation ! Le fameux. Quiconque a déjà regardé les vidéos du festival a déjà rêvé d’y aller. Un cadre et surtout une programmation qui ferait mouiller Christine Boutin. En 2017, on aura droit à la dixième édition du festival et le petit doigt nous dit que ça sera grandiose. Faudrait penser aux résurrections pour égaler les programmations des années précédentes. C’est pas dur, tout le gratin se retrouve au ranch de Carson Creek. Mais ce qui est encore plus fort, c’est l’internationalisation du phénomène. Un Levitation à Vancouver, à Chicago et même à Angers ! Plus les années passent et plus les Black Angels se font des petits plaisirs en invitant leurs idoles. Rien que l’an dernier, Jesus and Mary Chain, Spiritualized, Primal Scream, les Flaming Lips et, bien sûr, le 13th Floor Elevator. Cinquante ans après la sortie du ‘Psychedelic Sound of the 13th Floor Elevator’, la bande à Roky Erickson se reforme pour clôturer le festival [1]. La redécouverte des pionniers, voilà un autre effort louable de la part des Black Angels.

Alors oui, les Black Angels, on peut cracher sur leurs disques mais certainement pas sur leur militantisme. Anton Newcombe serait-il devenu un objet de vénération si la nouvelle vague psychédélique n’était pas arrivée ? Est-ce que les petits groupes de merdeux qui utilisent des guitares à 12 cordes et qui mettent des claques sur des tambourins existeraient sans ‘Passover’ ? Si le psychédélisme est depuis devenu un sport de combat réunissant beaucoup (trop) de combattants et que le marketing en a un peu pourri les règles, rendons hommage aux promoteurs de ce come-back anachronique. Quand viendra l’heure du dernier round, on pourra au moins leur offrir cette médaille.

[1] Déjà en 2007, les Black Angels avaient rejoint Roky Erikson pour son traditionnel concert du 31 octobre.

3 commentaires

  1. Il cite The Wands, ça suffit pour faire un bon article.
    Pour parler du catalyseur du psyché,je crois surtout que le phénomène est sur les épaules du revival des drogues.

  2. Cette notion de revival me pose toujours un peu problème, la scène psyché a beaucoup évoluée mais ne s’est jamais arrêtée ni même complètement marginalisée. Dans la veine des Black Angels on trouvait Dead Meadow dès le tout début des années 2000, avant c’étaient des groupes comme The Verve (débuts), Spiritualized/Spacemen 3, Hopewell etc… et dans d’autres styles un scène extrêmement riche depuis la fin de la période qu’on associe basiquement au « psyché » : les Buttholes Surfers, Mercury Rev, Flaming Lips (cités), Beme Seed, Animal Collective, Olivia Tremor Control et cie, Beachwood Sparks, Clinic etc…
    On pourrait plutôt parler d’un regain d’intérêt du public pour une certaine scène psyché dans un début de siècle en quête de « revivals » (psyché, shoegaze, 80s, vinyles, « vintage », filtres instagram « vieillots », légumes oubliés…).

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