Le dernier road-trip psychédélique des allumés californiens de Foxygen faisait récemment halte à Paris.Ironiquement baptisée "Split-up tour", cette tournée fut annoncée comme la dernière danse de Sam France et Jonathan Rado, qui en ont manifestement plein le cul. Bientôt, les costumes bariolés et le maquillage efféminé seront remisés au placard. La raison ? Le "putain de succès" inattendu pour ces deux gus qui écrivent des chansons ensemble depuis l'âge de 12 ans.

19h15. L’heure de la bière. J’arrive en avance devant la salle, qui si petite qu’elle est face au Moulin Rouge, ressemble à une vulgaire porte de sortie de l’institution à touristes. Ces derniers, venus pour les tutus et les cuisses à l’air, ne se doutent pas qu’un fleuron du psyché des 2010’s prépare lui aussi ses jupettes. Sous un soleil de plomb, et connaissant les prix abusifs pratiqués à l’intérieur, je me descends une bonne pinte de bière à 2 balles, histoire d’être dans les meilleures dispositions pour recevoir Foxygen en pleine tronche. C’est donc dans un état d’ébriété raisonnable que je me pointe à l’entrée, où me reçoit comme il se doit l’homme sandwich distributeur de flyers, casquette bien vissée sur la tête, fidèle au poste, les mains bourrées de tracts qui finiront au mieux dans le caniveau. Au top de la forme, il balance une vanne à un mec à côté de moi: « t’as plus un look à aller à côté toi!« , avant de laisser éclater un rire sonore, visiblement content de sa boutade. Je lui demande alors, amusé : »Et moi, j’ai le look Foxygen?« . Du tac-o-tac : « ah ouais, toi ouais!« . Un bon garçon au bon endroit, donc.

« Bientôt, les costumes bariolés et le maquillage efféminé seront remisés au placard »

19h30. Le temps des rencontres. Arrivé à l’intérieur de la Machine,  je retrouve immédiatement cette bonne vieille odeur de bois qui fait le charme de cette ancienne salle de bal au plafond interminable. Les gens sont massés sur les côtés, timides, laissant la fosse vide. Quelques courageux y ont pris place, le cul par terre. Dont deux meufs. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je me retrouve à tailler le bout de gras avec ces deux jeunes parisiennes pimpantes, qui ironisent: « on est venu pour Singtank, pas toi?« . Avant de pouffer: « mais non, c’est Foxygen qu’on vient voir« , avec ce mélange de morgue et d’humour typiquement parisien. Comme moi, elles sont en adoration face à « We Are the 21st Century Ambassadors Of Peace And Magic« , album d’une beauté sidérante qui, on est d’accord, est bien plus abouti que son successeur, « And Star Power« , touchant mais trop brouillon.

Je m’avance ensuite vers la scène, où je fais la connaissance d’un mec à l’avenant. Attifé d’un petit perfecto des familles, ce fan de psyché américain me donne un avis tout autre: « je préfère l’album qu’ils ont fait encore avant, le premier » (« Take The Kids Off Broadway », NDLR), avant de jouer aux devinettes:  » je fais un métier de femme ». Je tente un « danseuse de french cancan? », de circonstance. Evidemment, on est loin du compte: « Je suis sage-femme ». Un homme moderne qui vient à un concert de musique pas moderne. Et qui continue d’attirer les foules. Le gotha psyché parisien est donc au grand complet, pour accueillir.. Singtank.

20h15. Les premières notes. La lourde tâche d’ouvrir pour les californiens revient à Singtank, qui remplace au pied levé un obscure groupe ‘ricain booké en première mouture. Peut-être angoissés à l’idée de passer avant des bêtes de scène, ils ont fait machine arrière à l’approche du jour j. Lucie, ma photographe d’un soir, résume bien l’état d’esprit de cette première partie : « ouais, c’est sympa« . C’est qu’ils attendent autre chose…

21h. Du pain et des jeux. Précédé de sa réputation de machine de guerre scénique, Foxygen rend l’attente insupportable. Cinq bonnes minutes passent. Puis dix, puis vingt. Impatients d’en prendre plein la gueule, la plupart ne tiennent pas en place. Cette unité de temps supplémentaire m’offre le loisir de décortiquer la scène préparée par les californiens. Dans un délire hippie bien de chez eux, des fleurs ont été éparpillées partout, jusque sur les tomes de la batterie, devant laquelle trône « We Are The 21st Century Ambassadors of Peace and Magic », en vinyle. Selon toute vraisemblance, l’accent va être mis sur cet album, et pas sur le dernier. Encore une fois, ça sent la tournée d’adieu. Alors que les cris se font de plus en plus pressants, les Californiens débarquent enfin sur la vaste scène de la Machine, emmenés par un Sam France visiblement en pleine forme. Alors que ses potes s’installent tranquille derrière leurs instrus, dont son alter-go Jonathan qui prend place au milieu d’une meute de claviers analogiques, le sémillant chanteur déboule en courant jusqu’au devant de la scène. Pas malheureux, il est suivi de très près par 3 danseuses court-vêtues qui s’apprêtent elles-aussi à faire feu de tout bois.

« Lalalalalalala »

Sans transition, ils démarrent pied au plancher avec We are the 21st…, chanson éponyme de l’album blanc et rouge, un des plus grands disques de notre époque. Avant de mettre le feu aux poudres avec le cultissime et psyché On Blue Mountain, qui allume dans le public des braises qui ne s’éteindront pas jusqu’au tombé de rideau. Les spectateurs sont contaminés par la joyeuse folie de Sam, qui fait honneur à sa réputation : il saute immédiatement dans la fosse pour se mêler à la foule, tout en continuant à chanter de son timbre doux et puissant, avant de remonter nonchalamment en s’agrippant à l’enceinte de retour. Il fait de grands mouvements avec ses bras et ses jambes, et fait virevolter son micro à tel point que j’échappe de peu à des coups de pieds et de micro en pleine tronche. A quelques centimètre de l’animal, je peux ressentir le feu sacré qui bouillonne en lui. Ils enchaînent avec le non moins culte Shuggie, qui inonde la salle de son groove contagieux. Happés par cet audacieux mélange entre une section rythmique mastoc et une ligne de synthé droguée, les premiers rangs s’agitent furieusement, tout en laissant leurs consciences s’échapper progressivement. Quant à moi, je m’allume une clope et la fume accroupi, assailli par ces douces vibrations psychédéliques. Pendant ce temps là, Sam ne perd pas le nord, et trouve le temps de faire trois tours de piste alors que ses danseuses s’époumonent pour tenir cette cadence infernale, laissant apparaître des culottes aux couleurs flashys. Comme on pouvait s’y attendre, le public reprend tel un seul homme le « lalalalalalala » de fin de chanson, un gimmick musical inventé pour faire chavirer les foules.

11426962_10206011340275499_604516061_o
Le moment choisi par Foxygen pour lancer une interlude théâtrale : Sam prend sur le fait deux de ses musiciens en train de jouer aux cartes: « et, qu’est-ce que vous fabriquez?« . La réponse est, comme leur musique, barrée à souhait: « ben, on joue aux cartes« . Une trouvaille scénique brillante, qui prend tout le monde au dépourvu. La performance musicale reprend rapidement, et Sam France d’interpréter superbement la ballade douce et enivrante qui introduit We Are The 21st..In The Darkness, dont la partie vocale met clairement en évidence son talent de crooner pop & soul. C’est alors qu’un mec dans le public décide de se hisser sur la scène au côté du master of ceremony, dans un éclair de folie. Un culot qui laisse Jonathan perplexe, avant qu’un vigile ne reconduise gentiment le type à sa place : en bas.

« C’est la dernière tournée… avec ce line-up en tout cas ».

22h. Le retour des enfants-fleurs. Après avoir envoyé la première moitié sur un rythme d’enfer, Sam se prend quelques secondes de relâche bien méritées. Il jette violemment sa veste en arrière, rentre sa chemise grande ouverte dans son futal’, se fourre ostensiblement la main dans le froc’, avant de s’envoyer une bonne gorgée de pur malt’, histoire de remettre du « gazoline dans le réservoir ». Il se tourne ensuite vers Jonathan, qui démarre au piano une improvisation complètement barrée de Let It Be. Il se touche à nouveau les parties génitales, et c’est parti pour leur tube interplanétaire, San Francisco, subtile ballade doucement psyché, qui parachute la salle dans la Californie hippie des 70’s. Le public se rêve en enfant-fleur et entame un frotti-frotta amoureux de 5 minutes, en reprenant les paroles à l’unisson. Les gens me filent de la bière, du sky, des clopes, des sourires, des câlins, des coups de coude aussi. Je prends Sam par le bras, de retour dans la fosse aux lions, qui hurle sa joie d’être là, avant de remonter sur la scène du Star Power… . Il se déhanche vigoureusement, torse poil, alors que les danseuses exécutent une chorégraphie sensuelle et énervée impeccable. Une atmosphère de liberté raccord aux paroles de la chanson qui suit, Coulda Been My Love, magnifique ballade au grain soul cette-fois issue du dernier album : « You can do what you want« . Le mantra évident de Sam, qui ne s’embarrasse d’aucune contrainte et fait surtout attention à balancer un show à l’énergie démente. Une machine de guerre.

Le public ne s’y trompe pas et se lance dans une bataille rock’n’roll endiablée. Le cercle des fans hardcore est prêt à tout pour prouver au monde entier son amour du psyché et de ces allumés californiens. Car c’est de ça qu’il est question : des doux dingues qui nous apportent sur un plateau la folie qui fait cruellement défaut dans notre misérable vie quotidienne. « Le royaume de l’ennui et de la dépression » de Henri Lefebvre. Entre deux coups de pied reçus en pleine tronche, je me retrouve à faire un gros câlin au bassiste du premier groupe, avant de pousser sans ménagement un autre collègue à l’autre bout de la fosse. Tout ça dans un bon esprit : l’esprit de l’amour du psyché qui nous a rassemblé ce soir, face à ce concert épique de Foxygen porté par la performance ahurissante de Sam France. Et, contrairement à ce que certains esprits chagrins avancent, je pense très sincèrement qu’il ne carbure qu’à une seule chose : l’amour de la musique, plus fort que tout.

23h. Une soirée avec Foxygen? De retour sur le boulevard, je partage un joint avec Lucie, ce qui ne fait qu’aggraver mon état d’extase psychédélique. Je décide de rester devant la salle, avec l’espoir intime de réitérer l’exploit réalisé avec Jacco Gardner. Joséphine de la Baume est la première à pointer le bout de son nez: « c’était vraiment ouf’« . Avant de me raconter l’ambiance dans les loges: « ils sont vraiment super cools. Surtout Jarred, le guitariste! ». L’intéressé débarque peu après, visiblement affamé: « je dirais pas non à un bon gros kebab, comme à Hambourg. Ils font les meilleurs d’Europe« . Qu’il pourrait se payer en dépit du peu d’argent que lui rapporte la tournée: « 1100 dollars mec. Tout juste de quoi me payer un appartement à Brooklyn où je ne suis jamais!« .
Quant au « Split-up tour », ce n’est manifestement pas du bluff: « c’est la dernière tournée avec ce line-up en tout cas. Ils vont surement écrire un autre album avec Jonathan, mais le groupe va changer« . Sentant qu’on parle de lui, l’autre tête pensante du groupe fait irruption. Je le reçois avec les honneurs: « pour moi, il y a Bob Dylan, et après il y a Foxygen!« .  Jonathan est visiblement moins libéré que son alter-ego, avec qui il écrit des chansons depuis plus de 10 ans. « Et tu sais, il ne prend aucune drogue. C’est son état normal! ». J’amène ensuite mon idée de soirée sur la table, et demande au tour manager: « vous allez dans un bar après?« . Amusé, il pointe le bus du doigt et m’explique qu’ils doivent prendre la route pour Bordeaux. Pour la soirée avec Foxygen, on repassera. Avant de prendre une photo en compagnie de Jonathan, un mec comme toi et moi…

Photos : Lucie De Perthuis

6 commentaires

  1. Blague. Wao yen a qui y ont crus jusqu’au bout, même si le groupe lui même leur dit : on est une blague, on splitte parce que c’est n’importe quoi ce succès.
    Ambassadors ouais,de toute cette connerie médiatique.
    Les types font les clichos, on les porte par miracle au devant de la scène,ils veulent stopper tout ça et on fait un article pour clore cette merde,en y croyant jusqu’au bout,alors que cet article aurait du être un ciao bonsoir.
    Sérieusement!?
    Je me demande si cet article est à prendre au second degré, genre voici ce qu’aurait pensé une groupie aveuglée du 21ème siècle de ce concert.
    Déprimant.
    Mon royaume de l’ennui vaut largement ça,il est désert donc désert de journalistes débiles.

    1. Ton aigreur n’a d’égale que ta malhonnêteté. Je le dis dès le départ qu’ils ne supportent pas le succès, et que c’est entre autre pour ça qu’ils ont décidé de splitter. Ils font ça pour se marrer et par amour désintéressé pour la musique. Mais le succès.. Ce qui ne les empêche pas d’avoir encore une fois donné une performance démente, qui méritait ce papier dithyrambique J’en ai vu des concerts, crois-moi, mais des comme ça je les compte sur les doigts de la main. Alors, la groupie : elle t’emmerde. Visiblement, tu n’étais pas dans cette salle avec moi, tu es donc mal placé pour vomir ta haine.

  2. Je ne connaissais pas ce groupe, mais l’article est intéressant, informatif, et le style journalistique pro et approprié (et je sais de quoi je parle).
    M’étonnerait pas de retrouver Mitt Homann parmi les grandes signatures du milieu zicos, s’il parvient à dépasser certaines caricatures obligées.
    Comme on dit au foot (là, je sais moins bien de quoi je parle): « y’a un très fort potentie!l ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages