Il y a un mois sortait « American Dream », le très attendu quatrième album de LCD Soundsystem. Un mois, c’est sans doute le laps de temps nécessaire pour prendre un peu de recul sur ce disque, commenté, disséqué, critiqué ou encensé dès le jour de sa sortie par tout un chacun… Oui, mais ensuite ? Maintenant que tout le monde est déjà passé à autre chose (ce cruel symptôme de notre époque), il s’agirait peut-être d’envisager quelque perspective à ce come-back toujours sujet à controverse. Et d’imaginer la suite.

En février 2011, l’annonce avait fait l’effet d’une déchirure. Pour tous ceux qui avaient suivi l’évolution de LCD Soundsystem depuis son apparition au début des années 2000, son split résonnait certes comme un acte de bravoure – digne, punk dans l’âme – mais il brisait également net une relation comme en avait rarement connu un groupe avec son public.

C’est qu’il y avait encore tellement à construire : dans cette relation qui s’intensifiait, dans la conquête logique d’un nouveau public (plus large dans sa composition) et surtout dans la rénovation d’une formule musicale qui laissait encore entrevoir de grandes choses. Tout ça, James Murphy le savait, mais il a alors choisi de faire un choix des plus nobles pour son groupe : devenir culte, plutôt que devenir une grosse machine appelée à s’abîmer lentement dans les arcanes du showbiz… Les funérailles eurent lieu en grandes pompes le 2 avril suivant au Madison Square Garden : un seul concert, mais un concert de plus de trois heures qui fut immortalisé l’année suivante en DVD ou fastueux coffret vinyle, entérinant le mythe une bonne fois pour toutes… Enfin, ça, c’est ce qui était prévu.

La suite pour Murphy, ce serait : sets Dj, production pour d’autres artistes, travaux de commande dans le design sonore, création d’un sound-system avec les mecs de Soulwax… et puis lancement d’un bar à vin, création d’un expresso (?), naissance d’un gamin… La belle vie pour un quadra, quoi : presque un repos du guerrier avant l’heure… Jusqu’à ce que notre homme s’aperçoive que, merde, faire de la musique pour soi, quand on a un savoir-faire qui a largement fait ses preuves, c’est quand même autrement plus stimulant que la vie de patachon branché qui lui tendait les bras. Alors il se mit à composer à nouveau – en fait il n’avait jamais vraiment cessé – tout en sachant très bien qu’il ne ferait pas d’album solo : quel sens cela aurait-il pu avoir ? Il demanda à sa femme ce qu’elle en pensait, puis fit de même avec ses amis de LCD Soundsystem, et ce jusqu’à aller demander conseil à David Bowie en personne, cette icône absolue qu’il eût la chance de rencontrer dans ses derniers jours… Tous allèrent dans le même sens : il fallait relancer la machine.

https://www.facebook.com/lcdsoundsystem/posts/10156426375825444

Cinq ans passèrent ainsi. Five Years, comme chantait l’icône… Cinq ans jusqu’à ce mois de janvier 2016 où, dans un post Facebook long comme le bras (il fallait au moins ça), James Murphy s’expliqua sur la rumeur qui enflait : LCD Soundsystem serait bel et bien de retour… A le lire, il était aussi enthousiaste que profondément désolé vis-à-vis de ceux, fans fidèles et nombreux, qui voyaient dans ce come-back une forme manifeste de trahison. A la parole donnée, au mythe qui menaçait soudain de s’effondrer, à une certaine éthique propre au rock… Pour la première fois de sa carrière, Murphy prenait sur ses épaules le risque de diviser : d’un côté, il y avait ceux que l’annonce inespérée réjouissait au plus haut point, de l’autre, ceux qui estimaient que leur idole était donc capable de revenir sur ses promesses, ce qui n’augurait évidemment pas du meilleur pour la suite… Le post suscita des tonnes de réactions diverses, mais globalement elles encouragèrent le geste de cette reformation, déjà parce que James Murphy est un homme honnête (tout LCD Soundsystem ne dit que cela) mais surtout parce que ce groupe continuait de manquer sacrément : sur les cendres de ce qu’il avait construit, il n’y avait entretemps pas eu de relève… Nulle part. Il est d’ailleurs étonnant de constater qu’un groupe contemporain aussi influent, cité, vénéré, n’ait pas entrainé derrière lui une myriade de formations à sa dérive – sans doute restait-il assez intouchable aux yeux du plus grand nombre… Alors, comme pour se faire pardonner de son revirement, notre gros nounours remplumé du bidon promit de revenir avec le meilleur album possible, un album qui se devrait d’être « meilleur que les précédents » (puisqu’il n’aurait plus pour lui « l’excuse de la première fois »), et promit aussi que le groupe donnerait dès lors les meilleurs shows qu’il ait jamais donnés, simplement parce qu’il ne pourrait en être autrement, qu’il fallait « repartir à la guerre »… Le défi (de taille) était lancé : ne restait plus qu’à le relever en bonne et due forme.

« American Dream » n’a pas fait l’unanimité.

Nous avons attendu, croisé les doigts, prié ou plus simplement fait nos courses au supermarché du coin parce que bon, nous avons aussi nos vies, et finalement le disque est arrivé dans les bacs, sur le web, à destination. Grosse couverture médiatique de rigueur : des « unes » en presse écrite, des interviews, des chroniques de l’album un peu partout, des passages radio, des écoutes en streaming… et puis voilà : aussitôt lancée, aussitôt devenue obsolète, la machine « American Dream » a joué son rôle de mastodonte de la rentrée 2017, on remballe, une dernière écoute et puis on passe au sujet suivant. Bien. Alors ce disque ? En un mois, on a eu le temps de tout lire et tout entendre à son sujet. Les critiques des professionnels du métier ont été tour à tour très positives ou très mitigées, ce qui suffit à comprendre deux choses :

1/ la vérité sur la teneur de l’objet se trouve manifestement à mi-chemin
et 2/ « American Dream » ne peut donc pas être ce « meilleur album de LCD Soundsystem » que James Murphy avait promis l’an dernier.

Parce que sinon, il aurait fait l’unanimité, ce qui est également loin d’être le cas chez les auditeurs lambda… Certains ont trouvé que ce disque était effectivement leur meilleur, car il condenserait l’essence de LCD Soundsystem avec une maturité qu’on ne lui connaissait pas (Murphy chante mieux, traite de sujets plus graves, et les morceaux s’étirent ici comme jamais auparavant). D’autres, plus nombreux, sont méchamment restés sur leur faim, n’y trouvant aucune avancée significative sur le plan musical, pointant un disque trop lent, en tous cas bien loin de l’énergie déployée sur les deux premiers (sortis il y a quand même plus de dix ans)… Pour tâcher de résumer un sentiment global : LCD Soundsystem a progressé sur ses bases mais sans prendre le risque d’en dévier, il est revenu avec un album digne car toujours hanté par un certain âge d’or (ces inévitables références aux Talking Heads, Brian Eno, Suicide ou le Bowie de la même période) mais aussi par la mort et les lendemains qui déchantent (un peu partout sur cette planète)… Un bon disque, certes, mais certainement pas le « chef-d’œuvre » que l’on était en droit d’attendre de James Murphy, surtout après ses propos.

Ensuite… il restait aussi à convaincre sur scène. Ce qui est la moindre des choses puisque c’est essentiellement là que LCD Soundsystem, il faut le dire, va faire rentrer de l’oseille. Après une première salve de concerts en Europe, une énorme tournée démarre ce mois-ci aux Etats-Unis (pour trois mois) et passera par le Brésil et l’Amérique du Sud en mars prochain. C’est déjà un triomphe annoncé puisque le groupe est attendu comme jamais il ne l’a été en ses terres, ne serait-ce que pour raviver le souvenir de ses années fastes… De ce côté-là, et à l’inverse de l’album, James Murphy avait dit vrai : LCD Soundsystem a franchi un nouveau cap. C’était hier un super groupe à voir sur scène, c’est aujourd’hui devenu une belle machine de guerre.

Lors de son passage au festival We Love Green, à l’été 2016, on avait déjà pu constater la formidable puissance de feu qu’il dégageait – malheureusement parasitée ce jour-là par un terrain peu praticable pour le public, englué dans la boue et venu danser avec des bottes. La prestation était carrée, avec un son incroyable, et la seule réserve que l’on pouvait émettre était que, fatalement, l’ensemble avait un peu perdu en spontanéité. Depuis, les deux concerts donnés récemment à l’Olympia ont confirmé que LCD Soundsystem était revenu en rangs serrés, avec tout un tas de machines et de percussions à ses côtés, et chaque personne présente dans l’assistance s’est cette fois-ci accordé sur un point : à la scène, le groupe tient aujourd’hui une forme olympique. Ce qui, on peut maintenant le dire, suffit à justifier son retour… Murphy a donc gagné en voix, les musiciens sont en parfaite symbiose, et Gavin Russom, grand gourou de l’analogique ayant récemment rendue publique sa mue transgenre, va sans doute donner une nouvelle impulsion à cette dynamique de groupe décidément pas comme les autres – où chacun a quelque chose à apporter. Alors, si on parlait maintenant de la suite ?

Pour LCD Soundsystem, il y a désormais trois options.

La base est la suivante : le groupe est au top de sa forme sur scène, il va attirer à ses concerts sur le sol américain les fans de la première heure, mais aussi un public plus jeune, voire même des gens qui sont simplement passés à côté du truc il y a dix ans (et il y en a un paquet)… Bref, il va faire le plein. Pour autant, on ne pourra pas dire que c’est grâce à la sortie de son nouvel album puisque, si celui-ci a décroché la première place du Billboard 200 (mètre-étalon des charts album aux Etats-Unis) début septembre, et ceci pour la première fois dans l’histoire du groupe, « American Dream » en a depuis (et déjà…) été éjecté au profit de moult bouses hip-hop/R’n’B/campus rock (cochez la bonne case) qui vendent manifestement beaucoup plus… Passé l’effet d’annonce, il semble donc que le public américain se foute un peu des nouvelles compositions, ce qui n’est jamais bon signe pour la pérennité du travail à venir en studio… et corrobore le sentiment général évoqué plus haut. A côté de ça, LCD Soundsystem est donc revenu, mais plusieurs de ses membres approchent tout doucement de la cinquantaine, ce qui signifie pour eux qu’il ne faut désormais plus perdre de temps. A sa décharge, le groupe est apparu avec la trentaine déjà bien entamée… et n’ayant de fait jamais connu la gloire jeune comme c’est d’ordinaire le cas dans un groupe de rock, il lui est tout à fait légitime de continuer encore quelques années sans que 1/ cela ne choque quiconque et 2/ cela impacte sa créativité. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : LCD Soundsystem ne peut pas remettre le couvert pour dix ans ou plus… On sait toujours comment se terminent ces histoires de vieux combattants. Donc :

OPTION #1

LCD Soundsystem fait carton plein sur la tournée qui s’annonce (pas de risque là-dessus, tout le monde aurait voulu être au Madison Square Garden à la grande époque), enchaîne potentiellement sur d’autres séries de concerts à travers le monde dans les deux années qui viennent, puis commercialise un double-album « live » qui s’arrache comme des petits pains – tu penses, il y joue ses meilleurs morceaux, et puis moi j’étais à tel concert, et puis moi j’y étais pas mais je les ai vus ailleurs, et puis moi j’achète ce « double live » car il pète bien et « American Dream » m’avait gonflé, etc etc… Les caisses de LCD Soundsystem sont désormais remplies à nouveau, seulement il y a un problème : James Murphy ne trouve plus l’inspiration. Il sait qu’il a déçu certains de ses fans avec son quatrième disque, et les morceaux qu’il a en réserve ne sont pas forcément mieux que les précédents. Alors, plutôt que de décevoir, il décide de ne pas les sortir – ou alors, les sortir sous la forme d’une compilation d’inédits plutôt qu’un album, ça fera toujours rentrer quelques sous. Conscient qu’une nouvelle annonce de split avec tournée d’adieux à la clef serait un peu ridicule car prématurée, il ne communique pas pendant de longs mois, jusqu’à ce qu’on oublie petit à petit son projet qui finit naturellement par mourir à petits feux sans que beaucoup, hormis les fans les plus fidèles, ne lèvent le petit doigt. Et puis, un jour, à la surprise générale… le groupe de sexagénaires se reformera pour quelques concerts devant des gens qui auront le même âge, celui de la retraite, pour laquelle il est devenu plus difficile qu’avant d’avoir un peu d’argent de côté. Las, obèse, déplumé, James Murphy adaptera le hit qui le fit connaître : Losing my hair… Evidemment, c’est la pire des options.

OPTION #2

Requinqué par sa tournée mondiale de 2018 (un vrai succès), LCD Soundsystem se remet au boulot dans les studios de DFA, à New-York. Le groupe est soudé, plus fort que jamais, mais il a remarqué que globalement, aux quatre coins de la planète, leurs fans réagissaient surtout aux anciens morceaux. Ce que veulent les fans, c’est de la disco qui s’étire en boucles acides, des rafales de post-punk bien sales, et des hymnes de stade qu’ils peuvent chanter en chœur avec le briquet allumé. Bref : ils veulent s’éclater… James déclare à ses ouailles : « Oublions « American Dream » ! Il faut revenir à nos fondamentaux ». Les membres du groupe acquiescent car après tout, ils connaissent cette formule par cœur : ce sont eux qui l’ont (ré)inventée… Le nouvel album est donc conçu comme un retour aux années no-wave/disco-punk avec cette fameuse patte propre à LCD Soundsystem. Gros effet d’annonce dans les médias à l’approche de la sortie du disque : « Le nouveau LCD retrouve la veine de « Sound of Silver » et des premiers singles cultes ! » Mais problème : en écoutant le disque, les auditeurs se retrouvent face à de simples copies carbones des morceaux qui ont fait la réputation du groupe. Tous ne s’y retrouvent pas : trop facile… Et puis la production est plus léchée – normal, il fallait bien changer quelque chose. Du coup, le disque rentre tout de même dans le Billboard 200… mais cette fois-ci très loin de cette première place acquise en 2017 à la sortie d’« American Dream ». Certains en viennent à regretter celui-ci : « Au moins, ils avaient tenté autre chose ! » Le nouvel album plonge rapidement dans les fins-fonds des classements… Merde, c’est raté. Humiliés, James Murphy et les siens vont quand même tourner pour assurer la promo de l’album, mais annoncent que cette fois-ci, c’est vraiment la fin. Et vous savez quoi ? Les fans en sont certains.

OPTION #3

« American Dream » a divisé : James Murphy en prend acte. Mais quoi qu’il en soit, il reste fier de cet album largement dédié à son ami David Bowie, album qui lui a permit de montrer un autre visage de LCD Soundsystem, un visage au profil bas, puisqu’il s’agissait de reconquérir ses fans après un split devenu historique… Périlleux exercice qu’il a donc accompli avec une sobriété exemplaire : pas de regrets. Plus la tournée avance, plus il sait quels sont les morceaux d’« American Dream » à placer dans la setlist : commencer avec How Do You Sleep ? et sa lente montée pour se chauffer la voix, oublier la plupart des titres lents pour privilégier les plus dansants (Other Voices, Tonite, Emotional Haircut). Cet album de transition était nécessaire : le groupe peut désormais passer aux choses sérieuses… Murphy le sait : il a promis à ses fans un album fantastique, a déjà des chansons en réserve, et il ne lui reste plus beaucoup de temps avant que la force de l’âge ne l’oblige à se répéter. Donc : tous les membres de LCD Soundsystem mettent les bouchées doubles pour que le cinquième bébé à venir soit leur grand-œuvre… L’idée d’un double-album est évoquée. Murphy tempère : « On verra… L’essentiel est que ce disque soit monstrueux de bout en bout, et qu’il nous voit expérimenter à partir d’autres influences, même si celles-ci resteront ancrées dans les 70’s et les 80’s… C’est notre jeunesse à nous, notre héritage : il faut le revisiter ». Le rock motorik allemand, l’électro-funk, la house, certaines musiques ethniques à dimension tribale et une forme de synth-wave psychédélique commencent à irriguer les nouvelles compositions, toutes ces influences étant passées au filtre du « son » DFA – reconnaissable entre mille… Quand, après avoir pris le temps de le peaufiner, l’album sort enfin, la critique et le public exultent. Quoi que le groupe décide de faire par la suite, il aura rempli le contrat : valider son retour avec un disque à la hauteur de son statut.

C’est bien sûr cette troisième option qui est la seule valable, car si LCD Soundsystem ne fait pas de son cinquième album un chef-d’œuvre, alors il ne le fera plus jamais. Pour terminer, cette anecdote : il a été révélé récemment que la version vinyle d’« American Dream » contenait un message caché, gravé à même le support sur la face D, tout prêt du macaron estampillé DFA. Le message dit : « See u in 5 years ». On peut l’interpréter de deux manières, certes, mais il n’empêche : il est probable que le cinquième album de LCD Soundsystem n’arrive que dans cinq ans. Alors laissons le mot de la fin à David Bowie, qui chantait en ouverture de son chef-d’œuvre de 1972 : « We’ve got five years / That’s all that we’ve got »

Rendez-vous avec l’Histoire est donc donné : de là où il est, c’est le maître qui le demande.

LCD Soundsystem // American Dream // DFA/Sony

8 commentaires

    1. On a le droit oui car 1/ chacun fais fais fais ce qui lui plait plait plait et 2/ un groupe peut être appréhendé comme « surcoté » à partir du moment où il entre dans la sphère mainstream, ce qui est désormais le cas ici.

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