Lire, c'est voyager. Ou vice versa. A l'image de son compère Philippe Garnier, Laurent Ch

Lire, c’est voyager. Ou vice versa. A l’image de son compère Philippe Garnier, Laurent Chalumeau nous offre aujourd’hui sa version originale de l’Amérique. Recueil d’articles de ses années outre-Atlantique pour Rock&Folk, En Amérique nous balade d’un carrefour où un bluesman a vendu son âme au diable à Monument Valley, du bayou à Coney Island. Fasten your seat belts, ladies & gentlemen.

Tout commence un matin, à Pigalle, où un souriant quinqua m’attend. « Un verre d’eau chaude? » Entrée en matière théifiée pour l’homme qui a torturé mes zygomatiques avec Pine d’huitre, Cindy trop forte ou Didier l’embrouille, à la grande époque où il écrivait pour Antoine De Caunes dans Nulle Part Ailleurs. Etrange et excitante situation pour décrypter la mystique rock américaine avec un sacré gouailleur. Il est détendu, moi fébrile. J’enquille une bonne rasade du breuvage britannique et je me lance. Interview pied au plancher du cow-boy parisien.

Pour commencer, pourriez-vous nous donner votre définition du gonzo journalisme?

Au risque de mettre les pieds dans le plat, c’est une étiquette qui m’a toujours fait l’effet d’être casse-gueule.  Au nom du gonzo journalisme bien des arbres amazoniens ont été abattus en vain. C’est un peu comme la Nouvelle Vague. Pour un ou deux pionniers inspirés, on se coltine tous les ringards et les demi habiles qui s’engouffrent dans la brèche. Les rares fois où je me suis senti coupable de Gonzo Journalisme, c’était pour camoufler de l’incompétence, un manque de préparation et de maitrise du sujet. Du coup, je ne suis pas pétrifié de respect pour cette notion. En Amérique, c’est même plutôt une tentative pour surtout ne pas faire du Gonzo Journalisme pur porc.

Comment est née l’idée de ce recueil?

J’avais publié, chez Florent Massot, Uptown, composé d’articles voyages parus dans l’Echo des Savanes. J’ai décidé d’en composer un autre en puisant dans mon catalogue Rock&Folk. Je suis allé voir mon éditeur Olivier Nora (Grasset) pour lui vendre les deux, mais vu la difficulté de sortir deux recueils sur des sujets « niche », on a eu l’idée de les fusionner. Je trouve que la cohabitation en huis clos et la proximité immédiate des différents articles forment un tout plus intéressant que la somme de ses parties. Ce n’est donc pas une idée mais une série de petits accidents.

Pourquoi avoir intitulé vos chapitres « Mythomanes »?

Mythomane au sens flatteur de fabricant de mythes. Je suis toujours impressionné par les gens qui s’inventent eux-mêmes, qui se réveillent un matin et qui décident de ne plus être Robert Zimmerman mais Bob Dylan. J’aime la mythomanie gaie, poétique, généreuse car elle fournit prétexte à divertissement et à réflexion à ceux moins atteints qui observent. En France, il y a une doxa qui valorise une pseudo vérité et spontanéité de l’artiste contre l’artifice. C’est aberrant s’agissant du spectacle.

Comment se faisait le choix des articles à l’époque?

Vers 20 ans, je m’étais retrouvé avec une envie d’écrire mais rien à raconter. Or, le rock c’est épatant parce qu’il y a tout: le sexe, la violence, le pouvoir, l’argent. C’est Shakespeare en cuir clouté. Avec Philippe Paringaux, rédac chef de Rock&folk et de L’écho des savanes, on avait un deal tacite : un pour eux, un pour moi. Du coup, je faisais Phil Collins dont je me battais les couilles et, le mois d’après, Johnny Cash. Les correspondances qui peuvent exister d’un chapitre à l’autre ne sont pas fortuites. Les papiers étaient écrits comme des chapitres de livre. Après évidemment, j’ai eu des coups de bol. Un jour, je lis un entrefilet sur les radios de prisonniers. Je me dis « c’est pour moi ! ». Du coup, non seulement je traite l’anecdote mais j’y accroche le rock et la prison, le fait que Jerry Lee Lewis y ait grandi…et voilà.

Vous entretenez un rapport quasi documentaire à l’écriture. Pourquoi ce choix assez éloigné des canons de la critique rock?

J’étais rentré à R&F faute de pouvoir faire de la fiction. Je pense n’avoir pas été un excellent rock critique. Je cherchais des histoires à raconter, des personnages. Pour le texte sur le rodéo, quand je l’ai relu plus tard pour le premier recueil, j’étais étonné moi-même de ce côté reportage vérité, de ces personnages qui se croisent, qui ne commercent pas forcément les uns avec les autres, mais qui finissent par composer une fresque. J’appliquais des schémas et des méthodes tirés du Nashville de Robert Altman. Appliquer à la réalité des méthodes de fiction et à la fiction des méthodes de réalité.

Comment travailliez-vous à l’écriture de vos articles?

Pour le rodéo par exemple, j’étais resté 3/4 jours. J’avais un magnétophone et je déambulais dans les paddocks, les écuries, je branchais les gens. Quand je suis rentré à New York, j’ai dérushé sans sélectionner et je me suis aperçu que le papier était quasiment là. Il y a eu assez peu d’écriture, le gros du travail a été d’agencer, de recouper. Ce sont les autres qui racontent l’histoire. Même chose pour mes romans. Depuis quelques années, j’essaie de faire disparaitre le narrateur omniscient pour que ce soient les personnages qui racontent l’histoire.

Qui manque à votre tableau de chasse?

Le seul que je n’ai pas rencontré, mais peut-être est-ce mieux comme ca, c’est Dylan. Il est notoirement rétif à l’exercice. Sauf exception rarissime, comme Keith Richards, il y a de toute façon une espèce d’étalonnage entre la célébrité et la qualité des échanges. Moins ils sont connus, plus ils se livrent.

Quelle est la genèse de l’interview désopilante de Rod Ze Road? (le roadie inventeur de la chanson la plus célèbre du monde…le test micro one-two).

A force de faire de la rock critique, assez vite on voit des tics, autant chez les journalistes que chez les interviewés. Il y a une liturgie de l’interview rock qui peut devenir risible. Toujours les mêmes clichés, les mêmes truismes. Pour Rod Ze Road, j’avais déjà arrêté la rock-critique, j’étais à Canal+. J’avais écrit ça pour que ce soit un sketch, mais c’était trop référentiel comme humour pour le diffuser à la télé.

Vous aviez vos représentations des grandes icones américaines. Comment s’est déroulé le face à face avec le mythe?

Je ne prenais pas un grand risque car l’Amérique qui m’intéressait est une Amérique totalement étanche à l’Amérique réelle, politique. Quand je me suis retrouvé à traiter de la culture américaine, elle était déjà entrée au patrimoine de l’humanité, en voie d’étiquetage classique. Ca la rendait plus difficile à vendre, mais ça explique aussi que 25 ans plus tard, elle n’a pas perdu son sel. Je m’étais fait une feuille de route. Le désert, les marais, comme un japonais qui arrive à Paris et qui se dit faut faire du bateau mouche, les Champs Elysées. Quand on est gamin, qu’on lit Blueberry, qu’on rêve de Monument Valley, c’est encore plus Monument Valley quand on y est. Une fois sur place il y a des fantasmes ou des icones qui perdent un peu de leur lustre et d’autres qui éblouissent encore plus.

Vos articles semblent déconnectés de l’ère Reagan, dont vous étiez pourtant témoin. Etait-ce délibéré?

Ca n’affleure pas de façon littérale, mais tout ce qui est de l’ordre des relations entre les communautés, est devenu très vite constamment présent à mon esprit. Si je suis rentré en France, c’est aussi parce que j’avais vu se dégrader en temps réel, les relations entre les noirs et les blancs. En gros, les chiottes étaient beaucoup moins propres quand je suis parti que quand je suis rentré dedans. Le choix des sujets était déterminant, comme le fait de parler de la soul musique, parenthèse enchantée des relations intercommunautaires aux USA. En 1984, le krach a fait redescendre la communauté noire et sa perception comme le buzzer de Question pour un champion, on redescendait de quarante étages d’un coup.

Comment avez-vous vécu les années 80 française de l’autre côté de l’Atlantique?

Je ne les ai pas perçues. Je lisais les journaux dans lesquels je publiais, mais ça ne me faisait pas envie. Il me semblait que les français faisaient des conneries américaines. La sacralisation de la pub, la naïveté bien pensante de Touche pas à mon pote qui voulait être la solution au problème et qui me paraissait au mieux réussir à ne pas être un élément du problème. Au niveau musical, j’étais très content d’être là où j’étais, parce qu’à quelques exceptions près, comme Bashung, j’ai échappé à Jeanne Mas et à Desireless.

Entre fiction et réalité, rock critique et littérature, comment voyez-vous votre style?

Je voulais faire écrivain, du moins conteur. Ma chance c’est Philippe Paringaux. Il était le meilleur éditeur, au sens anglais du terme, même s’il ne m’a jamais fait le moindre commentaire, ni désobligeant ni flatteur. Si ça passait, c’est que ça allait. On était dans les années 80. Les gens qui animaient les journaux étaient, soit des acteurs, soit des élèves de toute cette mouvance nouveau journalisme, d’effusion entre littérature et journalisme.

Serait-il possible d’exercer le métier de journaliste aujourd’hui comme vous le faisiez alors?

La conjoncture n’est pas favorable. La somme de petits accidents favorables qui a été requise pour que cela fonctionne est énorme. Des journaux avec une rédaction en chef commune et éclairée, qui ont pris le parti de me laisser la bride assez longue sur l’encolure. Je voyageais énormément mais pas nécessairement à leur frais. En étant un peu dégourdi, on réussissait à faire payer les billets d’avion par l’un, l’hôtel par l’autre. J’avais déjà conscience d’avoir du bol. Encore plus a posteriori.

Avez-vous remanié les articles pour la publication du recueil?

Rien n’a été modifié. Il fallait laisser les articles dans leur jus, même si aujourd’hui certains passages me semblent naïfs, besogneux, en particulier les articles de voyage où la rédaction est appliquée, presque scolaire. Du genre, travail de quatrième : « Hier c’était dimanche, vos parents vous ont emmené dans le désert. Racontez ».

Qui a eu l’idée de demander à Virginie Despentes de préfacer En Amérique?

J’avais le sentiment que ce n’était pas à moi de faire un avant propos. Il fallait quelqu’un qui n’était pas ancré dans cette époque. Quand Virginie a sorti Baise-moi, la combinaison du titre, de la signature féminine, de la couverture violente et du « parental advisory», m’a intrigué. J’ai commencé à lire la première phrase et deux heures plus tard je terminais la lecture, d’une traite. Depuis, elle m’a dit que ce que j’écrivais l’avait encouragé. Quitte à avoir un effet stimulant sur le travail d’une écrivaine autant que ce soit Virginie Despentes, plutôt qu’Anna Gavalda ou Christine Angot.

Votre livre doit se dévorer en musique, non?

Grâce à la technologie aujourd’hui, vous pouvez chercher de la musique tout en lisant. A mon époque, fallait s’encorder pour trouver le disque en import. Singulièrement, avec la musique c’est marabout, bout de ficelle. Si on commence à s’intéresser, on déroule la pelote. Pour Dylan, son identité, les choses qu’il aborde, vous font devenir très savant. Il n’y a pas de règle, on peut aussi se contenter d’écouter une chanson mais on peut aussi explorer. C’est sans fin. Mais, je ne prends pas trop de risques. A part quelques bêtes à cornes country, c’est surtout les Tables de la Loi.

Vous employez souvent le lexique du sacré. Le Rock est-il une religion pour vous?

Le rock n’est pas une religion mais c’est clairement l’un des lieux de mise en présence quasi directe avec le ressenti d’une transcendance. Ca n’a rien à voir avec la foi, la conviction. Pour la soul music par exemple, certains moments de certains disques sont d’une telle grâce, aussi bien dans la pureté et l’expressivité que dans l’effet bienfaisant que ça produit sur l’auditeur. Spontanément dans nos cultures, on va utiliser un vocabulaire religieux. Quelque chose dans ces musiques vous font sentir nain face à quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus beau.

Et l’Amérique d’aujourd’hui?

En 20 ans je n’y suis retourné que trois fois. Ca ne me manque pas trop. Mes plaisirs culturels restent très colonisés. Je n’écoute quasiment, et de façon obsessionnelle, que de la musique américaine. Si l’occasion m’était fournie de re-crapahuter, de me faire déposer dans un bled et de prendre une bagnole, à l’évidence je resignerais. Maintenant, je fais ça en France. En rentrant des USA, j’ai compris à quel point je ne connaissais pas la France. Pour l’écriture de mes romans, maintenant je pars sur la Côte d’Azur au lieu de la Floride ou de la Californie.

En Amérique, de Laurent Chalumeau (éditions Grasset).

Illustration: Marjolaine Sirieix

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