Aujourd'hui disparu des écrans radars, l'art protéiforme de Marijke Koger illustra le travail de nombreux groupes entre la période “Their satanic majesties request” des Stones et celle du “Yellow Submarine” des Beatles. Cinquante ans plus tard, elle revient sur ces années hautes en couleurs.

Si Marijke Koger a fait de McCartney et de son quatuor sa pierre philosophale, il n’en reste pas moins que son art visuel a aussi croisé la route de Cream, mais aussi de la comédie musicale Hair. À chaque fois, monts et vermeil, pochettes flash typiques des sixties et mêmes œuvres murales sur la célèbre Apple Boutique des Beatles, sur Baker Street. Remise au goût du jour par les franges rétro du groupe Blues Pills, l’artiste nous explique en porfolio commenté quelques unes de ses œuvres multiples à 24 carats et à la rigueur psyché. De Am à Graham, immersion au cœur du kaléidoscope qui dessina les courbes de la planète pop de la fin des années 60 avec sa principale actrice, Marijke herself, qui rappelle à sa manière que les activités psychiques qui débordent de la marge n’appartiennent pas qu’à Marvel et son docteur de l’étrange.

Lucy (Peinture)

“Je suis né dans la banlieue d’Amsterdam, aux Pays-Bas. J’ai grandi en étant entourée de fermes et de prairies où, grâce à une merveilleuse famille d’accueil, j’ai pu découvrir les joies de la campagne avec comme meilleure amie Ida, un Setter irlandais. À l’époque, j’adorais les illustrations de livres pour enfants, notamment les livres et films signés de la patte de Disney, ses Alice Comedies étaient l’une de mes friandises favorites. Amsterdam était connue comme étant une sorte de Magic Center quand j’étais adolescente. Ce mélange a donc suscité mon intérêt pour que je veuille très rapidement entrer dans une école d’art, ce que je fis dès l’âge de quinze ans. En parallèle, j’ai commencé à travailler en tant que créatrice dans une agence de publicité, une belle oportunité qui m’a permis de participer à des happenings où je fis la rencontre de mon futur mari, Simon Posthuma. Nous avons été sollicité pour exposer au centre culturel de la ville, “The Trend”, et mettre en avant nos compositions, principalement une ligne de vêtements, la “Flashing Fashion”. Avec du recul, je me rends compte que je plantais là les graines de ce que deviendra bien plus tard, la boutique Apple de Londres.”

A-Lucy

The Fool (pochette)

“Portés par cette créativité bouillonante, Simon et moi décidons de migrer en Angleterre en 1966. De rencontres en rencontres, notre premier travail à l’orée de l’année 1967 fût de peindre les instruments et de designer les costumes de scène du groupe Cream pour leur première tournée américaine. L’idée première était de personnaliser les instruments de chacun, idée qui fut appréciée par le manager du groupe Rober Stigwood. C’est lui qui nous proposa la création des costumes. Autrement que par la peinture, il s’agissait de saisir les nuances de différents textiles et de les assembler, de créer une sorte de patchwork magique. C’est cet aspect que nous voulions mettre en évidence. Lorsque nous avons commencé à travailler avec Les Beatles, je me suis vite retrouvé débordé par la demande. J’ai dû faire appel à une vieille amie de l’école, Yosha Leeger, qui est naturellement venue se joindre à nous. Barry Finch, chargé des relations publiques, se joindra lui aussi à l’aventure, quelques temps plus tard. Fascinés par le tarot, nous décidons de nous baptiser communément “The Fool” en référence à une carte du premier jeu de Tarot du Major Arcana, symbolisant ce qui est lié à la culture”.

B-The Fool album cover

Incredible String Band (pochette)

“Simon et moi avons créé ce visuel à la demande de leur manager bien avant que The Fool ne devienne un groupe à part entière. Nous avons également contribué aux artworks de groupes comme The Hollies, The Move et créé les costumes de scène de Procol Harum. Il s’agissait des groupes les plus en vue à l’époque mais ils étaient surtout de très bons amis. Nous disposions d’un grand atelier où chacun vivait de ses petites habitudes quand il n’y avait pas de travail. Les groupes, tout comme certains membres. Eric Clapton aimait beaucoup nous y retrouver.”

C-ISB front

Armoire de l’atelier, mur de la maison de Georges Harrison

“Brian Epstein (manager des Beatles, ndlr) était un habitué du théâtre de Saville, il se chargeait de l’organisation des concerts tous les dimanches. Il a fait appel à Barry Finch pour trouver quelqu’un qui serait capable de redonner de la couleur à la couverture de leur programme. C’est grâce à cette couverture que nous avons été introduits auprès des Beatles. En deux temps. Une première fois, John et Paul sont venus à notre atelier accompagné de Mel Evans, un de leurs roadies. Ils se sont extasiés devant la variété et la pluralité de ce que nous proposions. L’un d’eux était comme hypnotisé par une armoire peinte qui trônait dans notre salon. Les deux autres membres n’ont pas tardé à les rejoindre. On nous a présenté à George et Ringo. Même Patti Boyd [muse de Georges Harrison et Eric Clapton, ndlr] nous a acheté quelques fringues, et Georges nous a commandé la peinture de l’un des murs dans sa maison de Kinfauns”.

D-Wonderwall Armoire
D2-George Harrison mural

Mur extérieur de l’Apple Boutique, représentations de diverses cultures ethniques

« Les Beatles venaient tout juste de commencer Apple quand ils nous ont contacté à nouveau. Il s’agissait d’une sorte de concept store qui selon Paul devait “être conçu comme un bel endroit où de belles personnes se devaient d’acheter de belles choses.” La majorité du stock de la boutique était constitué d’habits et d’accessoires à la mode. Lennon refusait l’appelation de “boutique”, mais malgré tout le concept se popularisa sous le nom de “Apple Boutique”. À chacun de leurs passages, ils trouvaient que la façade manquait vraiment de punch. Suite à une grande réunion avec Esptein, le groupe et leurs avocats, il a été decidé d’un commun accord, qu’elle serait décorée par nos soins. Nous avions également étoffé la batisse d’une boutique au premier étage où était mise en vente des reproductions de nos différents travaux. Et contrairement aux idées reçues, nous n’avons jamais décoré la Rolls Royce de Lennon. Nous avons bien peint son piano chez lui à sa maison de Weybridge et c’est de là que vient l’idée de la voiture. Un matin que je jouais avec son fils, j’ai trouvé au fond du jardin une véritable caravane tzigane qui dormait dans un coin. J’ai simplement suggéré à John de peindre sa Rolls de la même façon. Attiré par l’idée, il a trouvé les tziganes responsables de la décoration et leur a demandé d’habiller la voiture des mêmes oripeaux.

E-APPLE MURAL
E2-AppleGenie

Rainbowman, publicité pour l’algue Blue Green

“Difficile de dire d’où provenait notre inspiration. Nous étions très proche de l’esprit dégagé par l’univers des enregistrements Akashiques. Il s’agit d’un recueil de pensées, d’évènements et d’émotions qui amène à imaginer l’existence sur un plan non physique et plus connu sous le nom de « plan astral ». C’est une philosophie proche d’une certaine forme d’ésotérisme à travers laquelle nous cherchions à percer certains mystères de la vie pour nous approcher d’une forme divine inconnue. Cette pensée guidait nos réflexions, influait aussi sur notre subconscient – qui a évidemment sa part dans la créativité de certaines de nos œuvres. Je suppose que tout cela a servi la matière que nous exploiterons par la suite.”

F-Rainbowman

Façade de l’Aquarius Theater, détails de la fresque de l’Aquarius Theater

“Le président de Mercury Records, Irwin Green, est venu un jour nous rendre visite à l’atelier. Nous étions en pleine répétition d’un set acoustique que nous préparions avec Simon. Il a adoré le rendu et nous a proposé de le suivre à New York pour enregistrer un album. Le disque sera le pendant musical de notre mouvement artistique. C’est comme ça que Graham Bond s’est joint à l’aventure en tant que directeur musical et Graham Nash, comme producteur. Une fois l’album achevé, nous avons fait le tour des différentes radios américaines pour en parler, en terminant cette tournée par Los Angeles. C’est là-bas que nous avons rencontré Michael Butler, producteur de la comédie musicale Hair. Nous lui avons proposé de continuer l’aventure commencée avec les Beatles à Londres en peignant la façade de l’Aquarius Theater, où Hair devait se jouer quelques jours plus tard. Il trouva que c’était un formidable outil de promotion et nous donna carte blanche. En 1971, notre énergie changea et nos inspirations se tarirent. The Fool se sépara et les autres membres partirent des États-Unis pour rejoindre Amsterdam. Mon ami d’enfance, Yosha, décéda quelques temps plus tard, d’une rupture d’anévrisme. De mon côté, j’ai vécu une partie de ma vie à L.A, pour finalement quitter la ville en 1973, au moment de ma séparation d’avec Simon.

G-Aquarius Theatre Mural

G2-Urania Aquarius detail

Bob Dylan (poster)

“Si The Fool s’est terminé aux début des années 70, Simon et moi avons continué à enregistrer deux albums, “Son of America” avec Graham Nash et Booker T.Jones [le compositeur de Green Onions, Ndlr]. Nous connaissions Graham Nash de longue date, c’est l’une des premières personnes que nous avons rencontrée à notre arrivée à Londres. Il a toujours été très encourageant avec nous. Il aurait pourtant pu nous laisser de coté, n’en avoir que faire d’un groupe de musiciens folk amateur comme le notre. Mais non, il était toujours très drôle lors de nos enregistrements en studio. Il est pour beaucoup dans le bon esprit qui émane de nos disques. Par la suite, nous avons retrouvé Booker T.Jones pour l’enregistrement de notre dernier album “Mediterranean Blues”. Après celui-là, les relations entre Simon et moi n’ont plus jamais été les mêmes.”

H-Bob Dylan poster

Cosmic Circus (poster)

“Il est vrai que les chevaux sont souvent représentés dans mes œuvres. Je pense que c’est mon hommage à la nature. La nature, c’est le divin et les chevaux sont une de ses parfaites incarnations. Les chevaux soignent, ne sont pas exempts d’une certaine forme de noblesse et sont surtout vraiment très beaux. Ils ont tant donné à l’humanité à travers l’agriculture mais aussi les guerres et les plaisirs simples de l’homme… Je remercie l’existence de m’avoir permis de côtoyer leur bestialité et leur force. À travers ce rapport à l’animal, je parle également de ma croyance en la réincarnation. Qui me dit que je n’ai pas été un jour quelqu’un d’autre ? Je crois également que lorsque notre karma est enfin complété, que nous avons payé pour tous nos mauvais comportements passés, nous migrons alors vers de plus hautes sphères. J’aime la vie et je suis encore à la recherche de ces nouvelles sphères d’existence.

I-Cosmic circus

Blue Bills (poster et pochette) 

“J’ai peint ce poster en 1966 pour un concert ou un évènement dont je ne me rappelle plus la teneur. En 2014, le groupe Blue Pills m’a contacté via Internet pour utiliser ce visuel en vue d’illustrer la pochette de leur premier album. Leurs titres, partagés entre la reprise du Gipsy de Chubby Checker et un “Astralplane” m’ont tout de suite parlé. Je suis toujours heureuse de voir que maintenant encore des gens s’intéressent à mon travail. Il est surtout drôle de constater que les choses évoluant, on a pu leur donner envie de retourner en arrière pour revivre certaines années d’une façon nouvelle, pour s’en réapproprier la substance. Le rock de Blue Pills est plus appuyé que la plupart des artistes que j’ai côtoyés et la chanteuse, même si elle se donne tous les apparats des tenues seventies, est d’une beauté très actuelle. Une très belle beauté d’ailleurs…”

poster, Tue Jun 03, 2008, 11:52:30 AM,  8C, 6242x8448,  (1426+2665), 150%, bent 6 stops,  1/50 s, R93.1, G72.0, B97.5
poster, Tue Jun 03, 2008, 11:52:30 AM, 8C, 6242×8448, (1426+2665), 150%, bent 6 stops, 1/50 s, R93.1, G72.0, B97.5

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