People try to put us d-down (Talkin’ ’bout my generation)
Just because we get around (Talkin’ ’bout my generation)
Things they do look awful cold (Talkin’ ’bout my generation)
I hope I die before I get old (Talkin’ ’bout my generation)

A lire les réactions aux réactions devant l’interdiction de l’exposition Larry Clark, on peine à trouver un point de vue qui prenne en compte le lieu de son travail, non pas ce qu’il montre, mais d’où il le montre. On néglige le décadrage fondamental des images de Larry Clark, le changement de paradigme social qu’il expose. Il n’est pas seulement question de ce que représentent les images, mais de savoir d’où ces images sont articulées.

Larry Clark s’est d’abord fait une réputation dans le monde de la photographie en 1971 avec Tusla, plongée noir et blanc dans le quotidien d’un groupe de très jeunes drogués, des images simples qui déroulent un quotidien où cohabitent sexe, speed et armes à feu. Rien de moralisateur dans son regard, mais souvent des histoires qui finissent mal, la mort n’y fait pas que rôder. En 1995, Clark passe à la réalisation avec Kids, autre coup de poing. Il participe au projet Destricted en 2006, des artistes contemporains qui se frottent à la question du porno. Il produit le seul film vraiment convaincant de la série en retournant la caméra vers les gamins qui construisent toute leur psyché sexuelle à travers le X. Clark vieillit mais reste plongé dans une jeunesse américaine, white trash, toujours droguée, sauvage, sans glamour, sans jugement, finalement comme s’il n’était que l’un des leurs.

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris expose depuis deux semaines son travail photographique, l’exposition est interdite au moins de 18 ans, la presse, les politiques crient à l’autocensure de la part de la Mairie de Paris. D’un coté on prône le respect de la loi, de l’autre on soulève le paradoxe d’une interdiction au public concerné. Mais voilà, les arguments qui sont développés partent tous du principe que les images et leur présentation sont des événements homogènes dans un contexte unique. Le débat qui interpelle les adultes responsables tourne plus où moins à vide. A vrai dire, il s’agit presque d’un enjeu ethnologique. D’un coté se trouve la loi, la société, une certaine vision des mœurs. De l’autre, tout un monde qui est justement exclu de ce système, un autre continent où la question n’est pas la légitimité de la Loi, mais le fait qu’elle n’ait aucun sens.
Si l’on revient, par exemple, au film Ken Park de Larry Clark, ce qu’il montre est le mode d’une survie dans une société où la Loi justement échoue, où les adultes démissionnent de leur rôle, où les ados doivent prendre ces responsabilités usées, mal taillées, encore trop grandes pour eux. Le déséquilibre est si fort qu’il renverse les rôles. Les personnages adultes, non seulement n’assument plus rien, mais encore se voient, se comportent et se veulent eux-mêmes comme des adolescents. Confrontés à cette régression, les adolescents du film finissent par prendre en charge, approximativement mais avec sérieux, le rôle des adultes. On pense à Lord of the Flies, et à la manière dont de très jeunes humains cherchent à construire un cadre de société, avec les débris mêmes d’une civilisation qui n’a su leur fournir ce cadre.

Les photographies de Larry Clark s’adressent à la société des adultes, mais ne peuvent y être rationalisée tant elles pointent ses échecs. Leur présence au Musée d’Art Moderne est une passerelle entre deux sociétés en crise. La réaction politique et médiatique ne concerne justement que la société adulte, celle pour laquelle le musée est l’un des dernier lieux de sens et l’adolescent un adulte en puissance. Ce qu’elle exprime dans ce débat marque son incompréhension, sa peur d’une liberté, d’une sauvagerie qu’elle ne comprend ni ne contrôle. Il ne s’agit pas seulement du trouble inhérent à l’adolescence, il s’agit d’une adolescence qui n’a plus de place dans l’édifice social et qui s’érige en une société alternative, une possible menace.

Larry Clark malgré son âge, malgré son institutionnalisation, appartient à ce peuple. De ce peuple, l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick parle avec beaucoup de subtilité, lui qui a vécu longtemps en Californie dans une maison où passaient de très jeunes gens, hippies, paumés, drogués. Et Dick de rappeler que ces étiquettes viennent d’un autre monde, qu’elles ont la même valeur que d’archaïques classements ethnologiques, que ces jeunes vivent selon d’autres règles, que si la société est responsable de leur égarement, cet égarement est devenu leur seul foyer et que, de ce lieu, la société ne peut ni les sauver, ni leur faire plus de mal, le mieux étant qu’elle se tiennent en retrait.

Les images de Larry Clark ne sont pas destinées aux adolescents plus qu’aux adultes. Interdire leur présentation n’est ni un bien, ni un mal, c’est simplement un non-sens, le mieux serait de hausser les épaules et de mettre la musique un peu plus fort.

Expo Larry Clark Kiss the past hello // Au Musée d’Art Moderne // Du 8 octobre au 2 janvier 2011.
http://mam.paris.fr/fr/expositions/larry-clark

4 commentaires

  1. Sans cette polémique l’expo n’aurait pas attiré tant de monde. Volonté du Musée d’Art Moderne de se la raconter transgressif. Je m’attendais à découvrir avec plaisir un peu plus du travail du Larron Clark, bof, j’en suis sortie en courant me ressourcer chez Basquiat « Now the time! ».
    On devrait le dire que cette expo, avec toute l’admiration que je peux avoir pour Larry Clark, que cette expo est un peu une arnaque, une belle fumisterie organisé par le directeur Fabrice Hergott et dans laquelle le pauvre Clark y est tombé à pieds joints sans se méfier, et en y entrainant tous les journalistes, cultureux et faux subversif à prendre part dans la polémique qui ne devrait pas avoir lieu.
    Allez soyez sincère, vous à Gonzai ; sans cette agitation autour de l’expo vous n’auriez pas écrit ce papier.

  2. Yep, et à vrai dire, rien n’est dit d’autre…
    c’est un papier sur la polémique et sur l’excellent travail de Clark, pas vraiment sur l’exposition. Cela dit, je ne pense pas que ce soit un coup de pub. Que cela sur-vende l’exposition c’est un fait, mais on n’y trouve rien d’autre que le travail photographique de Clark, dans une crudité qui n’est aussi que la matière d’un autre quotidien.
    L’accrochage est un peu moins funky que celui de la biennale de Lyon et il perd, par exemple sur Tusla, un peu de la force du livre. Mais c’est aussi la critique que l’on pouvait faire sur l’exposition Robert Frank du Jeu de Paume, où les tirages au mur ramenait finalement au livre, forme idéale et indépassable dans le rythme qu’elle permet à des photographes du flux, temporel et topographique, que sont Clark et Frank.

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