5 septembre 2017, Grande Halle de la Villette. Don Bryant and the Bo-Keys vont jouer pour une date unique en France, en première partie de Gregory Porter. Je vois les spectateurs entrer en nombre dans la salle. Que sont-ils venus chercher ici ?

Il y a ceux qui patientent au bar parce qu’ils attendent Gregory Porter. Ils font la queue longtemps, en parlant fort, dans le but de se lester d’une pinte de bière en plastique.

Il y a ceux qui lèvent les bras en tenant leur téléphone en format paysage. Olivier Cachin : « Les gens ne veulent pas voir un concert, ils veulent dire qu’ils ont vu un concert, qu’ils ont vécu l’expérience du truc. Ils le regardent sur leur téléphone. »

Il y a ceux qui sont venus par tropisme culturel. C’est Jazz à la Villette ici. Il y a Pharoah Sanders et Tony Allen à l’affiche. La télé qui filme les concerts, c’est Arte. La radio qui les enregistre, c’est FIP.

Combien de spectateurs sont dans la salle ? 3000 ? Un échantillon sans doute représentatif. L’institut YouGov a interrogé les français sur leurs marques préférées en 2017. Dans les dix premières, on trouve évidemment Google, Youtube et Samsung. Mais aussi La Laitière et Bonne Maman. On veut du moderne, mais on est attaché à la tradition, ou à son image. On veut le craquement des vinyles, et on veut du 4K.

Don Bryant est pratique : c’est une légende qui a sa page Facebook. C’est une AOC Memphis Soul. C’est une garantie de traçabilité.

Don Bryant

« La Soul est une collection de musiques en constante expansion qui sont plus ressenties qu’écoutées, et dont l’origine et la destination est ce lieu ésotérique connu sous le nom d’âme » (Hillman Mondegreen, leader de Ephemerals).

Moi, je suis venu pour percer le mystère de la Soul. Je ne partirai pas sans. Pour comprendre pourquoi j’écoute encore aujourd’hui un genre musical qui a connu son apogée quand j’étais en moyenne section de maternelle, je veux cartographier l’anatomie de l’âme. L’exercice peut sembler aussi vain que de tenter la dissection d’un éclat de rire, mais j’ai un pass backstage qui me donne, pour une soirée, le pouvoir de franchir les 4 cercles qui me séparent de l’épiphanie.

4ème cercle : l’homme qui est venu faire signer son vinyle

Olivier Cachin montre à Don Bryant le numéro de Rock n’Folk dans lequel est publiée l’interview qu’il a faite à distance il y a quelques mois, puis lui demande une dédicace sur le vinyle de l’album. On est avant le concert.

Olivier, quelle est ta définition de la Soul ?

Olivier Cachin : « Alors tu as la réponse de George Clinton dans ce titre de Funkadelic « What is Soul ? I don’t know ». »

George Clinton ne se situant ni dans le passé ni dans l’avenir, mais dans l’espace, il n’a pas eu de difficulté, dès 1970, à trouver la définition la plus imagée : « Soul is a ham hock in your cornflakes ». Je l’ai emprunté pour le titre de l’article.

Olivier Cachin : « Sinon, je te ferais la réponse classique : la Soul est une musique créée dans le sud des USA, chantée par des noirs et qui exprime la douleur et l’émotion. Mais ce qui est marrant c’est que quand tu parles aux soulmen, c’est ce que m’a dit Bobby Womack, c’est que tu n’as pas besoin d’être noir pour faire de la soul. T’as juste besoin de sortir tes tripes et de les poser sur la table. C’est pour ça que Dusty Springfield a de la Soul. Tu as même des gens qui ont de la Soul mais qui ne font pas de la Soul music, qui sont capables de de se mettre à nu et de balancer des trucs avec une forme d’impudeur comme seule la musique le permet. Mais si on parle des soulmen historiques comme Don Bryant, c’est clair que c’est comme les pandas, c’est une espèce en voie de disparition. Et dans les jeunes tu as ceux qui vont faire à la manière de, mais est-ce que c’est de la Soul parce que tu as les Dap-Kings derrière toi ? Sans doute, mais le manteau est lourd à porter, parce tu es dans l’héritage de Marvin Gaye, de Smokey Robinson, de Don Bryant, de plein d’autres, l’expérience est quand même dure à assumer. »

« La Soul est la musique qui vient du cœur » (Myles Sanko)

« Est-ce qu’être un soulman aujourd’hui ce n’est pas faire quelque chose de différent, c’est-à-dire avoir la même émotion que pouvaient avoir les artistes des années 60-70, mais en faisant autre chose ? Est-ce que la Soul d’aujourd’hui ne se retrouve pas dans certaines expressions du hip hop ou dans d’autres musiques ? Si tu dis : je vais faire comme Marvin Gaye, et que tu essayes d’avoir la même intensité émotionnelle… il y a ce playback pour une émission télé et c’est juste la piste voix. Et c’est un truc… tu as les poils des bras au garde à vous tout de suite, tu te dis que c’est surhumain. Sans les arrangements, le travail de studio, juste une voix et un mec qui balance un truc qui est tellement fort, tellement puissant, que c’est aussi quelque chose qui est lié au vécu. »

« Des gens comme James Brown, ils ont connu l’apartheid aux USA. Ils savent ce que c’est que « toi le nègre tu sors d’ici » et ce que ça amenait comme émotion. Après on ne va pas dire qu’il a fallu être esclave pour faire de la Soul Music de qualité, ce serait débile. Mais avoir connu une époque ou être noir était quelque chose qui était encore plus dangereux que ça l’est aujourd’hui, c’est sûr que ça t’amène quelque chose. Et puis aussi avoir grandi dans une ambiance ou tu chantes dès que tu as 3 ans, ou tu vas à l’église, tout ça fait un grand tout qui a amené à une époque de la musique américaine, la Soul, Stax, tous les micro-labels qu’il y avait, c’est un truc inépuisable. »

3ème cercle : l’homme qui a vu l’homme qui a vu mourir la Soul

Le 10 décembre 1967, Otis Redding et son groupe montent dans son avion privé, un Beechcraft. Il vient de finir l’enregistrement de « The Dock of the Bay » à Memphis et après avoir fait une télé à Cleveland, il vole vers un concert à Madison. Otis, à ce moment-là et pour toujours, est la parfaite incarnation de la Soul. Mais l’avion va plonger dans les eaux glacées du lac Monona. Sept des huit passagers meurent cette nuit, de froid et par noyade. Otis a 26 ans, ses musiciens entre 18 et 20. Il y a un seul survivant : le trompettiste des Bar-Kays, Ben Cauley.

Ben Cauley

Quelques minutes avant le concert je pose quelques questions à Scott Bomar, producteur de l’album, et leader des Bo-Keys qui accompagnent Don Bryant sur scène. Il a connu et joué avec Ben Cauley.

Scott Bomar : « Ben Cauley était quelqu’un de très intense, et en même temps très doux et très gentil. C’était un pur esprit plus qu’une personne. C’était quelqu’un de magique. Et il avait le son de trompette le plus étonnant. Il avait une signature sonore. Personne d’autre ne sonne comme Ben Cauley à la trompette. A la seconde ou il jouait une note, tu reconnaissais ce son. »

Le son unique de Ben Cauley, c’est celui de Soul Fingers des Bar-Kays.

Scott Bomar : « Ben est passé par plein de difficultés, le crash de l’avion… Et dans les années 80 et 90, il a fait des AVC, il était très malade, et le médecin lui a dit d’arrêter de jouer. Mais il a continué. Et il n’avait rien perdu de son jeu. C’était super de travailler avec lui. Il ne vivait pas dans le passé. C’était ici et maintenant. Dans tout ce qu’il faisait, il donnait tout ce qu’il avait. On parlait d’Otis, parfois. La plupart des histoires c’était des trucs drôles sur la vie en tournée, comment ils s’étaient rencontrés. Les Bar-Kays jouaient dans un club à Memphis, et Otis est venu et il leur a dit “I want you guys to be my band”. De temps en temps il parlait du crash. Il ne savait pas nager. Il m’a dit que la seule raison pour laquelle il a survécu est qu’il n’avait pas bouclé sa ceinture. Il dormait allongé avec un coussin gonflable sur le sol de l’avion, et il a été sauvé parce qu’il a été éjecté avec. Il dormait, et il s’est réveillé flottant dans l’eau avec le coussin. »

Scott est le spécialiste des survivants de la Soul. Il a aussi travaillé avec Skip Pitts, le guitariste qui a créé le riff légendaire de Shaft pour Isaac Hayes.

Scott Bomar : « Quand tu travailles, tu peux être artisan, musicien, sculpteur. Si tu y consacres ta vie, plus tu avances en âge et plus tu améliores ta pratique. Tu n’as jamais fini. Tu essayes constamment d’être meilleur. Donc avoir l’opportunité de travailler avec des musiciens comme Ben ou Skip t’apprends énormément, parce qu’ils ont tellement d’expérience, tellement de vécu, ils ont fait tellement de choses, ils te donnent tellement d’informations, qu’ils améliorent ce que tu fais, sur une grande échelle. Skip, Ben Cauley, Willie Mitchell, s’ils n’avaient pas été là, je ne serais pas à Paris ce soir. Ils m’ont appris. Ils ont été mes mentors. Ils m’ont entrainé, aidés. Skip était guitariste et moi bassiste, on jouait l’un à côté de l’autre. Il m’a montré des trucs, il avait tellement d’expérience. Il a commencé avec Gene Chandler, il joue, très jeune, sur le titre Rainbow 65.

« Il a joué avec les Isley Brothers, Wilson Pickett, et puis Isaac Hayes, et à chaque fois qu’il jouait avec un de ces groupes, il décrochait un hit. C’est lui le riff de It’s your thing des Isley Brothers. Il m’a appris toutes ces chansons. Je suis aussi producteur : il m’a montré comment enregistrer la guitare. Les différents sons que tu peux avoir, et aussi comment diriger un groupe. Il m’a appris sur le business, à la fois en studio et sur scène, parce qu’il était doué pour les deux. »

« La Soul est le meilleur truc qu’on ait inventé pour atteindre que « ce soit bien », un remède pour le corps et l’esprit » (Ludovic Bors, patron du label Q Sounds Recording)

Scott Bomar : « Pourquoi j’ai consacré ma vie à la Soul ? J’ai vécu à Memphis toute ma vie, et la première fois que j’ai entendu Otis Redding, ou Green Onions par Booker T and the MG’s, ou Soul Fingers par les Bar-Kays, quelque chose m’a attrapé, et ne m’a plus jamais lâché. J’étais très jeune quand j’écoutais ces sons et j’ai ressenti quelque chose de vraiment spécial. Sans que personne ne me dise rien, j’avais compris que cette musique venait de là où j’étais, et je me suis connecté à elle très tôt, je suis devenu un étudiant de cette musique, un apprenti. J’ai voulu en savoir le plus possible à propos du Memphis Sound. Dans le groupe ce soir, il y a Don et il y a Archie Turner, aux claviers, ils étaient là chez Hi Records, ils ont créé les fondations de cette musique. Mais pour nous autres dans le groupe, on est plus jeunes, on a fait des sessions avec Willie Mitchell, on a travaillé avec tous les musiciens de Hi Records, les membres de Booker T and the MG’s, les membres du groupe de Chips Moman, avec les Memphis Boys, on a étudié ces sections de rythme, on a travaillé avec eux. La section de cuivres a travaillé avec Bobby Blue Bland, et Ike Turner. On a été des étudiants de la musique dont ils sont issus. On veut continuer ce son et cette tradition musicale. La raison pour laquelle on a fait ce groupe c’est parce qu’il y a tellement de grand musiciens, chanteurs, artistes, à Memphis, qui méritent d’être entendus par le reste du monde. Parce qu’il y a un énorme talent dans cette ville. Je voulais aider à amener ces talents à un public plus large. Tout cet amour que Don reçoit du public le rend heureux. Et c’est un honneur de pouvoir être témoin de ce qui lui arrive. […] Le succès tardif de Don Bryant ? C’est ce qui arrive quand quelqu’un travaille dur dans sa jeunesse parce qu’il veut quelque chose, mais qu’il se passe des décennies avec rien. Finalement, il est reconnu pour son talent. Ce que je crois à propos de l’album de Don Bryant, c’est qu’il est positif, Don a toujours cette énergie, et il sait comment la transmettre aux autres. »

Scott Bomar

Scott Bomar : « La soul est un hybride. Il y a les songwriters professionnels qui viennent de la Country ou de la Pop, il y a le Gospel qui vient des églises africaines-américaines, et tu as le jazz avec les cuivres, et avec la guitare tu as un peu de blues, et au-dessus de tout ça, tu as l’influence du Rock n’Roll des années 50-60. Ça donne la Soul. La magie, elle, vient des individus, c’est leur feeling. C’est ce que te dirait Willie Mitchell : tu peux avoir les meilleurs musiciens du monde, sans feeling, tu n’as rien. Si c’est bon, c’est de la Soul Music pour moi, quel que soit le genre. Il y a des rockers soulful, des rappeurs soulful. Par exemple, j’adore cette version française de Memphis Train qui a été enregistrée dans les 60’s par Jenny Rock. Les DJ à Memphis adorent cette version. »

Je voudrais bien aller à Memphis. Il y a un feu d’artifice. Je suis à la gare depuis tôt ce matin. Et j’ai raté tous mes trains.

2ème cercle : l’homme qui a connu tout le monde

Je suis maintenant dans la loge de Don Bryant and the Bo-Keys. C’est une grand pièce vide, meublée de chaises en plastique. De temps en temps une odeur de viscose flotte dans l’air : celle des costumes noirs des équipes de sécurité, qui passent sans regarder, croisant parfois des pompiers à pull rouge et bande réfléchissante. On est après le concert. L’odeur de sueur des musiciens complète le tableau : on se croirait dans les vestiaires d’un gymnase.

« La Soul Music c’est le son des battements du cœur qui prennent forme en sueur, en cris, en sauts, en ondulations du corps, en frissons, en poils qui se dressent sur les bras, en courant électrique ! » (Lisa Spada, auteur-compositeur interprète Soul)

Assis devant moi, chapeau incliné : Archie Turner. Je repense à cette version de Land of 1000 dances, de Wilson Pickett au Ghana, avec Archie Turner aux claviers. C’est le dernier titre du concert, Wilson Pickett est assis au bord de la scène. Il raconte : « j’étais en Angleterre et un type du nom de Ringo est venu me voir. Il m’a dit : « tu as fait le tour du monde en chantant à propos d’un truc appelé Soul. Est-ce que tu peux s’il te plait me dire ce que c’est que la Soul ? ». J’ai dit : « Ringo, Soul is nothing but a feeling ». Wilson Pickett se lève et déclenche un mouvement de foule incroyable, qui le dépasse lui-même par instants. Mais les pulsions à l’œuvre ce jour de 1971 étaient purement vitales. Altamont inversé.

Archie Turner : « [La Soul] je fais ça depuis tellement longtemps, c’est ancré en moi. J’ai joué tellement de concerts, man. Cindy Lauper est venue à Memphis pour enregistrer un album de blues. J’ai eu la chance de jouer dessus. Plein de mes amis aussi : Teenie Hodges, Charlie Musselwhite, the Memphis Soul Survivors, et quelques jeunes. Les sessions se sont bien passées. Deux semaines après j’ai eu un appel de son agent à Brooklyn, et elle a dit : « est-ce que tu veux partir en tournée avec nous ? » Et on est parti, on s’est bien marré, on est allé en Argentine, Uruguay, on a joué sur la plage au Chili, en Islande, Norvège, Espagne, Australie. Elle m’appelait « le Révérend ». A la fin des concerts elle venait derrière moi et mon Hammond, je faisais un solo et elle chantait Girls Just Want To Have Fun façon Gospel, et les gens devenaient fous, man ! J’ai dû regarder sur Wikipedia, pour voir combien de dates on avait fait. Là, après l’album de Don, je suis allé à New York, pour faire celui de Robert Cray, avec la Hi Records Rythm Section. Il est venu à Hi Records, là où on a fait les albums d’Al Green dans les 70’s, Paul Rodgers est venu aussi. Le Memphis Sound est devenu classique au fil des années, a pris une dimension historique. J’ai grandi avec le blues, j’ai joué avec des types comme Albert King, Bobby Blue Bland, j’ai joué avec des groupes de rock, j’ai joué au Fillmore West. J’avais ce groupe Blackrock, dans les 70’s, juste avant que je rejoigne Al Green, on a fait un 45t, avec ce titre Yeah Yeah. Un jour je répète à New York, et je vais dans un bar pour prendre un verre, je discute avec un type, je lui parle de Blackrock, il me dit « Blackrock, that’s the funkiest song ever recorded ! ». Il me dit que sur Ebay le 45t se vend 600$, et je n’en ai même pas une copie, ha ha ! »

Archie Turner : « J’ai travaillé pour Stax aussi, au studio B et au studio A. Paul Butterfield est venu en ville, avant de mourir, il a fait un album à Memphis, sur le label Bearsville, il cherchait des chansons, j’ai deux chansons sur cet album. J’ai rencontré Mike Bloomfield aussi. J’étais fan de Jimi Hendrix, ma vie ressemble un peu à la sienne tu sais : j’ai laissé tomber le lycée, j’ai été à Fort Campbell, le même camp d’entrainement pour le Vietnam que lui. Le guitariste préféré de Jimi était de Memphis, il s’appelait Larry Lee, c’est lui qui joue à Woodstock avec Jimi, deux semaines après son retour du Vietnam. Larry et moi on était au Vietnam ensemble. J’ai passé un an là-bas. Ils m’ont envoyé dans l’infanterie, à Chu Lai, près de la DMZ. J’avais un ami, Herb « The K » Kneeland, qui travaillait dans la radio de l’armée à Saïgon : AFVN. C’est la radio sur laquelle est basée le film Good Morning Vietnam. Quand je l’ai entendu, je me suis dit : « Ah! that’s my ticket out of the jungle ! » J’ai fait du stop jusqu’à Saigon pour le voir, Larry Lee est passé ce jour à, et m’a dit : « qu’est-ce que tu fous là ? ». Il avait son groupe, j’avais mon groupe. J’ai passé le reste de mon temps à jouer pour des GI qui buvaient de la bière, à Saigon, affecté au Special Services Office.

Archie Turner

« Si tu vas sur le site de la Memphis Blues Society, il y a un article, qui retrace ma carrière depuis les 60’s, avec ma discographie. Il y a des photos pour prouver que tout ce que je te raconte est vrai. J’ai été en Angleterre en 87 avec BB King. Quand j’étais gamin, je n’aurais jamais rêvé de jouer avec toutes ces légendes. Cette année j’essaye de sortir mon CD. J’ai déjà enregistré les chansons, elles parlent de ma vie. C’est un peu dans le style de Stevie Wonder : je fais tous les instruments et les voix aussi. J’ai tout fait chez moi. C’est un mélange de Rock, de R&B et de Country. Je dois sortir mon livre aussi. En même temps que le CD. Je raconte tout dedans. Va voir le site du Memphis Blues Society, tu verras les photos. Don Bryant était le chanteur favori de Willie Mitchell dans les 60’s. j’étais encore au lycée à l’époque. C’est mon ainé, il m’a appris des choses. Il venait à la maison pour répéter avec Willie Mitchell, et Teenie Hodges on avait un groupe appelé The Impalas. On peut entendre Don chanter sur un titre de Willie, That Driving Beat, en 65. Cette vie, c’était un privilège and a lot of fun. »

1er cercle : l’homme qui est devenu célèbre à 75 ans

Après 8 minutes de concert, un gros son métallique emplit la salle. C’est celui du micro de Don Bryant qui heurte le sol. A la fin du second morceau, Don tombe lourdement. Flottement chez les musiciens. Il reste à terre, a du mal à reprendre ses esprits. 45 secondes en tout. Marc Franklin (trompette) le relève. On lui apporte une serviette. Il a cassé ses lunettes dans la chute. Il saigne de l’arcade. C’est l’unique moment où, de la salle, on a vu un homme de 75 ans. Pendant les 45 autres minutes, l’expérience collectivement vécue est celle de la vision d’un corps à la force hors de contrôle, dans un état de conscience élargie, sans intervention de la pensée, d’une intensité naturelle multipliée par l’extase. Une voix projetée sur tous les murs de la Grande Halle. La vidéo du concert sur le site d’Arte a été magnifiquement éditée. La chute a disparue.

Aller dans la loge après le concert est simple. Avoir accès à Don l’est moins. Il est protégé. Pour pénétrer ce dernier cercle, il faut l’autorisation de Cerbère. Celle qui veille sur Don est la femme de Scott Bomar. Son nom évoque plus Dublin que Memphis : elle s’appelle Kerri Mahoney. D’un regard ferme, elle m’accorde cinq minutes.

Don est assis, seul. Penché en avant, il a dans sa main une petite bouteille de Cristalline. Je m’approche. Il se lève et me prend dans ses bras. Il parle d’une voix très faible et voilée, à tel point que j’ai du mal à l’entendre quand quelqu’un d’autre parle à l’autre bout de la pièce. Mais le regard est franc et l’œil semble contenir à lui seul toute la ferveur consumée sur scène.

Don Bryant : « C’est la première fois pour moi à Paris. J’ai ressenti beaucoup d’amour ce soir. Ma voix parlée est différente, parce que j’essaye d’économiser ma voix de scène. Je ne sais pas pourquoi mais quand je suis sur scène, je veux y aller à fond, je veux chanter, je veux m’éclater, le plus possible. C’est un voyage inouï, et j’en savoure chaque minute, parce que j’avais fini par penser que j’avais laissé passer toutes les opportunités. »

Le Memphis train est passé, ah ça alors ! Le premier train, parti. Le second, parti aussi. Le troisième vient de passer. Et moi je suis encore ici.

« Il peut y avoir plein de raisons qui expliquent ce délai, mais j’avais gardé ça en moi toute ma vie. La première fois, ça n’est pas arrivé, je me suis tenu à l’écart. Mais j’ai continué d’aimer ça, de prendre du plaisir. Je sais encore comment écrire une chanson, comme je le faisais avant. C’était juste enfoui en moi, tout le temps, ça ne m’a jamais quitté, mais je n’étais pas en situation de l’exprimer. Et l’opportunité s’est présentée. Scott m’a demandé si je pouvais faire quelques chansons et les interpréter, et j’ai dit que j’allais essayer. La Soul est une partie de la vie. La Soul c’est ce que je vis, et comment je le vis. Comment je suis investi par rapport aux autres. Pour moi, c’est être passé par des épreuves, et raconter au monde quelles ont été ces épreuves.« 

Mes 5 minutes sont passées. Je me lève, et je serre la main de Don.

https://www.facebook.com/kamahoney/videos/10159269600465634/

Un peu plus loin, Archie Turner a trouvé un nouvel interlocuteur : « En 74, Ann Peebles a sorti I Can’t Stand the Rain, et elle chante au Troubadour un soir, et un type bourré commence à la chauffer. Je suis intervenu, et la sécurité a fini par l’expulser. C’était John Lennon. J’ai réalisé que c’était lui quand j’ai lu l’incident dans Rolling Stone. Ann ne l’avait pas reconnu non plus, elle a juste pensé que c’était un hippie aux cheveux longs de plus. Haha ! je te jure que c’est vrai, demande-lui, il n’arrivait pas à le croire non plus ! » dit-il me désignant.

« La Soul, c’est la souffrance parfois cachée derrière des airs joyeux » (Christelle Amoussou, auteur compositeur de Q Sounds Recording)

Archie Turner: « Soul Music is the life you live. Ce que je joue devient spontané pour les gens qui l’écoutent. C’est la musique qui m’a amené ici ce soir. Mon beau père était Willie Mitchell. Mes parents m’ont encouragé à faire de la musique. J’ai grandi dans cet univers, de blues, de jazz, les big bands, Count Basie, même de la Country. Une bonne chanson reste bonne, d’où qu’elle vienne. Elle te raconte une histoire, c’est ta vie, c’est la musique. Tous ces joueurs qui venaient de partout à la maison m’ont aidé à grandir en tant que musicien. C’est devenu ma vie et j’ai eu de la chance. Un jour Willie Mitchell m’a demandé de jouer avec Teenie Hodges, comme ça, un soir chez lui. Et Elvis Presley est passé. Graceland était dans la rue d’à côté, tu vois. Et il a dit « hey! you guys really sound good tonight! ». C’est ma seule histoire d’Elvis, ha ha ! Voilà, c’est toute ma vie. I’m playing stuff ».

Voilà. La Soul Music est un vieux storyteller au chapeau incliné, qui jouait derrière Al Green et Ann Peebles. On peut l’entendre tous les mardis, 7 PM sharp, au Blues City Café, 138 Beale St, Memphis, TN. Ce qui nous ramène au titre de cet article : le slogan du club étant « Put some South in your mouth ! »

1 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages