Si l'on se balade a Melbourne aux beaux-jours, on a des chances de se faire accoster par une bande de types aux T-shirts et casquettes rouges qui invitent les badauds à tester gratuitement leur degré de stress. L'attention paraît louable et ce n'est qu'en se rapprochant un peu qu'on aperçoit sur le stand des bons samaritains quelques exemplaires de "Dianetics, the Modern Science of Mental Health", l'essai fondateur de la Scientologie rédigé par le créateur de la-dite Église, feu Lafayette Ron Hubbard.

Alors qu’en février dernier, la Scientologie a été condamnée en France par la cour d’appel de Paris à une amende de 600 000 euros pour escroquerie en bande organisée, l’image est plutôt captivante. Il s’avère pourtant que suite à une décision de 1983 de la Cour Suprême, le mouvement est considéré en Australie comme religion selon l’argumentaire (un brin cynique) suivant :

« Le charlatanisme est une contre-partie nécessaire à la liberté du culte, et si un maître autoproclamé parvient à persuader certaines personnes de croire dans une religion qu’il leur soumet, un manque de sincérité ou d’intégrité de sa part ne saurait être incompatible avec le caractère religieux des croyances, pratiques et rites acceptés par ses disciples. »

Amen.

Assise dans l’herbe près de leur stand, je guette du coin de l’œil les quelques âmes perdues ressentant le besoin d’évaluer leur degré de stress quand un jeune homme endimanché s’approche de moi pour me demander de participer à une enquête. Pourquoi pas : le stress est reconnu comme maladie professionnelle et la ville de Melbourne entend lutter contre ce fléau en apportant un soutien bénévole à ses concitoyens. Pensant qu’il s’agit de l’étude sur la qualité des espaces verts à laquelle j’ai échappé plus tôt dans un parc voisin, j’accepte. « Si tu pouvais être quoi que ce soit sur cette terre, que serais-tu ? ». Euh… quels mots se rapportaient aux espaces verts ?! Je le fais répéter. Après avoir eu confirmation de la teneur de la question, quelques très longues secondes s’écoulent avant qu’une réponse à la hauteur de l’imbécillité de l’interrogation ne sorte de ma bouche :

« – Bah… euh… une Desperate Housewife ».

Mon sondeur semble interloqué :

« – Humm… tu n’as peut-être pas compris ma question… Ah, j’y suis… Tu veux être actrice !
– Non, je voudrais juste ne pas avoir à travailler ».

Un ange passe, il note ou fait semblant de noter et reprend :

« –  Si tu pouvais améliorer quoi que ce soit chez toi, qu’est-ce que ce serait ?
– Mon anglais.
– Et en ce moment, qu’est ce que tu désires le plus avoir ?
– Un appartement à Paris.
– Bon OK et parmi ces trois réponses, laquelle est la plus importante pour toi à l’heure actuelle ?
– Ben vu que je suis à Melbourne là, on va dire que c’est améliorer mon anglais…
– Humm… d’accord ».

Lorsqu’il finit par me confirmer qu’il est avec les mecs en rouge, je rassemble mon anglais approximatif et le peu d’arguments construits qui me viennent à l’esprit pour exprimer mon rejet des mouvements sectaires. Même s’il a saisi mon désintérêt pour un soutien au développement personnel, il maîtrise le discours. Je ne maîtrise qu’à peine le langage et je rame pour l’argumentaire. L’instinct d’auto-défense me commande le recours à l’affect :

« – Et tes parents, ils sont aussi scientologues ? »

Non, ils ne le sont pas. Mais sa mère, qui est catholique, est heureuse de constater que la scientologie lui a permis de devenir une meilleure personne et de sortir de ses problèmes de drogues. Ces derniers mots énoncés avec ce qu’il faut de solennité me plongent instantanément dans un extrait de téléfilm de 13h sur M6. Le malaise grandit.

Le jeune est loquace, son discours paraît rodé (même s’il ne prétend avoir lu jusque-là que deux des livres d’Hubbard – sachant que la série des livres pour scientologues débutants en compte déjà neuf), et quelque part, je suis soulagée de ne comprendre que la moitié de ce qu’il me raconte. Il ne se dépare jamais de son sourire même si sa voix monte dans les aigus lorsque j’évoque la tristesse que sa mère doit éprouver le sachant dans une secte ou le fait que les disciples de la scientologie soient tenus de payer des fortunes pour accéder à un soit-disant épanouissement personnel. Et puis bon, la vie est triste, les gens vieillissent, les gens meurent et l’idée c’est plutôt d’apprendre par soi-même à faire avec, non ?

« – Mais la vie est Bellllle ! me rétorque-t-il de sa voix de fausset ».

Aïe. Donc lui aussi, bien qu’endoctriné par une secte qui invite ses adeptes à se débarrasser des résidus d’âme d’alien qui polluent leur esprit pour accéder au bonheur, a conscience que la vie est merdique. Un déraillement de voix a suffit pour que s’évanouisse la perspective de finir par me tourner vers une secte à défaut d’avoir trouvé un sens à la vie. Sans doute un peu déçue malgré moi, je finis par montrer quelques signes d’impatience. Il le remarque et me propose, avant de nous séparer, de m’offrir un petit « livre » (en fait un dépliant en 6 volets). J’accepte en réalisant que je ne me suis jamais réellement penchée sur les préceptes de la scientologie.

Me voilà donc avec entre les mains un dépliant traversé par un motif de pellicule de cinéma sur lesquels s’affichent des visages de gens beaux dans des moments exaltants de leur vie : un compositeur dreadlocké, une blondinette sur un podium arborant fièrement un trophée, une famille de randonneurs épanouis, quelques businessmen, une poignée de femmes séduisantes au sourire éclatant – que l’on n’a pas forcément pris la peine de mettre en scène tant leur vague ressemblance avec Julia Roberts ou toute autre actrice de seconde zone justifie à elle seule leur présence parmi ces portraits de gagnants.

«Vous passez 70% de votre temps à travailler, lorsque vous saisissez le principe de la vie, vous pouvez réussir au travail, chez vous et dans votre vie personnelle. Basé sur le livre de Scientologie de L. Ron Hubbard, « Les Problèmes du Travail », les cours d’efficacité personnelle vous apportent les connaissances de la scientologie que vous pourrez immédiatement mettre en œuvre pour réussir. »

Que l’on ne s’y méprenne pas : self-made men ambitieux à l’aura de rock star, les gourous m’ont toujours fascinée. Dès l’adolescence, je me passionnais pour la vie de Claude Vorilhon alias Raël : ses robes à la blancheur éclatante, sa passion pour les grosses voitures rouges, son harem d’ « anges » sexuées mais pas toujours sorties de l’adolescence… Raël est aux mouvements sectaires ce qu’Yvette Horner est au musette, une icône nationale que personne n’oserait renier. Mais plein de son efficacité personnelle (et un temps proche d’ Aleister Crowley AKA « The Beast »), Hubbard a, quant à lui, joué dans la cours des grands : il faut être visionnaire pour avoir l’idée de créer une religion laïque, prolifique pour rédiger les 600 livres qui tissent la toile de fond de son culte, méticuleux pour avoir mis sur pied l’opération Snow White qui visait la disparition de dossiers compromettants disséminés au sein d’une centaine d’organismes publics et privés sur le territoire de 30 États.

Ambition, je crie ton nom. Vous ne le savez peut-être pas, mais la vie est belle (c’est un membre de la Scientologie qui me l’a dit) et j’ai trop longtemps tu ma passion pour le business et la randonnée. Ce jour, je renonce à devenir une Desperate Housewife pour me concentrer sur ce qui est vraiment important : le développement de mon efficacité personnelle. Vivement les trophées.

1 commentaire

  1. J’ai vu les mêmes couillons dans un couloir de métro de berkeley il y a quelques jours … Ils s’étaient mis à deux sur une pauvre black obèse qui avait l’air aussi déboitée que sa coiffure était hisurte. Aline il est vraiment temps que tu reviennes ….

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