La Route du Rock, le genre de festival qui ne fait pas les choses à moitié. Fêter ses 20 ans deux fois d’affilée, logique : c’est tous les jours qu’on a cet âge-là. Et comme une paire de claques, pas d’aller sans retour à Saint Malo, avec pour son édition de février des groupes d’hiver et variés qui s’inscrivent dans la simple tradition de la cohérence. Des tous jeunes qui ont à peine l’âge du festival (The Pains Of Being At Heart), des vieux de la vieille Galaxie 500 (Dean Wareham)  qui ont exactement le même nombre d’années d’absence, un passage par le boulevard Cold War Kids puis destination l’impasse Isobel Campbell, tout le monde – à part Junip – a répondu présent. Gonzaï aussi : retour sur les festivités, récit jusqu’au bout de la nuit.

Bonjour St Malo et désolé du retard. Le démarrage est immédiat avec Tu Fawning. Parce que, oui, à la Route du Rock, il vaut mieux la tracer, la route, pour éviter d’en perdre une miette. Donc sans plus attendre, allons-y. Tu Fawning, le groupe qui se la joue collectif, le collectif qui se préoccupe des quotas. Au four et au moulin, avec l’intention d’englober le plus d’éléments possibles. Comme si la musique était une suite de combinaisons, un jeu d’enfant. Deux filles en vedette, le jour et la nuit question cheveux, deux garçons histoire de ; mon tout tâtant des instruments comme on dirait, au ping-pong, qu’on pratique une tournante. Changement de chemises à tous les étages, passements de casquettes, tenues décontractées haute coupure de ton. Non pas parce qu’il n’y aurait pas de personnalités derrière, plutôt parce qu’il y a celle d’un groupe à part entière. D’ailleurs, Tu Fawning propose une révision de la définition du mot « groupe » : le coup de main, la notion d’échange, l’emprunt voire la recherche involontaire de l’identité de chacun et, pourquoi pas, à travers l’autre. Distribution minutieuse des cartes, comme pour tester la fiabilité des instruments et vérifier qu’ils sonnent exactement de la même façon – selon qui tient la baguette, selon qui enfile la casquette. L’art et la manière de l’automatisme pour oublier qu’ils jouent, quand bien même on le verrait un peu trop. Le « bluff » , dans le sens d’« impressionnant » et de « calculé ». Un savoir-faire à faire savoir. Et alors ? Est-ce qu’on va se plaindre d’un quelconque excès d’application ? Est-ce qu’on va en vouloir à une équipe qui, en plus de proposer un show cabaret acrobatique, déploie ce qu’elle a sous le chapeau ? Dans cet orchestre sans chef, les choses pourraient virer au grand n’importe quoi pittoresque, devenir antipathiques en appuyant à l’excès sur la sympathie. Négatif ; à l’image de son jeu, la souplesse fait passer la pilule – et pas l’inverse, promis.
Chacune chacun y a le premier rôle. Chacun chacune squatte le devant de la scène ; des va-et-vient qui foncent et se fondent dans le décor (tiens, il me reste un doigt pour le synthé), l’accouplement entre « avant » et « arrière » de la scène s’opère sans complexe (du chant à la batterie). Un don d’ubiquité, mais au même endroit ; être là tout en étant juste à côté. Et comme les instruments – soit dit en se les passant, traités eux aussi à égalité, sur le même plan – ne suffisent pas à produire du rythme et de la vibration, les Tu Fawning savent où trouver l’appui et le beau ton. Que ce soit en accordant le clap clap des mains (les mauvaises langues se retrouveront là-dedans : en plus de se regarder jouer, ils s’autocongratulent, se titillent le nombril tout ça) ou en claquant deux bouts de bois comme des baguettes. Pour en remettre une couche ; une équipe de bras pas cassés, un groupe qu’on croirait échappé de Sound Of Noise – ce film qui démontre que la musique ne se cache pas plus loin que sous une casserole ou dans un appareil pour mesurer le pouls. Tout est muse et musique est tout.

Soit. Une bonne mise en bouche, au suivant.

Souvent dans les festival, pour éviter de dire presque toujours, passer du coq à l’âne se justifie par la notion d’éclectisme. Le coq, c’est Cold War Kids qui, dans la haute cour qu’est La Route du Rock, bombe le torse pour assumer sa condition de poids lourd. Et l’âne, c’est Esben & The Witch, le béret, en fait, plutôt que l’animal, parce que j’étais convaincu qu’il allait être le plus boudé, mis de côté, au coin. Juste avant, et après avoir vu le déballage math-pop-arty tentaculaire de Tu Fawning, ras le bol du bricolage, c’est l’heure des étoiles à ciel replié sur nous-même, l’invitation à l’introspection. Plutôt que d’avoir envie de déambuler dans un champ voisin, l’envie de revisiter des dimensions plus éloignées dans le temps, dans l’espace, prédomine : Galaxy 500, valeur sûre, ne devaient pas se rencontrer à nouveau avant, au moins, quelques levers de soleils. Après le touche-à-tout, le tout touchant. Tout feu, tout flamme, le « fun » laissé au vestiaire, place à cette gravité simple, comme un lambeau qui n’aurait pas fini de se consumer. Et comme un flambeau qu’il suffirait de reprendre, pas trop la peine de jouer avec, ni d’en jouer, juste de jouer les morceaux tel quel ; nickel chrome, ambiance chromatique, jaune ocre, oranger, un peu ternie mais pas terminée. Oui, la reformation d’un groupe, le temps éphémère d’une saison, se doit de satisfaire l’excitation de voir, sans se pincer la peau, ce qui restait bloqué aux portes du fantasme pur. Je sais bien par exemple que, dans un come-back des Field Mice – même si je peux me lever tôt pour espérer les voir un jour sur scène – « voir », justement, les morceaux chantés suffirait largement à m’enchanter. Missing The Moon ou Emma’s House mis dans l’état le plus minimaliste qui soit, voire complètement saccagés ; rien à foutre, pas trop de fine bouche de ce côté-là. Au fond, c’est vrai, qu’est-ce qui compte ? Quel intérêt d’entendre « autre chose » que des chansons pas jouées sur scène depuis 20 ans ? Leur donner du sang neuf ? Non merci, pas envie de remasterisation – juste, dans ces cas-là, essayer de prouver l’intemporalité.

Galaxie 500

Attendu au tourment donc, Dean Wareham reprend les slows là où il les avait laissé toutes ces années auparavant : 1991-2011, à prendre comme un anniversaire de… disparition. 20 ans que l’étoile est morte, la Luna constellée, alors ce copain d’avant évite de recorriger, ne change rien à des chansons qui, malgré les cernes, ne font pas trop l’âge qu’elles ont. La forme, c’est-à-dire pâle et lancinante, se maintient comme si on ne s’était pas quitté hier. Comme si une rupture pouvait servir de prétexte.

Reformer, donc, ne veut pas dire déformer. Autant que revenir ne veut pas dire non plus redevenir.

En revanche, ici décalage il y a, de quelques heures : s’il n’est jamais trop tard, il peut toujours être trop tôt. Parce que oui, on n’est plus à des années près, pour que ce groupe de l’après-minuit, douche froide post-coïtale, nous fixe les deux pieds au sol pour s’oublier, le crash d’un clope sur les lèvres. C’est comme si c’était encore hier ; c’est le cas, puisqu’on n’est pas encore demain – le couvre feu de 22h vient à peine de retentir. Et pour cause, alors que les plus chochottes chuchotent, l’happy hour s’étend, se prolonge dans les blagues ; « Michel Sardou !!! », « Carla Bruni !!! » s’enflamment les insensibles. Et logiquement – ou paradoxalement selon là où l’on place la barre prioritaire – ce sont elles qui plombent l’ambiance. Ou rappellent justement qu’il est trop tôt – même si tout vient à point à qui sait se laisser attendrir. Aphorisme valable aussi pour Esben & The Witch, le lendemain.

Deuxième jour donc, c’est Esben & The Witch qui fait l’ouverture du festival, l’ouverture d’esprit même, peut-être parce qu’il est le moins approprié du lot. Autant le dire : les lecteurs de Elegy n’ont pas l’air très nombreux ce soir. Les premiers de la liste sont loin d’être des premiers de la classe. Sûrement boudés d’avance par masse de médias qui les considéreront à injuste titre comme un groupe de mauvais goût, une supercherie pour des gens mal en point qui s’enfoncent des sabres jusqu’au fond du ventre et dégueulent à n’en plus finir les raffineries de leurs confrères ici présents. Pour être sincère, toute ma sympathie ira vers eux, sans limite, non pas par attirance de ce vilain petit canard – « black swans de XX » leur suggérerai-je plus tardivement dans la soirée – mais par nostalgie bien placée dans mes bacs à souvenirs. Et sans honte, excité comme une pucelle à regarder la foudre s’abattre sur un public qui se bouche les oreilles tellement c’est pas fort. Voilà,  la question se pose alors que tout ne devrait être qu’une question de feeling, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la musique d’Esben & the Witch, directement, qui génère en moi des émotions emballées par la grâce de subtiles déliquescences. C’est leur musique, indéniablement, qui ne peut s’empêcher de s’embellir en moi, en se posant comme une glace de subites réminiscences. Ce qui pourrait défriser l’amateur d’indie rock bien au courant de sa ligne de conduite et de son régime, tout ça, tous les défauts de fabrication ne me dérangent pas. On croirait entendre un brouillon des plus mauvais groupes avec l’attirail cheveux gras sur tee-shirts ingrat caressant le bas de l’anus et bougeoir dragon en arrière plan ? Rien à foutre. C’est quoi ces effets de romantisme à peine à deux balles grognés par une minette qui tombe bien bas du côté obscur de la farce ? Stop. Comme Zola Jesus qui, elle, pour le coup fait figure de pâle copie à côté de l’amie Siouxsie, Rachel, the Witch, ressemble à la « girl anachronism » dont parlait Amanda Palmer. Attention à l’amalgame quand même : le groupe ne s’associe pas pleinement à ce même mouvement no present (c’est comme ça – et avec beaucoup d’affection donc – que je définis les darks). La différence avec Esben & The Witch, et sans doute de peu, c’est qu’ils ne respirent pas la caricature. Et le regret, et ce sera sans doute de peu cette fois-ci aussi, c’est qu’ils n’arrivent pas à pondre des chansons aussi intenses que ce qu’ils parviennent à inspirer. C’est évident, il faudrait qu’ils creusent et déterrent la Siouxsie de The Scream : l’album (Violet Cries) fout parfois un léger cafard de la frustration.

Esben & the Witch

Le show, en deux temps – La Route du Rock et le Point Éphémère, deux jours plus tard – mais en bien plus de mouvements, donne l’occasion de combler le manque, de donner une autre vie à quelques séquences mortuaires, de donner chair à ce teint parfois exsangue ou l’inverse, de libérer de sa cage le corbeau croassant qui n’attend que d’être choyé. Rachel au centre du débat, la plus chanteuse et la moins bavarde en interview, parfois en résonance avec Thomas, le chevelu barbu qui fait du sockgazing (« parce que c’est plus confortable », normal) et le bidouilleur Daniel, le plus neutre, physique et attitude à la Andy Fletcher. Let’s have a Violet Celebration !

L’album est revisité du premier au dernier étage, belle vue sur une rivière plus bruyante qu’elle n’en a l’air, limpide à l’eau claire obscure, chauffage désintégré, lumière criante et fenêtre grande ouverte. Même si demeure ce lyrisme un peu trop appuyé là où ça fait mal, là où ça peut donc faire grincer les dents de vampires non professionnels, l’ensemble du show bouillant exhale une odeur d’huile sur le feu. Et qui ira jusqu’à prêcher les moins convaincus et secouer les pêcheurs sans cannes qui guettent, du hauts des balcons, le bordel capillaire : regardez-les dans les cheveux quand ils chantent. Dans ces cas-là, peut-être que l’éveil de début de concerts favorise l’enthousiasme plus immédiat, peut-être que dans l’idée d’un festival comme celui-ci, plus que le groupe lui-même, c’est la Route du Rock qui est appréciée dans sa totalité, peut-être que l’exaltation émanant des applaudissements devaient se traduire par le soulagement de la fin, victoire du dernier morceau. Peut-être que ces hypothèses révèlent chez moi une paranoïa aiguë, qu’il faudrait que je tempère. Peut-être que je suis mi-figue mi raisin, plutôt raisin d’ailleurs. N’empêche, dans le micro trottoir des prénommés JF Le Puilh et Fabien Le Gouierrec de Magic Crew – ce dernier ayant massacré avec ferveur leur premier essai – crachent du bien de leur prestation. Là, c’est pas trop tôt.

Esben & The Witch, dans la nuit ; me voilà à la recherche du groupe perdu, juste après que l’entretien se soit refermé (pendant lequel je ferai, au passage, l’impasse sur Isobel Campbell, mille excuses). En fait, voilà, au moment de se dire goodbye, j’apprends que, dans la scène française, ils connaissent ce que fait Turzi et qu’ils ont l’air de trouver ça great. Comme il s’avère que, moi aussi, je suis friand des listes, je décide, sur un coup de tête, de leur faire un top de disques frenchies contemporains. Une fois Esben & The Witch retrouvé, c’est David, a priori le plus sauvage des trois ou, du moins, le plus taciturne, qui récupérera ladite liste et à qui je détaillerai les groupes cités. Et qui m’en fera une à son tour. Les noms : Wu Lyf, Forest Swords (Dagger Paths), Glasser, Trophy Wife, et Julianna Barwick. Voilà.

Quelques divagations plus tard encore, The Pains Of Being Pure At Heart débarquent et une voix fluette vient nous susurrer à l’oreille cette remarque éminemment péremptoire : ils sont l’évidence, à l’évidence.

Avec cette appellation qu’on croirait faite exprès pour prendre le plus de place sur l’affiche – et faire gagner des signes aux journalistes – PAOBPAH s’impose, à la non-surprise générale, comme le groupe qui fera décrocher unanimement de la mini scène binouze. C’est la tête de l’affiche, le groupe qui fait de l’ombre aux Cold War Kids, ces derniers faisant la moitié de mots et le double en taille – comme quoi lourdeur et grandeur n’ont strictement rien à voir – et du gringue aux amateurs d’indie rock bien au courant de leur ligne de conduite et de leur régime. Longueur oui (« il faudrait vraiment qu’ils changent de nom ! C’est quoi déjà, d’ailleurs ? entendu au sortir du concert) d’autant plus qu’ils se sont étendus, avec démarrage anticipé (je n’étais, quant à moi, pas encore sorti de la mini scène) et rappel obligé. Higher than the stars of Galaxie 500 aussi, comme s’ils évoquaient finalement un autre retour : on ne prend pas les mêmes et on recommence. Un goût de Sarah Records, le goût du frisson. A cheval entre un premier album éponyme – pour faire gagner des signes aux journalistes  – qui a eu la bonne idée de faire du Field Mice en saturé, et un deuxième album qui a l’idée meilleure encore de ne pas lâcher cette voie (JF Le Puilh, toujours, me donne une piste laconique – à caler sur la bande autocollante du compact – : « t’as aimé le premier ? bah t’aimeras le deuxième ! »). Pourquoi insister sur les Fied Mice, au fait ? C’est le syndrome « à la recherche du groupe perdu » : le reflet qu’on croit distinguer dès qu’on perçoit une lueur d’un amour disparu. Et Kip Berman, comme on le savait, de confirmer : This Love is fucking right ! En effet.

Avant le lever de Suuns, un léger coup de barre me gagne et le bar annonce que le service des bières est terminé sur toute la ligne. Je dois alors me contenter de… non, on va éviter le placement de produits, quoiqu’il me semble que Red Bull avait récemment l’intention de collaborer avec Gonzaï, mais passons. Suuns met un point final et un coup de gnac à cette édition hiver, une bande magnétique, un chant gorge serrée façon Ade Blackburn. Plus un autre membre, discret mais qui saura se faire remarquer : une bouteille posée là au milieu, comme un grigri, seule et sans prétendants. Discodeine se trouve dans la salle, sûrement en train de danser un peu, avant de faire danser. A tout à l’heure.

Aux environs de 2H, l’Escalier (LA boîte de Saint-Malo me précisera un mec dans le bus retour, 10 thunes le Whisky pour la crédibilité) ouvre ses portes pour accueillir le set de Discodeine. La boîte accueille 90 % de non festivaliers, c’est-à-dire des jeunes gens autour de 16/17 ans qui sont venus se vider la tête et les boyaux dans une ambiance pépère, oxygénée, où l’on peut être susceptible de se sentir plus vieux que prévu. A la fin du mix, je me dirige vers les deux compères qui s’apprêtent à quitter le hors piste pour repartir de plus belle. On se retrouvera quelques minutes plus tard, après avoir jonché une salle pleine de cadavres et de canapés enduits de vomi, autour d’une table, en triangle équilatéral.

Disco et Codéine ne forment qu’un et c’est bien à ce niveau-là que leur nom prend véritablement sens, comme un Rimbaudelaire ou un Sapinard.

Avec un temps de parole ex æquo, le duo donnent à voir – pour reprendre la comparaison établie récemment par eux-mêmes – une partie de ping pong, à savoir un véritable échange verbal, relâché, qui détend comme de la codéine après une session disco. L’un complète les phrases de l’autre, quand ce n’est pas l’autre qui complète les phrases de l’un, sans jamais se couper la parole, en faisant écho à ce que l’un ou l’autre n’a pas encore articulé. Un brin exténués tous les trois, l’« interview » ressemblera finalement davantage à une discussion de fin de soirée, avec ses retours d’idées claires, ses retombées, ses bilans, alors que la nuit n’en est pas encore au bout, alors que le voyage n’est pas terminé.

Comme un rappel à l’ordre ou une signature, Synchronize vient d’achever leur set. Synchronize, ou le single alléchant annonciateur du premier LP de Discodeine autant que d’un fantasme autour d’un retour de Pulp. Tout d’abord, merci d’avoir remis Jarvis sur ces rails…disco. Finalement, c’est ce qui colle le mieux au personnage : You’re in my eyes (Disco song)remixé d’ailleurs par Pilooski – seul track vraiment potable de Further Complications, et Separations de Pulp, l’album disco kitsch par endroits mais terriblement moderne tout du long, demeurant le chef d’oeuvre d’une discographie presque irréprochable… « Jarvis Cocker, la rencontre s’est faite hasard, pas du tout un calcul de notre part. En creusant des vieux Pulp, tu te rends compte que le mec aime la musique électronique – le projet Relaxed Muscle l’a ensuite prouvé. Il m’expliquait qu’ils essayaient de faire de l’acid-house, sans y parvenir : à l’arrivée, ça donne un truc spé, bizarre, difficile à définir. On s’est rencontrés assez simplement : il achetait des trucs d’édits de DIRTY, envoyait des mails, achetait des disques qu’on sortait. On cherchait un mec pour un featuring, on lui a demandé, il a accepté. » Un autre héros culte devait être de la partie, à la base, à la place de Jarvis : le maestro Jimmy Somerville. Mais l’histoire – déjà narrée ici et là – en a décidé autrement ; irrécupérable, le mec. Du coup, l’idée d’un accouplement avec les deux gays drilles de Silver Columns m’avait traversé l’esprit. Ou encore, pour reprendre leur critère d’un mec ayant une voix de diva noire à la middlesex, Nomi Ruiz de Hercules And Love Affair… « Ouais, pour Bronski Beat, ce qui est sûr, c’est que ça a vraiment bien vieilli, les prods restent assez minimal. Smalltown Boy, c’est dansant et triste en même temps. C’est gay triste ! Et pas si loin de Synchronize, finalement : tu l’écoutes comme un morceau disco dansant, tout en prenant en compte qu’il dégage une certaine mélancolie. Aussi ses textes lui donnent une toute autre dimension. D’ailleurs j’ai jeté un oeil sur Youtube ; en dessous du clip, les gens commentent carrément les paroles. Jarvis, c’est un écrivain. Après, ouais, pour Hercules, on a décidé de s’écarter des gens du disco… On se coltine un peu cette image.» Forcément, le nom – qui, dans ce cas-là, peut directement faire office de définition.

D’ailleurs question con ; qui est le plus disco ? Qui est le plus codéine ?

« Nous deux, on est les deux ! C’est Guillaume de DIRTY qui a choisi ce nom-là. On s’est laissés endormir, on avait pas de nom, puis on s’est dit que c’était peut-être une connerie – mais trop tard ! Finalement, ça nous représente bien. « Codéine », le côté maladif, lent, mental. Et « disco », dans le sens général, musique pour les clubs. Après ouais effectivement, c’est chiant parce qu’il y a disco… On aurait peut-être dû prendre un nom plus neutre, genre Sauna. Au départ, on voulait s’appeler comme ça ; c’est plus court et ça passe dans toutes les langues… Si tu prends Falkenberg, par exemple, le morceau fait Caraïbes, ça nous amusait d’aller dans le sens inverse ; on a pris une carte, celle de La Suède, on a opté pour cette ville. On a toujours des noms de travaux un peu à la con, puis vient un moment où il faut en trouver un sérieux… » Justement, Discodeine a déployé l’arme du second degré pendant la promo de Debut Album. A double tranchant. «  On a arrêté. J’étais (Pentile NDR) un peu fatigué ou mal à l’aise, je ne sais pas pourquoi. Le second degré, ça passe mieux dans une interview par mail qu’à l’oral. Il y a plein de propos sauvegardés qu’on a sorti en off et que le mec a gardé (en référence à une interview d’un confrère NDR). On apprend donc à faire attention à ce qu’on dit. Puis quand les questions se répètent, ça permet de renouveler les réponses. Sinon t’as vraiment l’impression d’être un robot… »

Ce Debut Album constitue une sorte de synthèse du travail de Discodeine. Sur la longueur. Et avec la démarcation « club » pour se concentrer sur un album qu’on pourrait écouter en solitaire, dans une chambre, en gigotant la tête en guise d’approbation et en remuant le popotin. Une musique avec lendemain, puisque pas mal de morceaux datent d’avant-hier. Jarvis Cocker – pour ne pas reparler de lui – se plaignait, à la période Pulp, de ce décalage entre la naissance des morceaux et leur venue au monde, ses intentions artistiques ayant évolué entre temps. Logique. Discodeine explique que c’est justement l’opportunité de refaire mieux, de revisiter selon le goût du jour ou du surlendemain. Quitte à donner une toute autre identité au morceau ? « On s’est retrouvés avec de la matière qui datait de 3 ans par exemple, mais on ne s’est pas dit, au départ, qu’on allait faire un album. On faisait des morceaux, on en avait assez pour en faire un, puis on a complété avec d’autres. Ils correspondent à des époques différentes, dans la prod’, dans tout ! Après, tu es obligé de faire un lien pour créer une cohérence dans le disque. Là c’est plus histoire d’en reconstituer plutôt que d’en enregistrer en t’enfermant un mois avec des lignes directrices… Bon, on a quand même évité le format compilation. On est contents d’avoir fait des morceaux qui ont pas vieilli. Par exemple, Ring Mutilation, il date de 2007, voire avant, je trouve qu’il sonne encore actuel. Après, c’est un album de producteurs. A la base, on fait de la musique pour les clubs. Petit à petit, comme on n’écoute pas que ça, on a voulu intégré d’autres choses, plus écrites, plus « chansons »…

Discodeine

L’occasion d’aborder avec eux ce point : la différence entre composer des morceaux avec une finalité club (et là le détail compte moins) et des « chansons » (possibilité d’expérimenter plus) : « La musique de club peut vite devenir une formule. Tu peux en essayer plein de différentes mais, si tu veux être efficace, il vaut mieux faire très simple. Quand tu joues en club, tu peux passer des plombes à faire des détails sur la prod, mais les gens ne l’entendent pas forcément. Vu qu’on aime les arrangements, les textures, on avait envie de se placer entre les deux… Après, le featuring, il ne faut pas que ça devienne systématique. Dans le prochain, si ça se trouve, il y en aura que très peu, ou alors des bizarres. Après il n’y a pas de vraie démarche pour essayer de se différencier – ou alors inconsciemment – mais finalement, on est comme ça tous les deux ; tu es excité et tu essayes de te surprendre toi-même. On ne sait jamais où ça va finir, on ne part pas avec une cible mais, au final, ça n’atterrit pas forcément là où tu en avais envie. C’est pas mal, en fait, d’avoir des contraintes, de temps en temps. Il y a sûrement des remixs sur lesquels on a passé trop de temps ; on en reste satisfaits mais le résultat peut s’avérer trop léché. Moi (Pilooksi) je fais des soirées mais je ne joue jamais ce qu’on fait. Je réécoutais l’album, l’autre fois:  avec du recul ça va paraître prétentieux, mais je me dis qu’on n’a pas passé du temps pour rien dans les arrangements, c’est assez écrit. Pour jouer la musique de clubs des autres, je sais qu’il y a des morceaux que je joue tout le temps, genre du Green Velvet, où il y a 3 pistes, qui marchent, qui ne vieillissent pas, parce qu’il y a très peu de choses, c’est très simple, très minimal. Et c’est ce qu’il y a de plus dur à faire : qu’il y ait 4 pistes et que ce ne soit pas chiant, qu’il n’y ait pas cette impression de vide. Parce que tu peux très vite avoir tendance à charger les morceaux pour combler des espèces de manques et, quelque part, tu perds là aussi en spontanéité. C’est différent quand tu t’occupes des albums, où tu peux faire des beaux arrangements, ça a du sens. Quand c’est pour les clubs : plus tu as d’informations, moins tu vas à l’essentiel. Les gens retiennent surtout le rythme, la basse, les gimmicks très simples. Si tu fais trop compliqué, c’est bien pour écouter, moins pour danser. Il faut de l’espace. »
« Saaaay Goodbye… » (Baxter Dury in D-A) Pour se quitter sur de belles perspectives, je leur demande de m’en dire un peu plus sur le prochain Baxter Dury, en plein préparation. Est-ce que D-A, le morceau sur lequel il apparaît avec harpe et montée de synthés mirifiques, pourrait en être une piste ? « Il n’a pas fini mais les maquettes qu’il m’a envoyées sont superbes. C’est plus spécial, des trucs japonisants, complètement différent de ce qu’il a fait avant. En même temps, je l’ai vu il y a une semaine, j’ai l’impression qu’il prenait encore une autre direction. C’est un mec ultra inventif, il a quelque chose d’un peu fragile, de bricolé, d’imparfait que je trouve génial. Plein de gens qui traînaient avec son père lui proposent d’enregistrer avec des gros moyens. Il a essayé de le faire mais il s’est rendu compte qu’il préférait être dans sa cuisine, avec une table 8 pistes et des jouets. »

L’attaché de presse fait signe, c’est l’heure de remballer les affaires pour tout le monde. Le bonus du festival se referme, me voilà assis au milieu du bus retour, avec l’envie de réecouter Bronski Beat, versant mélancolie.

St Malo semble se lever ou se coucher, je ne sais plus très bien, mais il a une petite gueule de bois, et quelques souvenirs qui résonnent dans un coin de son crâne comme une illumination.

Je me perds dans la ville, la lumière des phares censée m’indiquer le chemin, sauf que, si je les écoutais attentivement, j’irais tout droit dans la mer. La Route du Rock, 20 ans, putain, quand j’y repense, je l’ai vu faire ses premiers pas, ses premières conneries, je l’ai mise en garde contre les mauvaises rencontres, je lui ai expliqué que les gens n’ont pas l’air si doux qu’ils en ont souvent l’air, et qu’il faut, bien sûr, se méfier de certains sourires narquois. Maintenant qu’elle est vingtenaire, la Route entre dans une phase particulière ; il va falloir qu’elle se cherche un vrai taf, fini le temps des joints et de l’acide, et qu’elle se pose des vraies questions sur son avenir, avoir l’air d’une adulte sans broncher, en essayant de faire fi des quelques mauvaises ondes qui pourraient lui barrer la route. Mais j’ai foi en elle : on la lui fait pas parce qu’elle a généralement, jusqu’ici, fait les bons choix. Cet anniversaire fut, en tout cas, une échappée belle.

http://www.laroutedurock.com/

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