Si tous les kebabs de France diffusaient le nouvel album de Kim Ki O, peut-être aurions-nous une autre image de la communauté turque, et peut-être qu’au lieu de construire des prisons, Erdogan aurait copié les pyramides de « Blade Runner ».

a4047780735_10Le plus pénible avec les groupes ayant un message à faire passer, c’est qu’ils sont dans 98,9% des cas absolument inécoutables. Tel projet synth-pop engagé contre la famine en Afrique, tel collectif dadaïste militant pour la fin des cellophanes de Marlboro Light impossibles à ouvrir, tous les enfoirés bien décidés à en finir avec le SIDA depuis leurs résidences défiscalisées ; autant d’albums spécialisés dans la luther-miction (pisser dans un violon, pour les néophytes) dont on retient en général qu’il faudrait les foutre au feu pour réchauffer les plus démunis.

Rien de tout cela sur le « ZAN » de Kim Ki O, dont l’histoire pourtant raconte les pérégrinations de deux Turquettes bouleversées par les émeutes d’Istanbul, les bains de sang et la révolution avortée d’un pays cadenassé comme une boite où les fumigènes auraient été remplacés par du gaz toxique. Loin, très loin des complaintes pour Bisounours à qui l’on aurait cousu un sticker « Touche pas à mon Pote » à même la peau, ce troisième album en plus de dix ans d’existence, s’il est engagé, l’est par le rythme qui s’en dégage. Mixé comme si les synthétiseurs étaient aussi hauts qu’une barre impossible à franchir pour un perchiste, tout ici donne envie de danser à la frontière entre Europe et Asie avec un bâton de dynamite coincé entre les fesses.

L’héroïsme des deux musiciennes, si tant est qu’on puisse qualifier leur démarche ainsi, tient donc au fait qu’elles sont des femmes – l’équivalent d’un pipeau dans un groupe de rock, si on a bien tout compris à l’actualité turque – et surtout que leurs chansons, avant d’être des hymnes, sont, euh, des chansons. Et qu’on a envie de chanter sans pourtant rien y comprendre – et leurs noms n’aident pas. L’internationale des clubbers applaudit des deux jambes ; et si tant de synthés réunis au mètre carré devraient faire fuir les plus poilus de notre lectorat, ils devraient en revanche plaire à ceux qui ont toujours rêvé d’écouter du Vangelis gavé de boites à rythmes chez un épicier berlinois situé à proximité du Berghain. Clairement plus à écouter comme un Before que comme un After, « ZAN », semble-t-il, a pour thématique l’échec. Eh bien je vais vous dire, ça ne s’entend pas. Et si échec il y a, c’est celui des frontières trop imperméables. À défaut d’accueillir les migrants, l’Europe aurait au moins pu laisser passer plus largement ces obsédantes lignes de basses, tout sauf étrangères.

Kim Ki O // ZAN // Lentonia
lentoniarecords.bandcamp.com

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