Par quel miracle ou avec quelle mauvaise foi les chroniqueurs parviennent-ils à attribuer une note à un disque? Regardez Pitchfork et leurs notes sur dix à la décimale près...Comment font-ils? Sur quels critères se basent-ils? Y'a-t-il une savante pondération à appliquer selon qu'ils traitent un 45 tours tchèque ou un quadruple album hawaïen sorti dans les années 30 ? Abebe Bikila était-il meilleur que Carl Lewis? Autant de questions inutiles auxquelles ce douloureux article tente de répondre.

Mettre une note à un disque…Waouh, cela n’a-t-il pas un petit côté ridicule voire légèrement foutage de tronche caractérisé? A part Jean-François Copé, Claude Guéant ou les frappés de Top Chef, qui aurait en effet l’idée saugrenue de noter un pain au chocolat, un tableau, voire un roman de Tolstoï? Alors, un disque…Pourtant, les lecteurs ayant sans cesse besoin d’être aiguillés dans la jungle des sorties hebdomadaires, on assiste depuis quelques années à un florilège de dispositifs de classement plus iconographiques les uns que les autres (des ronds, des étoiles, des notes arrondies sur 5..) pour attribuer une valeur à un album, Pitchfork allant même jusqu’à noter une galette sur dix à la décimale près, ce qui correspond à une notation entière sur 100, vous apprécierez le caractère chirurgical de l’opération.

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Pour évaluer un skeud, plusieurs méthodes sont possibles et de nombreux critères peuvent entrer en considération selon le format considéré : pochette, grammage du vinyle, design, épaisseur du carton, notoriété du groupe voire du label, solidité du digipack en cas d’attaque nucléaire,…et bien sûr, la musique. Prenons l’exemple le plus fréquent. Pour distribuer les bons points à un album découpé en MP3’s dans une bibliothèque dématérialisée, la méthode est ultra simple. Attribuer à chaque morceau quelques étoiles dans la colonne classement du célèbre iTunes : une étoile équivalent à une sombre merde à fuir de toute urgence et qui donc en théorie devrait être rapidement supprimée de ton disque dur, 5 étoiles se révélant être un morceau presque aussi aussi savoureux qu’un « Axis bold as love » de Jimi Hendrix, même si à la réécoute quelques semaines plus tard, le truc en vaudra probablement à peine quatre. Pour les fainéants qui souhaiteraient attribuer une note à un disque sans vraiment l’écouter (si, si, ça existe…), cette méthode manque cruellement de souplesse puisqu’elle présuppose une écoute exhaustive du disque. Pour synthétiser, la valeur d’un album sur 10 se résumerait alors à la formule suivante :

Note (disque) = 2*(Σ des étoiles) / nombre de morceaux

Et alors, ça donne quoi, me direz-vous, cette technique révolutionnaire? Rien de bon au demeurant avant pondération. Pondération? Oui, car comprenons nous, d’une, le disque parfait n’existe pas donc la note parfaite n’a pas lieu d’être, et de deux, on ne peut pas sérieusement évaluer de la même manière un triple album comportant moult tueries et quelques faiblesses bien légitimes et un 45 tours doté d’une bombe nucléaire sur chaque face. Traduction pour mémé Josiane : c’est plus simple de pondre un 45 RPM qui déchire sa mère à coups de cutters plutôt qu’un triple LP des familles. Alors on pondère la note obtenue avec un coefficient qui vaut ce qu’il vaut : 0,9 pour un 45 tours; 0, 92 pour un EP; 0,94 pour un LP simple; 0, 96 pour un double et 0, 98 pour un simple. Au-delà du triple, on fait dans l’humanitaire et on ne pondère pas par respect du travail accompli par le forçat. Si vous suivez toujours, cela donne :

Note (45 tours) = (2*(Σ des étoiles) / nombre de morceaux)*0,9
Note (EP) = (2*(
Σ des étoiles) / nombre de morceaux)*0,92
Note (LP) = (2*(
Σ des étoiles) / nombre de morceaux)*0,94
Note (double LP) = (2*(
Σ des étoiles) / nombre de morceaux)*0,96

Et alors, ça donne quoi, concrètement, cette méthode avant-gardiste? Prenons au hasard quelques albums dans mon Iburnes. Certains d’entre eux sont récemment sortis et ont fait la Une des gazettes, d’autres viennent tout droit de l’époque d’Alexandre le grand ou presque, d’autres n’ont enfin pas vocation à être communiqués auprès du grand public. Parmi toutes ces galettes, le dernier MGMT, si décrié en ce lieu saint qu’est Gonzaï, me plaît bien (voilà un argument en béton armé qu’on aura bien du mal à démonter dans les chaumières de France) et obtient la bagatelle de 9,22/10. Dans le même temps, la pourtant sublime bande originale du film Les salauds par les joyeux lurons de Tindersticks se ramasse avec un très moyen 6,13/10 pour cause de plages inutiles, « Lost » de Trentemöller 8,10, et « Yeezus » de Kanye West…6,66. Quant à « Watertown » de Frank Sinatra, et « Who cares », de Jessica 93, ils plafonnent à un très vénérable 7,80 alors qu’ils figurent dans mon panthéon domestique pour longtemps.

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Alors que retenir finalement d’une telle théorie? Rien de bien pertinent… avant une deuxième pondération. Une deuxième pondération? What the Fuck? Par charité et parce qu’à force de chercher des caractères mathématiques introuvables sur ce p… de clavier, je vais finir par faire valser mon ordi par la lucarne qui me sert de baie vitrée, je vous l’épargne. Mais sachez tout de même que les albums de manière générale se révèlent globalement plus ou moins inégaux et que notre époque est souvent celle du ventre mou. Toujours pour mémé Josiane : dans les années 2000, il est plutôt rare de rencontrer des albums « pleins » d’un bout à l’autre, et en milieu d’écoute, l’auditeur averti a souvent le plaisir pervers de se fader un ou deux morceaux de remplissage ne cassant pas trois pattes à un canard laqué et qui 40 ans avant n’auraient probablement même pas eu les honneurs d’une bonne vieille B-side. Alors on pondère selon la décennie au cours de laquelle le truc est sorti.

Et arrivé là, on arrête de pondérer ou c’est devenu une maladie chronique? Ben…on retient la deuxième option car foutre des étoiles à des morceaux, c’est bien joli, mais quid de la cohérence globale de l’album, de notre humeur lorsqu’on passe en mode écoute, de l’endroit où tout ça se passe (franchement, s’infuser le dernier Metallica en massant une copine rencontré une heure plus tôt vous donne envie de fusiller le truc avant même la fin de l’intro du premier morceau), du prix ou de la gratuité de cette musique dont on est censé parlé avec brio, des goûts du chroniqueur pour appréhender tel ou tel album (selon qu’il soit disséqué par Géant Vert ou par Soligny, le dernier Bowie peut potentiellement passer du simple au double), etc, etc….La conclusion est donc des plus simples : noter un disque de manière mathématique s’avère presque aussi pertinent que de demander l’heure à un aveugle.

9 commentaires

  1. “David”, comme l’écrit Jérôme Soligny, par le même Jérôme S., c’est comme Prince chroniqué par Alain Orlandini 😉

    Et c’est vrai que si Géant Vert chroniquait “David”, on aurait droit à une toute autre chronique (et moins d’étoiles)

  2. Je suis ok avec les formules, mais serait-possible de développer sur le coefficient de pondération et en démontrer toute loa pertinence au moyen d’autres formules à base de coefficient?

    Bon sinon, en ce qui me concerne, j’achète ques des disques microsillons (= des disques vinyles noirs qui tourne sur eux même au moyen d’un tourne disque à courroie pour le jeune né aprés 1990) et outre le fait que cette infromation en laissera plus d’un sur le cul et au passage confortera une éventuelle image de vieux fou arrièré qui sent la bouse et la caragène « faite maison », je note mes disques directement sur le support au moyen d’un petit cutter et, dans l’espace matériel consacré à un morceau, je grave tant bien que mal des petites bites en nombre plus ou moins important selon mon appréciation. Par exemple, le premier album de Suicide est truffé de minusucules et grossiers sexes masculins tandis que War de U2 en est absolument vierge.

    Bon.

    Guitou

  3. Le fait est que beaucoup de vinyles ont des inscriptions gravées en leur centre. Bon, évidemment rien à voir avec des bites, mais c’est toujours sympa. Concernant l’article, bien sur que le système de notes paraît ridicule mais le principe de chroniques ne l’est-il pas autant?

  4. Hello, bon bon bon, alors je suis assez (pondéré) d’accord avec toi. En tant que chroniqueur d’ailleurs, car rien que l’exercice de critique de disque est en soi un leurre. Disons qu’on fait défricheur, mais du moment qu’on pense qu’on a une légitimité on l’a totalement perdue.
    Je chronique pour deux sites, un sans notation (ADA, où on parle surtout de ce qu’on ressent, oui j’aime ce site, ça date d’avant que j’en sois) et l’autre avec. Cette dernière m’embarrasse souvent et c’est peu dire.
    Bien sûr elle est totalement illégitime, surtout que beaucoup de chroniqueurs semblent chroniquer trop de disques, sans leur laisser le temps de se développer dans leur atmosphère propice (perso la meilleure reste de rouler en bagnole dans les champs, mais bon c’est un luxe de chômeur).
    Alors la notation en elle-même, c’est débile. Ok. Mais…oui il y a un mais, car cette chère notation que certains paient cher (mmhh quel pouvoir de noter, se venger de nos profs d’antan) fait surtout le jeu de groupes et labels qui agissent comme des vraies petites têtes à claque genre premiers de la classe.
    « Hé t’as vu mon groupe a eu 9/10!!!! » « Bravo fiston, je te programme au Rock En Seine alors répond-il en tapotant sur la tête du petit garçon sage qui rend la copie ». Ce même petit garçon qui fait du « rock » et a bien écouté à l’académie.
    Alors voilà, la notation, c’est le must sur un presskit, plus direct qu’une chronique de fond qui parle de ressenti (« mmh j’avais les yeux tous mouillés », ou « j’avais les couilles toutes chaudes…chronique de Lana Del Rey ») ça vend moins. Alors qu’un 4 étoiles, c’est le Robuchon du rock!

    Alors à mon avis, si d’aventure on essayait de dire stop à ce système, je pense que la première et plus grosse levée de bouclier viendrait des groupes et labels, qui s’entiche bien de ce système.
    Pour moi c’est un sous-système d’un business aussi écœurant que celui de la viande de cheval (encore que la viande de cheval coûtant plus cher que celle du bœuf…).
    Un business de labels, tourneurs, organisateurs, qui ont bien besoin de ça pour vendre leurs groupes.
    J’extrapole un peu…mais qu’un peu qui importe peu.

  5. Je crois qu’on ne verra pas ici les photos de phallus gravés de Guitou, et je le déplore. Pour le reste, je partage votre avis (ou presque, parce qu’il ne faut pas voir la théorie du complot partout non plus..) : on voudrait ne pas avoir de notes et en même temps il nous plaît bien, ce système de petit pervers.

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