21h53. Quartier Bastille.

21h53. Quartier Bastille. L’étroitesse des voies entre les habitations entretient un écho certain, que je parviens à discerner aisément depuis la rue de Charonne. J’incline ma direction, 90 degrés à gauche : me voilà dans le passage Thiéré. Ma soirée avec Frédo, agent de sécurité du bar de La Mécanique Ondulatoire, peut commencer…


Frédo, propos en vrac :

« Un an que je suis videur à la Mécanique. Sept jours sur sept. Dans les plus chiants, ya pas mal de bobos. « Monsieur, l’alcool à l’intérieur, s’il vous plaît ». Y a pas mal de bobos donc. Leurs excuses ? « Je suis dans un pays libre et je fais ce que je veux ; « Retourne devant ta porte, t’es bon qu’à faire ça » ou « je paie mes impôts et blablabla ». Mais je laisse pas pisser. Sinon, en trois jours, l’établissement est fermé. « Monsieur, vous pouvez aller fumer sur le trottoir, s’il vous plaît ? » J’essaie quand même de faire ça intelligemment. « Bonsoir monsieur ». »

La Mécanique Ondulatoire fait face au Trucmush. Puisque l’alliance fait la force, les deux tavernes ont convenu d’un périmètre à respecter. Défini par des fins de murs, des angles de rue. Une fille sort de la Mécanique en titubant, marche sur deux mètres à quatre pattes puis s’assoit sur le trottoir. Des amis la rejoignent pour l’aider. Ou pour la voir dégobiller. Elle ne dégobillera pas. Le caniveau est jonché de mégots de toutes marques.

Frédo, propos en vrac :

« Ça n’empêche pas qu’il y ait des gens chiants. Mais j’ai pas les moyens coercitifs pour les faire taire. Je ne suis pas un agent de sécurité mais un éducateur civique. Ou un agent de la circulation : parce que la route doit être libérée. Les flics passent des fois. « Monsieur, l’alcool à l’intérieur, s’il vous plaît. » Ça se passe nickel avec les flics. Ils mettent un peu la pression. Une fois sortis du bar, on a une responsabilité administrative vis-à-vis d’eux. Par rapport à l’alcool notamment. Avec le bar d’en face, le Trucmuche, on s’est fixé des règles. Dernier accroc, il y a trois semaines : un gars est sorti avec sa bouteille de bière. « Monsieur la cigarette sur le trottoir ! » Voulait pas rentrer. Il a essayé de me foutre un coup sur la figure. Il s’est pris un coup de tête et a fini dans le caniveau. Mais en plus d’un an, c’est la première fois. J’ai une formation en arts martiaux. Déjà pour me défendre moi. »

Un indic communique à Frédo l’arrivée d’une patrouille de quatre poulets, en provenance d’une rue perpendiculaire. Les flics apparaissent à l’angle, je les regarde. Frédo aussi. Ils jettent un œil en direction de la Mécanique et du Trucmush puis d’éloignent. Un homme, la vingtaine d’années, visage transpirant à grosses gouttes, les cheveux coupés au sabot 9 millimètres, sort avec un gobelet à moitié rempli de binouze. Frédo lui indique de retourner à l’intérieur pour en boire son contenu, devenu illégal, dès lors qu’il franchit la porte d’entrée. Suite à ces propos, le jeune homme se plante devant nous et vide cul-sec le contenu de son verre Amstel, avant de retourner s’en griller une sur le trottoir opposé.


Frédo, propos en vrac :

« Voila le genre de comportement débile. S’agit qu’il y ait des flics qui passent à ce moment-là… Consommation d’alcool sur la voie publique. Des gens vraiment chiants ? Deux, trois fois par soir. Par contre, une fois que je les ai orientés sur le trottoir, c’est : « est-ce que je me mets là ? », « c’est bon si je me mets là ? » Ecole maternelle, niveau CM2. On s’est délimité un petit périmètre avec le Trucmush. Pour que les voisins voient qu’on fait des efforts. On avait pensé faire sortir les gens vingt par vingt. Pas possible. « Monsieur, le verre à l’intérieur, s’il vous plaît… » Je comprends ce que les gens entendent. Il s’agit de se taire deux secondes… Même pour moi, des fois, c’est insupportable. »

Un petit groupe de jeunes est sorti du périmètre défini par les deux bars du passage Thiéré. Assis sur une et commence à vociférer à plein poumon, visiblement pour manifester leur joie et rendent évident le fait qu’ils sont largement éméchés.

Une voisine ouvre les volets de son appartement qui donne directement sur le passage et se met à gueuler depuis le premier étage. Sa cible : un membre du staff du Trucmush, venu disperser la troupe de jeunes bourrés qu’elle harangue avec un accent étranger difficile à identifier : « Toi, tu es là pour rien foutre ! Voila pourquoi t’es là ! Toi, tu va aller ailleurs si j’y suis. Connard va ! »

Frédo, propos en vrac :

« Je la connais pas celle-là. Faut dire qu’ils ont gueulé juste en-dessous de chez elle. Les voisins, ils croient que les deux bars couvrent toute la rue. « Monsieur, buvez à l’intérieur s’il vous plaît. » On peut pas tout contrôler non plus. « L’alcool à l’intérieur monsieur ». Ça fait longtemps qu’on n’a plus eu de plainte. On explique aux gens et ils comprennent généralement. « Monsieur, attention à la moto ! » Après, y a toujours des récalcitrants. Surtout le vendredi et le samedi. Ce qui est plus compliqué, c’est de le faire comprendre à quelqu’un qui ne veut pas l’entendre. « Bonne soirée, monsieur ». »

Je laisse Frédo manger un casse-dalle de minuit bien mérité et discute avec Pascal. Lui aussi, en plus de gérer le bar de manière plus « administrative », fait office d’agent de sécurité. Plusieurs incitations au silence et des « s’il vous plaît » ou « Chuuut » répétés à l’intention des clients fumeurs : Pascal semble un peu tendu. Quitte à se prendre la tête avec des potes à lui parce qu’ils rigolent trop forts. Entre ces quelques interruptions, il évoque la difficile période d’adaptation, suite à l’interdiction de fumer dans les bars, les comparutions au tribunal, « le malheur de se prendre du Bastille le vendredi et samedi soir », le fait que Frédo « pète des plombs », à juste titre et de temps en temps, la municipalité et les pouvoirs publics qui n’ont pas vraiment mesuré les conséquences indirectes de cette Loi, les plaintes à l’encontre de la Mécanique, venant de locataire de la rue de Lappes, bordel sonore ambiant depuis 1930. Les fumoirs ? Pas possible : « manque d’espace, et surtout manque d’argent ».

Plus que tout cela, Pascal regrette que personne ne prenne en compte, malgré les ennuis évoqués, le lien social qu’un bar peut créer… Avant qu’un scooter passe plein pot dans le passage Thiéré et recouvre, l’instant de quelques secondes, le flot de notre conversation… Encore la faute à la Mécanique…

http://www.myspace.com/lamecanique


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