Never mind les Sex Pistols. Un album punk bancal en 77, c’est bien mais 18 albums qui mêlent le punk à tout le reste pendant trois décennies, c’est mieux. Partons à la découverte des Mekons qui, depuis Leeds, ont multipliés les labels et les incarnations en restant injustement oubliés par les vulgarisateurs du rock.

C’est grâce à Will Oldham que j’ai découvert, sur le tard, les Mekons. Grâce à une chanson de Palace qui date de 96, For The Mekons. C’est son groupe fétiche à Will. Celui des critiques Robert Christgau et Greil Marcus aussi, du comédien Fred Armisen, d’un tas de gens cools. Et si ce n’est pas encore le mien – personne ne détrônera Pavement dans mon petit cœur de fan – je suis très heureux d’avoir une nouvelle discographie à explorer. 18 albums que je vous invite à découvrir avec moi, une fois qu’on aura fait les présentations.

“We thought everything was crap, so we always ended up doing what little was left!” – Jon Langford

Pour ça, il faut retourner en 77 à l’Université de Leeds, où les étudiants en arts préparent une petite révolution. Il y aura Gang of Four, il y aura Delta 5 et puis les Mekons – un extraterrestre tout droit sorti d’un comics britannique. Leur mission est claire : réécriture le punk en tournant en dérision ses codes et ses limites. Leur premier single, Never Been in a Riot est une parodie du brûlot des Clash. Contrairement à la bande de Strummer, pas question pour ce groupe à géométrie variable de s’acoquiner avec un seul label ou de se plier à une quelconque logique commerciale.

“The Quality Of Mercy Is Not Strnen” (1979)

Sauf qu’après une ribambelle de singles qui participent à la naissance du post-punk – réunis en 82 sur la compilation « The Mekons Story » – le groupe signe un premier LP chez Virgin. C’est pas pour autant que l’argent coule à flots et il faudra piquer le matos des Gang of Four pour immortaliser ces douze titres plus bruitistes que la moyenne – et c’est la gueule des Gang of Four qui se retrouve au dos de la pochette, vengeance ! Sur le verso, un chimpanzé emprunte une réplique à Shakespeare et annonce la couleur : pas question de se prendre au sérieux, essayons de nous amuser tout en restant des gosses irrévérencieux. Ca joue aussi vite que les Buzzcocks et aussi fort que Wire. Et même s’il n’y a pas encore de quoi vraiment se démarquer de la concurrence, il y a de quoi taper méchamment du pied (Lonely & Wet, Dan Dare). Si c’est principalement Andy Carrigan qui chante, on entend aussi le guitariste Tom Greenhalgh et le batteur Jon Langford qui deviendront des membres historiques par la suite.

“Devil Rats And Piggies A Special Message From Godzilla” (1980)

Ciao Virgin, bonjour Red Rhino. Exit le chimpanzé, remplacé par le Le Voyageur Contemplant une Mer de Nuages. Fini les guitares saturés, bienvenue aux claviers. Ce deuxième album au titre inoubliable fait entrer les Mekons dans une nouvelle décennie et, surtout, dans un nouveau son. Si la rage punk n’a pas entièrement disparue (I’m So Happy), elle se retrouve désormais mêlée à des influences country (Intuition) et à des ambiances new-wave (Chopper Squad). Un mélange avant-gardiste, étrange et parfois franchement drôle (John Barry) où l’amateurisme est encore joyeusement de mise. Je conseille cette écoute à ceux qui ne jurent que par le premier essai des Cure.

“Fear And Whiskey” (1985)

Après la sortie d’une compilation d’anciens singles, les Mekons originaux se séparent. Il faudra attendre 1985 pour les voir ressurgir avec Kevin Weech à la guitare, la violoniste Susie Honeyman, l’accordéoniste Rico Bell, l’ancien Damned Lu Edmonds et un nouveau batteur rescapé des Rumour. Une nouvelle formation qui peut enfin embrasser des ambitions plus folkloriques et fait désormais naviguer le groupe entre post-punk, musique traditionnelle britannique et country américaine. Après tout, punk ou country, trois cordes suffisent. Sur cet album de la renaissance, sorti sur le petit label Sin Records, on peut boire un coup avec les fantômes de Gram Parsons et Hank Williams tout en trinquant avec celui de Sid Vicious. Mais le conservatisme d’un Merle Haggard ou d’un Johnny Cash est remplacé par une critique acerbe du diptyque infernal Tchatcher/Reagan. « Fear And Whiskey » est l’album auquel j’ai accroché le plus immédiatement et reste encore aujourd’hui une fusion des genres foutrement excitante. Que je conseille cette fois aux fans des Violent Femmes.

“The Edge Of The World” (1986)

Cette fois, on ne change pas une formule qui gagne. À un détail près : la formidable voix de la chanteuse Sally Timms vient accompagner celles de Langford et Greenhalgh et se fait particulièrement remarquer sur le sublime Oblivion. Les Mekons poursuivent donc leur exploration post-moderne de la country en passant à la vitesse supérieure, avec leur Dusty Sprinfield à eux. Le son des origines n’est pas complètement renié et même agrémenté de violons, la violence est au rendez-vous (Bastard). Slightly South of The Border, c’est presque une outtake d’ « Exile on Main Street ». Il y a du doux et du brute et la force de l’album réside encore une fois dans ce doux mélange, peu commun au milieu des synthétiques eighties.

“The Mekons Honky Tonkin’” (1987)

Troisième volume du revival country, le son crade en moins. On sent le groupe plus solide, plus habitué à jouer ensemble et un plus grand soin est apporté à la production. C’est presque comme si « Honky Tonkin’ » sortrait d’un studio de Nashville. Comme dans tout bon western, on alterne entre cavalcades dans les grandes plaines (Keep Hoppin) et mélancolie au comptoir du saloon (I Can’t Find My Money). Les Mekons se permettent même une relecture d’une vieille protest song du 19ème siècle, la puissante The Trimdon Grange Explosion. Peut-être le maillon le plus faible de la trilogie mais un effort qui ne manque ni d’énergie ni de cohésion.

“New York” (1987)

Publié en K7 puis réédité en CD en 90, « New York » nous invite à partir en tournée avec les Mekons dans les profondeurs de l’Amérique. En général, je préfère fuir les albums live mais ici, on a plutôt affaire à un documentaire sonore brut, agrémenté d’improvisations scèniques, de conversations volées au sein du tour-bus et de morceaux inédits. L’ambiance est tellement bien capturée qu’on peut ressentir de plein fouet les sursauts d’énergie, les moments de fatigues et l’ivresse d’une telle tournée. Un road-trip à écouter en bagnole, sur une départementale mal entretenue.

“We’re much better at being obscure. That way, we’re not compromising our obscurity.” – Jon Langford 

“So Good It Hurts” (1988)

Un titre gentiment ironique : fatigués par leurs récentes aventures scéniques, les Mekons se relâchent un peu et livrent un album de transition pépère, plus léger. Le résultat est encore plus métissé que d’habitude et permet de voyager à la cool entre Nouvelle Orléans, Jamaïque et Caraïbes, au gré d’ambiances cajun, reggae et calypso. Du coup, la basse est souvent à l’honneur et Sally Timms chante encore mieux Heart of Stone que Mick Jagger. Si vous partez hiberner dans le Sud, c’est l’album qu’il faudra embarquer dans vos valises.

“Rock’n’Roll” (1989)

Bien que je manque encore de recul et que le choix est foutrement difficile, « Rock’n’Roll » est peut-être bien l’album des Mekons qui m’excite le plus. Celui où les guitares sonnent le mieux, où l’humour noir frappe le plus fort. Pas de tubes, juste du bruit et des violons criards, juste un grand bal tragique sans compromis – bien que sorti sur le gros label A&M, l’album ne se vendra pas. Bono le prophète en prend pour son grade avec Blow Your Tuneless Trumpet, les clichés sex drugs and rock’n’roll sont parodiés avec Cocaine Lil et Only Darkness Has The Power rappelle que les types savent écrire des putains de chansons sombres et romantiques. Citez moi un autre rejeton du punk ayant réussi à pondre un tel chef d’œuvre quinze ans après ses débuts.

“The Curse of the Mekons” (1991)

La malédiction des Mekons, c’est d’avoir bousculé en vain les fondations de l’industrie musicale avant de se faire virer par A&M. Heureusement, la défaite les rend plus fort car comme le proclame Greenhaigh sur la chanson-titre, « we’re right in all we distrust ». Laissant volontiers à Nirvana le fardeau de MTV et des majors, ils décident de poursuivre leur route au son du banjo, de la mandoline, de la cornemuse et de l’harmonica. La fin de la Guerre Froide ne les empêche pas de repartir en croisade contre capitalisme et communisme (100% Song, Sorcerer) tout en s’en prenant à leur propre patrie (Brutal). Et pour achever la thérapie de groupe, Sally vient à nouveau réchauffer les cœurs avec la sublime valse Wild & Blue.

“I Love Mekons” (1993)

Cette fois, c’est Warner qui empêche le groupe d’être le plus populaire au monde sous prétexte que l’album n’est pas assez bon. C’est une belle connerie parce qu’on tient là un best-of de ce que les Mekons savent faire de mieux : du post-punk abrasif (I Don’t Know), un hymne pour ivrognes plein d’amertume (Millionaire), de la ballade country pour chialer dans son whisky (Love Letter) et même un semblant de grunge, en clin d’œil à la concurrence (Special). C’est un peu moins bordélique que d’habitude mais toujours aussi vivant. Hélas non, rien à faire, le peuple va leur préférer les bouses de Pearl Jam et Bon Jovi.

“Retreat From Memphis” (1994)

Relocalisé dans la ville du vent, les Mekons sonnent aussi frais qu’au premier jour. Leur bataille juridique avec Warner n’a fait que les rendre plus défiants et Retreat From Memphis est un nouveau cri de rage, aussi bravache que fataliste. On ne sera jamais aussi célèbre que les autres alors on emmerde tout le monde. Le groupe se resserre autour d’une formule guitar/basse/batterie pour bien nous rappeler qu’après tout, la musique n’est pas de l’art, juste de la joyeuse bricole.

“Pussy, King of the Pirates” (1996)

La malediction continue : la romancière Kathy Acker, qui s’invitait régulièrement sur scène avec le groupe, succombe à un cancer du sein. Juste avant sa mort, les Mekons venaient d’enregistrer un album pour accompagner la sortie de sa dernière publication. Le résultat est une rencontre expérimentale entre littérature et musique, où la narration d’Acker se mêle à des sons blues, folk et même… techno. La critique ne sera pas tendre et il faut bien avouer qu’il ne s’agit pas de leur disque le plus accessible.

“Me” (1998)

Après une escapade avec les Waco Brothers – qui pourrait bien être au menu d’un nouveau dossier – Jon Langford réassemble les Mekons qui fête dignement leur vingt ans de non-carrière avec cet album sympathique. Routinier si on vient comme moi de s’enfiler les précédents, excitant si c’est celui par lequel on débute l’aventure. Mention spéciale à Whisky Sex Shack, nouvel hymne incandescent pour ivrogne repentant.

“The band has never taken itself too seriously, but by the same token, they are deadly serious” – Jon Langford

“Journey To The End of the Night” (2000)

Quoi de mieux pour attaquer un nouveau millénaire qu’un savoureux mélange d’électro lo-fi (The Flood), de reggae bancal (Tina) et de mélodies plus douces que d’habitude ? Sans vraiment s’assagir, les Mekons dévoilent une facette plus sensible, via la touchante romance maudite Ordinary Night et la poignante chanson de rupture Last Weeks of the War (« I’m not ruined but I need repair »). Je recommanderais presque de débuter votre découverte par cet album, c’est peut-être le plus immédiatement accueillant.

“Ooo! (Out of Their Heads) (2002)

Pendant que Strokes et Libertines invitaient le monde à leur gentille boom, les Mekons préparaient en secret une nouvelle célébration macabre. Pour fêter les 25 ans du groupe, Langford a réuni ses anciens membres et une poignée d’amis pour une rencontre Leeds-Chicago au sommet. Un anniversaire psychobilly entre vieux loups de mer, traversé par la trahison, la guerre et la mort. Si le Johnny Cash des America Recordings avait reçu un carton d’invitation, il aurait peut-être attendu un peu avant de rejoindre le Diable.

https://www.youtube.com/watch?v=kblupKPmaxg

“Punk Rock” (2004)

Un hybride d’album live et de greatest hits ingénieux enregistré entre Chicago, New York et Amsterdam, après une longue tournée anniversaire. La plupart des morceaux sont de vieilles démos dépoussiérées et retravaillées pour l’occasion. Mais malgré ce que suggère le titre et ce recyclage, pas question de céder à la nostalgie, les Mekons jouent plus fort que jamais (32 Weeks et une nouvelle version du tout premier single, Never Been In A Riot).

“Natural” (2007)

Réfugiés au coeur de la champagne anglaise, dans une vieille baraque où ils veillent jusqu’à l’aube devant leur cheminée, les Mekons concotent cette collection acoustique de chansons apaisés, naviguant entre folk, country et reggae. Ils ne virent pas hippies pour autant et leurs complaintes sont toujours aussi sombre (le bien-nommé Dark Dark Dark où les bruitages électro ressurgissent) et fatalistes (Give Me Wine or Money).

“Ancient and Modern” (2011)

Et on termine l’exploration par un condensé de tous les mélanges et contradictions du groupe. D’après Langford, “Most of the record was done at night after being out on long walks to various pubs and stone circles“. Le concept est ambitieux : relier tous les malheurs de l’humanité de 1901 à 2011. Et il y en a pour tous les gouts : des ballades rêveuses (I Fall Asleep), de la folk ancestrâle (Afar & Forlon), du blues satanique (Calling All Demons), du jazz new orleans (Geeshie) et les préoccupations habituelles : lutte des classes, guerre des cultures, nihilisme et alcoolisme.

Hélas, la plupart de ces albums sont introuvables chez nous, à part sur le net. Pour les curieux qui n’ont pas le temps de tout s’enfiler, il reste « Heaven & Hell » (2004),  un best-of bien foutu ainsi que le documentaire jouissif Revenge of the Mekons réalisé par Joe Angio en 2013. Les membres du groupe continuent leurs projets et, si vous le voulez bien, on reparlera une autre fois du travail de Langford avec les Waco Brothers, Kevin Coyne, les Sadies et The Ex. En attendant, pas de rééditions ou de nouveaux disques à l’horizon, mais un tas de tribute band et de fans dévoués à la cause. Si vous pensez que les Mekons est le meilleur groupe du monde, il n’est pas trop tard pour rejoindre le culte et prêcher la bonne parole.

 

1 commentaire

  1. J’ai aussi découvert Les Mekons via Will Oldham et si je n’ai jamais accroché, par contre, le CD country de leur chanteuse Sally Timms « The Land of Milk and Honey », passe régulièrement sur ma platine depuis pas loin de 20 ans. Ça n’est sans doute pas un chef d’œuvre. Je ne l’écoute pas tous les matin mais il vieilli bien je ne suis pas déçu à chaque fois que le ressort.

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