Une émission qui se propose, chaque mois, d’ouvrir la voix à une figure de la marge. Au café ou dans sa cuisine, deux heures durant, un illustre excentré nous propose sa grande vie. Un crawl radiophonique désynchronisé au cœur d’un entretien fleuve. Faites entrer la farandole des grands vivants...

Empereur chinois déchu en jardinier du palais, prince de sang travesti en instituteur d’anglais, Debord égaré dans une allée du Ritz, affabulateurs de tous bords, agents doubles, traîtres à la patrie, fils indignes, juifs errants, égoïstes fanatiques, écrivains sans orthographe, débutants professionnels, cardiaques par choix, pasteurs boogie- woogant, ambidextres d’honneur…la farandole des illustres excentrés se presse au micro de l’émission radiophonique La grande vie. En rehaussant l’amplitude de leurs gestes, ils nous apprennent à féériser l’ordinaire. Se soustrayant toujours aux serments prêtés, ils ne cessent de se retourner comme des anguilles dansantes, à l’air libre. Toujours pris entre deux feux. Toujours en sursis, à laisser des chèques en blanc dans les cabines téléphoniques, ils semblent chérir la malchance comme une aimable décharge électrique. Ils ont en face des choses un incessant rire de sourdine, un sourd gloussement d’arrière-fond. Leur attention s’alcoolise et s’excentre jusqu’à buter sur des détails incongrus. Lofteurs sublimes, ils ne vivent que pour se raconter goulument, et ne se voient qu’à travers l’œil des caméras de sécurité imaginaires qu’ils s’inventent. Ils finissent parfois par une malice triste, discrètement esquissée dans une allée d’un camp de réfugiés. Feintant la mort, certains réapparaissent pourtant au détour d’une constellation solaire, dernière bizarrerie d’extra-terrestre, avant de disparaître tout à fait derrière un astéroïde de passage.

Place à Hélène Hazéra, le caméléon sérieux.

1helene-hazeraHélène, c’est une voix dans la nuit qui s’émerveille du timbre désuet de quelques enregistrements cramoisis. D’abord journaliste 20 ans à Libération, puis présentatrice de Chanson Boum! sur France Culture, la Mlle Hazéra a des manières de comtesse ridée. En appliquant une dernière couche de vernis, elle s’émerveille du trémolo terminal d’un accordéon vieilli. En ré-ajustant le ton de ses lèvres purpurines, elle s’enthousiasme sur la prose obscure d’un vieux poète arabo-and alou. Pourtant, la coquette mélowoman n’est pas tout à fait réductible au cliché bohème qui guette sa transexualité. La caricature queer qu’on pourrait vouloir dresser d’elle, Hélène la combat. D’abord auprès des Gazolines – groupe du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) – puis auprès d’Act Up depuis 1995, vingt avant après sa transition trans’. L’idéal d’Hélène n’est pas cette hippie sous MDMA qui gueule un tube des Cramps nue sur Rivoli; l’idéal d’Hélène c’est plutôt Marie Pierre Pruvost, cette Danseuse de Cabaret reconvertie en professeur d’anglais, c’est ce Gogo Boy Jo, travesti qui fait maintenant la couverture d’un PUF, c’est cette prostituée de l’Ile Maurice, dont le mac ne lui sert plus désormais qu’à corriger sa thèse. Celle qui rêve d’enfin se confondre tout à fait avec ce que Charlie Chaplin pourrait appeler « la normalité ». Ses transitions physiques, sexuelles et intellectuelles n’ont rien de caprices d’enfants inconséquent. Héléne Hazera participe plutôt du mentir-vrai d’Aragon: rien n’est plus sérieux que ses métamorphoses. C’est le passage du libre jeu des apparences au je libre et assumé, au delà de la différence. La comédie n’est plus comique ni réversible, quand elle s’exerce à temps complet. Quand on la voit militer contre les caricatures transsexuelles au cinéma ou contre le traitement « privilégié » accordé aux séropositifs, on pourrait dire de Lady Hazera qu’elle a la pudeur des « profondes et graves transformations », le sérieux, peut-être même la lourdeur et la rigidité, du jeu sans retour. D’un côté, l’image de la Transsexualité d’Hélène: la frivolité des jupons, les tissus multicolores qu’on imagine flotter dans les couloirs du Palace un soir de nouvel an, le « prolétaires de tous pays, masturbez-vous » et le « maquillage est une manière de vivre »; de l’autre le quotidien de la fonctionnaire légèrement aigrie: la lutte contre la bêtise ordinaire de ce qui restent convaincus que l’identité est unique et irréversible, la révolte envers ces rachitiques du possible persuadés que Dieu est sexiste. Hélène Hazera comme un vaudeville complexe chez les ombres macabres. Life is a serious cabaret, old chum.

6 commentaires

  1. ça fait longtemps que je voulais dire que je trouve que ce texte de présentation est un torrent de discriminations.Ne parlant que de mon identité -en racontant n’importe quoi- en laissant de coté mon travail. Non je ne parle pas majoritairement de chanson ancienne sur Chanson boum mais de la chanson actuelle, dont je reçois chaque semaine les représentants d’aujourd’hui.Je n’ai jamais revendiqué l’étiquette transsexuelle (plutôt l’étiquette trans genre s’il en fallait une.Dire que je mélitte contre le traitement privilégié fait aux séropositifs est pour le moins imprécis: le milite contre les discriminations qui leurs sont faites.quand à raconter que je ne reve qu’à la normalité, peut être après avoir passé cinq ans à se prostituer au Bois de Boulogne Mlle Rinkel aura envie d’être normale.

    1. Bravo ,j’ai énormément d’admiration pour vous et ce texte me dérangeait !! Cordialement ….non d’ailleurs…amicalement et solidairement!Fr

  2. Bonjour Hélène,
    Etonnée de vous voir commenter cette rapide présentation presque trois ans après sa diffusion. Je n’écrirais aujourd’hui le texte comme je l’ai écrit, problème d’internet, tout y reste gravant nos pensées dans le marbre numériques, quand nous évoluons pourtant en permanence. Je persiste néanmoins à penser que cette présentation, toute emprunte de fiction soit-elle — car nous (je n’étais seule) vous avions bien invitée pour vos personnages, ce qu’ils nous évoquaient, et la présentatrice et la militante — demeure tendre, et ne mérite pas cette violence en retour. Je ne suis pas qlq d’obtus, il suffit de me parler, de m’expliquer calmement mes torts pour que je les admette si je les reconnais. Je crois que l’écriture et le dialogue servent aussi à cela, à comprendre pourquoi les éventuels clichés ne sont la réalité. Et les miens à vôtre égard, et les vôtres au mien.
    Je vous embrasse,
    Blandine.

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