Alors que les Born Bad, Howlin’ Banana et autres Pan European mènent leur carrière à Paris, un autre label rock a choisi de rester basé à Nantes en devenant ainsi un indépendant parmi les indépendants. Son nom : Kythibong. Dirigé de façon bénévole par trois personnes seulement, dont deux frères, cette maison du risque a réussi à construire en presque vingt ans d’existence une véritable famille autour d’eux.

« On n’est pas là pour signer la prochaine révélation. Nous, c’est vraiment une histoire humaine : tout le catalogue découle de rencontres, de gens avec qui on a parlé. » Prononcée par Aymeric, l’un des trois fondateurs du label nantais, cette phrase résume toute la démarche de Kythibong : si le courant ne passe pas humainement, rien ne se fera. Ce sont pourtant de très bons groupes comme Deerhoof, La Colonie de Vacances (soit la fusion de Pneu, Marvin et Papier Tigre et Electric Electric), Nour ou encore Binidu qui s’inscrivent dans leur catalogue. Comment les trois amis ont-ils su gagner leur confiance ? Leur état d’esprit familial y est sans doute pour beaucoup.

Fondé en 2002 par les frères Aymeric et Anthony Chaslerie, rejoints leur amie Marion Jdanoff, Kythibong ne devait au départ qu’être une association pour supporter le groupe Room 204, dans lequel jouait Aymeric, seul musicien du label. Ce dernier confirme : « Il nous fallait une structure administrative pour les concerts, les contrats, etc, c’était pas du tout dédié à être un label. » Mais au moment de sortir le premier disque du groupe, celui-ci se retrouve soudainement sans label. Pour éviter de repartir de zéro, ils décident alors de sortir eux-même le disque grâce à leur structure. Les ventes sont bonnes, suffisamment en tout cas pour ensuite sortir d’autres disques, ceux de groupes amis, comme Fordamage en 2005 : « C’était leur premier concert ; on a pris une grosse baffe, on a dit « on sort votre disque ». Ça a toujours fonctionné comme ça » me raconte Anthony. De sortie en sortie, le label se structure, trouve un distributeur et accompagne de plus en plus le marketing, mais sans jamais vraiment perdre l’esprit DIY des débuts.

Au service des artistes

Depuis ses débuts, Kythibong n’a jamais eu de salarié : « Mes jours de repos sont dédiés à Kythibong » m’explique Anthony, co-gérant du Mélomane, disquaire bien connu des Nantais. Marion, elle, est graphiste, désormais installée à Grenoble. Chacun fait ainsi selon ses compétences : Aymeric se charge de la promotion et des relations presse, Anthony gère la distribution et Marion assure la communication et l’identité visuelle du label. Quant aux choix de catalogue, tout se fait par vote : si deux membres sont d’accord, la décision est actée. Cela garantit une cohérence du catalogue, sans l’empêcher d’évoluer. « On écoute des choses différentes » dit Aymeric, « et le temps passant, on écoute des choses encore plus différentes. »

« En 2019, on a fait une dizaine de sorties, donc quasiment une par mois, et c’était trop. À la fin, c’était comme aller à l’usine. »

Mais surtout, c’est ce fonctionnement qui assure la bonne santé du label selon Anthony : « On sait que si on sort le disque on va le défendre à fond, parce qu’on aime ». Et cela se sent au niveau des artistes, qui se sentent suivis. Gwen, guitariste des Slow Sliders, une des signatures les plus pop du label,confirme ce sentiment : « Ce qu’ils mettent en avant, c’est le rapport direct aux artistes ; ça s’est vérifié, et ça se vérifie toujours : ils demandent des nouvelles, relaient ce qu’on fait, quand on a voulu faire des T-Shirts ils nous ont proposé une boîte, ils viennent nous voir en concert, collent nos stickers. »

Même son de cloche chez Vincent Dupas, ancien Fordamage et actuel Binidu (en parallèle d’une carrière solo hors Kythibong) : celui-ci connaît les membres du label depuis 2005, et compte poursuivre cette collaboration. « Si l’investissement n’est pas financier, il est humain : ils connaissent le milieu, les bonnes personnes à contacter, Aymeric fait aussi bien qu’un professionnel des relations presse ». Selon Gwen, il le fait peut-être même mieux que certains. Kythibong s’investit à fond dans chaque sortie, toujours en discussion avec le groupe. Ce sont par exemple les Slow Sliders qui ont tenu à être disponibles sur les plateformes de streaming, entraînant par la force des choses l’arrivée du reste du catalogue du label. « Ce n’est pas vraiment nous qui les avons forcés, mais ça s’est fait au moment de la sortie du disque », soit fin 2018, selon Gwen.
Plus généralement, le label laisse les groupes maîtres de leurs univers, les laissant décider de leurs pochettes et du format de distribution. « Le prochain Binidu, un trois titres, ce sera en cassette, parce qu’ils veulent faire une cassette » m’explique ainsi Anthony. « On est un peu au service des artistes, après tout » résume Aymeric.

Que La Famille

Après une grosse période d’activité autour de 2010-2012, autour des nombreux groupes punk/noise/math des alentours de Nantes, Kythibong décide de diversifier ses sorties. « Pendant longtemps, on attendait beaucoup que nos amis nous démarchent avec un disque déjà enregistré » explique Aymeric. « Il y a deux-trois ans, on a voulu changer un peu ça, et on s’est réunis pour lister les groupes qu’on aime tous les trois. » Mais la règle est toujours la même : le contact humain avant tout, ce ne sont que des artistes ayant déjà sympathisé avec le label. Parmi ceux ayant accepté l’invitation, Deerhoof – « longtemps un de mes groupes préférés » sourit Aymeric – Chocolat Billy, ou Vagina Town. Une seule exception à cette règle de la sympathie : la réédition de Vous et Nous de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem, sorti en 1977. « C’est parti d’une blague. » raconte Aymeric, « Marion nous envoie un message : « j’adore cet album, j’aimerais bien l’avoir en vinyle, mais sur Discogs il est à 70 balles. Vous voulez pas qu’on le réédite ? ». Avec mon frère, on se dit que le disque est génial, donc on s’est renseignés, et au final on a pu racheter les droits à Saravah [label qui avait publié l’album à l’époque]. »

Ce qui n’a pas changé depuis les débuts, c’est l’esprit de famille. C’est le fil conducteur du label et le mot revient dans chaque discussion. Et ce bien avant PNL. Au-delà du lien de sang entre les deux frères Chaslerie, c’est un lien fort qui se tisse entre tous les acteurs du label, y compris entre musiciens. Le projet de la Colonie de Vacances en est un bon exemple, mais ce n’est pas le seul : Vincent Dupas a fondé Binidu avec un membre de Pneu, les membres de Spelterini, une des dernières sorties, viennent de Papier Tigre, et ainsi de suite. L’agrandissement de la famille a peut-être rendu ces liens plus distants, mais ils n’en sont pas moins réels : Vincent m’avoue connaître malgré tout chaque signature du label. « Ça devient plus les petits cousins, neveux et nièces, et la vieille grand-mère pour Brigitte Fontaine. » Quant aux membres du label, s’ils ne peuvent plus se permettre de suivre les groupes en tournée, ils continuent d’aller voir dès qu’ils peuvent leurs groupes en concert.

« Si on essaie de sortir un salaire aujourd’hui, on peut fermer dans six mois si ça ne marche pas »

Équilibre

Au-delà du travail de suivi, c’est toute leur économie qui repose sur ce modèle familial : Kythibong travaille avec proximité et transparence. Vincent confirme : « Pour avoir bossé avec pas mal de labels maintenant, je me rend compte que c’est le seul avec qui ça s’est passé comme ça. Et il n’y a jamais de pression économique de leur part. » La règle est simple : une fois les frais du disque remboursés, artiste et label font moitié moitié. Kythibong continue ainsi de vivre, un disque finançant le suivant, sans aucune subvention ou autre aide. Seule autre recette : le groupe a longtemps tenu des bars durant les festivals d’été pour remplir un peu les caisses mais a récemment arrêté (histoire d’enfin avoir enfin un peu de vacances). « C’est là qu’on a gardé la trace DIY » explique Aymeric, « on fait comme on peut. » D’autant qu’avec le streaming, les ventes de disque ont tendance à baisser, et à leur échelle, l’écoute en ligne ne rapporte pas grand chose. « On ne va pas jouer les vieux cons non plus poursuit Aymeric « on continue de s’adapter, que ce soit pour le public et les artistes, comme on l’a toujours fait ».

Loin d’eux l’idée de se faire plus gros qu’ils ne sont : « En 2019, on a fait une dizaine de sorties, donc quasiment une par mois, et c’était trop, t’as à peine fini la promotion d’un disque que tu dois faire celle d’un autre. À la fin ça ne nous faisait plus plaisir, c’était comme aller à l’usine. » Or, c’est bien le plaisir de défendre les groupes qui les guide. Ils comptent ainsi revenir à un rythme plus raisonnable de trois ou quatre sorties dans l’année. Et s’ils connaissent leurs limites, ils ne cherchent pas non plus à les repousser en se structurant d’avantage : « Si on essaie de sortir un salaire aujourd’hui, on peut fermer dans six mois si ça ne marche pas » résume Aymeric, « alors que là, on peut essayer d’équilibrer les choses, et ça fait des années qu’on tient comme ça ». Kythibong restera un label familial qui sort des disques pour le seul plaisir de le faire. « Pour l’instant, je suis toujours un gamin qui reçoit ses vinyles à Noël » conclut Aymeric.

Kythibong continue donc sa route en toute indépendance, à part du reste de l’industrie. Et régulièrement, nous continuerons de recevoir un mail d’Aymeric pour défendre, toujours avec le même enthousiasme, le dernier disque d’un de leurs groupes. Parce qu’il fait partie de la famille.

Toutes les sorties du label sont à retour sur https://kythibong.bandcamp.com. A écouter notamment : la dernière sortie du label, le second album du trio nantais Nursery. Soit du punk tendu comme il le faut, tordant à bon escient des mélodies pop dans des tempos effrénés et des guitares malsaines, tout en restant avant tout résolument fun. Ni très original ni particulièrement brillant, mais très efficace.

2 commentaires

  1. personnel (raciste) de chez gonzaï_aïe! allez vous payer une place de cinoche pour voir HORS NORMES.

  2. friday 632020 gotta see Braumure with a sax & my koll thing friend fly for Body Count not see frustration, on s’en bat les bollocks.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages