Samedi 27 octobre, 19h30, à Mains d'Œuvres (Saint-Ouen). Pour la première fois de ma vie, j'arrive en avance à un concert. Et pour cause : j'ai rendez-vous avec un groupe dont la réputation scénique m'intrigue depuis plusieurs semaines. Pour l'occasion, j'ai convaincu au forceps notre rédac' chef de m'accorder l'interview de cette bande d'Américains biberonnés à la scène post-punk australienne (Birthday Party, Crime and The City Solution, The Scientists) et à tout ce que l'Amérique compte de tarés pervers (Gun Club, Cramps et Stooges).

Alors que je prépare mes questions dans le métro, je découvre par hasard que le chanteur/guitariste du groupe tenait le manche dans la première formation des Black Lips. En choisissant de ne pas citer cette information hype dans leur biographie, les K-Holes viennent de marquer des points. Plus tard et sur la scène de la Nuit Sale et Sauvage, ils finiront de me convaincre qu’il existe encore des groupes pour qui le live est l’occasion de brouiller les pistes, dépasser les limites et convier la Sainte Trinité du rock’n’roll : frustration, sexe, et violence.

Gonzaï : Chez des amis rockeurs à New York, j’ai vu ce poster d’un concert des Cramps dans le Lower East Side qui datait de 1986. Je me suis dit : « Putain ! C’est ça, la vie à New York ? Tu peux voir des putains de groupes en bas de ton immeuble tous les soirs ! » C’est encore comme ça aujourd’hui ?

Jack (chant, guitare) : Il y a un concert tous les soirs, oui…
Vashti (chant) : Bon ou mauvais, on ne sait jamais !
Cameron (batterie) : Les gens continuent de venir jouer à New York, forcément.
Vashti : Ouais, les groupes ou les Dj : il y a toujours un truc à faire, c’est sûr.
Julie (basse) : Tout passe par New York, les petits groupes comme les plus gros.

Vous y avez un QG ?

Jack : Notre maison, la maison des K-Holes, c’est cet endroit appelé le Secret Project Robot. Avant, c’était au Monster Island, où Cameron et Vashti avaient leur galerie et organisaient des concerts, mais ils ont été expulsés parce que les loyers sont devenus trop chers. Du coup, maintenant, on est installés au Secret Robot Project, un peu plus loin à Bushwick (Brooklyn). Il y a des concerts en permanence, des salles de répétition et des studios d’artistes.
Vashti : C’est un peu comme ici [Mains d’Oeuvres, NdlR] mais en plus cheap !
Cameron : Et sans lits…
Vashti : Personne n’y habite. C’est juste de la musique et du fun. On y voit plein de trucs différents, des groupes et des projets artistiques.
Julie : Quand on répète, on croise les groupes qui entrent et sortent des studios, et on peut les entendre jouer. Tous les groupes ont des styles différents, mais ça crée quand même une super émulation.

Vous connaissez d’autres endroits du genre à New York ? Vous n’avez pas de problèmes de gentrification ?

Vashti : Quand on a emménagé ici, il y a dix ans, on répétait dans un endroit avec, déjà, les mêmes personnes que maintenant.
Jack : Mais ce genre d’endroits est sans cesse repoussé de plus en plus loin.
Julie : New York change si rapidement… Maintenant à Bushwick, il y a tous ces bars et ces restos. Le quartier est devenu très branché.
Vashti : Oui, très branché. Ça fait cinq ou six ans déjà, depuis l’installation des…
Jack : …des hipsters !
Vashti : Ouais, les hipsters, les artistes… bref. Le quartier est bien plus sûr maintenant : les gens de Manhattan viennent ici pour y manger, pour être cool. Même notre président vient dans le quartier !
Cameron : Les hipsters existaient déjà dans les années 80.
Vashti : Oui, c’est un cycle sans fin…

Mais vous ne croyez pas que vous êtes des hipsters ?

Vashti : Bien sûr, malheureusement…
Jack : Je pense qu’il y a une différence entre les branchés [hip] et les hipsters.
Vashti : Si tu crées des choses, tu es branché. Mais si tu ne crées rien et que tu te contentes de suivre les modes, je pense que là, tu deviens hipster !
Julie : De toute façon, tout le monde veut être cool.
Jack : Et certains ne le sont pas…
Cameron : D’ailleurs, il y en a pour qui être branché n’est pas cool du tout !
Jack : Je pense que c’est comme ça que la musique, l’art et tout ce qui est culturel a pu survivre à New York : grâce aux gens qui se réunissent pour trouver un endroit et se mettent à bosser ensemble. Il y a des tas de groupes qui payent 1000 $ [plus de 800 €, NdlR] par mois pour répéter !
Vashti : On ne paye que 150 $ [un peu plus de 100 €, NdlR] !
Julie : 1000 $, c’est un mois de loyer !
Jack : Du coup, les K-Holes n’existeraient pas sans le Secret Project Robot.

Vous viviez à Atlanta avant de déménager à New York. Ça fait quoi d’être un groupe dans la ville la plus observée du monde au niveau musical ?

Cameron : Il y a bien plus d’opportunités : tu peux faire des trucs différents tous les jours, ne pas jouer tous les soirs dans le même bar, devant les mêmes personnes. À Atlanta, c’était comme ça : tu voyais cinquante personnes dans un concert, et tu revoyais les cinquante mêmes personnes au concert d’après.

Ça permet de se constituer une fanbase, non ?

Cameron : Je n’appellerais pas ça une fanbase, mais plutôt une communauté. Alors qu’à New York, il y a des gens qui vont et viennent en permanence : tu as toujours des gens pour tenter de nouvelles expériences.
Julie : Exact ! Les gens viennent du monde entier pour te voir jouer. À Atlanta, on avait l’impression de jouer seulement pour nous et les potes.

Mais vous ne vous sentez pas noyés parmi les milliers de groupes à New York ?

Le groupe : Pas du tout !
Jack : En un sens, oui, mais ce n’est pas une mauvaise chose.
Vashti : C’est cool parce que tu sais qu’il y a forcément quelque part des groupes dont tu n’as jamais entendu parler, et que tu ne verras peut-être jamais jouer : un grain de sable dans ce lac géant. Et tu peux changer de lieu, de scène, tous les jours.
Cameron : Et ce n’est pas parce qu’il y a des milliers de groupes qu’il faut être dans la compétition.

Les K-Holes ont commencé avant votre arrivée à New York ?

Julie : Jack et moi, on a rencontré les autres à New York en arrivant il y a cinq ans. Cameron et Vashti y habitent depuis déjà dix ans, et on avait des amis communs. On est allés chez eux et ils avaient les mêmes disques que nous, c’était bizarre. On a alors commencé à traîner dans leur galerie d’art [Living With Animals, NdlR], à boire des coups, fumer, et jammer ensemble…

Et vous arrivez encore à avoir d’autres activités artistiques ?

Cameron : On a arrêté la galerie d’art parce que l’immeuble qui l’hébergeait a fermé. Mais on travaille sur nos projets et on fait encore des expos.
Vashti : Cameron vient de lancer une ligne de bonneterie [oui, les collants et bas… NdlR]. Des collants pour femmes…
Cameron : Ou pour hommes !
Vashti : Et Jack et Julie ont un autre groupe !
Jack : Ouais, même si on est en plein conflit pour le nom du groupe…

Vous n’avez pas encore de nom ?

Jack : Si, on s’appelle Georgiana Starlington mais on a un problème, et c’est le parfait exemple de ce dont tu parlais : trop de groupes à Brooklyn. C’est à peine croyable, mais il y a une musicienne qui vit à une borne de chez nous et qui porte le même nom ! Ça vient d’un panneau routier dans l’Alabama – et ce n’est même pas un nom de groupe cool, d’ailleurs – et il y avait une chance sur un million pour que ce soit le nom de cette fille… On a déjà sorti quelques singles en tant que Georgiana Starlington, donc ce nom nous appartient légitimement !

Ça me rappelle Dick Manitoba, le chanteur des Dictators, qui a poursuivi le groupe Manitoba pour utilisation de son nom de scène. Il a gagné le procès et le groupe est devenu… Caribou !

Julie : Je ne savais pas. Bon, alors on pourrait essayer d’être Axl Rose…
Vashti : Axl Rosery !

« S’il n’y a pas tellement d’albums live, c’est sans doute parce que la plupart du temps, le résultat est mauvais ! »

Vous êtes habitués à partager l’affiche avec Ty Segall, Thee Oh Sees, Hunx and His Punx : c’est la nouvelle Internationale du rock’n’roll ?

Vashti : Je crois qu’il y a pas mal de groupes différents. C’est juste que quand tu es en tournée, tu deviens ami avec les groupes, et tu les retrouves quand ils viennent jouer dans ta ville. C’est une communauté où chacun s’entraide parce qu’on est tous à la dèche, qu’on dort par terre chez les autres, et qu’on se fait mutuellement à bouffer !
Cameron : Je dors sur ton canapé, tu dors sur le mien.
Julie : C’est un système de soutien pour aider les petits groupes à tourner en Europe.

Il y a des groupes français dans le lot ?

Jack : Les Magnetix, évidemment. Je les ai vus jouer quelque fois aux États-Unis, et je les ai adorés tout de suite. J’aime aussi beaucoup Chevau (sic).

Tu veux dire Cheveu ?

Jack : Ah oui, Cheveu. Je ne sais pas s’ils jouent encore.
Cameron : Et Sonic Chicken 4, que j’ai vu jouer deux, trois fois.
Zumi : Et on est potes avec Crusaders of Love.

Vous avez donc de la musique française dans l’autoradio du van ?

Vashti : Pas vraiment, mais sur nos iPods, sans doute. Cameron en a un paquet, dont il ne connaît ni les titres, ni les groupes… Des années 60 et 70.

Et le terme « garage », ça vous inspire quoi ?

Julie : La garage rock était un gros mouvement aux États-Unis il y a quelques années.
Vashti : C’est surtout un terme fourre-tout !
Jack : C’est vrai : Thee Oh Sees ne sonnent absolument pas comme The Sonics ; Ty Segall est bien plus influencé par les années 90 que par les années 60.
Cameron : C’est juste du rock’n’roll, en somme.
Vashti : Ce qui est sûr, c’est qu’on n’est pas un groupe d’électro ! Même si on joue avec des groupes d’électro, comme Quintron & Miss Pussycat.

Du coup, quelle a été votre réaction quand on vous a invités à jouer pour la Nuit Sale et Sauvage à Mains d’Oeuvres, aux côtés de Magnetix, Movie Star Junkies, Yussuf Jerusalem, King Automatic ?

Le groupe : On était hyper excités !
Julie : Mais on pensait qu’il n’y avait que deux autres groupes…
Jack : Les Movie Star Junkies et les Magnetix, qu’on adore !
Vashti : Malheureusement, on ne verra pas Movie Star Junkies parce qu’on joue en même temps sur une autre scène.
Julie : Je n’ai jamais vu les Movie Star Junkies et je les aime beaucoup. Je pense qu’eux et les K-Holes sont similaires. Et puis je sais qu’ils adorent The Chrome Cranks, un de mes groupes préférés.
Zumi : On peut les voir un quart d’heure…
Julie : C’est du teasing !

Justement, la frustration est l’élément essentiel du rock’n’roll, non ?

Julie : C’est vrai !

Et la violence aussi ? Votre son, sur scène comme sur disque, est massif, brut et très violent.

Jack : Sexuel et violent !

« Le sax, c’est complètement rock’n’roll ! »

Comment appréhendez-vous l’expérience scénique, comparée à l’enregistrement en studio ?

Cameron : C’est mieux en live.
Jack : Je pense qu’on est meilleurs sur scène.
Cameron : L’enregistrement n’est qu’un instantané.
Vashti : Le live est bien plus fun et excitant parce qu’on ne sait pas ce qui va se passer…

Donc vous ne vous prenez pas la tête avec les détails quand vous enregistrez les morceaux ?

Cameron : Les enregistrements sont live !
Vashti : Si, on fait attention, bien sûr. Mais c’est bizarre de jouer le même truc pendant des heures. Ce ne sera jamais comparable au live : ce qui se passe sur le disque ne dépend pas seulement de nous, mais de la personne qui va faire le pressage, puis le mastering… On n’est pas maîtres de tout le processus.
Cameron : Et c’est mieux sur scène, en chair et en os.
Jack : Le disque n’est qu’un flyer pour le concert !

Ça vous brancherait de sortir un disque live ? On n’en voit plus trop dans le rock de nos jours.

Vashti : S’il n’y a pas tant d’albums live, c’est sans doute parce que la plupart du temps, le résultat est mauvais !
Julie : Et franchement, il y a peu d’albums « live » qui sont réellement enregistrés dans les conditions du live !
Cameron : Fela Kuti, c’est toujours du live. Et ça sonne hyper bien, bien mieux que n’importe quoi d’autre. Pour enregistrer un bon live, il faut le bon ingé-son.
Vashti : On a quand même sorti quelques singles live, ça sonne barré, bordélique, et c’est vraiment cool.

Et le saxophone ? C’est un choix ? Un hasard ? Un héritage des Stooges ?

Zumi : Le sax est complètement rock’n’roll !
Cameron : Toute la scène no-wave avait un saxophone.
Jack : Et la plupart des groupes de rock des années 50 avaient aucun un sax.
Vashti : Au début, on avait un deuxième guitariste. Un jour, on jouait dans une house-party démente, une fête d’anniversaire complètement indécente. Une amie saxophoniste [Sarah, qui a quitté le groupe depuis, NdlR] était là aussi et voulait monter avec nous sur scène. Elle est restée tout l’été, et le guitariste est parti. Jack et Julie étaient à fond pour continuer, mais pas moi : je détestais le saxophone à l’époque et maintenant… j’adore !
Cameron : Le saxophone, c’est à la fois une voix et une mélodie de guitare. Ça ne rend pas les choses simplement rock’n’roll, mais bien plus complexes.
Julie : Maintenant, c’est Zumi au saxo, mais elle habite à Los Angeles. Alors quand on répète à quatre, il manque un truc, ça fait très vide. Sans le saxophone, on est juste un groupe de punk rock.

Zumi, il faut que tu déménages à New York !

Zumi : J’y ai vécu quatre ans, et c’est à ce moment que je les ai connus. J’avais mon saxophone chez moi, mais je ne jouais avec personne. Ils ne savaient même pas que j’en jouais ! J’ai passé des années à expérimenter avec des pédales d’effet, et les K-Holes avaient cette saxophoniste, Sarah, qui jouait aussi avec des pédales. Et on vient toutes les deux de Burnett ! Ca faisait des années que j’attendais de jouer dans cette situation : j’ai grandi en écoutant du jazz, mais je voulais jouer du rock’n’roll !

Du jazz ? T’es pourtant pas une hippie, mais une hipster !

Zumi : Ah ah ! Ma mère me disait d’ailleurs : « Je n’étais pas une hippie, mais une radicale ! » Bref, j’ai donc pris l’avion pour New York sept jours avant le début du tour, et on a répété ensemble pendant deux, trois jours.
Cameron : Elle a tout de suite capté le truc.
Zumi : Ouais, mais le sax est toujours problématique sur scène parce que les ingés-son ne savent pas comment le gérer dans la sono. Du coup, je me considère automatiquement comme l’enfant terrible ! Celle qui va faire tout ce feedback sur scène. Les oreilles des autres sont en sang et ils n’entendent plus rien… Mais ça fait partie de l’expérience. On n’a pas d’installation parfaite, et on ne sait jamais ce qui va se passer : tu es à fond dans le truc, ça peut te paraître désastreux, mais le public te dit que c’était fantastique !

K-Holes // « Dismania » // Hardly Art

Le site officiel de K-Holes : http://thek-holes.blogspot.com
La musique de K-Holes : http://k-holes.bandcamp.com/

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