Quand j'ai dit au patron que l'album de Jupiter me bottait moyen, il m'a répondu que je n'étais pas obligé de faire l'interview. Puis je lui ai rappelé que ce groupe était à l'origine de notre rencontre foireuse et que rien que ça valait le coup d'être raconté. Finalement, j'ai fini par apprécier ce "Bandana Republic". Comme quoi, le second avis est parfois plus intéressant que le premier.

jupiter_coverBack in 2012. J’avais découvert Jupiter en première partie de Caravan Palace et avais trouvé ça bien mieux que la tête d’affiche. À la sortie du premier disque du groupe, Juicy Lucy, j’avais sauté sur l’occasion pour rencontrer ces deux franco-anglais exhumant la disco moite mieux que n’importe quel autre tenancier de la French Touch. Arrivé sur les lieux, je rencontre leur attaché de presse, on fume une clope, on parle, forcément, de vidéos puisque c’est ce que j’allais faire avec Jupiter. La veille j’étais tombé sur une longue interview de Dominique A, filmée en quasi-caméra subjective, trop longue pour moi (20 minutes, sur le web, soit 19 minutes de trop pour la génération zapping) et assez dure à regarder. J’étais obligé d’en parler et, dans ma grande assurance de jeune journaliste, de la défoncer. Il m’avait écouté sans broncher. Quelques semaines plus tard, je contacte un certain Bester Langs, tenancier de Gonzaï, pour une toute autre affaire. Ce à quoi il me réponds un truc du genre « Ah, tu as fait le rapprochement ? C’était moi l’interview de Dominique A ». Pas rancunier, il m’a rendu le service quémandé et, deux ans plus tard, je commençais à gratter pour la maison. Le pire dans tout ça, c’est que mon interview avec Jupiter – aussi passionnante fut-elle – s’est avérée techniquement catastrophique et que la qualité de la vidéo finale était tout bonnement à chier. Le karma, il paraît.

Tout ça pour dire que, comme en musique, la première impression n’est pas toujours la bonne. On le sait : il y a des albums qui se domptent tout comme d’autre s’imposent comme une évidence. Le problème pour un groupe comme Jupiter, c’est d’avoir évolué dans une ambiance club, jamais très loin de Kitsuné, avec un mélange de machines et d’instruments, et, surtout, d’avoir réussi à trouver le bon équilibre entre pop et électro dansante. Un truc qui me manquait depuis longtemps. Et quand on trouve ce qu’on cherche, on a du mal a accepter le changement. Sauf que pour son deuxième album, Bandana Republic, le duo est devenu quatuor, a délaissé le Japon pour aller faire un tour du côté des Etats-Unis, préférant l’organique mélancolique (j’ai pas dit dépressif) à l’électronique hystérique (j’ai pas dit sous acides). Sans pour autant perdre son identité : il y a encore du synthé ; de la prog et de l’amour du rythme. Seulement, voilà : après une première écoute, j’ai eu ce réflexe débile de penser que le tout était moins efficace, que c’était du Jupiter, mais pas assez. En fait, ce que je voulais, c’était un disque qui sonnait comme son prédécesseur, qu’il y ait les même morceaux, mais en différent. Sauf que Quarles et Amélie en ont décidé autrement. Et, finalement, il n’y a que les cons qui ne changent pas (d’avis). La preuve.

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C’est quoi cette histoire de bandana ?

La moitié de l’album a été enregistré aux Etats-Unis, le bandana, c’est un peu le symbole du pays, on en a acheté un dans une station service dans le désert. On trouvait ça marrant, ça reflète l’état d’esprit de l’album et l’influence sur pas mal de titres. C’était un truc rigolo à raconter, c’est la Californie, les Etats-Unis, Bruce Springsteen, Tupac… deux mondes très différents mais bandana quand même. On est plutôt Yankee, mais niveau influences, on penche plus vers Tupac. Même si physiquement Bruce a plus de style. Des deux côtés, ça reste du haut niveau.

Il y a un fil rouge finalement, puisque votre premier disque tenait son nom d’un burger américain.

C’est terrible ce que tu dis, car c’est vrai. C’est triste, quel manque d’inspiration. Bon, cela dit, ce qui nous plaisait avec Juicy Lucy c’était le côté «c’est hyper sexuel, mais en fait non c’est un burger ».

Vu l’artwork de votre nouveau disque, il aurait très bien pu s’appeler Banana Republic, et d’ailleurs c’est ce que j’ai lu la première fois.

Oui, c’est un risque, il y a un jeu de mot avec ça, c’était voulu et assumé. En fait à la base on voulait l’appeler Banana Republic mais on a eu des problèmes, alors on a du inventer cette histoire à la con de Bandana, c’est chiant. Merci le copyright.

C’est vrai ?

Non. Ç’aurait été horrible d’être obligés de changer de nom.

Vous avez passé pas mal de temps aux Etats-Unis, mais comme pour le premier disque, j’ai l’impression que vous êtes tiraillés entre ce pays et le Japon.

C’est vrai. Ce sont deux pays qu’on adore. L’album précédent était plus Japon – il y a a quand même un titre qui s’appelle Saké – c’est aussi lié à la voix haut perchée. Sur le nouveau disque on a essayé de changer un peu, certaines voix sont plus graves, plus rauques. Le japon a été beaucoup moins présent sur Bandana Republic. Même si, forcément, on a un style, donc même quand on essaie de faire les choses différemment, il y a certains trucs qui restent. La question, finalement, c’est « que fait-on en France ? », vu qu’on s’inspire à chaque fois d’autres endroits. En même temps si on habitait ailleurs on s’inspirerait peut-être plus de la France. On ferait de l’accordéon… On ne voit pas forcément l’influence du Japon dans cet album, mais on a adoré ce pays, on a très envie d’y retourner, donc, oui, il a dû nous marquer. On ne contrôle pas toutes ses influences, cela dit. Mais ce n’était pas une volonté, contrairement aux Etats-Unis.

Pourquoi être allés là bas ?

On a écrit la première partie du disque à Paris, et à un moment on avait l’impression de tourner en rond, on ne savait pas trop, il y a toujours des gens pour donner leur avis, tenter de donner des conseil. On s’est dit que ce n’était pas ce qu’on voulait : on voulait aller dans un endroit qu’on ne connaissait pas et où on ne connaissait personne. On s’est dit qu’on allait partir deux mois faire le tour de la Californie, voir des grands espaces, s’inspirer de nature et on a arrêter d’écouter de la musique moderne, on a écouté que les radios américaine old school. On a voulu se mettre dans une ambiance très différente, où on ne sortait plus dans les clubs… on a voulu se couper. Mais ça doit arriver souvent de devoir changer radicalement de situation pour trouver l’inspiration. Ça aurait pu être un échec, mais là ça a bien marché. On a écrit beaucoup très vite, ce qu’on avait plus de mal à faire à Paris.

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Pour ce disque, vous avez créé votre label, Perséphone, mais vous avez encore des contacts avec Kitsuné ?

On n’a jamais été complètement chez Kitsuné. C’est ce qui est compliqué avec eux, c’est qu’ils signent pour des singles, des compiles, mais on n’a jamais été en contrat avec eux. On a et on fait beaucoup de choses, comme des soirées, mais notre premier album est sorti sur le label de notre manager et pour le nouveau, on a monté notre propre label. On est un peu des tyrans, on aime bien faire un peu ce qu’on veut, garder tout le contrôle créatif – c’est d’ailleurs pour ça que ça n’aurait pas trop marché de sortir un disque avec Kitsuné. On écrit tout, on enregistre tout, on produit tout, on mixe tout, il n’y a que le mastering qu’on ne fait pas nous même et on aime choisir notre pochette, choisir les gens de qui on s’entoure. S’il y a un truc cool dans l’industrie de la musique aujourd’hui, c’est qu’on peut faire ça, on n’a plus besoin de moyens démesurés pour faire de la musique de A à Z et on peut même se passer d’avoir un label. Peut-être que demain on voudra sortir d’autres artistes, à voir.

Vous ne pensez pas que le travail d’un producteur ou d’un ingénieur du son sont importants et qu’il est bien de les conserver pour ne pas justement tomber dans le côté bulle d’autosatisfaction ?

Il y a des gens qui ont besoin de s’entourer, il y a de super producteurs, et peut-être que ça nous apporterait quelque chose, mais c’est déjà tellement compliqué de travailler à deux ou à trois – on a travaillé avec Tim, notre clavier, pour l’écriture de certains morceaux. On ne serait certainement pas capable de demander à d’autres gens de nous aider. Cependant, c’est vrai qu’il y a des albums qui changent du tout au tout quand un producteur passe dessus et les producteurs ont un rôle super important. On est un peu producteurs dans l’âme. On avait essayé de travailler avec d’autres gens au niveau du mix et un peu sur la production et ça ne nous avait pas plu du tout. On a s’est dit qu’on était peut-être un peu bornés, alors on a fait écouter les version avant/après a des amis d’univers différents, et les gens préféraient notre version. Nous ne sommes peut-être pas fait pour travailler efficacement avec d’autres. On n’a peut-être pas trouvé le bon producteur, celui qui comprenne bien notre univers. Si demain on tombe sur une personne avec qui ça marche, on ne dira pas non par fierté.

En terme de processus créatif, vous êtes dans le collage façon DJ ou plus dans une démarche pop avec des suites d’accords que vous arrangez ensuite ?

On a une façon assez traditionnelle de travailler, avec un piano, une suite d’accord. Parfois, ce sont des bouts de morceaux qu’on retravaille, une ligne de chant qui ne va pas mais qui nous donne une nouvelle idée à construire autour. C’est un peu des deux en fait. Chaque morceau est une expérience un peu différente. On a utilisé les deux approches. On est plus pop, mais finalement la méthode importe peu.

Vous appliquez l’adage qui veut qu’une bonne chanson doit pouvoir être jouée avec un seul instrument ?

Un peu. C’est vrai que quand on trouve une suite au piano et qu’elle sonne terrible, on se dit qu’avec des arrangements autour, elle sera forcément bien. Sur le nouveau disque en tout cas on a travaillé un peu plus dans cette optique. Cela dit, l’adage n’est pas toujours vrai, il y a de super chanson qui sont injouables avec un seul instrument et elles sont géniales justement parce qu’elles sortent de ce carcan.

Ce disque est beaucoup moins dansant que le premier, plus low tempo, un peu mélancolique, même la pochette est très différente de « Juicy Lucy ». Vous avez travaillé sur vous pour prendre le contre pied de ce que vous aviez proposé ?

Complètement. On ne voulait pas refaire la même chose. Nous n’aurions pas pu. Mais on ne s’est pas vraiment forcé. On ne savait pas si on voulait partir complètement en mode club ou carrément sur autre chose. On a essayé de faire des morceaux club, ça ne nous a pas plu, donc on ne s’est pas forcé. Surtout quand on était aux Etats-Unis, on n’écoutait plus rien d’électronique donc on est plutôt partis de sonorités un peu plus mélancoliques, on voulait plus raconter des histoires. La direction qu’on a choisie pour ne pas faire la même chose s’est imposée naturellement.

Vous ne craigniez pas les réactions quand vous jouerez sur scène ? Vous allez sûrement être confrontés a une autre ambiance dans la salle.

C’est ce qu’on veut. On ne veut pas tourner dans les même cercles, on ne peut pas faire notre live dans un club, on ne se confrontera pas à la situation où les gens trouvent ça trop mou. On espère se diriger plus vers des circuits plus « rock » ou du moins plus adaptés au live. Quand on joue sur ce genre de scène, on envoie un message différent, on touche un public différent qui s’attend à voir quelque chose de plus organique. On a fait un seul concert pour le moment et le résultat était là. La transition s’est bien passée. En France on a un problème avec les styles – de moins en moins tout de même, mais on a l’impression que quand on fait de la musique électronique on doit jouer en club. En festival, les groupes pop-électro sont rarement français, comme si on n’acceptait pas ça de la part des Français. On jouera d’anciens morceaux sur scène, on veut montrer qu’on peut jouer de l’électro à 20h.

J’ai l’impression qu’il y a une mouvance générale dans la French Touch qui consiste à refaire entrer des instrument « tradi » dans les morceaux et sur scène. L’album de Daft Punk le montre bien, mais c’est aussi le cas pour By Your Side de Breakbot par exemple.

Justement, c’est presque dommage pour Breakbot qu’il n’ai poussé le truc jusqu’au bout et qu’il n’ait pas fait monter plus de musiciens sur scène. Pour Daft Punk, on n’a pas vraiment accroché au disque, mais avec les moyens qu’ils ont, aller au bout de la réflexion, ce serait de le faire totalement en live. Ils l’ont fait un peu aux Grammy, mais il faudrait aller au fond du truc, sans bande. Il y a trois ans on nous reprochait d’avoir un ordinateur sur scène. Ce n’est pas grave d’avoir un ordinateur sur scène, ce n’est pas grave d’avoir quelques bandes, même si aujourd’hui on n’en a presque plus. Aux Etats-Unis et en Angleterre, ils acceptaient beaucoup plus ça, il trouvaient ça normal de mélanger les genre. En France on est plus académique, mais ça commence à bouger un peu.

Le problème de l’ordinateur, c’est que c’est frustrant : on sait que tout ne se passe pas en direct et donc on se demande ce qui l’est vraiment. Et puis il y a ce paradoxe du public qui consiste à vouloir que tout soit joué « en vrai », mais aussi de vouloir entendre les morceaux exactement tels qu’ils ont été enregistrés.

C’est exactement ça. Mais quand tu fais des choses très travaillées, c’est quasiment impossible. Il y a un facteur économique : si on était 12 sur scène, tout serait live, avec quatre ingénieurs du son. Les bandes ne sont pas gênantes quand elles sont justifiées, si elles ne tournent pas pendant cinq minutes ou qu’elles ne sont pas du pilotage automatique. Tout dépend des projets. Pour nous, à quatre sur scène, tout ce qui doit être joué est joué. On espère que pour le public, le seuil de tolérance serait le même que nous. Il pourrait y avoir une personne en plus. Mais là, c’est assez satisfaisant. Ça fait longtemps qu’on voulait un batteur, quand même.

Vous avez beaucoup tourné pour le premier disque, le clip de Do it évoque l’évasion, il y a un lien de cause à effet ?

Tous les voyages sont très inspirants. Voyager est quelque chose de très fascinant, se dire qu’il y a une infinité de choses à voir. Do it raconte ce besoin de ne pas stagner. On était bloqués à Paris, on est allés aux Etats-Unis et en deux jours on avait une tonne d’idées et on n’a pas eu assez de temps pour faire tout ce qu’on voulait faire.

Ce que je comprends en filigrane, c’est que votre inspiration est inhérente à vos échappées. Vous avez donc plutôt la chance de pouvoir partir régulièrement, sinon, vous n’écririez rien…

On a la chance de pouvoir le faire. Mais on est aussi partis en Auvergne, donc un endroit beaucoup plus accessible, et c’était aussi très inspirant. Être au milieu de petits villages, isolés, entourés de nature, c’est un peu Twin Peaks… on pourrait écrire un disque en Auvergne, ou peut-être en Picardie.

Jupiter // Bandana Republic // Perséphone
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1 commentaire

  1. Tiens c’est marrant, j’étais aussi à Caravan Palace en 2012. Forcé. Ce fut horrible, évidemment. J’étais allé au premier concert de Jupiter dans le Nord aussi, à Roubaix, quelque part vers 2010 : c’était déjà nul mais au moins ils n’avaient pas de succès (10 personnes dans la salle). Je n’ai pas lu l’entretien, seulement le chapeau, mais il y a déjà deux habitudes regrettables de Gonzaï web : une faute de français niveau lycée (« il me réponds ») et un jeu de mot minable avec des parenthèses (« il n’y a que les cons qui ne changent pas (d’avis) »). Bon, j’espère au moins que je gagne le prix du commentaire le plus désagréable.

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