John Maus est rapide. Il parle avec les mains et les bras. Enfoncé dans sa parka verte, il fait les cent pas lorsqu’il s’explique et ne s’interrompt que rarement, et seulement pour respirer. Comme tous les gens persuadés d’avoir raison, John Maus est sûr de lui. Et déteste rester en place.

Si on m’avait demandé de prendre des notes pour mieux le comprendre à chaque fois que je me suis perdu dans ses interviews, j’aurais déjà griffonné des dizaines de pages. Il le reconnaît lui-même. Au Guardian, il comparait ses déclarations à une « tornade de non-sens », évidemment sans avoir pris la peine de contrôler sa verve. À la place, il préférait remercier le journaliste de l’avoir écouté. Attirer l’attention de la presse et des médias, c’est déjà beaucoup pour un musicien du XXIe siècle.

Il n’en a jamais reçu autant qu’à la sortie de son troisième album, « We Must Become The Pitiless Censors Of Ourselves », l’année dernière. Ça avait été l’occasion pour lui d’aborder sa passion pour Alain Badiou, et de rappeler à ses contemporains qu’il a autre chose à foutre que de perdre son temps à raconter des conneries sur les réseaux sociaux. John Maus est un type occupé. Après avoir enregistré ses deux premiers albums, « Songs » et « Love Is Real » en 2006 et 2007, il a reçu son diplôme de philosophie politique, puis est parti enseigner à l’université de Hawaii. Depuis, je ne me lasse jamais de le voir, ou de le lire, assommer ses interlocuteurs avec des références qu’il balance comme des coups de massue. Pourtant, j’ai bien des raisons de le détester. D’abord pour avoir enfanté la chillwave et toutes ces merdes que plus personne n’ose avouer écouter aujourd’hui. Et parce que je n’ai jamais été un grand fanatique des courants lo-fi.

S’il s’est fait entendre comme jamais l’année dernière, c’est parce qu’Ariel Pink, avec qui il est ami depuis la fin des années 90, était déjà passé par là avant lui. Lui, qu’on a souvent réduit au « clavier des Haunted Graffiti qui sort ses premiers disques solos ». Aussi, parce que « We Must Become The Pitiless Censors Of Ourselves » est un excellent disque. En concentrant le meilleur de ses deux premiers albums, il a réussi à produire le disque le plus racé et personnel de toute cette scène, Ariel Pink, Geneva Jacuzzi, Gary War et consorts. Si cet énergumène mérite sa double page, c’est parce qu’il est à mes yeux le descendant direct de weirdos dans le genre de Jesse Rae ou Fad Gadget. Pour avoir tenté et réussi le crossover synth-pop/musique médiévale, et pour la teneur de ses prestations scéniques.

Car c’est bien sur scène qu’il est le meilleur, même s’il semble s’en être totalement désintéressé. Il n’y a pas si longtemps, il avait annoncé qu’il ne ferait plus de concert pour son quatrième album, pressé qu’il était de terminer sa tournée en cours. J’avais imaginé qu’avant chaque concert, il se répétait à voix haute les paroles de la chanson Do Your Best : « Reach out your hands to the one alone. In your city tonight, you gotta do what’s right. In your city tonight, someone’s alone, someone’s alone. » Il s’en est fatigué, à force de s’exciter à la limite de la crise cardiaque. J’en veux pour preuve les vidéos dans lesquelles il est possible de le voir se tordre en serrant sa poitrine. Et c’est aussi en ça que John Maus est important. John Maus ne se projette pas, il est là. Sur le moment, à hurler ses chansons pop le visage trempé de sueur et les yeux sortis de leurs orbites. Et je pourrais parler longtemps des frissons que je ressens à l’écoute de titres comme Streetlight ou Keep Pushing On.

À l’heure qu’il est, John Maus doit attendre paisiblement la sortie de cette « Collection Of Rarities & Previously Unreleased Material » en lisant un gros pavé de philosophie. Au moment de promouvoir « We Must Become The Pitiless Censors Of Ourselves », il avait souvent parlé d’enregistrer son quatrième album très rapidement. Cela fait plus d’un an maintenant, et c’est à la place une compilation de titres inédits, de bonne facture, que nous tenons entre les mains. Peut-être a-t-il parlé trop vite, ou peut-être est-il occupé à se réinventer.

« We Must Become The Pitiless Censors Of Ourselves » avait sonné la fin des enregistrements totalement pourris pour John Maus. C’est en écoutant le nouveau single d’Ariel Pink, Only My Dreams, que je me suis fait la réflexion que tout ça, les productions lo-fi avec des batteries noyées dans la reverb, était bel et bien fini, mort et enterré. Et qu’au moment de faire le bilan des dix dernières années avec cette compilation, on peut prédire qu’il n’y aura peut-être pas de quatrième album de John Maus. Ou alors pas celui que l’on attendait.

John Maus // « A Collection Of Rarities And Previously Unreleased Material » // Ribbon Music, sortie le 16 juillet
http://mausspace.com

John Maus – Bennington (2007) by Ribbon Music

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