Deux mètres de haut, les membres filiformes et la peau rasée de très loin, Milky Ways, de Joakim est plus qu'un OVNI. Disco-dancing métallique plantée sur Orion, boule à facette du grand néant, les notes nous parviennent toujours avec un temps de retard, seulement trois albums en dix ans. A l'aube des 2010's, et plus que jamais, j'aimerais croire à d'autres formes d'existences et des étoiles plus proches. NB : Penser à acheter un télescope.

Après soixante ans de conquêtes spatiales et d’envolées rétro-futuristes (Kubrick, Fantomas, l’illustration sonore des 70′), l’homme a finalement reposé pied sur la terre ferme. Entre self-preservation, écologie des masses et lubrifiant pour le corps. Ceci explique, en vrac, le déclin d’ambition, le souci des normalités, le gel des programmes extra-planétaires et la musique fade. Ca et la montée des extrémistes du milieu.
Perdu dans cette voie lactée, le grand barbu de Tigersushi poursuit son chemin avec un disque inabordable, Milky Ways, dont la première écoute ressemble davantage à une ba(l)ise Argos qu’à un kit de danse. La décennie aurait voulu danser, elle n’a fait que simuler sur le bord de piste, Joakim aurait pu être Pharell W., il sera prophète pour marchés de niche. Lui et quelques autres façonneurs du son resteront grands rescapés de la décennie vierge, ceux dont on se souviendra lorsque les blouses blanches seront devenues la norme et le rock un vieux souvenir. Vers 2020. En attendant, Joakim écoute Bruce Springsteen, un choix paradoxal cristallisé pour Singles #1. »C’est le Please don’t stop me qui m’intéresse ».


Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de comptabilité ou de décennie, clôturer un exercice s’avère toujours douloureux. Les lignes abruptes du math rock de Joakim s’appréhendent sur la même trajectoire, jamais évidentes, lentes à la digestion : « L’objectif de Milky Ways, initialement, était de sortir une musique primaire, radicale, et au final, c’est un disque intense, dense.  J’aime l’impact physique de la musique, le premier morceau est à cette image, retrouver le sens du mur du son, presque tribal. Sur Milky Ways, je n’avais pas envie de featurings, donc je chante tout. Avec des voix naturelles, parfois doublées. Je n’aime pas les disques faciles. Moi, j’aimerais produire un disque immédiat aux couches complexes : c’est ca la grande pop. Il n’y a rien de pire que la musique difficile d’accès, c’est ce qu’il y a de plus facile à faire ». Il m’aura fallu quinze écoutes éparpillées pour saisir la beauté parcellaire de ce disque…compact.

Souvent producteurs-musiciens, tous ces astronautes n’envisagent pourtant pas la conquête des territoires de la même manière. Il y a les utopistes-ampoulés (Burgalat chez Tricatel), les génies-marketing (James Murphy, chez DFA) et ceux comme Joakim. Des astronautes artisans édifiant des capsules individuelles où le corps vibre comme une valve : « J’essaie surtout de ne pas tomber dans le truc rétro, et en même temps je n’aime pas le fantasme du disque nouveau, ca n’a jamais existé. Je puise dans les références qui m’inondent ». King Kong is dead, belle comme une valve ; l’oxygène s’échappe dans le grand vide.

Puisque « le krautrock est une forme de jazz », les mélodies de Mlky Ways ne sont pas kraut. Ni jazz. De longs larsens gilmouriens frappent aux cockpits, les batteries fournissent le kerosen, les chœurs triplés chantent à l’unisson et le synthé fonctionne à l’économie. Ici et ailleurs.

Spiders, la chanson idéale pour s’envoyer en l’air à l’approche de Pluton ; le foutre flotte sur les cyber-secrétaires.

Il serait stupide de résumer Milky Ways à un disque de l’époque. Encore que Joakim survole les productions hexagonales depuis presque dix ans, date de sortie de son premier opus, Fantômes. 1999. C’était avant l’avènement du consensus flou : « Le grunge, c’est le dernier mouvement fédérateur. Bien sur, il y a eut le mouvement kids EdBanger, massif, demandé partout à travers le monde. Mais cela ne représente plus la même portée sociale, tout est niche. Ce qui est inquiétant, c’est que la musique est devenue un objet de consommation sans âme. La question du format m’obsède actuellement, tout le monde sait que le format album est dépassé et pourtant tout le monde persiste ». Sur Travel in vain, c’est la vierge aux platines, Sun Ra et les gourous japonais sur un bateau, deux notes de guitares abordées par le roulement de tambours, cela ne ressemble à rien de vraiment palpable, la voix de Joakim palabre, se pose sur le rythme tribal, c’est John Carpenter sous acides, quelque chose dans le genre, de très violent, violent et beau à la fois. Sans équivoque ni parallèle, Mahomet acquiesce d’un hochement de tête ; Joakim, lui, répond plus simplement : « Le concept d’un disque disco not disco ne m’a même pas effleuré, même si la musique de danse possède cette part de psychédélisme qui m’intéressait. Le coté répétitif, linéaire, kraut, tout ca c’est du psychédélisme ». Comme David Bowman, les yeux grands ouverts, vers la troisième dimension.

Deux mètres de haut, les membres filiformes et la peau rasée de très loin, Joakim n’est pas un très bon communiquant. Pas le meilleur, dès lors qu’il s’agit de parler de sa musique : « Si tes compromis ne sont pas supérieurs à ton talent, les choses doivent fonctionner, tôt ou tard. C’est une question de résistance. Et je continuerai à fonctionner ainsi dans les années 2010. » Il est des chansons , des artistes, qui n’ont pas besoin de dictionnaire. Bah oui ma bonne dame, on peut pas toujours tout expliquer au premier venu avec des mots simples. L’arpegiattor magique de Love & Romance & a special person fracasse le tympan, les paroles -tirées d’un spam puis passés sous filtre robotique- semblent plus humaines que réelles. C’est le titre phare d’un album pop et complexe, cérébral avec les pieds, qui ne peut s’expliquer que le beat béat qui s’en dégage. Clip clap, clip clap ; c’est déjà la fin.

Au moment de quitter le grand brun courbé, après l’avoir questionné sur ses névroses (« En parler ne servirait à rien, composer sans émotion c’est impossible. Michel Sardou ? Lui aussi a ses névroses non ? »), Joakim ne semble plus très bien savoir qui pourra l’atteindre ce disque. Vice et versa. Seul le temps sait donner raison, à ceux qui voit loin.

Joakim // Milky Ways // Versatile

http://www.myspace.com/jimibazzouka

Réalisation video: Julien Perrin
Illustration: Jüül

 

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