J’ai envie de dire : il faut le lire. Juste ça. Puis, après avoir laissé un temps de silence, silence de circonstance, je dirai probablement quelque chose comme : il faut le lire pour le croire. Vous pouvez pas savoir comme c’est important de rajouter ça… Parce qu’il n’y a rien qui nécessite plus d’y croire que la baise.

Sensation de vertige : arrivé à la dixième page, je sais déjà que ce livre aura sa place, en haut à gauche de ma bibliothèque, entre Londres-Express et Jusqu’à la gauche. Peu de polars dans ma bibliothèque, car le fait est (soyons honnête) qu’il y a peu de bons polars en général. Avec tout le respect que je dois à Duhamel & Co, moi, la Série Noire, je lui fais passer ma propre loi des séries et ça fait bien souvent blop-shebam-pow-blop-wizz.

Bien souvent, trop souvent : le style ampoulé au service d’un héros déplumé, l’argot à fleur de mégot d’un commissaire semi-clodo, le borsalino cassé et les mocassins en croco. Alors chiotte, je laisse bronzer les cadavres à Paris-Plage si ça les chante, et retourne me servir un verre de lait-grenadine. C’est vrai, toujours ces mêmes tics chez les zoteurs de paulards : faut qu’ça sente le vieux cuir, le tabac froid et la vie couleur pastis.

« Dites donc, je m’excuse du peu mais vous auriez pas la manie des Thompson, sur Gonzaï… Après Hunter, voici maintenant Jim ! à quand Kenneth ? »

OK, c’est bon, vous avez placé votre lazzi, monsieur, puis-je continuer ? Le 22 novembre 1971, Jim Thompson signe un contrat pour la publication de ce qui sera son dernier livre : Rage noire (titre original : White mother, black son). C’est ce livre dont je veux vous parler aujourd’hui, car ce livre est indécent. Jim Thompson est mort bien après le 7 avril 1977. Et ce, grâce à ce livre indécent.

Quatrième de couv’ : on est dans la tête d’Allen Smith, un ado noir décomplexé de la syntaxe (Q.I. de 190) mais développant un complexe de faciès et de vice. Et pas qu’un peu. Freud peut illico s’en aller planter des pomates. L’urgence avec laquelle « l’pwetit nwégro » (comme se moque de lui-même le narrateur, lui et sa condition crépuisante) secoue son blanco est dure à contenir avec de simples mots, si dure que parfois ça déborde dans un style à proprement parler jouissif, avec des déviations (voire déviances) qui jaillissent comme d’un pommeau de douche dorée. Si l’urgence est dure à contenir, la bienséance ne me permet pas de vous en décrire plus.

Juste vous dire ceci, en guise de conclusion. Moi qui ne sonde que le style dans les livres (La position du tireur couché de Manchette, La mort et la belle vie de Richard Hugo, Les Orpailleurs de Thierry Jonquet, pour rester dans le policier), je fus plus que servi : asservi. Asservi par cette rwage nwouare. Pourtant, ce qui est marrant dans un sens, c’est qu’Allen ne fait jamais grimper ses victimes aux rideaux. Il les laisse sur leur faim, comme moi avec vous maintenant, parce que je vous ai déjà dit le plus important (achetez-le, achetez-le, achetez-le) et que je n’aime pas déflorer les bonnes histoires de la Noire qui mériteraient de passer dans la (collection) blanche.

Jim Thompson // Rage noire // Rivages Noir

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