"Little Jim"... Si l'on en croit le mythe, c'est sous ce pseudonyme que Jimmy Page aurait posé sa patte squelettique sur une pelletée d'enregistrements bien avant d'envisager rejoindre les Yardbirds. Mais chut, silence, rien n'est prouvé. Jim Jones lui a gravé à l'encre de ses veines 8 albums depuis 1989 et refuse de crever malgré l'hémorragie qui continue. Quant au silence, Jim Jones Revue en est l'exact adversaire.

Journée de promo à Montmartre. Thé à la main à la fenêtre de son petit hôtel, Jim regarde l’été crever sur l’escalier de pierre de le rue Foyatier.  Enfin je suppose, moi pendant ce temps-là je suis pendu au téléphone. L’attachée de presse lance deux phrases dont une seule est habituelle : « On a pris un peu de retard, mais tout va bien, il est content. Là il mange une banane et c’est à toi ». Premier indice que ce type n’est pas le cliché du rock’n’roller nostalgique qu’on voudrait lui coudre dans le dos.

Sous mes yeux l’histoire d’un homme, prise de notes sur le papier taché de café, les tirets à la ligne, les étapes, le CV du chef d’un gang : né à Londres, enfance à High Wycombe, ville rasée par le blitz avant de donner vie à Ian Dury – nul doute que le son JJR descend plus du premier drame que du second… Continuons : commence la guitare à 9 ans, a signé 3 groupes en 2 décennies, sorti des disques sur RCA, Beggars, American Recordings, SubPop, eu droit à ses Peel Sessions, bossé avec Dave Goodman, avec des ex Pretty Things (Phil May et Dick Taylor)… « Oh et avec Chris Robinson des Black Crowes aussi, ne l’oublie pas. » A une époque où les plus vieux supports de PLV de Fender et Gibson reviennent hanter les stades, j’imaginais que Jim Jones prendrais cette reconnaissance tardive avec orgueil, fierté, me vanterait chacun de ses douloureux pas comme autant de travaux d’Hercules. « Well. We did it, yeah. » Plus humble tu meurs. Et en se marrant : « I been aroun’ tha block, maaaaan. (…) En fait c’est une musique évidente, très primaire. Il n’y a pas besoin d’avoir des références particulière ou ésotériques. Du genre ‘je comprend parce que je connais le 3e album de Captain Beefheart ou ce pirate des Stooges de 69 blah-blah’. Et c’est pour ça que la presse la comprend. »

Pourtant Black Moses c’était pas du yahourt. Qu’est-ce qui fait que Burning your house down réussit là où Royal Stink (album de son groupe précédent, Black Moses, NDR) n’est pas passé ? « Avant je ne savais pas ce que je voulais faire [en musique]. (Il fait la moue) Je pensais que je le savais mais… Maintenant ça me va parfaitement, comme un gant. Ma voix est plus forte, ma compréhension est naturelle, vraiment limpide. Cela me vient comme si j’étais le vaisseau et que l’esprit voyageait à travers moi. Je me sens ouvert, et l’essence de toute cela se dévoile pour moi. Tu vois ce que je veux dire ? Ça sonne religieux mais ça l’est ! Dans ma vie, la chose la plus proche d’une religion c’est le R’n’R ; cela m’a sauvé la vie à de nombreuses occasions. Et je peux franchement le dire sans que ça sonne comique ou cliché, parce que c’est vrai : je serais mort sans le R’n’R. »

Comme s’il en avait pris pour vingt ans, Jim Jones a accepté son passé et marche en avant. Libéré pour bonne conduite, il laisse Ian Dury et son Sex & drugs & rock’n’roll loin derrière. « Dans le groupe, tout le monde a déjà vécu comme ça. Mais en ce moment ce qui importe pour nous, c’est la musique. On joue tous les soirs et on veut que chaque concert soit génial. Si tu ne t’en donnes pas les moyens, si tu ne te donnes pas entièrement, alors l’âme de tout cela ne se montrera pas. J’en connais qui se défoncent tout le temps – j’ai connu ça, on l’a tous fait – ça ne fait rien avancer du tout. Qu’est-ce que t’as accompli ? Que dalle. You just talk-talk-talk, but you also need to walk-walk-walk. Et bien en ce moment, nous on est dans le walk ! »

Stick to your guns.

Et en 2 ans, cette attitude a payé. La presse se réveille, les ventes décollent et plus beau encore, ses idoles lui apparaissent la nuit: « Kid Congo est un héros pour Rupert et moi. Quand on était ados, [The Cramps, The Gun Club et les Bad Seeds] c’étaient des portails vers d’autres musiques, des passerelles. (…) On a joué avec the Monkey Birds [NDR au SXSW] et alors Kid Congo nous a dit (Il imite la voix nasale et traînante de Kid) : ‘I haaave your album, I love it’. On était là ‘Waaaah ! Vous nous connaissez ?’ et il a dit ‘Ohhh ouii. J’adore votre album.’ Mince, c’est comme si le Pape te disait ‘Oui, ok, je bénis ce que vous faites’. » Et là-dessus il explose de rire.

Autre apôtre évident, l’exploseur de blues de NYC : « Jon est un de nos potes. Certains des tous premiers concerts qu’on a fait en tant que Jim Jones Revue à Londres et à Brighton étaient avec Heavy Trash. Jon est super, on l’admire tous. Il a toujours été intègre, sincère, et il bosse vachement dur. J’ai du respect pour tous ceux qui ont cette constance, cette intégrité, ceux qui s’accrochent à leurs convictions… Je veux dire, mon plus grand héros c’est Tom Waits. Il a toujours fait son truc… He really is the Daddy ! »

Faire son truc donc. Ce serait ça le secret. Une forme de persévérance, un truc genre older/wiser. Sourire aux lèvres : « Ce n’est pas de la persévérance, c’est juste le son de mon âme, je dois continuer parce que c’est ce qui me tient en vie. J’ai le sentiment d’être arrivé à me connaître, comprendre ce qui se passe et ce que je dois faire. Et c’est valable pour tous dans le groupe, on a tous cet objectif d’essayer de capter la lumière dans la bouteille et la faire partager. (…) Avec le groupe tout est simple.  Je veux dire… c’est du labeur ce qu’on fait, on travaille vraiment dur et tout le monde a de l’expérience, on ne pourrait jouer cette musique si on en avait pas autant. Chacun sait ce qu’il fait, ce qu’il a à faire, mais en même temps c’est très naturel tout ça, très simple. C’est l’expression de l’essence humaine. Les gens peuvent le comprendre, qu’ils soient jeunes ou vieux, hommes ou femmes, enfants, ils peuvent ressentir sa force. » Une prêche que n’aurait pas renié le révérend Penniman…

Recording of a corpse

La force, la puissance, des mots qui reviennent souvent. Tiens, et puisque je parlais de sang tout à l’heure, les titres de l’album parlent d’eux même : Burning your house down, Shoot First, Killin’ Spree, Premeditated. « Burnin your house down c’est une métaphore pour… une manière de dire ‘Hey je suis toujours là’. Quand tu veux faire savoir à quelqu’un que tu l’oublie pas, tu lui envoies un message. Et cramer sa maison, c’est peut être le message le plus puissant que tu puisses envoyer, c’est genre ‘o-kay!!’ (rires) Et puis c’est une aussi métaphore, rapport au fait qu’on fait pas mal de bruit… » Ça c’est clair. Tous ceux qui ont vue JJR en live ne parlent que de leurs oreilles hurleuses du lendemain. « Tu me disais que le son des Hypnotics était lourd mais je crois que ça c’est le groupe le plus fort dans lequel j’ai jamais joué. »

Ce qui me travaille, c’est moins la furie qui habite le nouvel album de la Revue que le choix du gant qui porte la claque. La prod messieurs, la prod… Tout le monde parle toujours du songwriting à la Little Richard, mais punaise, ce son de bombardier qui se crash en flamme il sort pas d’un baril de lessive ! « On avait ce son dès les répètes et les premiers concerts. C’était là. Tout le boulot ce fut de le capter en studio. Tu fous un micro ici, un là, les techniques de studio habituelles mais pour x raisons, ça ne marchait pas. Il y avait tellement d’énergie dans la pièce et ça ne passait pas à l’enregistrement ça.  Déjà quand on a fait ça pour les démos on s’est retrouvé avec un morceau vidé de toute vie, ça sonnait plat. On avait enregistré un cadavre ! Il a fallu tenter des trucs, il faut des tas de combines et de sorts vaudou, mais au final c’est l’approche directe qui marche le mieux. » Du coup lors des sessions de Février pour le nouvel album, ils voulurent conserver ce son mais aussi tenir compte des plaintes des patrons de bar : ‘ça passe pas, dès qu’on pousse le volume ça hurle’. C’est là que Sclavunos entre en jeu. Encore un Jim…

« De tous les albums récents qu’on écoute, le Grinderman est celui qu’on trouvait le plus fort. Jim était venu voir nos concerts et il a émis plein de conseils, ils nous comprenaient vraiment. Au moment de choisir un producteur, on s’est dit ‘Parfait, pour ça on a Jim !’ » Tout pour plaire, Sclavunos est un ancien des Bad Seeds, des Cramps et de Panther Burns, mais justement on aurait quand même pu attendre un ton plus dur. Disons le : plus Teenage Jesus… « Justement il savait conserver ce twist tout en faisant qu’on ne sonne pas pub-rock. Plus blues. Une façade exotique qui donne envie d’entrer plus profond. » Ceci ne justifiant pas le retrait des instruments derrière la voix sur des titres qu’on connaissait déjà de la tournée 2009 et de la compilation Here to save your soul… « On les avait écrites avant et on les road-testait si on veut. Le but de la compilation était d’offrir les b-sides mais aussi de donner un aperçu du futur album. Mais on les a réenregistré, pour que l’album soit plus homogène. »

En mission pour le seigneur

Burning your ass down, saving your soul up, le révérend Jim Jones a des objectifs nets, un plan précis. A se demander d’où ça lui vient. On part pas en guerre sans un casus belli. Jim Jones  ne s’estime pas engagé mais reconnaît malgré lui qu’il fait le même taf depuis 20 ans. J’ai mon idée. « Un truc intéressant qui relie tout ça, la raison pour laquelle j’aime cette musique et la comprend, c’est parce qu’elle est la première que j’ai entendu, enfant. Les 45t et 78t de mon père,  Jerry Lee Lewis, Elvis avec DJ Fontana… Ça a laissé un plan, des fondations en moi. Et en grandissant tout ce que j’ai aimé avait cette étincelle là, collait au plan. Que ce soit… Blue Cheer par exemple, quand Dikkie P. Chante ‘tell me tell me tell me’ et que la music fait TIN da-din-DIN da-din et bien c’est la même chose que Little Richard ! Ça gueule mais avec ce groove soul dans le fond. Pareil pour Bon Scott. Pareil pour MC5, pour Motorhead… Et moi je voyais l’ étincelle à chaque fois.

Maintenant, avec JJR, j’ai la conviction de voyager en arrière. Tu vois Hansel & Gretel ? Je peux remonter la piste de mie de pain de ces influences. Passer au travers de Grinderman, de Birthday Party, de Blue Cheer, de Panther Burn, de Hendrix. Tu remontes jusqu’à Little Richard, et là tu arrives chez toi, à ta maison. Finding my way back home. Là je rentre et je me nourris. Alors je peux revenir et laisser ma propre piste en mie de pain pour que d’autres remontent jusqu’à la source… Home. »

Et une fois là- bas ? Burn this house down…

Jim Jones Revue // Burning your house down // PIAS

http://www.myspace.com/thejimjonesrevue
http://www.jimjonesrevue.com/

4 commentaires

  1. cool cool
    je l’aime bien ce Jim c’est un bon gars même si sur scène j’ai trouvé que sur la tournée précédente on était parfois à la frontière de la caricature. Il connait bien son sonics et ça fait plaisir
    je le suis sur un point little richard is the dope et pour moi la plus grosse hallucination du rock ‘n roll
    je n’arriverai jamais à comprendre comment un travelo défoncé aux amphéts qui parle de cul de manière aussi cru à des gamines de 13 ans ne ce soit pas fait lynché

    well Long Tall Sally she’s, built for speed.

    she got, everything that uncle john need

  2. Blue Cheer -> ouaip, cela sort de nulle part ce truc. Préférence nette pour Panther Burns dans la catégorie référence trop souvent oubliée.

    13 ans/amphé/trav -> C’est pour ça que j’ai revendu ma télé pour investir tout ce que j’ai sur Hunx & his punx. Ca a marché 1 fois, ça va remarcher…

  3. Sinon je voulais vous faire partager un échange admirable avec l’attachée de presse qui m’a précisé avoir demandé à Jim si je n’avais pas été trop méchant avec lui.
    Il a répondu « No, no, no… except he told me several times : « You are quite old… » »

    Gérontophiles de tous les pays, unissez vous…

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