On ne vous l’apprendra pas (et on évitera les listings) mais la scène pop hexagonale est en pleine effervescence, entre efforts linguistiques et mélodies fédératrices décomplexées. Au sein de cette constellation tricolore, saluons l’arrivée de Jeremie Whistler, jeune premier électro-marginal qui se fiche relativement du cool et des buzzs.

Le garçon est d’une rare politesse. Il lance des regards mi-interrogatifs, mi-enjoleurs. Son allure frêle souligne une timidité adulescente et gracieuse. Il ne sait pas trop à quoi s‘attendre, c’est sa toute première interview. Mais le dialogue aussitôt engagé, sa retenue fait place à un flot de paroles enthousiastes et sincères. L’éphèbe au look preppy se surprend à présenter son projet avec autant de précision et de nuance.

IMG_7901 copy-1D’entrée de jeu, la question du pseudo Jeremie Whistler, est abordée. Le chanteur alsacien exilé à Paris ne souhaite pas communiquer son vrai patronyme, préférant l’abstraction discrète à l’étalage introspectif. Il se planque volontiers derrière ce personnage de film de série B ou de nouvelle poétique, au charme doux-amer, « un peu naïf et torturé ». Le parfait VRP de ses aspirations/inspirations en somme. Son identité musicale encore à un stade embryonnaire, Jeremie Whistler semble particulièrement affectionner cette distanciation au point qu’il ne peut la dissocier de la création elle-même. D’où, en partie, le choix de la langue anglaise à l’heure où beaucoup se découvrent fans d’Etienne Daho. « J’ai essayé d’écrire en français à un moment mais ça ressemblait un peu à du sous-Benjamin Biolay… Puis je n’arrivais pas à me détacher de moi-même, c’était trop intime. En anglais, une simple sonorité peut m’inspirer une chanson ». On pourrait imaginer l’auteur-compositeur-interprète se complaire dans une facilité poseuse mais derrière la barrière phonétique anglo-saxonne, se révèle une grande sensibilité. Voire une certaine mélancolie, plus moelleuse que morbide… Whistler pense plutôt faire de la dream pop sombre et il y a de ça en effet. Quelque chose d’à la fois très premier degré dans le ton et surréaliste dans l’exécution.

A l’écoute du single Cold Heart, on pense à Antony Hegarty en moins drama queen et à Jay-Jay Johanson dans ses meilleurs jours, à l’époque de l’album « Poison ». Même voix haut perchée, même goût pour les lignes mélodiques entêtantes, même veine atmosphérique et visuelle. Armé de synthés vaporeux et de rythmiques martiales, Jeremie Whistler avoue privilégier la recherche d’ambiances à l’encontre de la narration pure et dure. « J’écris beaucoup à partir d’une accumulation d’images, je garde tout dans un petit dossier sur mon ordinateur et j’y pioche quelque chose qui va m’amener à un texte. Je cherche avant tout à recréer une émotion, je ne raconte pas vraiment d’histoire… ». Sa « méthodologie » se forge ainsi sur la digestion de souvenirs personnels, de photographies, de clips de Michel Gondry, de films et de séries télé. Graphiste de formation et fervent adepte du DIY, il emmagasine tout ce corpus éclectique pour en dégager des mots et des sons intemporels… Les effets de mode ne l’intéressent guère d’ailleurs. Le statut d’outsider lui sied à merveille et l’opportunisme est franchement exclu de son vocabulaire. Si Jeremie Whistler travaille en solo dans son home studio, il déclare également ne pas ressentir le besoin d’appartenir à un clan ou une famille musicale en particulier. Même si des journalistes se sont empressés de lui coller quelques étiquettes hipsters bidon et injustifiées. « On m’a comparé à Thomas Azier mais surtout à Woodkid pour le côté froid et grandiloquent, ce à quoi je n’adhère pas car je pense plutôt faire de la musique introvertie. Je ne cherche pas du tout à impressionner, ce n’est vraiment pas ma démarche ». A peine débarqué, le voilà déjà incompris ! De plus, il n’y a pas des masses d’artistes de sa génération qui tournent actuellement dans son lecteur MP3. Hormis les américains Purity Ring puis Owlle et Fauve (« l’un des rares trucs en français qui m’ont touché, j’en ai pleuré ») du côté des compatriotes, rien ne parvient à le détourner de ses classiques. Fidèle à Radiohead et Björk, admirateur de Camille, Keren Ann et la plus trash Peaches, Jeremie tient à ses madeleines  mais sans profonde nostalgie. « Je ne suis pas passéiste. On vit une époque bizarre, je peux comprendre que les gens aient besoin de se raccrocher à leur enfance mais moi ça me met plutôt mal à l’aise. J’ai espoir dans le futur ! ».

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Whistler affiche pendant un instant une assurance touchante et communicative. Indéniablement, l’avenir l’intéresse au plus haut point. Ce qui ne l’empêche pas néanmoins d’évoquer ses débuts adolescents avec un soupçon d’autodérision, des cours de piano et de chant lyrique aux tentatives hip-hop. Ce grand solitaire a également bidouillé des sons sur son ordinateur pendant sept ans dans sa chambre avant de passer à la vitesse supérieure il y a deux mois à peine en offrant Cold Heart au monde en téléchargement libre. Du geek au romantique, il n’y avait donc qu’un pas… Aujourd’hui Jeremie Whistler se montre satisfait de la tournure que prennent les choses et veut prendre le temps de se construire un bagage solide. Son ambition raisonnée et dénuée de tout cynisme est on ne peut plus louable. « Je veux rester libre et ne pas me dire que je ne peux avancer sans label ». Ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin en effet… Un EP est déjà presque terminé tandis que le clip de Cold Heart vient juste de voir le jour. Il n’y a que le live qui le tracasse visiblement : il confesse s’être dopé à la phytothérapie le soir de son premier concert.

http://soundcloud.com/jeremiewhistler
Photos : Astrid Karoual

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