« Les chanteurs sont très populaires » chante Jef Barbara en ouverture de "About Singers", premier morceau de son excellent deuxième album. On ne doute pas qu’il aie trouvé la recette pour le devenir, et c’est tout ce qu’on lui souhaite: la nouvelle serait aussi bonne pour lui que pour le monde.

De toute évidence, le montréalais, déjà auteur du recommandable Contamination, sait trousser une mélodie et détrousser ses aînés. Car on trouve beaucoup de choses sur ce « Soft to the touch », des choses qui n’appartiennent qu’à lui et d’autres élégamment subtilisées sur les étagères d’une discothèque aussi déviante que raffinée. Des chansons mélancoliques, des titres salaces, de l’anglais (beaucoup), du français (un peu), de la reverb aux petits oignons, des claviers catchy: le cocktail est savamment dosé par le maître de cérémonie, personnage black et queer, à la fois hypercontemporain et royalement out of time.

Si les thèmes abordés et les textures utilisées varient au fil de l’album, on sent nettement un tropisme vers la partie centrale du corps (souvent explicitement, comme sur le titre Erection), et le disque, assez caressant, prend des airs de shaggy record. Audace et habilité: Jef Barbara mêle vagues chaudes et réminiscences cold wave à la manière du Jeremy Jay de Slow Dance (auquel on pense beaucoup) avec une réussite encore plus éclatante. Pour se persuader du talent princier de l’artiste, il suffit d’entendre l’enfilade de titres démentiels au cœur de l’album, culminant avec l’imparable chewing-gum I know I’m late (ou la définition même du Tube, du allez-je-la-passe-encore-une-fois).

Ce single parfait, élégant et pute comme du Marc Almond, drôle et efficace comme Le Sampa de Gotainer, pourrait presque éclipser le reste du disque. Ce serait fort dommage tant le talent pop (et funk et soul et psyché) qui s’y déploie transcende le matériau qui ailleurs ne serait que célébration d’une nostalgie pas toujours appropriée. Certains revivalistes eighties ne gardent de leurs amours immodérées pour la synth-pop facile que le futile et le joyeux : Barbara, lui, privilégie le soyeux  – et sonne parfois Gainsbarre – mais avec la classe de Gainsbourg (il partage d’ailleurs avec certains de ses héritiers le goût heureux d’une pop ambitieuse et légère).

A la fin du morceau d’ouverture évoqué en introduction et sur fond d’envolées instrumentales seventies érigeant haut la barre, Jef Barbara précise: «Singers are very popular, they win contests all over the world / But a few years from now they won’t be remembered». Concernant son cas, il serait étonnant qu’on l’oublie de sitôt, surtout s’il continue sur cette lancée bigarrée, et il faut féliciter le label Tricatel d’offrir à son écurie une aussi belle prise.

Jef Barbara, c’est finalement – et assez précisément – le fils biologique de Prince et Jeane Manson qui aurait été élevé par Richard Gotainer et George Michael civilement mariés. Bonheur pour tous.

Jef Barbara // Soft to the Touch // Tricatel (CD/vinyle)
http://www.jefbarbara.com/

MD-TRICDFR043 HD

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