On peut aimer Miller, Bukowski, Burroughs, ce ne seront toujours que d’agréables et distrayants chemins de campagne, à côté du gouffre, de la déflagration que peut être la première lecture – celle que l’on n’oublie jamais, du Bleu du ciel, d’Histoire de l’oeil, ou des 120 journées de Sodome.

Un jour, Jean-Jacques Pauvert a décidé que ces textes, on ne pouvait les occulter, ils étaient important, en eux et non pour le scandale qu’ils provoquaient, ou les discours déformés qu’ils charriaient. C’était avant. Avant que les mots « transgression », et « subversion » ne viennent animer les pitch de publicitaires en manque d’inspiration (« et là je vois bien un truc pour la voiture, mais un peu transgressif, tu vois »), bref des étiquettes vidées de leur sens dans le grand bain du spectacle, tout juste bonnes à illustrer des T-Shirts.

Pauvert, lui, se souciait peu d’être scandaleux, ou de ne pas l’être, et des étiquettes en tous genre. N’en faire qu’à sa tête, c’est ce qu’il a fait toute sa vie : publier Sade avant qu’il ne soit dans la Pléiade, Vian lorsque l’Ecume des Pages n’était pas un classique des collèges, Rebatet, quand plus personne n’acceptait de lui parler. Accepter d’avoir vingt ans voire plus d’avance, à peu près tout le temps, affronter la censure, les procès, pour faire naître les textes au grand jour, au lieu qu’ils hantent les Enfers des bibliothèques. Mais aussi réinventer les maquettes des livres, afficher une curiosité d’esprit et un amour de la littérature inépuisable qui le mèneront de Darien à Victor Hugo, de Breton à Hardellet, et créer sinon un des plus beaux catalogues de l’édition française, le plus singulier sûrement.

Cela justifie amplement de traverser la France en une journée, de se perdre dans les collines varoises au terme d’un road-movie digne de Rozier, pour rencontrer l’éditeur d’Histoire d’O. On a lu ses Mémoires, relues et dévorées, mais le second tome se fait attendre…alors.

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Gonzai : On a toujours entendu cette première histoire, je ne sais pas si le début se joue là ou pas…

Jean-Jacques Pauvert : Il y en a beaucoup…

Gonzai : Et peut-être que certaines sont inventées ! Donc cette histoire un peu étonnante sur le fait que dans votre première fois d’éditeur, c’est Montherlant qui rédige pour vous le contrat, parce que vous n’en n’aviez jamais rédigé avant.

Jean-Jacques Pauvert : Ah oui, je n’avais jamais rédigé de contrat, j’ai commencé en effet par publier des choses avec l’accord des auteurs. En fait, mon premier livre, celui par lequel je suis devenu éditeur, c’était un texte de Sartre sur Camus, il avait publié un article que j’avais trouvé formidable. Il faut dire qu’à l’époque, j’étais totalement emballé par Camus, et je connaissais Sartre, je connaissais beaucoup d’auteurs d’ailleurs.

Gonzai : Pourquoi connaissiez-vous beaucoup d’auteurs ?

Jean-Jacques Pauvert : Parce que ça m’intéressait, et puis aussi parce que j’avais commencé par la librairie. J’avais été mis à la porte de divers établissements, c’était la guerre, et mes parents me demandaient de travailler. Un beau jour, mon père a une idée de génie, il me dit : « Mais je connais Gaston Gallimard, je vais te présenter ». J’avais 15 ans, et je me suis ainsi retrouvé, très impressionné, dans le grand bureau de Gaston Gallimard qui m’a dit : « Bonjour Monsieur, alors comme ça vous voulez faire de la librairie ? ». Alors, à tout hasard, je dis oui. Il m’a ainsi proposé une place d’apprenti à la librairie du boulevard Raspail, qui existe toujours.

Bref, je me suis retrouvé là dedans, et puis c’était l’Occupation, les livres étaient rares, introuvables, je connaissais beaucoup de libraires parce que je passais du temps à farfouiller chez les uns ou les autres, et j’ai commencé à faire du troc, j’achetais des livres chez un libraire que je revendais à un autre, ça a commencé comme ça.

Donc j’étais très entiché de Camus, j’avais adoré Le Mythe de Sisyphe et L’Etranger, et un beau jour, je lis le texte que Sartre a écrit sur l’Etranger. Pris d’une idée, je me précipite rue Sébastien Bottin, je monte voir Sartre, et je lui dis : « Vous venez de publier un texte fantastique sur Camus dans les Cahiers du Sud et il faudrait l’éditer ». Il y a une chose sensationnelle chez Sartre – avec beaucoup qui sont moins sensationnelles – c’est un désintéressement extraordinaire. Il me dit tout de suite : « Mais quelle bonne idée, faites donc ce que vous voulez. ». Ca a été mon début. Je me retrouve donc avec ce texte, je ne savais pas très bien comment on faisait un livre, et alors que je marchais dans les rues, je vois rue de Seine un enseigne : « Henri Dieval imprimeur ». J’entre et je dis que j’ai un texte pour faire un livre, ils m’ont demandé « ah bon, comment, quel genre de livre exactement ?». Evidemment, je ne savais rien, ça c’était en 45.

« Je crois que j’ai été le plus jeune éditeur de France, j’avais 19 ans. »

Il faut dire que c’est assez rare car les éditeurs en France, ou bien c’est de famille, ce sont des héritiers ou bien ce sont des gens qui viennent en général des métiers du livre et qui se lancent un beau jour.

Gonzai : Et quelqu’un comme Gaston Gallimard, dont vous parliez tout à l’heure, on a cette image de lui où il dit « Vendre des livres ou des bouteilles de vin, c’est pareil », on n’avait pas forcément l’impression qu’il avait des avis, plutôt qu’il agissait par recommandation.

Jean-Jacques Pauvert : Gaston Gallimard, ah je l’ai bien connu, et j’ai eu des hauts et des bas avec lui, je l’ai même fait saisir à un moment et lui m’a fait aussi des ennuis, mais enfin c’était un type tout à fait formidable, notamment parce que c’était un type qui aimait la vie. Moi je me suis fait souvent avoir par Gaston Gallimard , il était très charmeur, c’était un quelqu’un de délicieux. Ce qu’il faut voir, c’est que les Editions Gallimard c’était une famille, il y avait Gaston, mais il y avait aussi ses frères qui tenaient fermement les finances de la maison. En tous cas, Gaston Gallimard lisait et s’intéressait beaucoup à la littérature, il lisait des gens très bien, tous les gens qu’il publiait en somme.

Gonzai : En effet, il y a pire !

Jean-Jacques Pauvert : Je me souviens qu’un beau jour il me dit : « J’ai publié L’équipage, de Kessel et ça a été la fin ».

Gonzai : L’Equipage ce n’est pas déshonorant, tout de même.

Jean-Jacques Pauvert : Eh bien, pour Gaston, c’était l’étage en dessous, ce qui vous donne une idée. L’Equipage c’est pas mal, mais ça ne vaut pas Proust, c’était de la littérature courante. A partir de là ce jour là, c’était en 1924 et il était éditeur depuis 1908, il était complètement désenchanté, il me disait :« Là, c’est terminé ».

Gonzai : Et avec Jean Paulhan, ça se passait comment ? Dans vos mémoires on a l’impression de quelqu’un d’un peu retors à qui vous ne pouviez pas vraiment faire confiance.

Jean-Jacques Pauvert : Ah ça non, je ne lui faisais pas confiance ! Il était assez tordu…Mais c’était un type formidable, très intelligent, très cultivé, et il avait un goût très sûr. Et il avait le courage de ses opinions et là il était très direct. En tous cas, je m’entendais bien avec lui.

Gonzai : Avec Histoire d’O ça a été un peu compliqué tout de même, il vous parle du manuscrit, puis vous dit qu’il l’a donné à un autre éditeur…

Jean-Jacques Pauvert : Ah mais oui, mais ça c’était Paulhan tout craché ! Il me parle du manuscrit pendant un an, et me dit « C’est pour vous » et c’est vrai que c’était un livre pour moi. Et puis un jour, je le rencontre, je me souviens, c’était rue Jacob, il avait le manuscrit sous le bras, et il me dit : « Justement, je l’ai. Vous verrez, ça va vous plaire». Je rentre, je le lis aussitôt. Le soir même je le passe à ma femme, on l’avait lu tous les deux, c’était ahurissant. Je l’appelle le lendemain en lui disant : « Vous avez raison ce livre est pour moi ». Il me dit : [Pauvert imite Paulhan] : « Oui alors, il y a un petit ennui, oh pas grand-chose, il y a un éditeur qui a le contrat ». Moi, je fonce voir l’éditeur en question, j’étais prêt à mettre le feu chez lui, et je tombe sur un type charmant, mais bon Histoire d’O pour lui, ce n’était rien du tout, parce qu’il ne savait pas, ce n’était pas un littéraire. Il me dit « Ah, ce petit porno vous intéresse, bon je vous le laisse.». J’ai versé cent mille francs que je n’avais pas, je lui fais immédiatement un chèque sans provision que j’ai bien mis quatre ou cinq jours à couvrir, c’était effrayant, et puis il m’a passé le manuscrit.

Gonzai : En lisant vos mémoires on a aussi l’impression que c’est que c’était un type capable d’une certaine loyauté, d’un certain engagement. Pour vos procès il vous a toujours soutenu, il a témoigné…

Jean-Jacques Pauvert : Ah oui face à l’autorité, il ne transigeait pas, il a été tout à fait épatant. Quand je voyais les gens de la mondaine, je disais « Jean Paulhan m’a dit des choses extraordinaires, on parle de Mme Edgar Faure, où va-t-on ? » Et Paulhan, de son côté, les embarquait : « Oh oui je connais une dame qui dit être l’auteur ». On s’est bien amusés. Sauf que évidemment, avec toutes les histoires des lois de censure, à partir de 46-47, ça a été extrêmement compliqué, même si le livre n’était pas formellement interdit. C’était assez hypocrite, car il y avait des livres qu’il ne fallait pas interdire complètement, des livres sortis avant la guerre par exemple. C’était la libération donc avec les Américains et les Russes, on peut dire que c’était le triomphe de la moralité armée. Et à la Libération les communistes étaient très moralisateurs et ah ! ils étaient d’une connerie…Non seulement, ils étaient cons, ça c’était une chose entendue, mais surtout d’une hypocrisie et en plus comme ils ne connaissaient rien à rien, ça donnait des choses absurdes. Ils disaient : « Attention les Français vont commencer à publier des traductions de l’américains », au moment où Boris Vian venait de publier J’irai cracher sur vos tombes, soit disant traduit de l’américain. Les pauvres américains étaient incapables de publier cela, évidemment, jusque dans les années 60 ça a été interdit chez eux.

Gonzai : Mais ces problèmes de censure ont duré encore longtemps, non, parce qu’avec Lourdes, Lentes de Hardellet vous avez encore eu des problèmes, et ça c’était dans les années 70, non ?

Jean-Jacques Pauvert : Oui et c’est assez bizarre. Moi quand j’avais un procès ça me rendait plutôt combatif. Il était très sensible Hardellet, ça l’avait beaucoup affecté, il faut dire qu’il avait pas l’habitude, il se retrouve en correctionnelle, avec la police, et il tombe sur un président, qui était on peut le dire vraiment le roi des cons, et qui le traite de haut. Ça m’aurait rendu plutôt méchant, mais lui ça l’a touché.

Toujours est-il que c’était un procès tellement absurde… Et il y avait des incohérences. Au bout d’un certain temps, j’obtiens que Lourdes, Lentes ne soit qu’interdit qu’aux mineurs, ce qui n’handicape pas tellement les ventes finalement. Mais il se trouve que je soutenais les débuts de Régine Deforges, qui à l’époque faisait des livres un peu club vaguement reliés, et je lui dit donc : « Tenez, j’ai un texte vraiment excellent, faites-en donc une édition ». Et elle, en publiant Lourdes, Lentes, se fait interdire aux trois interdictions. Uniquement parce que c’était une femme, ça c’était inacceptable qu’une femme puisse publier cela.

Gonzai : Et justement, comment aviez-vous découvert André Hardellet ?

Jean-Jacques Pauvert : Il se trouve que j’avais lu Le seuil du jardin, et la fameuse lettre de Breton, où il en dit beaucoup de bien – d’ailleurs il faudrait parler de Breton…Donc je trouve ça épatant, je rencontre Hardellet très facilement. Il était très désabusé, il a été désabusé pratiquement jusqu’à la fin.

« Les éditeurs n’ont absolument besoin d’être des gens très cultivés, ils ont surtout besoin d’être de bon commerçants et d’avoir du flair. »

Cela dit moi je suis de l’avis de Julien Gracq, les deux livres les plus étonnants d’Hardellet que j’ai publiés, c’était Les Chasseurs et Les Chasseurs II. Ce qui a frappé Gracq, c’est que ce sont des livres qu’on ne peut pas refaire, si vous voulez les publier en poche ou sous une autre présentation, ça n’est plus ça. Et il faut dire qu’on s’était donné un mal de chien pour trouver les illustrations notamment. Alors ça, ça fait partie des réussites dans l’édition, mais ce sont des réussites très fugitives. Mais – petite parenthèse – l’édition n’est pas le métier qu’on croit. On se raconte des trucs, le public raconte des trucs sur l’édition. Je pense notamment à un texte de Zola sur l’édition qui est parfaitement actuel et définitif. Il dit qu’en somme les éditeurs n’ont absolument besoin d’être des gens très cultivés, ils ont surtout besoin d’être de bon commerçants et d’avoir du flair.

Gonzai : Mais vous vous reconnaissez dans cette définition, vous ? Un bon commerçant avec du flair ?

Jean-Jacques Pauvert : Je crois avoir été un bon commerçant, oui. Quelques fois avec un peu d’avance évidemment. Lorsque je publie Histoire d’O en 54, j’étais persuadé que ce serait un choc ahurissant, que j’allais en faire 100 000, 200 000, un million même, que sais-je. Là-dessus, je le tire à 5000 assez prudemment, et heureusement car les ennuis commencent dix-huit mois après avec le prix des Deux Magots parce que jusque là personne ne s’était aperçu qu’il était sorti un livre qui s’appelait Histoire d’O. Il fallait attendre. J’ai attendu 20 ans.

Pour le flair, ce que je sais c’est qu’au bout d’un certain nombre d’années, à force il y avait des articles : « Encore une découverte chez Jean-Jacques Pauvert ». Prenez Le voleur de Darien par exemple. Ce livre m’a lié définitivement avec Breton par exemple. Lorsque je l’ai publié, il a écrit un article magnifique dans Arts. Il avait écrit : « Comment se fait il que malgré la caution de Jarry, nous soyons passés à côté de ce chef d’œuvre. ».

Gonzai : La consécration quoi !

Jean-Jacques Pauvert : Oh la consécration, ça a fait 2000, 3000 exemplaires à tout casser…Mais Le Voleur, c’était un livre rare, que j’ai cherché pendant des années.

Gonzai : Et comment en êtes-vous venus à publier les Mémoires d’un fasciste de Rebatet dans les années 70, il était tout de même un peu en disgrâce, ça n’a pas été trop difficile ?

Jean-Jacques Pauvert : Oh il était plus qu’en disgrâce! Si on le sortait maintenant…

Gonzai : …on aurait un procès ! Gallimard ne réimprime Les deux étendards que sous la contrainte.

Jean-Jacques Pauvert : Rebatet, ce n’était vraiment pas quelqu’un de sympathique, il faut dire, il était vraiment aigri. Et je crois qu’il a toujours été ainsi, violent, très combatif, même du temps de Je suis Partout. Il faut se rappeler tout de même que sous l’Occupation, son succès était immense. Je me souviens d’une signature de Rebatet pendant la guerre, il y avait une queue incroyable sur tout le boulevard Saint Michel. Toujours est-il que j’ai toujours trouvé que Rebatet était un bon écrivain malgré tout. Et lorsque Madame Rebatet vient me voir dans les années 70 en me proposant l’édition en deux volumes, avec le premier inédit, je me dis : allons-y. Mais c’était risqué, je me disais : si j’en vends 500 ou 1000, c’est un échec. Mais si j’en vends 100 000 ou 200 000 , mon dieu, ce sera le signe de quoi ? Ce sera presque pire. Toujours est-il qu’on en a vendu 20 00 exemplaire, pile ce qu’il fallait.

Gonzai : 20 000 exemplaires, mais c’est énorme !

Jean-Jacques Pauvert : Non, pas pour moi. Avec en plus une bonne presse, il n’y a pas eu d’injures.

Gonzai : Aujourd’hui ce serait impossible de le rééditer, on déclencherait un scandale…

Jean-Jacques Pauvert : Ne me tentez pas !

« Un texte comme Les 120 journées de Sodome, très peu de personnes le lisent vraiment, encore aujourd’hui. Il faut dire que c’est un texte insoutenable, à faire dresser les cheveux sur la tête. »

jjpauvertGonzai : Bon ce ne sera pas dans l’ordre chronologique, vous l’aurez noté. Sur le Marquis de Sade, je voudrais juste vous poser une question sur les différents rebondissements. Quelque chose m’a étonné en lisant vos mémoires : à un moment ces textes étaient introuvables et pourtant jouissaient chez certains écrivains d’un crédit considérable, tout le monde les citait.

Jean-Jacques Pauvert : Ah mais exactement, on arrivait chez Paulhan, à ses mercredi et la plupart du temps il était question de Sade, on en parlait neuf fois sur dix. C’était : « Sade, Sade, Sade, quel grand philosophe ». Puis un beau jour, je dis : « Mais qu’est ce qu’on attend pour l’éditer, dans ce cas ? ». Il se trouve que grâce à ma pratique de la librairie, j’avais réussi à me les procurer, et je les avais lus. Et là tout le monde me répond : « Mais vous êtes fou, vous n’y pensez pas ! ». Mais vous savez, un texte comme Les 120 journées de Sodome, très peu de personnes le lisent vraiment, encore aujourd’hui. Il faut dire que c’est un texte insoutenable, à faire dresser les cheveux sur la tête. Pour le rééditer, je me souviens que je le lisais à haute voix avec ma femme, il fallait reprendre l’édition de 1929, et en moderniser l’orthographe, eh bien par moments, c’était insupportable, il fallait qu’on arrête. Mais tout le monde préfère oublier cela et évacue le problème de ce texte, en disant : « Cela n’a pas d’importance ». Mais si ça en a ! Ca en a ! Je pense en tous cas, que c’est un texte qui n’aurait pu exister dans aucune autre langue que le français, parce qu’il n’y a pas de littérature érotique dans les autres langues, à part l’Italie. Parce que dans les autres langues, en anglais notamment, il n’y a pas de vocabulaire. Ils ont tout un vocabulaire obscène mais c’est argotique, ce n’est pas de la langue courante. Quand ils voulaient parler de choses érotiques, ils employaient le français.

Gonzai : On voulait vous parler de Georges Bataille aussi. Vous l’avez bien connu ? Comment l’avez-vous rencontré ? Aujourd’hui c’est un peu dur d’expliquer le choc que peuvent être Le bleu du ciel ou Histoire de l’œil, car la transgression est un concept qu’on a un peu de mal à faire passer…

Jean-Jacques Pauvert : Ces textes ont  longtemps été clandestins. D’ailleurs c’est ainsi que je les publiais au départ, j’avais ainsi fait une édition d’Histoire de l’œil, et je tenais une petite librairie rue des Ciseaux. Nous sommes en 1953, là je vois rentrer un Monsieur, que je reconnais immédiatement, c’était Georges Bataille très urbain, très poli. Il me dit : « Voilà je viens vous voir, parce que vous avez publié une édition d’Histoire de l’œil dont je suis l’auteur ». Je lui réponds : « Oui, bien sûr, je veux bien que vous me réclamiez des droits, mais il faudrait d’abord signer ce livre !». Nous avons discuté très aimablement et nous avons lié connaissance ainsi. A l’époque c’était un auteur refusé par absolument tout le monde, sauf Lindon, et encore il ne publiait pas tout. Le plus merveilleux c’était les dîners avec Bataille et Klossowski. Tout d’un coup ils s’échauffaient un peu et se mettaient à parler latin, on les écoutait, ça nous passait nettement au dessus de la tête. Quant à Klossowski c’était un type extraordinaire. Je suis vraiment très heureux d’avoir publié Le bain de Diane , son plus beau livre.

Gonzai : Sur la question de la ligne éditoriale, est-ce que pour vous cela veut dire quelque chose ?

Jean-Jacques Pauvert : Non je n’avais pas de ligne, mais un seul principe : ne pas sortir deux livres de suite sous la même couverture, ce qui était totalement nouveau à l’époque.

Gonzai : Ce qui vous a permis d’oser des choses.

Jean-Jacques Pauvert : Oui, Le bain de Diane, ou les Mémoires d’un fasciste de Rebatet, par exemple…

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Gonzai : Et avec les libraires, cela se passait comment ?

Jean-Jacques Pauvert : Oh, le niveau des libraires est bien meilleur aujourd’hui qu’autrefois ! Dans les années 50-60, c’était effrayant. Il y avait beaucoup de vieux libraires qui attendaient le client derrière leur comptoir prêts à le mettre à la porte. Ils ont disparu heureusement. Maintenant il y a plein de libraires tout à fait passionnants qui s’intéressent vraiment au livre, surtout des femmes d’ailleurs. J’en ai rencontré beaucoup parce que quand j’ai publié mes mémoires j’ai fait énormément de signatures, dans toute la France. Mais elles ont leur idée ! Elles ont leur niveau ! Je ne vais pas leur parler de Roussel par exemple !

Je fais une digression, mais Roussel par exemple, c’est une histoire ahurissante. Imaginez que dans le milieu des années 80, on retrouve tout le stock de Roussel, au garde-meuble ! Le dépôt était arrivé au bout des cinquante ans, plus personne ne payait, ils s’apprêtaient donc à le saisir, et là l’employé du garde-meuble découvre tout un tas de manuscrits extrêmement bien reliés : tout le fond Roussel que tout le monde croyait détruit ! Toujours est-il qu’ils m’ont contacté, et aussitôt j’en parle à Antoine Gallimard. Eh bien, ça a traîné, il a hésité, et finalement il ne faisait rien. Du coup je finis par me lasser et je parle de l’affaire à Fayard. Ils me demandent : « Combien ça rapporte ». je leur ai répondu : « Absolument rien, mais il faut le faire sur la gloire ». Eh bien cela s’est conclu en cinq minutes. Eh bien ça c’est un bon éditeur.

Gonzai : Est ce qu’il y a des livres que vous regrettez de ne pas avoir fait ?

Jean-Jacques Pauvert : Ah oui ! Il y en a un que j’ai commencé sur le tard, c’était des œuvres complètes de Saint-Simon. Assez dément hein ?

Gonzai : Vous avez tous vos livres dans cette maison ?

Jean-Jacques Pauvert : Non. J’en ai un certain nombre dans une bibliothèque que je vous montrerai, n’oubliez pas de me le rappeler. En ce moment je suis en train de chercher un ou deux Boris Vian. Vian va sortir dans La Pléiade, et j’ai accepté de faire la préface.Ca m’intéresse beaucoup de faire ça, d’abord parce que je l’ai édité, mais aussi à cause de la personne de Vian, que finalement j’ai peu connu, mais sa mort m’a beaucoup touché – ce sont des choses qui arrivent. C’était quelqu’un avec qui on ne serait pas entendu sur tout, mais c’était quelqu’un pour moi. Et il le savait d’ailleurs.

33 commentaires

  1. Caïn : Oui, sur Breton c’est vrai, qu’on reste sur sa faim ! Je veux dire il l’a évoqué plusieurs fois, et de manière très émouvante, mais on n’a pas eu le temps d’en parler plus.
    p & toxic : Merci !

  2. L’Ecume des JOURS, pas des Pages.
    Un entretien très bien écrit. Vraiment intéressant.
    Et j’adore l’exorde.

  3. Mais quand même, après « L’équipage »,il y a eu « Les cavaliers » (bon, quarante ans plus tard)! Ce n’était pas un mauvais choix. Cette phrase me fait un peu de la peine pour le pauvre Kessel, qui a écrit quelques très bons livres et un grand livre. Souvent noyé par le reste évidemment…

  4. Bonjour,

    J’ai chez moi, les 15 premiers volumes des œuvres complètes de Sade, et je désespère de trouver les derniers.
    Du coup les derniers volumes que j’ai, contiennent les pièces de théâtre.

    j’aime beaucoup la maquette de la couverture, c’est originale et beau et j’aime, quand la société me fatigue, me plonger au hasard de l’œuvre de SADE dans quelque page. Il m’est oxygénant. Vrai sur l’humain, sans tricherie ni hypocrisie.

  5. Oui, l’interview est excellente, mais ce n’est pas pour cela que je laisse un commentaire: Jean-Jacques Pauvert a publié en 1977 « L’Affaire Solomidès », que j’avais écrit. J’ai fait un autre livre encore plus difficile à publier, remettant en cause énormément d’idées reçues sur le cancer et la cancérologie, et naturellement, on me le refuse de touis les côtés. Est-ce que Jean-Jacques Pauvertt me donnerait un coup de main ? Pouvez-vous lui transmettre mon message, ou me donner son adresse par courriel ? Quoi que vous fassiez, merci en tout cas pour cette interview.

  6. J’ai beaucoup aimé l’interview, mais je voudrais que le monde sache sur quel genre d’immondice télé7jouroïde il a fallu que je clique pour y arriver.
    Par pitié, faites quelque chose ! Le rose va très mal avec l’orange, qui tous deux vont très, très mal à M. Pauvert.
    C’est aussi valable pour L’encadré Mick Jones, mais là c’est juste qu’il est moche. Mick Jones.

  7. Bonjour, je souhaiterais faire rééditer un roman qui a été publié aux éditions J.J Pauvert dans les années 1960, est-il possible de contacter Mr Pauvert?

  8. Bonjour,
    sans doute ce commentaire qui n’en est pas un arrive t’il trop tard. Je voudrais contacter J-J. Pauvert à propos d’un livre qu’il a publié. est-il possible que vous me communiquiez son mail, ou numéro de télép one?
    Merci d’avance.

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  12. Je suis sans doute un peu en retard, mais cet article sur Pauvert est passionnant, et me donne envie, furieusement, de lire sa biographie.

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