Quelle limite entre la radicalité et l’inaudible ? C’est la question que pose le nouvel album du meilleur groupe de rock français, peut-être trop occupé à pousser les murs pour faire de cet essai sans nom un disque écoutable à la maison.

L’auteur est un peu emmerdé. Les membres de JC Satan, sans être des potes de biture dont on connaitrait tous les travers, sont défendus dans ces colonnes depuis plus de quatre ans ; ils constituent en outre l’un des clans les plus sympathiques de ce club très fermé qu’est le véritable rock français, et agissent sur scène comme des sauvageons incapables du moindre plan de carrière, ce qui les rend depuis leurs début éminemment respectables pour tout auditeur sujet à des renvois vomitifs à la moindre note d’un disque subventionné par l’Etat – coucou Jeanne Added. Transférés pour leur quatrième album dans l’écurie Born Bad, autre compagnon de route dont on a le plus grand mal à ne pas dire du bien, Arthur, Paola et leurs copains sont en plus défendus par ce qu’on appellera le « premier cercle » comprenant autant nos confrères (New Noise, The Drone) que par ma voisine de bureau, responsable de la promotion de ce groupe difficile à vendre en tête de gondole chez Auchan. Bref. Disons pour résumer que tout cela rend la suite de ce papier plus compliquée que prévu.

Satan bouche pas un coin

A la première écoute,« JC Satan », le disque, commence mal. Il flotte comme un parfum d’approximation sur les trois premiers morceaux ; et sans qu’il soit nécessaire de verser dans la froide chirurgie du track by track argumenté pour justifier son opinion, écrire de l’entame de ce disque éponyme, sans identité réelle ni pochette véritablement affirmée, qu’il glisse entre les jambes est une douce litote.

BB075-JC-SATAN-COVER-BD-1024x1024Trois mois après la première écoute, poussé par la curiosité et l’emballement médiatique – toutes proportions gardées parce que ce n’est pas non plus comme si Phoenix s’était rasé la tête pour servir du rock sataniste – « JC Satan », le disque toujours, s’avère encore pire que prévu. Enfin, c’est pas vraiment pire ; mais c’est pas vraiment mieux. Dans son jusqu’au-boutisme adolescent consistant à savonner sa propre planche pour éviter le procès d’intention commercial (le grand mal français qui touche tout groupe de rock vendant plus de 500 copies), les membres de JC Satan semblent en avoir oublié les fondamentaux pour mieux se recroquiller sur l’entre-soi. Pochette inexistante encore, à la limite de l’accident industriel, refus de donner un prénom à son bébé (pour mieux l’abandonner ?) et quatrième morceau au titre évocateur (Don’t joke with people you don’t know) qui semble étayer le grand questionnement de l’auteur : le groupe aurait-il peur d’être aimé par le plus grand nombre ? Certains rétorqueront à l’auteur, plus connu pour ses amours PD synt-pop sur fond de chemises à fleurs, qu’il n’est probablement pas la meilleure personne pour se poser des questions, voire poser des jugements, sur cette bande d’illuminés qui refusent tout compromis. On pourrait même, pour aller dans le sens des fans de « JC Satan », rajouter que le refus viscéral du moindre centimètre de concession est, dans cette époque où le moindre pet de mouche se doit d’aller dans le sens du vent, une preuve d’honnêteté pure à mettre au crédit de ces insoumis. Le problème de cette démarche, pour ne pas dire posture, étant qu’elle condamne Satan à une relative confidentialité, là où tant d’autres groupes, après avoir eu droit aux honneurs d’un entrefilet dans Grazia ou Vanity Fair, finissent par se laisser séduire par le striptease de majors servant sur un plateau attirail marketing, producteur américain à la con et mirage d’une célébrité qui, l’histoire du rock en France le montre depuis les Stinky Toys jusqu’à Taxi Girl ou Mustang, ne vient jamais. Voilà donc l’exemple du cul entre deux chaises mis en application avec « JC Satan », à la fois trop inégal pour convaincre l’auteur, pourtant pas réputé fan d’Indochine, et trop bruyant pour madame Michu. Un groupe, en d’autres termes, piégé par son propre désir de liberté.

La carte mais pas le territoire

Né sur un autre continent, JC Satan n’aurait certainement pas eu à supporter toutes les conneries que vous venez de lire. Largement au niveau de Thee Oh Sees, dont ils empruntent le même chemin grâce à des disques de plus en plus produits comme en atteste la très Beatles-garage chanson Waiting for you, les Bordelais borderline payent ici le prix de l’exiguïté d’un territoire où la réussite se mesure au nombre de papiers élogieux qui ne font pas vendre et de SMAC que vous saurez visiter. Que nos lecteurs de province évitent d’enfourcher un tracteur pour monter foutre le feu à la Capitale, il ne s’agit pas d’une provocation mais d’une réalité somme toute économique : quel avenir pour un groupe de rock français au-delà de nos frontières si ténues ? La difficile équation renvoie à une autre énigme locale, celle des Liminanas à qui les JC Satan font évidemment penser sur Ti Amo Dawero, sublime balade italienne qui s’avère être tout simplement l’un des meilleurs morceaux jamais écrits par le groupe, mais qui arrive un peu tardivement sur ce disque languissant dont on ne doute pas qu’il fera danser des milliers de gens dans les prochains mois. Le compte pourtant, n’y est pas. Ce Zeppelin vole à mi-hauteur. Et le groupe, fatalement, se prend les pieds sur la dernière marche vers le paradis commercial.

JC SATAN // JC Satan // Born Bad & Animal Factory
http://www.jcsatan.com

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