Le Communisme a eu son manifeste. Résultat : 100 millions de morts. Le Surréalisme a eu son manifeste. Résultat : l'Art Contemporain. Le Quotidien a maintenant aussi le sien. Résultat ? J'abuse, manifeste du dérisoire où Pascal Bouaziz prend la plume pour dénoncer la stupidité du monde moderne. Aujourd’hui, la société de con-sommation de l’homme-sandwich.

« Be Stupid ! » m’apostrophe, depuis son t-shirt, un jeune abruti branché à moustache et pantalon trop court installé tout ahuri juste devant moi… Be Stupid ? Et bien non, l’ami, que dire ? C’est obligé ? Au choix, personnellement, “je préfèrerais ne pas”… Je préfèrerais, disons, (peut-être malheureusement accablé d’un a priori grotesque), mais je préfèrerai, par exemple, être intelligent ! Plutôt. Au choix. Être intelligent, par exemple, ou lire un livre. Apprendre un truc. « Be Stupid ! » si tu veux toi-même, mais sois gentil, s’il te plaît, je le sens pas, ne me force pas la main. Ta médiocrité t’enchante ? Ta bêtise vous ravit, toi et tous tes petits copains à moustaches ? Vous faîtes des vidéos entre vous que vous postez sur YouTube, à Dieu Vat ! Soit ! Pourquoi pas ! Je ne juge pas. (Enfin pas trop.)

Mais enfin. Éventuellement, petit dégénéré informe (à moustache), peut-être est-ce que tu pourrais aussi te la garder ta maladie ! Tu voudrais peut-être contaminer tout le monde et te sentir ainsi toi-même moins malade ? « Sois stupide » si tu veux, mais ne dérange donc personne avec la petite gloire que tu t’en fais ! Et va t’acheter un pantalon à ta taille ! » (Me disais-je secrètement en moi-même…)

Je me dois de l’apprendre à ceux qui ont la chance de ne pas le savoir. Mais “Be Stupid” c’est un slogan publicitaire.

Un slogan publicitaire, qu’affichait donc, bénévolement, le jeune homme à moustache sur sa propre poitrine. Symptôme accablant de notre temps accablant : les publicitaires arrivent maintenant à vendre leurs panneaux publicitaires à des sortes d’hommes-sandwiches volontaires. Non seulement volontaires, ces phénomènes, mais encore en plus, prêts à payer de leur poche, je veux dire en plus de travailler gratuitement. Prêt à payer pour rendre un service doublement gratuit à une marque de vêtements qui en plus de tout le reste, les insultent copieusement! Je sens que je me répète mais j’aimerais bien être clair. Parce que je sens que là, on atteint peut-être un sommet. Je n’en suis pas sûr. Mais ça ressemble quand même à un sommet. Parce qu’en plus c’est pas fini ! Ces hommes-sandwiches volontaires et qui payent pour être hommes-sandwiches, arrivent en plus de tout, et là c’est sûr qu’on atteint le sommet, arrivent à se la péter du fait même qu’ils arborent des panneaux publicitaires. Ils en sont fiers ! Et là c’est sûr, on plante le drapeau au sommet de la connerie. Chaque jour ! Des centaines de milliers de gens, avec leurs lunettes D&G ou leurs T-Shirts à logo géant, sont déclarés vainqueurs.

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Bon je lisais une autre publicité dans le métro. Une autre encore… “Shoes are boring : Wear Sneakers”.

Je traduis donc : « Les chaussures, c’est ennuyeux, porte plutôt des baskets ». Déjà les publicitaires peuvent remercier éternellement, à genoux, la langue anglaise parce que traduits en Français, comme slogan, ça fait plus que triste, ça rend proprement véritablement très mélancolique. Les baskets en l’occurrence, il s’avère que ce sont des Converse : deux modèles uniques et quelques rares couleurs depuis 40 ans. Une certaine idée du « fun » donc, je suppose.

Ainsi donc, analysons une belle opposition entre un terme générique, les chaussures, qui comprend donc l’intégralité et donc l’infini de tous les outils qu’aura trouvé l’être humain depuis la nuit des temps pour se chausser, les chaussures, donc, toutes les chaussures, opposés à un seul modèle de chaussures, Ces converse. L’infini déclaré “ennuyeux”, l’identique déclaré “pas ennuyeux”. L’uniforme, la monotonie, la répétition éternelle du même, c’est bien. La variété, la multiplicité, l’invention, la richesse, la différence, l’inédit, la surprise, tout ça ? Pas bien.

« T’as raison, mon jeune ami. (Me disais-je encore en moi-même…) Porte ton uniforme. Paye avec ton propre argent pour faire de la publicité. Mets tes converse. Check ton profil. Sois stupide. Tu ne voudrais quand même pas t’ennuyer… »

12 commentaires

  1. Le « Be stupid » provoquant donc, avec ce papier pétri de ressentiment frêle et gratuit (« un jeune abruti » ou un « petit dégénéré informe »), exactement ce qu’il espérait provoquer. On avance, super !

  2. « Plus intolérable que tout, voici que ressurgissent les T-shirts à messages personnalisés.

    Personnalisés ! Ô sordide exploitation du langage des foules. Ils sont un million d’assujettis sociaux blanc, navet à exhiber leur couenne dans un million de tricots de coton où l’on peut lire « Je suis un rebelle », et ils bêlent et broutent dedans, tous ensemble et tous pareils, et ils appellent ça « un message personnalisé ». Quelle dérision ! Quelle époque ! Vivement la guerre ! (…)

    Il y a plus sot encore que le T-shirt à message. Il y a le T-shirt publicitaire. On peut dire sans aucune exagération misanthropique que l’existence et le succès – à l’échelle mondiale – du T-shirt à message publicitaire constitue la preuve formelle de l’incommensurable étendu de la bêtise humaine.

    Quand j’étais enfant, je me rappelle qu’il déambulait dans les rues des villes des hommes sandwichs. C’étaient des messieurs qui promenaient sur leur dos de grands panneaux fixés par des bretelles comme des sacs de campeur vantant les mérites d’une marque de bas, de liqueur ou de cigarettes. Bien évidemment, ces gens-là étaient payés pour faire ce qu’on appelait encore de la réclame et qui n’était déjà que de la vulgaire publicité.

    Aujourd’hui, les marchands de soupe doivent se pisser dessus de rire : voici venu le temps béni pour eux des hommes-sandwichs qui paient pour faire de la pub. Car enfin, vous avez beau tourner le problème dans n’importe quel sens, il est de fait qu’un connard qui donne de l’argent à un commerçant en échange d’une chemise exaltant les qualités d’un quelconque produit de consommation se trouve exactement dans la position grotesque et ahurissante d’un ouvrier qui paierait son patron pour avoir le droit de travailler à l’usine. »

  3. « frêle et gratuit »? On a plus le droit d’être emporté, passionné, engagé, subjectif, d’avoir la rage contre cette tendance à l’uniformisation, à la stupidité? Oui restont bien objectif, ne nous enflammons pas surtout, quelle horreur des émotions! Soyons plat, insipide, BE STUPID. Joli petit papier sans prétention mais qui ne nous prend pas pour des cons et qui a au moins le mérite de ne pas rester au ras des paquerettes dans son questionnement.
    Vivement J’ABUSE level 2

  4. J’ai quand même l’impression que s’en prendre à ce garçon c’est un peu naïf. C’est faire preuve d’un idéalisme anachronique. Prendre ce garçon pour un abruti, supposer qu’il soit volontairement homme-sandwich requiert de sa part une mise en abîme à laquelle il ne souhaite certainement pas se livrer. L’auteur de l’article voudrait que le garçon y consente, à mon avis, et il se trouve frustré parce que sa volonté n’est pas faite. Je comprend cette frustration, je la connais intimement, mais je ne blâme pas le garçon, on pourra blâmer le garçon quand on lui aura fourni les armes pour réfléchir à ses actes. Il n’est pas, à mon avis toujours, directement responsable du coup de sang de l’auteur. Le collège de personnes qui ont décidé pour lui qu’il serait un homme sandwich, ceux et celles qu’on ne voit pas, trop malins pour se montrer, ce sont eux/elles qu’il faut accabler de notre vindicte. En somme, se mettre en colère contre le garçon, c’est comme allez chez Mc Do, et traiter le serveur comme s’il était Ronald Mc Donald soi-même, c’est un transfert pratique, mais qui éloigne de la réalité, une façon de se figurer l’ennemi dans le résultat de ses actes.Il est presque là, c’est tentant, mais ce n’est pas lui. On ne peut pas, à mon sens enfin, traiter, dans une guerre, la chair à canon de la même manière que les généraux.

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