On dit que toutes les bonnes interviews, tous les bons papiers, doivent raconter une histoire. Là, mon histoire, c’est celle de mecs pas très bavards venus du froid, celle de types dont le nom de guerre ne faisait bander personne il y a encore quelques semaines de cela et qui désormais, après un bon premier album éponyme, font se dresser toute l’avant garde de la presse indé de Carnac à Hô-Chi-Minh-Ville. Toujours en retard sur l’exclu, et alors qu’on bouffe du Viet à la sauce post-punk depuis presque un mois, je vais quand même vous raconter mon interview avec Viet Cong.

Ca commence par un mail le dimanche matin – notez qu’il ne peut y avoir qu’un fou furieux pour vous envoyer un mail le dimanche matin, surtout quand comme moi vous n’êtes qu’étudiant. Le message en question est plutôt expéditif, du genre courtois mais sec :

« Yo, Je vais avoir besoin que tu gères cette itw. C’est lundi. Je t’envoie le disque en WeTransfer ce soir. C’est très bien ».

Comme d’habitude je commence par me plaindre avant d’écouter, par acquit de conscience plus que par intérêt, la gaudriole musicale en question. Première surprise, et de taille, le disque me plaît. N’étant pas un musicovore, et c’est un euphémisme, j’écoute peu de « nouveautés » et je n’ai pas l’habitude d’être un « prescripteur ». Découvrir un disque avant la plupart des gens procure chez moi un sentiment proche du mal-être.  Moi, j’aime être le bon bougre un peu en retard, celui qui ne prend pas trop de risques, celui qui change d’avis assez rapidement parce qu’il a du mal à s’en faire un, celui qui préfère écouter les autres, quitte ensuite à aller leur titiller l’essence critique là où ça fait un peu mal – ce que certains de mes plus proches ont du mal à comprendre. Un débutant en critique qui passe son temps à repenser la légitimité de sa critique, voilà le tableau un peu triste et gris que composait il y a trois mois le cadre historique de mon interview avec les Canadiens de Viet Cong.

Un mail donc, un bon album de circonstance, un groupe polaire en promo dans la capitale, un journaliste-stagiaire à la petite semaine et une barrière : la langue.

Pas besoin de jouer les faux-modestes ou les prétentieux du dimanche, en Anglais je suis une vraie buse. Je suppose que c’est un complexe que je dois à ma Normandie natale et au fait d’avoir grandi au milieu des chasseurs et des bouseux. Je peux vous faire un exposé sur la chasse à courre du cerf de près de deux heures, vous expliquer comment se reproduisent les faisans, attraper des serpents à mains nues mais quand il s’agit d’aligner trois mots dans la langue de Shakespeare tout ce bel édifice d’éloquence bourgeoise provinciale se casse littéralement la gueule. Cela dit, il faut croire que j’ai hérité du sang froid de mes ancêtres les chasseurs-cueilleurs, du coup, après avoir effeuillé mes plus belles excuses et passé la moitié de la journée à chercher l’échappatoire idoine, je capitule et je prépare mes questions à l’aide d’un dictionnaire et de « Google trad », me rappelant au bon souvenir de mes DM de 4ème. Au bout d’une heure je suis plutôt satisfait et pense avoir fait le job, les questions sont certes simples mais correctes et pas plus ridicules que celles d’un autre journaliste. J’ai un peu repris confiance et le stress c’est mué en une douce euphorie. C’est avec l’air satisfait que je termine mon weekend chez ma mère, que je prends le trans-beauce express de 2h18 qui relie Le Mans dans la Sarthe à Paris, que je rejoins ma copine, que je me couche et que je me rends, le matin du 24 novembre, au bureau de Gonzaï.

L’interview avec les esquimaux est prévue pour 15h00, plus les heures s’égrainent, plus ma tension monte.

La journée commence comme n’importe quelle journée dans l’open space. Les fourmis connaissent bien leur travail : l’odeur du café remplit l’open-space, le photographe fait de la retouche, le designer fait du design, le bookeur fait du booking en criant fort dans son combiné, le rédac’ chef rédige et le stagiaire arbore un sourire niais, mettant en pratique la technique de « l’acquiescement systématique » qu’il a eu le temps de théoriser plus tôt dans la matinée. Au déjeuner mon visage se referme, je me renfrogne et mes intestins commencent à faire des nœuds entre eux. Finalement elles ne sont pas si bien ces questions. C’est avec tous les symptômes de la crise d’angoisse, ceux qu’on pense être le ou la seul(e) à subir avec une telle virulence, que je me dirige finalement vers un hôtel haut de gamme du quartier Villiers où bivouaquent les canadiens en ce lundi de novembre. À peine arrivé, fraîchement accueilli, je comprends que les Viet Cong écument les journalistes depuis le début de l’aprèm, des gens comme ce brun avec son carnet moleskine et son Anglais impec’ – certainement un agent de New Noise, des Inrocks ou de Tsugi. La lassitude se lit sur leurs visages. Certainement fatigués par les questions successives, par le fantasme de la méta-critique des journalistes musicaux contemporains basé sur un diptyque fallacieux et pompeux :

1/ Un véritable artiste pense et intellectualise son œuvre.
2/ Un bon interviewer se doit de conceptualiser l’œuvre ou de le faire faire à l’artiste etc… le serpent qui se mord la queue quoi.

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Face à tout ça, les esquimaux sont assez directs, presque lapidaires mais toujours agréables. Je ne comprends pas toujours leurs réponses, pourtant mes questions sont simples, assez simples pour me permettre de dissimuler mes cruelles apories linguistiques. Je suis tellement obnubilé par ma propre diction – laquelle me demande un effort considérable – que c’est à peine si je remarque que petit à petit s’immisce, chez les Canadiens, une pointe d’ironie dans ce qu’il serait peu convenable, à ce niveau là, d’appeler une conversation. La scène transpire la maladresse, tout est presque surréaliste :

– « J’ai regardé le clip de votre single avant de venir, il m’a un peu intrigué. Y-a-t-il quelque chose de narratif ou est-ce une pure performance esthétique ?

–  Je ne sais pas. C’est notre label qui nous a suggéré le type qui a réalisé la vidéo, on a rien à voir avec ça, il a fait ce qu’il voulait. »

– Okay… J’ai lu que vous qualifiez votre musique de post-punk labyrinthique, ca ne veut pas dire grand chose, dites-moi ce que vous écoutez, ce qui vous inspire, ça pourra peut être m’éclairer.

– On écoute principalement du post punk labyrinthique en fait… (rires, RIRES, RIRES, RIIIIIIIRRRREEESS) »

Je ne suis pas devenu un expert en journalisme mais depuis j’ai compris une chose essentielle : commencer une interview en parlant d’une vidéo illustrative dans un anglais approximatif, balbutier à des musiciens le fait que vous ne comprenez pas leur univers – aussi rhétoriques que soient vos questions – n’est pas le meilleur moyen de vous faire estimer de vos interlocuteurs. Cependant l’interview poursuit son cours, maladroitement, par à-coups. Les Viet Cong sont au nombre de deux et je n’arrive pas à m’empêcher de penser que leur duo est formidablement assorti, que leur mécanique est bien huilée. L’un est grand et fin, l’autre massif et imposant. L’un parle, l’autre reste prostré, silencieux. L’un chante et l’autre cogne. C’est à la fois très beau et terriblement cliché mais j’ai face à moi les deux faces d’une même pièce : le « Viet » spirituel, le chef de guerre et le gros « Cong », une sorte de bigfoot gigantesque tout droit sorti des montagnes rocheuses. Ces types sont simples, comme leurs chansons, ils ont l’esprit tourné vers le pratique et l’efficace, ils ont un temps d’avance dans l’histoire de l’évolution et se sont débarrassés de toutes les émotions superflues à la manière des personnages futuristes de la Possibilité d’une Ile de Houellebecq :

– « Pourquoi avez-vous appelé votre groupe Viet Cong ?
– Parce qu’on avait besoin d’un nom pour jouer en concert. »

La réponse est sèche, si simple et pragmatique qu’elle désarçonnerait n’importe quel journaliste du dimanche. Elle me désarçonne, mais c’est comme ça chez les Viet. Ils viennent de Calgary, et quand je leur demande si la ville les inspire ils me parlent tourisme, pistes de ski, bières entre potes ; ils parlent de la tristesse qui se dégage des grandes jungles urbaines et de la lassitude qui guette les habitants de toutes les grandes villes passé un certain laps de temps. On est loin de la litanie romantique habituelle, tout s’énonce avec évidence et sans mise en scène, avec un charme presque bureaucratique. Au beau milieu de cet océan de maladresse – le mien, je finis par comprendre : ces gars là ne sont pas venus vendre un mythe qui n’existe pas.

Le vrai mythe il est là, sous nos yeux, il est tellement évident que la plupart d’entre nous sommes infoutus de lui attacher de l’importance.

Leur biographie, de celle que transmettent consciencieusement toutes les maisons de disque du monde, mentionne qu’ils ont enregistré dans une « étable ». C’est marrant, elle aussi semble vouloir raconter une histoire qui n’est pas la leur à coup de faux-semblants désuets, de paraboles peu rutilantes. Dans leur bouche l’étable devient une banale grange aménagée en studio improvisé, la métaphore christique s’envole loin très loin pour laisser la place à une banale histoire de potes faisant de la musique consciencieusement, avec le savoir-faire de l’artisan appliqué : « On revenait d’une longue tournée et on avait plein de chansons en stock. À la dernière minute on a décidé de les enregistrer et un pote nous a proposé cette grange. » Deux phrases, une vérité bête mais belle parce qu’elle elle est toute nue et énoncée sans pudeur. Apparemment c’est comme ça, la plupart du temps, qu’on enregistre un « putain de bon disque », et pas autrement – même si nombreux sont ceux qui voudraient faire croire le contraire. Rideau.

Viet Cong // Viet Cong // JagJaguwar (PIAS)
https://vietcong.bandcamp.com/

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6 commentaires

  1. On s’en fiche de vos doutes de vos graves lacunes de votre vide autosatisfait, article chiant miserable en regard de la qualité de cet album. J’en ai marre de cette époque de crevards incultes franchouillards sûrs d’eux fiers comme des coqs à la hanouna mais incapables de talent ou de parler une langue étrangère mais de s’en féliciter. Minable.

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