“Toutes les 5 secondes, un enfant meurt de faim dans le monde.” On a tous depuis longtemps cette campagne de sensibilisation en tête, nous rappelant la dure réalité de ce putain de monde sans pitié. “Toutes les 5 secondes, un mort de faim tweet sa life dans le monde". Bienvenue dans l'information 2.0.1.2.

Cela a pris un peu de temps, mais il semble que ça y est : sur Facebook, ça fait longtemps qu’on a masqué voire viré les gens qui nous gavaient dans le mini-feed en linkant des vidéos de Soko ou des épisodes de Bref  (ou pire, des parodies d’épisodes de Bref). Depuis, on a toujours un peu l’impression d’y faire une soirée raclette/pinot noir — et pourquoi pas un Time’s up s’il est pas trop tard ? — avec nos “vrais amis” pendant que tous les autres sont perpétuellement en train d’appeler la hotline de Twitter pour savoir quelle est #latendancedelasemaine.
Oui, depuis quelques mois, c’est sur Twitter que tout semble se passer. Tout ? Ah oui mais tout c’est quoi ? Dans une ère où le mot “jadis” fait référence à un recul de cinq ans maximum, jadis, donc, Twitter semblait réservé et investi seulement par des geeks, quelques directeurs marketing et autres journalistes dissidents. Fin 2011, selon les dernières évaluations, cinq millions d’utilisateurs de ce micro-blogging étaient recensés en France, faisant doubler en seulement un an le nombre d’adeptes du hashtag(ueule)[1]

Tweet, deux doigts coupe-faim

S’il est intéressant de remarquer que le nombre de “twittos” augmente après chaque événement “marquant” de la société (l’affaire DSK, Fukushima, est-ce que Sarko ira ? re-l’affaire DSK, ta mère à poil à Djerba, et plus récemment l’affaire Merah), cette augmentation concerne hélas plus l’ego du contenant que la valeur du contenu. Triste double constat d’échec, où faire rimer “twittos” et “branlitos” prend tout son sens. Sans ressasser le débat sur les posts affligeants qu’on peut trouver sur Facebook, ceux-ci sont encore à la discrétion de l’utilisateur, qui choisit et accepte ses interlocuteurs virtuels. Alors que Facebook autorise encore l’interactivité et concentre ses commentaires à l’intérieur d’une sphère “privée” – quoi qu’en pensent ses détracteurs – sur Twitter on ne choisit finalement pas tant que ça ses (inter)locuteurs. Car d’interaction il n’est plus tellement question. En totale osmose avec la bestiole qui lui sert de logo(rhée), le twittos piaf(fe) d’impatience de calculer son maximum d’impact dans son minimum de caractère(s) pour accéder à la lumière on stage, braquée sur lui comme une poursuite (du temps perdu), comme la poursuite du diamant vers… les lueurs d’une chronique de deux minutes à la télé.
À base de 10 000 followers minimum, on ne compte plus les profils se nourrissant eux-mêmes en croyant nourrir les autres : “Ceci est mon tweet’ #I’m at le Mouv’ #BFM TV c’est trop des nases #I’m at Canal + #wah la dose de monde aux Buttes-Chaumont #kikoo @Michel Denisot ! #I’m at le 114 ma pote @DaphneBurki elle est trop cool.” Le personal branding déjà pointé du doigt il y a un moment[2] a de beaux jours devant lui. Ou quand le journaliste devient webmaster (and) servant sa cause avant tout. Un trouble du comportement élémentaire, avec pour symptôme une boulimie du vide aussi abyssale que la fosse des Marianne faisant craindre les pires crises d’aérophagie avec à l’arrivée un seul aboutissement possible : une bonne grosse éructation de néant. À l’âge de 10 ans, le respect social s’acquérait aussi en étant capable de roter tout l’alphabet. Pas plus productif, mais au moins c’était drôle.

Putain mais suis-moi je te fuis, quoi.

“On appelle ‘mass media’ les médias capables d’atteindre et d’influencer une large audience. Par le recours à ces moyens, les annonceurs peuvent diffuser leurs messages en direction d’un très vaste public, répartis sur des espaces élargis pour un coût relativement raisonnable.”

Dans cette société d’économie (de mots) mixte qu’est Twitter, à la visibilité ni tout à fait privée ni tout à fait publique, les médias se taillent la part du lion (je ne trouverai pas de jeu de mots avec Snickers). Contraints d’être présents sur le web pour s’adapter au lectorat mais à moyens constants, l’urgence de l’info devient une course à l’échalote, sometimes. Et à moyens constants, constat moyen : la récente affaire de la tuerie de Toulouse a vu la timeline de Twitter trustée par le live-tweeting de quelques journalistes dépêchés sur place. Ce procédé qui consiste à tweeter la moindre info toutes les cinq secondes, plus courte qu’une dépêche AFP même, dont l’acronyme pourrait se transformer en À Faire Passer tant le nombre de retweets de tous bords en découle. Ainsi, sur ma timeline, je pouvais lire les tweets du Monde, mais aussi les tweets d’un certain Soren Seelow, journaliste au Monde. Cet envoyé spécial du quotidien est resté 31 heures sur place à alimenter la twittosphère avec une seule contrainte : moins de 140 caractères. A 16 euros les 1800 signes dans un quotidien, ça fait 1.24 euro le tweet “#Toulouse 31h de live c’est 230 tweets, 10 000 followers, 14 recharges d’iPhone, 12 cafés, 6 bières, 3 paquets de clopes et 1h de sommeil.” Après un jour et demi sur place, Soren aura gagné 285 euros, moins les clopes et les bières. S’ajoutent à ça “#11 000 nouveaux followers en 24h = 11 000 mails à effacer. Le week-end s’annonce studieux.”

Le corporatisme a atteint ses limites sous forme de trouzemille retweets se moquant de la “phrase culte” d’un journaliste de BFM TV, qui disait “Nous avons des informations contradictoires.” Wah l’autre, comment il est pas gonzo le journaliste de BFM TV quoi, comment il se mouille pas, vas-y balance ta punchline sur le salafist-fucking du RAID ! Ainsi, on a la journaliste atweetude ou on ne l’a pas. Le premier qui dégaine a raison. Les autres suivront.

Comme dirait l’autre, aujourd’hui, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un smartphone chargé et ceux qui creusent. Enfin, il me reste cinq secondes et 140 caractères pour vous dire qu’à l’heure où Gonzaï fête ses cinq ans d’existence, l’idée de participer à ma mesure de non-journaliste à un media plus connu pour son nom que pour le pseudo de ses contributeurs me fait penser qu’à l’ombre, on bronze aussi. C’est même meilleur pour la santé.


[1] http://semiocast.com/publications/2012_01_31_5_2_millions_d_utilisateurs_de_twitter_en_france?lg=fr
[2] http://www.liberation.fr/medias/0101654077-les-journalistes-rien-que-des-brandeurs

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