Six ans après sa brutale disparition, Jean-Luc Le Ténia, le héraut de l’anti-folk à la française, revient dans un livre publié par la petite maison d’édition Conspiration. Un ouvrage d’outre-tombe qui reprend le journal intime publié par le « meilleur chanteur français du monde » sur son site internet, de 1997 jusqu’à son suicide en 2011.

« La voix me dit : Prends ton stylo. Je lui réponds en prenant, simplement, mon stylo. La voix continue : Ecris, maintenant. »

C’est par cette injonction à noircir du papier que débute le diary (journal intime) de Jean-Luc Le Ténia, un jour de 1995. Malgré quelques coupures, il le tiendra jusqu’au bout, racontant les épisodes marquants et surtout insignifiants de son existence jusqu’au 30 avril 2011, soit trois jours avant de se donner la mort, seul, dans son appartement du Mans. Il faut dire que pour ce qui est de noircir du papier, le songwriter stakhanoviste manceau en connaissait un rayon. Connu et reconnu par de grands noms de la chanson (Katerine, Miossec ou Didier Wampas ne manquaient jamais une occasion de saluer sa créativité brute), celui que certains ont parfois comparé à Daniel Johnston a laissé derrière lui, sur son site internet, une œuvre immense : quelque 2000 chansons, des poèmes, des dessins, des vidéos, des photos… et donc ce journal, publié aujourd’hui en intégralité sur papier grâce à l’éditeur Théodore Lillo. On a voulu en savoir un petit peu plus.

Avant que ce journal ne vous tombe entre les mains, vous ne connaissiez même pas Jean-Luc Le Ténia. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce texte ?

C’est vrai : je n’avais jamais entendu parler de lui. D’ailleurs, j’ai écouté sa musique et découvert ses autres univers seulement après avoir lu son journal, qui m’a vraiment beaucoup touché. Ce qui m’a plu avant tout, c’est la dimension « vue de l’intérieur » de la vie d’un type… qui est devenu une légende. Ce récit inside, de l’ordre de l’intime, mais qui ne comporte en fait presque aucune référence à ses émotions. Il rapporte le plus souvent des séries de faits, de rencontres… Et plus on progresse dans cette existence, plus ses gestes et ses activités deviennent toujours les mêmes. On sent cette âme aller vers quelque chose qui semble sans issue ; j’ai trouvé ça très fort. On ne peut pas s’empêcher, en tant que lecteur, de penser à tout ce qui a dû l’animer lui pour aboutir à ça et mener cette existence ultra-minimaliste, très répétitive, qui s’achève par cet événement dramatique que l’on connaît.

Ce journal est entièrement disponible, gratuitement, sur le site de Jean-Luc. A quoi cela servait-il d’en faire un livre ?

Quand on le lit dans la continuité, du début à la fin, on peut suivre le cheminement de l’homme et de l’artiste, depuis ses 22 ans jusqu’à la fin puisqu’il retrace son existence de 1997 à 2011 – malgré quelques interruptions. On voit que les premières années les choses s’enflamment un peu, il a un petit succès avec l’album sorti chez Ignatus (« Le Meilleur chanteur français du monde »), il y a les Wampas qui reprennent une de ses chansons en 1998 (il fera aussi leurs premières parties à de nombreuses reprises), le passage à Canal Plus (20 h 10 pétantes en 2003)… Il est galvanisé. Plus tard on sent qu’il est toujours aussi actif mais il fait moins de concerts, il est moins dans la démarche d’offrir ses chansons aux autres, ça devient une activité beaucoup plus solitaire. Et puis les cinquante dernières pages sont assez bouleversantes… On sent qu’il était arrivé dans cette forme d’impasse qu’était sans doute devenue sa vie à ce moment-là.

C’est finalement ce fossé paradoxal entre une existence hyper banale et la légende du chanteur qui vous a fasciné ?

Oui, le contraste est saisissant. Quand on lit, surtout à la fin, on a l’impression qu’il ne fait quasiment rien, alors qu’il est resté très actif jusqu’au bout, en illustrant ces chansons par des clips – 192 en tout ! Et pendant tout ce temps-là, son journal donne l’impression qu’il mène une vie très minimaliste, quasi monacale, dénuée de centre de gravité. J’ai effectivement trouvé ça fascinant.

Est-ce qu’il y a pour vous une dimension littéraire à ce texte ? Ou bien est-on davantage dans une sorte de témoignage ?

Une chose est sûre : la façon dont il raconte cette existence donne envie de tourner les pages, de savoir… Alors est-ce parce qu’on connaît l’issue ? Je ne sais pas. Mais, plus généralement, je trouve qu’il a vraiment agi comme un artiste contemporain. Ça ne me surprend pas qu’il ait fait les Beaux-Arts pendant un an avant de tout envoyer chier. Je ne sais pas ce qu’il en pense ou s’il a eu conscience de cette approche-là mais je l’ai vraiment ressenti comme ça. Quand on lit son journal, qu’on écoute ses chansons, quand on voit ses clips, ses dessins, ça forme un ensemble très cohérent, très brut, minimaliste, un peu arte povera. Il a vraiment bâti une œuvre et il y avait en plus chez lui cette dimension de vouloir la conserver qui est assez fascinante. Surtout les dernières années de sa vie, il a vraiment fait en sorte de tout mettre sur son site internet, que toute son œuvre soit accessible, aidé en cela par son fidèle ami, Tony Papin. Et cette œuvre lui survit car six ans après, sa mémoire est toujours honorée et ses chansons toujours reprises.

Pour acheter le livre : http://artisconspiration.com/JLLT/

Et aussi : la maison d’édition envisage une soirée hommage prochainement autour de Jean-Luc Le Ténia, en partenariat avec Ignatus. En attendant, Gontard, montera sur scène le 19 mai à Allonnes, près du Mans, pour un concert de reprises de Jean-Luc Le Ténia, dans le prolongement de la « Mausolée Tape » (La Souterraine) sortie fin 2016 dans laquelle il reprenait 14 chansons du plus grand chanteur français du monde.

 

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