Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ? Rien. Celui qui allume la radio – ennui - l’entend bien vite, il n’y a pas de raison de sortir du lit en 2015, et encore moins de programmer de le faire dans les années à venir. Alors tant que ceux qui sont payés pour réveiller la France feront du travail de merde, tenons la grève du matin ! Aucun effort de qualité ne sera fourni avant 21h du matin, point. "Comme à la radio".
[Attention transition] Comme à la radio est un album de Brigitte Fontaine avec l’Art Ensemble Of Chicago enregistré par Jean-Claude Vannier et publié chez Saravah en 1969, le label de Pierre Barouh. Comme beaucoup d’événements s’étant déroulés dans la cuisine de l’illustre Monsieur Pierre Barouh, la collaboration fut fortuite.
L’Art Ensemble répétait à Paris. Barouh leur prêtait un studio. Fontaine passait par-là avec ses chansons. Hop, un disque autant improbable que fondateur dans la carrière Fontaine. Et, si on pose la question à Maxime Delcourt, auteur du livre retraçant des années de bizarreries de la musique française dans Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire (titre d’après le slogan de la maison Saravah) et sous-titré « 1967-1981 chansons expérimentales », il est possible qu’il soit d’accord pour dire que cet album pèse lourd dans la discothèque expérimentale de la Phrance-monsieur-on-ne-comprend-rien-à-votre-musique-de-zoulou.

Maxime Delcourt, que j’ai rencontré dans un café en fin d’après-midi, ou en milieu, je ne sais plus mais c’était un peu tôt quand même : « En fait, tout part de la compilation de Born Bad Mobilisation Générale et du fait que je suis très fan des disques de Brigitte fontaine des années 60-70, d’où la part importante qu’elle prend dans le livre. Pour moi, c’est vraiment une figure phare, une porte d’entrée vers d’autres artistes et groupes, comme ont pu l’être Christophe, Alain Kan ou Colette Magny. » Colette Magny de Melocoton ?! «Oui, Colette Magny avec son album Répression, elle se lie aux Black Panthers. C’est quelque chose qui m’intéressait. » Car dès le sous-titre, on comprend que même si ce n’est pas dit comme ça, il y a un sous-entendu politique dans la manière de raconter de Maxime Delcourt, jeune journaliste musical basé à Lille. C’est comme ça que les « chansons expérimentales » commencent à la veille de mai 68. « En 67, si ce n’est pas de la variété, c’est de la rive gauche. Et la rive gauche c’est assez classique dans la forme, et je pense que ces moments-là donnent les débuts de la chanson expérimentale. Et puis, 1981, quelques années plus tard marquent une cassure avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. D’une certaine manière, la gauche officialise la contre-culture avec les MJC. Donc ce n’est plus de la contre-culture. » Et peu à peu, des terrains d’expérimentation disparaissent. Enfin ça a été la gauche, comme ça aurait pu être le revival du biniou ou autre chose. En tout cas un gros big up est passé à Jack Lang pour la fête de la cacophonie.

« C’est surtout anti-variété ».

C’est comme ça qu’en démarrant sur Fréhel [ne partez pas, ça ira mieux dans a trois lignes, nda] et en remontant le fil jusqu’à ouvrir sur La Souterraine Delcourt traverse les bizarreries de quelques monogrammes francophones. Si l’engagement n’est pas toujours posé carte sur table, comme chez Thiéfaine le nihiliste ou Fontaine qui refuse en bloc de signer pour une cause, on prend plaisir à découvrir des groupes qui n’ont pas peur d’annoncer la couleur dans leurs textes. Groupement Culturel Renault chante « pour tous les ouvriers malades qui n’ont pas les moyens de s’arrêter de travailler parce qu’ils sont payés à l’heure, qui ont la main ensanglantée par la machine » dans Cadences 1, François Tusques crée le collectif Le temps des cerises pour s’autoproduire, Senthaclos sort Chansons des colères, et on découvre au fil des pages Le chant des ouvriers, Libérez Angela Davis tout de suite et même un Etron Fou Leloublanc à qui je dis que ça ne doit pas être facile à porter tous les jours ce genre de nom dans le free-jazz. Les genres sont mélangés, de la poésie de Jean-Roger Caussimon en passant par le bruitiste Jac Berrocal à des choses plus pop. « C’est surtout anti-variété ».

« Après 81, cette rébellion arrive à expiration et laisse place au débarquement punk. Le chant en français est repris par les Jeunes Gens Mödernes que j’aime beaucoup. Mais ce n’est plus la même revendication. » Peut-être pour leur manque de revendications, on évince ainsi quelques grands noms, Michel Polnareff entre autres, de cette épopée assez réservée aux encartés mais surtout plus encline aux découvertes. Ainsi le livre s’achève sur une soixantaine de chroniques de disques plutôt rares et grandioses, alors qu’il avait commencé en récit, laissant forcément sur le côté de la route quelques signataires de la chanson française. Mais peu importe, Il y a des années… est la compilation de la musique engagée comme on l’aimerait en notre sinistre ère pro-Fauve. Un livre qui évite la question du « mieux avant ? » puisqu’il parle d’un temps révolu où l’on pouvait se faire croiser Brigitte Fontaine, Jean-Claude Vannier et l’Art Ensemble Of Chicago, et les circonstances étaient offertes par le hasard.

Maxime Delcourt // Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire // Le mot et le Reste

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