« Boys are Girls » : c'est le slogan d'égalité posé par Gyrls, nouveau projet crée par le producteur Mike Theis. Un nouveau chantier très visuel en forme de faux groupe à faux cils qui défend les girls, les vraies. La femme est une freak comme les autres.

Gyrls 3Cette année, j’ai eu deux énormes chocs : le disque « Sextape » d’Orties et le livre d’Ismène de Beauvoir Contre-Culture Confiture (Ed. Fyp, disponible à partir du 4 Novembre). Le point commun entre les deux ? Des œuvres 100 % féminines. Et alors, quel rapport ? Non, rien, c’est vrai, c’est très con comme rapprochement. A égalité, j’ai aussi été fou de « Yeezus » de Kanye West, du « Bones » de Blackmail et de la réédition des Œuvres 1 de Guillaume Dustan. Le point commun ? Des œuvres 100 % masculines – dans la troisième, il n’y a que des homos, pas l’ombre d’un talon aiguille taille 37. Sinon ? Aucun lien, là non plus.
Et pourtant. A une heure où le machisme et le clivage des sexes s’avèrent aussi désuets que le port de banane en dessous de la ceinture, il me semble intéressant de justifier le pourquoi de l’adoration… d’Orties, pour l’exemple : si on ne croit plus à un nouveau genre de musique (ni plus à la masculinité/féminité du temps de papa), on peut néanmoins s’extasier face à la musique de genre. Si Orties, toujours elles, étaient des mecs, le projet aurait évidemment moins d’intérêt. Pas musicalement, sociologiquement. Si elles créent une musique qui divise (en moyenne 5% d’admirateurs/trices au sein d’une rédaction – sondage approximatif) bien plus qu’elle ne fédère, les Orties ne font pas davantage, à la façon d’un certain rap français, de la musique POUR (« pour les meufs », « pour les goths », « pour la gen Y», « pour les misandres » etc, etc), mais reflètent et représentent bien plus de filles de l’époque qu’on a croisé sur notre route. Mais demeure ce problème : elles restent des filles.

Dents de louves

Toutes leurs éventuelles provocations (« le nombre de mecs qu’on va pouvoir se taper après nos concerts » ; « J’sais tout sur les ténèbres / ta mère je la baise vénère »…), il faut les prendre très au sérieux – ce qui, ici, ne veut pas dire avec humour – plutôt qu’au premier degré. Le geste artistique est fort si on considère l’art dans sa fonction communicative. On pourra dire ce qu’on veut, même si elles n’ont pas pour but de provoquer à l’aller (« Je pose torse nue sur la pochette, et alors, si c’était un mec, on ferait aucune réflexion »), les filles d’Orties provoquent quand même, en retour, des éruptions cutanées. Il faut voir les réactions masculines outrées face au clip de Plus putes que toutes les putes, signaler les commentaires injurieux partout ailleurs, mettre le doigt sur ce qu’en dit Ovidie, pourtant néo-féministe et auteure de Porno Manifesto, lorsqu’elle essaye de justifier leur attitude wild sur un ton très maternaliste. « Les mecs et moi, ça fait zéro/pochon + paille = we love me/on veut pas faire du porno/mais on te baise avec un godmi’». A la façon de Despentes dans King-Kong Theory, amusez-vous à remplacer dans cette phrase le sujet féminin par le masculin : l’indifférence et les bâillements remplaceront très vite l’outrage évoqué plus haut. Pour citer Despentes : « Détester les femmes chez un homme, c’est une attitude. Détester les hommes chez une femme, c’est une pathologie ». Don’t acte. La vérité, c’est que ce n’est pas leur musique qui défrise, c’est que celle-ci soit jouée par deux nanas. Et pas n’importe lesquelles : des vraies femmes, qui ont tenu les commandes de leur projet de A à Z pour aller jusqu’au bout du délire. Comme Sir Alice ou Mohini ? Oui, à la différence près que, même si le Milk Teeth de cette dernière est fantastique, les deux brunes sortent les crocs – plus des dents de louves que des dents de lait. Entre la blonde et les brunes, autant de points communs qu’entre Blondie et Bruni. Au pays de Taxi Girl, les jumelles d’Orties, c’est comme Lapeyre : des comme elles, y en a pas deux.

Pour les Gyrls

On continue dans les citations. « [Notre groupe], c’est de la musique faite par des hommes qui voudraient faire de la musique comme la font les femmes qui voudraient faire de la musique d’hommes. » Cette phrase, à première lecture ampoulée mais finalement très limpide, nous vient droit au but du marseillais Romain-Dondolo-Guerret, leader du groupe masculin répondant au prénom… féminin d’Aline. Si le leur n’a rien à voir avec un amour du passé à qui ils rendraient hommage (c’est un clin d’oeil à leur ville natale), de Christophe (Aline) à Frankie Vincent (Alice ça glisse), les chanteurs ont souvent, à défaut de leur faire un enfant, accouché une œuvre des tripes à la gloire d’une demoiselle, poème à elles-seules que les mâles, plein d’esprits, se doivent de mettre en forme (sic).

Gyrls 1
Nous arrivons enfin à Gyrls, le nouveau projet de Mike Theis, producteur fou et responsable du label Yuk-Fü, qui parle quant à lui au pluriel à des types de femmes singulières parce qu’encore à part. Au pays du président normal, il semble d’autant plus facile de passer pour marginal – selon que ce terme soit synonyme de qualité ou… de problème : non plus dans la marginalité par rapport à la norme mais par rapport à la normalité.
Donc Gyrls. Mike ne parle pas à des first ladies mais à ces fist ladies – qui n’ont pas les poings dans leur poches – les über-women, ces femmes biens flinguées qui font changer les mecs de trottoirs sur le boulevard (de la mort). Un énième fantasme hétéro-centré ? Non. « Ce n’est non pas pour exploiter ce vieux thème éculé de la bomba à gros flingues mais plutôt le côté freak des choses : membres de gang, gameuses hardcore, Top Models sous amphets, Junkies, workaholics extrêmes… » Nous y voilà. Il faudrait que Mike Theis change l’orthographe de son nom de famille pour devenir Mike « Teeth », en référence au film éponyme culte dans lequel une jeune femme détient un vagin muni de…dents, aha. « C’est un projet dédié aux femmes qui terrorisent les hommes ! » surenchérit-t-il. Sa musique n’a rien à voir avec Orties mais Mike, enregistrant son EP tout seul comme un grand enfant, s’est effacé pour faire parler les machines, son girls band. Il est l’inverse d’un Phil Spector ou d’un Giorgio Moroder : ce sont bien les machines qui le dirige et pas l’inverse. Il pourrait être encore l’égal d’Ethan de Crystal Castles, celui-là même qui appuient sur les bons boutons pour faire orgasmer Alice. Mais là, encore une fois, sans chanteuse(s).

« Girls are boys »

Gyrls Mike & ToysDans Gyrls, il y a néanmoins une femme pour développer le visuel. Florence Lucas. « C’est poétique, noir, paradoxal, hautement sexuel avec le quelque chose inexplicable des grands artistes. En plus c’est une femme magnifique, forte et qui a eu un parcours de vie nourrit de mille expériences. She’s the Girl ! »
« Girls are boys » déclare Mike, dans un premier temps. On pourrait remixer l’adage de Beauvoir (Simone, pas la Ismène citée plus haut) : on ne naît pas femme, on devient homme. Se masculiniser, la seule solution valable pour se faire entendre quand on est femme dans la troupe phallocrate ? Cette théorie a déjà été validée. La femme est un freak comme les autres hommes, c’est peut-être le point important sur lequel Mike Theis vient appuyer ici. Parce qu’en 2013, les femmes grandes gueules, on les préfère silencieuses. Les paroles de Gyrls sont « comme les slogans de merde qu’on entend dans les pubs à la télé ou la femme passe directement pour une cruchasse ». Sinon, musicalement ? C’est un hommage à DJ Mehdi, « le premier à avoir crée un pont entre électro et hip-hop ». Et pour un morceau comme Disruptism, on avait pas rarement fait plus panant en France depuis le Mathias et Charlotte de Dye, autre groupe qui aime remplacer les « i » par des « y ». Guillaume Dustan, pour finir : « Les rapports de pouvoir dans l’humanité ne changeront pas tant que les hommes ne vivront pas leur homosexualité naturelle et se feront pas enculer par d’autres messieurs comme eux. Ce jour-là, ils comprendront les femmes et ils ne les mépriseront plus ». Avec son beat, Gyrls pénètre les voies du Seigneur impénétrables.

https://soundcloud.com/gyrls/sets/faith-ep-2/

4 commentaires

  1. Albert : Le Kanye West est colossal, les gens n’ont pas compris mais tant pis, laisse-les dans leur petit folk mignon de bédaveurs et électro cooloss tapisserie de chambre. Quant à « C.T  » : De quel débat tu parles ? Ce qui est posé là est péremptoire : s’il y a une opposition, c’est entre moi-même et moi, et pas de schizophrénie, désolé, développe tes arguments et donne ton identité réelle qu’on aille boire un verre, au mieux (même si j’ai pas que ça à foutre), au lieu de te cacher derrière des initiales de Charles-Thibaud ou des saloperies dans le genre .

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