Sagesse populaire. Dès que l’essence commence à manquer, le Français devient prévoyant : il court acheter du sucre. A croire que chaque postier qui manque au guichet se transforme en soldat russe.

Pendant ce temps-là, des milliers d’opprimés se serrent les coudes pour empêcher de rouler les trains qui leur ont permis de se rejoindre. Ironie de l’histoire, quelques mois plus tôt des racailles brûlaient leurs bus mais personne ne semblait comprendre la portée de ce geste. Tiens, si j’étais un geek je vous citerais le prophète Paul Atreides dans Dune : « Celui qui peut détruire une chose est maître de cette chose ». Oui oh, je sais, ce n’est pas hyper classe de citer Dune, mais une manif aujourd’hui est-ce vraiment plus sexy ? Réfléchissez-y. Une odeur de saucisse persistante. Des masses de types mal habillés parce qu’un salaire du bâtiment ne permet pas de porter du Paul Smith, et que de toute façon Prada, ça protège mal nos infirmières du froid de la rue. Des slogans rédigés sur des sous-bocks, bramés sur des chants de footeux ou de mariages campagnards. Pas franchement vendeur… Mettez-vous dans la tête que 50 ans de publicité nous ont rendu plus exigeant sur ce plan-là. Vous regardez Mad Men, non ?

Evidemment c’est un mouvement po-pu-laire, comment lui éviter d’être po-pu-liste ? N’empêche que ceux que vous essayez de convaincre ne sont pas populo, et ils s’en foutent pas mal. Meaning : à mon âge, vous éveillez moins mon intérêt en m’amenant un collier de bonbons que votre belle-sœur ou un écran LED. Votre gouvernement est pareil.

1. La manifestation est une discipline morte. Comme le latin ou la course en sac aux J.O.

Pourtant le pays continue de regarder en arrière. Notre rédac chef postait récemment sur son Facebook une photo des manifs avec comme légende : « La France d’hier, vue d’aujourd’hui ». Et se bouffait des commentaires amers en serrant les dents. Pourtant… On a un problème d’avenir. La France a buggé, planté, crashé. On freeze. Mai 68, c’était la volonté d’un peuple  pour que « ça change ». Comme 36, ou 1789. 2010, c’est l’envie que ça ne change pas. Assis dans le sens contraire de la marche. Pas tant dans le casus belli (la loi, le projet) que dans la manière vétuste de mener cette guerre. Les 300 spartiates finis en méchoui aux Thermopyles sont à peine moins has been. On se calme, j’explique.

Le (paquet de) nerf de la guerre d’hier était le pétrole. Puis le fric. Du coup, c’est raffineries en bernes et rayonnages vides, puis DAB exsangues. Sans essence, un sénateur continue d’aller entériner des lois. Par contre sans petite monnaie, votre boulanger va finir par bouffer sa propre farine. Barrer des routes, des TER, ça irrite mais ça ne paralyse pas plus qu’une épidémie de constipation. Pourquoi ? Parce que le monde a tourné. Que le nerf a changé de muscle. L’information… Un autre prophète des relations-presse la décrivait comme « le nouvel or noir ». Déjà Googles bombs et Wiki Leaks font plus de dégâts qu’un portail enfoncé. Reconstruire une réputation nécessite plus qu’un maçon… Mais tout cela est déjà dépassé. Même relayé un million de fois, aucun tweet rageur ne déclenche la création d’une Haute Autorité pour le respect des élites sur internet.

2. Utilisateurs de smartphones, frémissez  en pensant aux futurs barrages-escargot sur bande passante.

Quand les entreprises grévistes téléchargeront toutes en même temps l’équivalent de FlickR sur leur Dell en fin de vie (le parc informatique des administrations étant un peu l’équivalent des soins palliatifs). Les prises d’otages d’actionnaires par un comité de blouses bleues n’auront plus guère d’intérêt, quand on pourra viser un FAI. Boîte mail muette, déconnexions, utilisateurs fliqués. On pourrait aussi faire joujou avec les DNS, les autorisations d’accès, et à quel ordinateur… Données détournées, infos privées devenant soudain publiques (once again, merci Tweeter), les choix sont légion. Vous ne comprenez rien à ce charabia ? Ce n’est pas grave, pensez juste très fort à un agent de la DDE qui changerait les panneaux routiers facétieusement ou installerait des plots de sécurité en zigzag sur la proverbiale autoroute de l’information… Kaboom.

3. Geeks de tous les pays, unissez vous !

Très vite on se retrouve à parler de cyber terrorisme. Sauf que quand je vous aurai dit que c’est la CGT qui prend d’assaut des serveurs, vous n’aurez plus ces images de Matrix en tête. Un syndicat poussant à la guérilla ? Eh, on en était au stade où ils encourageaient à brider l’électricité au risque de légèrement bousculer crèches et hôpitaux, et plus égoïstement mon frigo, alors… Il y eut un temps pour le gaspillage (lait renversé, tomates par palettes) ; voici venir le temps des spoilers de serveurs. Des baies entières de bécanes ronronnent en paix chez vos hébergeurs ; un effaçage en random de fichiers, photos, mails ou de comptes bancaires ferait très peu plaisir aux intéressés mais il donnerait de belles sueurs froides que les marches avec mégaphones ne transmettent plus. Bien sûr aucun crétin ne formaterait tout son dur en protestation contre une loi inique. Ce qui ne diffère pas tant du bonze qui se fout le feu pour faire avancer une cause dont il ne profitera pas. Car finalement, si détruire le contenu d’autres à ses fins idéologiques propres c’est du terrorisme, soyons conscient que détruire les siennes propres c’est simplement se tirer une balle dans le pied pour être réformé.

Vous allez finir par me rétorquer que tout cela nécessite des compétences informatiques que la masse laborieuse n’a pas, et vous aurez raison. Justement, c’est là que je voulais en venir : les syndicats devraient servir à cela. On n’a pas plus de connaissances juridiques, c’est même pour ça qu’on choisit des représentants. Voire, en temps de crise, des syndicats. Je n’en veux pas aux millions qui ont choisi la rue pour crier leur exécration. J’en veux à ceux qui s’en servent pour… ne rien faire. Sinon du bruit. Soyez des lobbies informatifs, donnez des idées, des moyens. Un gigantesque wiki pour des class action. Pas un firewall bloqué sur autarcie.
Et puisque les geeks auront décroché il y a un moment sur ce qu’ils connaissent déjà depuis William Gibson, je propose une alternative aux cybermanifs. On peut se comporter en démocrate en faisant marcher notre république. C’est tout simple et ça ressemble à ce qui se fait déjà : on se met à 50 000 devant le QG de son député en exigeant qu’il reflète les opinions de ceux qui l’ont élu. Pourquoi bloquer des entreprises qui n’ont rien à voir avec le processus législatif ? Le Palais Bourbon est facile à trouver, même pour les provinciaux. Au lieu de bloquer des trains, affrétez-en pour agir au lieu de voter la nécrose. Ce n’est pas si étrange comme concept… Quand votre bécane se comporte bizarrement, vous la rebootez sans lui demander son avis ; alors si votre république fait un bruit de ventilateur qui surchauffe, consultez un informaticien, pas un vendeur de saucisse.

11 commentaires

  1. Tu as raison quelque part Hilaire, mais je crois que les syndicats n’auraient rien contre recruter quelques tronches en informatique … Si… S’ils n’avaient pas peur de ne plus pouvoir maîtriser ? Il y a aussi une sorte de conformisme et de conservatisme chez eux. Ils en sont resté à Zola et à mai 68, les ouvriers qui vocifèrent et les chaînes sur les grilles des usines … La menace de piratage des systèmes informatiques pourrait être une solution mais ça coûterait très chers aux gars … taule direct et ferme …faut s’en rendre compte aussi

  2. Peur ? Peur de quoi ?
    Les prises d’otages et les centrales coupés, c’est pas moi qui les ait inventé ni suscité hein…
    Non je pense qu’ils sont contents de leur passéisme rétrograde. La masse = la force, cela permet de contourner 2000 ans d’histoire de la civilisation. Et comme toujours à ce petit jeu ce sont ceux qui en crèvent qui y perdent encore. Je n’ai jamais vu un ouvrier (du bâtiment dans mon cas) être mieux traité après une manif…

  3. le pouvoir mon cher hilaire, toujours le pouvoir, une pathologie de l’immobilisme! Immobilisme qui nous vient des périodes historiques que tu cites…
    Quand on en a beaucoup (de pouvoir pas des saucisses grillées), on a moins d’intelligence collective…

  4. Et toi Hilaire, à ta mesure et de ton côté, que fais-tu, ou qu’as-tu fait ?
    Désolée si cette question sonne comme de la provoc’ gratuite, mais je me pose vraiment la question en constatant qu’au sortir de la lecture de ton article, au demeurant très intéressant dans les pistes d’action/d’activisme qu’il propose, il subsiste l’impression que le ton y était légèrement professoral…

  5. @Laslo : Citer c’est *toujours* classe, mais très pompeux à la fois. Thanks anyway.

    @Lara : Cette question fait glisser le débat sur le thème même (le fond) des dernières grèves, les revendications. Ce serait donc : et toi Hilaire qu’as tu fait pour le problème des Retraites (et/ou la grogne généralisée) ?
    Réponse : Rien. Je n’ai aucun pouvoir pour faire bouger cela ; je bataille déjà pour cotiser de mon côté et c’est souvent suffisamment difficile. A dire vrai, le jour où j’ai endossé le costume du journaliste pisse-signes, j’ai fait une croix sur toute perspective de retraite. Je n’ai donc pas cherché à changer quoi que ce soit.

    @Recel : Yep. Il faudrait vraiment un jour que qqn écrive ce papier sur le consensus mou, la loi du plus grand nombre de gens d’accord sur la couleur du papier peint blanc.

  6. Non, si ma question était « qu’as-tu fait pour les retraites ? », je l’aurais posée comme ça.
    Ma question, re-formulée donc, c’est « et toi, qu’as-tu fait ou que fais-tu pour ta propre révolution perso, à ton niveau ? ».

    J’ai bien compris que l’article ne traitait pas des retraites (rassure-toi, tu as été suffisamment clair sur ce point), mais des formes d’action des syndicats : celles qui sont effectives, celles qui devraient/pourraient l’être, avec quelques suggestions. (c’est bon, on est bien d’accord sur le fait qu’elle a bien compris, la dame ?).

    Ce qui me fait t’interroger, c’est le ton un peu professoral à mon sens, de ton article : sauf erreur, il me semble qu’un lecteur qui s’assimile à l’élève (même si en l’occurrence, je ne suis pas syndiquée) peut questionner le professeur quant aux illustrations concrètes de ce qu’il avance, non ?

    Tu as écrit : « . On peut se comporter en démocrate en faisant marcher notre république. ».
    Je te demande donc comment tu la fais marcher, de ton côté.

    J’espère avoir été plus claire !

  7. Capiche.

    Néanmoins, même réponse que tout à l’heure : je n’ai rien fait pour faire bouger quoi que ce soit, puisque dans ce cas précis je n’estimais pas avoir à faire bouger.
    Le sujet m’en touchait une sans formater l’autre donc… j’ai continué de bosser en écoutant et argumentant le cas échéant avec ceux qui faisaient grève (des infirmières et quelques agents de la fonction publique, cadre ou non, pour être précis). Je ne me suis même pas fatigué a en parler avec ceux qui braillaient contre les grèves parce qu’elles leur cassaient, au choix, les couilles, le moral, ou leur moyenne.
    Si le ton professoral t’as dérangé, well sorry, ce pupitre était la façon la plus aisée de faire passer les idées. Mais je fais remarquer que toutes mes conversations sur ce sujet, avec des grévistes ou non, ont abouti au consentement que les méthodes actuelles n’étaient pas les bonnes.

    No necessity -> no action

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